Cet article a pour sujet le rôle de l'Esprit dans le Nouveau Testament, durant le ministère terrestre de Jésus et depuis la Pentecôte, en particulier le rapport entre le Christ et l'Esprit en vue d'accomplir en nous l'oeuvre de rédemption.

Source: Essai sur le Saint-Esprit et l'expérience chrétienne. 9 pages.

La présence de l'Esprit - Le Saint-Esprit dans le Nouveau Testament

  1. Introduction
  2. Le rapport entre le Christ et le Saint-Esprit

1. Introduction🔗

Le Christ poursuit son œuvre durant l’intervalle qui s’étend entre son état actuel d’exaltation et son prochain retour. Son incarnation avait un objectif précis, il devait accomplir une mission. Tel est l’ensemble du témoignage christologique du Nouveau Testament. À présent, son œuvre terrestre étant achevée, il répand son Esprit qui est source de vie (Jn 6.63; 7.37-39). La condition indispensable d’entrée dans le Royaume est une vie transformée par l’Esprit (Jn 3.5). L’effusion du Saint-Esprit à la Pentecôte a inauguré la nouvelle économie du salut. Avant la réception de l’Esprit, les disciples ne pouvaient rien accomplir d’eux-mêmes. Répandu sur le nouveau peuple de Dieu, l’Esprit l’habite de manière permanente et non plus par intermittence comme dans le passé. Cependant, son ministère ne met pas fin au ministère actuel du Christ. Au contraire, la médiation de l’Esprit prouve parfaitement le lien et l’unité intime par excellence existant entre lui et le Christ. Par endroits, cette unité et cette communion sont telles que le Christ sera appelé l’Esprit vivifiant (1 Co 15.45) et le Seigneur Esprit (2 Co 3.17-18).

La distinction entre leurs personnalités est maintenue, car il ne saurait y avoir de séparation, pas plus qu’il n’y a de confusion (Rm 8.9; 2 Co 3.18; Ga 4.6). Le Christ est appelé Esprit parce qu’il poursuit son œuvre à travers les opérations de ce dernier. On n’a pas distingué toujours nettement entre une action attribuée au Christ et une autre à l’Esprit. Nous remarquerons que, dans les écrits pauliniens notamment, tel acte est attribué tantôt à l’un tantôt à l’autre.

Le rapport entre Jean 20.22 et l’effusion de l’Esprit telle que nous la rapporte Actes 2 a posé un problème. Dans le premier cas, nous assistons à un geste qui préfigure l’effusion réelle et définitive du jour de la Pentecôte.

Le Christ appelle l’Esprit « o Parakletos » (Jn 14.16,26; 15.26; 16.7). Dans 1 Jean 2.1, le terme signifie « avocat ». La plupart des exégètes rattachent ce terme au verbe « parakaléô » qui signifie entre autres exhorter, consoler. Si le Christ l’appelle Paraclet, cette appellation se justifie par la mission dont l’Esprit est investi; il sera chargé d’exhorter les hommes à accepter la consolation que procure la rédemption. Or, d’après Jean 16.13-15, l’Esprit rendra témoignage au Christ et conduira les hommes vers lui. Il leur fera connaître toute la vérité. Nous constatons de nouveau qu’il n’est jamais placé au premier plan du salut. En conduisant les disciples vers le Christ, l’Esprit les placera du même coup dans la communion du Père.

2. Le rapport entre le Christ et le Saint-Esprit🔗

La promesse messianique relative à l’Esprit et à son effusion s’est réalisée en Christ. Oint de Dieu par excellence, l’Esprit divin s’est pleinement manifesté en lui. Il l’habite totalement et opère à travers lui. Grâce à l’Esprit, le Christ peut poursuivre et achever sa mission terrestre. La conception du Fils de Dieu, sa naissance miraculeuse et l’ensemble de son ministère attestent la présence et l’opération puissante de l’Esprit. Lors du baptême, l’Esprit descend sur lui sous la forme d’une colombe. Plus tard, il s’offre à la mort, mais l’Esprit le ressuscite.

Les écrits de Paul, non moins que ceux de Jean, rendent un témoignage éclairant à la personnalité divine de l’Esprit. Sous la plume de l’apôtre Paul, on ne trouve pas les mêmes pronoms masculins que nous mentionnions plus haut. Cependant, sa personnalité est pleinement attestée lorsque l’apôtre déclare qu’il est possible d’éteindre l’Esprit, de l’attrister, et qu’il intercède en notre faveur, parfois par des soupirs inexprimables. Il sonde les cœurs; il a une pensée; il signale ses intentions. Il élit son domicile en nous, dans nos corps. Cette expression est à mille lieues d’une image ou d’une formule poétique. Le fait qu’il habite en nous est l’une des preuves les plus convaincantes qu’il n’est pas une simple présence, mais encore une personnalité divine.

Quelle est la nature du rapport existant entre le Christ et l’Esprit? Comment pourrons-nous établir leur identité personnelle sans oublier la spécificité de leurs œuvres respectives? L’effusion de l’Esprit le jour de la Pentecôte inaugura la première proclamation publique de l’Évangile. Jésus fut déclaré le Messie qui avait été promis aux anciens. Plus tard, cité pour comparaître devant le Sanhédrin, Pierre annoncera en guise de défense que le miracle qui vient de s’accomplir l’a été au nom de Jésus (Ac 4.8). Nous lisons à cet endroit que Pierre parla « revêtu du Saint-Esprit ». On aura de la peine à trouver dans le livre des Actes un mode uniforme de l’opération, ou des opérations, de l’Esprit. D’ordinaire, il survient au moment du baptême, mais parfois lors de l’imposition des mains (Ac 8.12-17). Il est intéressant de noter encore la manière dont les disciples d’Éphèse reçurent l’Esprit après leur premier baptême, qui fut administré au nom de Jésus (Ac 19.1-17). Ce même passage éclaire en outre d’un jour nouveau le rapport existant entre Jésus et l’Esprit, outre le renseignement qu’il nous fournit sur la pratique ecclésiastique du baptême dans l’Église apostolique.

D’après le livre des Actes, l’Esprit n’est accordé qu’à celui qui confesse Jésus comme le Christ, le Messie. Le don de l’Esprit scelle la foi du converti et le conduit à une confession publique du nom de Jésus. De même, dans le discours d’adieux (Jn 14 à 16), l’Esprit était promis à ceux qui allaient témoigner leur amour envers la personne du Christ. C’est sur sa requête adressée au Père que l’Esprit fut envoyé. Aussi, la principale mission de celui-ci consistera à glorifier le Christ et à convaincre le monde du péché de l’avoir refusé.

Selon James Dunn, Jésus a donné à l’Esprit sa propre personnalité. Quant à l’Esprit, il est la divinité même de Jésus. Le théologien britannique emploie le terme de « biunité » du Christ et de l’Esprit, que nous récuserons. S’il y avait vraiment biunité, il faudrait se poser la question de savoir si la formule rend clairement et suffisamment compte de la distinction biblique nécessaire entre les personnes de la sainte Trinité. Est-il légitime de se représenter le « Logos » et le « Pneuma » comme étant des personnes interchangeables? Car c’est le Christ qui est la révélation définitive de Dieu.

L’essentiel du message de saint Paul pourrait aisément se résumer dans les grands faits historiques auxquels l’apôtre se réfère constamment, aussi bien dans ses discours du livre des Actes des apôtres que dans ses épîtres. L’ensemble de son message concerne la personne historique de Jésus de Nazareth, qui n’est autre que le Christ Seigneur, lequel a frayé un chemin d’accès direct vers le Père grâce à son œuvre expiatrice et sa médiation. À ce propos, il donne une foule de détails historiques. Cependant, il ne se contente pas d’énumérer des faits historiques et de les citer comme tels, mais il ajoute presque invariablement son commentaire, assurément le seul autorisé en la matière. Notre propre interprétation ne devrait être que la simple reprise de la sienne. L’apôtre n’expose pas un simple message; il fournit également une excellente méthode d’interprétation biblique, qui est la seule valable. On sait que chez lui l’événement et son interprétation forment un ensemble cohérent.

Galates 4.4 offre un exemple classique qui peut illustrer notre propos. Ce passage rappelle d’une part les faits historiques concernant Jésus, sa naissance lorsque les temps furent accomplis, son existence placée sous le signe de la loi, mais, d’autre part, il offre simultanément la raison d’être de ces faits, il explique le pourquoi de la naissance et du ministère du Christ. Paul est l’apôtre de Jésus, le messager du Christ crucifié. La finalité de son apostolat réside dans l’appel qu’il adresse aux hommes, aux juifs d’abord, aux païens ensuite à se convertir au Christ. La mort et la résurrection du Christ inaugurèrent les débuts d’une création nouvelle. Cette création est déjà apparue dans sa propre vie. Son existence et son ministère ont été placés sous les auspices de l’Esprit. C’est la personne et l’œuvre du Christ qui fondent l’apostolat de Paul et en constituent le contenu. À la suite de Paul, la théologie chrétienne et les grandes confessions de la foi l’ont proclamé Fils de Dieu et Seigneur.

Mais Jésus est également Fils de l’homme au sens ordinaire du terme, et non dans celui de l’acception messianique. Il a pris la nature humaine. Il est le Jésus de Nazareth et, comme tel, différent de Dieu. C’est sur ce point-là que réside le mystère des deux natures, humaine et divine, du Christ. Affirmer cette double nature signifie nécessairement vouloir reconnaître les liens qui unissent entre elles les trois personnes de la Trinité, l’un et le multiple.

Le Père se révèle d’une manière distincte lorsqu’il envoie le Fils au monde. Le Fils apparaît dans sa personnalité distincte lorsqu’il se soumet au Père. Le Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils, soutient la relation des deux premiers, en mettant en évidence leur personnalité distincte. D’après une certaine interprétation, son identité au sein de la Trinité consisterait à préserver la personnalité du Fils par rapport à celle du Père. Cette formulation nous paraît sinon tout à fait malheureuse, du moins insuffisante. Cependant, il est clair que s’il laisse paraître le Christ, de même que s’il affermit et démontre au sein de la Trinité la relation d’amour entre le Père et le Fils, c’est afin de souligner sa propre relation avec les deux autres personnes, sans qu’il soit possible d’en déduire une quelconque subordination par rapport à elles.

Il n’est pas facile de trouver dans les discours du Christ des allusions bien claires quant à la nature de son rapport avec l’Esprit. Or, il est évident qu’à partir de son baptême, l’Esprit lui est accordé de manière permanente. Cette présence contraste avec celle, plus épisodique, dont il est question dans l’Ancien Testament. À partir de sa présence en Christ, l’Esprit fait connaître la manière dont il sera aussi présent chez les disciples fidèles. Jésus de Nazareth est devenu l’homme par excellence. C’est pourquoi nous n’avons pas en cette présence une innovation dans la dispensation nouvelle du salut. Il ne s’agit pas d’une nouveauté s’ajoutant de façon inattendue ou supplémentaire à la révélation déjà accordée, même si elle ne l’était qu’en partie. Si ç’avait été le cas, il n’aurait pas agi dans la vie de Jésus de Nazareth. Par l’Esprit qui l’habite, Jésus peut appeler Dieu « Abba », c’est-à-dire Père. Selon C.F.D. Moule, « Abba » se trouve, dans l’Évangile selon Marc et chez Paul, au cœur de toute la doctrine de l’Esprit dans le Nouveau Testament1. Cette invocation est aussi décisive pour la doctrine du Christ qu’elle l’est pour la pneumatologie en général et pour notre expérience chrétienne en particulier. À la suite de Jésus, les disciples sont invités à appeler Dieu leur Père.

Étant donné que telle est la nature première de l’expérience chrétienne, nous n’avons pas de raison d’affirmer que celle-ci consisterait à posséder l’Esprit, ainsi qu’on se l’imagine dans certains milieux. La divinité du Jésus historique est également confirmée par le témoignage que lui rend l’Esprit. Descendant de David selon la chair, Jésus est désigné comme Fils de Dieu par l’Esprit. J. Dunn a raison d’insister sur ce point. Grâce à cette relation du Christ avec l’Esprit, la christologie devient beaucoup plus vivante et puissante que les christologies plus classiques. Nous ne suivrons cependant pas l’auteur lorsque, dans sa conclusion, il déclare que la christologie de Chalcédoine, avec sa phraséologie artificielle (?), serait une doctrine figée.

Fils de Dieu, le Christ a achevé par son sacrifice expiatoire la mission divine de la rédemption, dont il eut pleinement conscience d’être l’exécutant parfait. Cette œuvre achevée, il répand son Esprit afin que, par la régénération, l’entrée dans le Royaume devienne possible. Jean 20.22 relate à sa façon que cette promesse a été tenue. Avant son ascension, le Seigneur donne au collège apostolique réuni le pouvoir d’exercer son office, avant même que celui-ci ne participe en commun avec tous les fidèles au don de l’Esprit. Pour l’heure, ils sont exceptionnellement privilégiés à cause de leur office apostolique, unique et intransmissible. Ce qui explique que les disciples n’aient rien pu accomplir avant la venue de l’Esprit Paraclet (Jn 16.13).

Il n’est pas inutile de rappeler que l’envoi et l’effusion de l’Esprit ne mettent nullement fin à l’âge du Fils pour inaugurer une ère nouvelle appelée l’âge de l’Esprit. Lors de son ascension, le Christ s’est assujetti les pouvoirs et les principautés; il a été personnellement investi d’une autorité suprême, et la plénitude de l’Esprit en lui est telle qu’on peut parler du Christ comme étant l’Esprit. Inversement, sans effacer la personnalité de ce dernier, l’Esprit devient la propriété du Christ. La plénitude dont le Christ est revêtu est due à son obéissance. Le Père enverra l’Esprit au nom du Fils. Comme le Fils a glorifié le Père, l’Esprit glorifiera le Fils. Il mettra tout au service de celui-ci.

En lui et grâce à lui, le Christ demeure présent dans son Église. Il la gouverne et il exerce de manière spirituelle son autorité universelle. L’exercice de sa triple fonction de Roi, de Sacrificateur et de Prophète est de nature spirituelle. Les armes dont il se sert sont celles de l’Esprit.

Sans adopter la position de James Dunn, qui nous semble quelque peu forcée sur ce point, nous croyons que l’union entre le Christ et l’Esprit est telle que Paul n’hésitera pas à appeler le Christ l’Esprit vivifiant.

Examinons aussi l’expression familière « le Seigneur est l’Esprit ». Avouons que nous nous trouvons ici en présence de ce que les théologiens appellent un « crux interpretum », c’est-à-dire un point ou un passage biblique dont l’interprétation est extrêmement difficile. À notre avis, il faut revoir le texte dans le contexte de l’union intime entre l’Esprit et le Seigneur. Bien que cette expression soit compliquée, il ne faut cependant pas y voir une confusion entre les deux personnes, mais, ainsi que nous l’avons déjà dit plus haut, une simple collaboration d’une nature extrêmement intime. Leurs rôles respectifs, mais interdépendants, justifient parfaitement l’expression.

Interrogeons-nous pour savoir si l’apôtre Paul a identifié le Christ avec l’Esprit. Parfois, on l’a cru et on a avancé deux arguments en sa faveur. On a prétendu que Paul emploie sans changement le « en Christô » et le « en Kuriô » (« en Christ », « dans le Seigneur ») parallèlement au « en Pneumati » (« dans l’Esprit »). Plus récemment, on est allé jusqu’à prôner une identification ontologique de l’Esprit avec le Christ. L’argument est tiré de 2 Corinthiens 3.17. Il ne semble pourtant pas qu’il puisse résister à un examen sérieux. Certes, l’idée n’en est pas générale. On pense toutefois à une identification fonctionnelle.

D’après J. Dunn, l’article défini avec le « Kurios », au verset 17, est anaphorique et il devient virtuellement un article démonstratif. Ce Seigneur dont il est question dans Exode 34.34 est l’Esprit. Paul offre ici un midrash chrétien, affirme Dunn. Aussi il n’identifie pas l’Esprit avec le Christ, mais avec l’Éternel en personne. Le verset 18 amplifie le verset 16, la gloire qui vient du Seigneur. Dunn établit un autre fondement pour cette identification à partir de 1 Corinthiens 15.45.

La pointe de l’argument de Paul se voit dans sa polémique contre ceux qui nient la nature corporelle, quoiqu’eschatologique, de la résurrection. Plutôt que d’analyser des positions qui partagent cette interprétation, voyons sommairement ce que Paul entend lorsqu’il écrit que Jésus est « Pneuma », le désignant comme « Pneuma zôopoion », Esprit vivifiant. L’âge à venir révélera deux principes de vie opposés. Pour l’apôtre, « psuchikon », c’est-à-dire ce qui est terrestre (Gn 2.7), ne signifie pas simplement être, mais appartenant au domaine terrestre, « à l’ordre créationnel présent » (par nature, il est « choikos », c’est-à-dire terrestre).

Le second Adam, qui n’est pas « psuchè », n’appartient pas au domaine terrestre. Étant « Pneuma » ou Esprit, il appartient au domaine eschatologique. Non seulement Jésus donne la vie, mais également le « sôma pneumatikon », le corps spirituel. Pour la majorité des interprètes, on pourrait établir selon ce passage une identification entre le Christ et l’Esprit; nous estimons cependant que l’argument n’est pas tout à fait convaincant.

Reste à savoir si l’apôtre reconnaît implicitement une telle identification. Tout ce qu’on peut dire à ce sujet en faveur d’une identification fonctionnelle, et qui s’aperçoit dans le contexte, est attribué à l’Esprit et dans un autre contexte au Christ. L’expression « en Esprit » apparaît dans certains contextes comme un parallèle formel du « en Christ », tandis que « le Christ en vous » apparaît difficilement distingué de « l’Esprit du Christ en vous ».

Notons que l’œuvre attribuée au Christ et à l’Esprit l’est aussi parfois à Dieu. C’est donc avec beaucoup de précaution qu’il faut parler d’identité fonctionnelle. Michel Bouttier a contesté sévèrement la thèse de Deissmann selon laquelle on ne pourrait distinguer entre l’activité du Christ et celle de l’Esprit. Il soutient que Paul préfère de loin le « en Christ » au « en Esprit » (165 emplois de la première formule comparée à 19 seulement de la seconde). En outre, le « en Christ » désigne l’œuvre objective accomplie, tandis que le « en Esprit » n’est possible que grâce à la première.

On a soutenu que Romains 8.9-11 ne fait aucune distinction entre « le Christ en vous » et « l’Esprit de Dieu en vous ». Mais bien qu’on puisse admettre que le contexte n’établit pas une différence marquée entre les divers usages de l’expression, il convient cependant de noter deux points. Dans la mesure où « Esprit du Christ » est parallèle dans ce passage à « Esprit de Dieu », l’Esprit n’est pas simplement identifié au Christ. Au verset 11, les deux apparaissent comme distincts, car c’est l’Esprit qui ressuscite le Christ. En second lieu, une vue générale de l’usage que Paul en fait dans ses écrits établit deux tendances parallèles et non opposées qui pourraient soulever un point d’interrogation.

Celà dit, sa pneumatologie est essentiellement christocentrique. L’usage de « Pneuma » va plus loin que la notion de puissance ou d’activité, car il inclut l’idée de l’être véritable. D’après Galates 4, Dieu envoie l’Esprit de son Fils; dans Romains 8, Dieu connaît les pensées de l’Esprit. L’apôtre présente rarement l’Esprit comme un simple acteur, tenant un rôle secondaire que l’on pourrait se permettre d’oublier, si ce n’est carrément négliger. D’ordinaire, il le dépeint comme une figure représentative, agissant pour le compte de Dieu ou du Christ. Dans la majorité des cas, il est la puissance du Christ exerçant sa seigneurie sur l’Église. Celle-ci est en somme une récapitulation de la vie du Christ. Les Philippiens sont exhortés dans leur vie communautaire, qui devra exprimer la communion dans l’Esprit, à suivre l’exemple du Christ (Ph 2.1-11). De même que dans l’Évangile Jésus appelle Dieu « Abba », de même l’Église peut appeler Dieu « Abba » par l’Esprit qui nous habite.

L’objectif de l’œuvre de l’Esprit c’est d’être le Christ en nous en vue de notre conformité à son image. Paul ne s’intéresse pas à la vie au-delà de la tombe en soi, mais il le fait seulement dans la mesure où il sait que le croyant participera à la vie de résurrection lui permettant de prendre part aux richesses du Christ.

L. Smedes a étudié ce rapport et le problème qu’il soulève2. Il fait remarquer que deux tendances se dessinent autour de ce thème. L’une est amorcée par l’explication de la mystique orientale, l’autre voit en l’Esprit l’Agent Créateur du Christ. Calvin, théologien par excellence du Saint-Esprit, est le représentant le plus illustre de la dernière tendance.

Le réformateur a repris avec une fidélité exemplaire les grandes lignes de la pensée paulinienne, déjà tracées au début des Écritures. Selon Paul, il n’existe pas de différence qualitative, ou de nature, entre l’opération du Christ et celle de l’Esprit. Il n’est question que d’un mode d’opération différent. Smedes propose d’examiner le contexte de cette expression.

En cherchant à prouver l’authenticité de son ministère apostolique, Paul démontre que celui-ci dépasse l’apostolat des judaïsants qu’il traite de pseudo-apôtres. Or, la question ainsi soulevée dépassait de loin une mesquine querelle de personnes. Il en allait de l’autorité même du Seigneur. Paul veut prouver que son apostolat est authentique et légitime, et qu’en tant que tel il est supérieur à celui des prétendus apôtres, ses adversaires dans la foi. Il fait alors intervenir un thème nouveau dans son argumentation. Il se met à comparer les deux Alliances (2 Co 3.7-18). La Nouvelle dépasse largement en qualité l’Ancienne. Son apostolat appartient à la nouvelle ère de gloire. La Nouvelle Alliance a été conçue en Jésus-Christ.

Plus loin, il explique que ce n’est pas sa personne qu’il prêche, mais Jésus-Christ (2 Co 4.6). Le Christ est le Seigneur et, comme tel, le contenu et la signification de la Nouvelle Alliance. En sa qualité de Fondateur et de Chef des temps nouveaux et de la communauté nouvelle, le Christ domine souverainement l’ère nouvelle. Par conséquent, celui qui est en Christ est devenu une nouvelle création. Les choses anciennes sont passées, toutes choses sont devenues nouvelles (2 Co 5.17). Le contexte de l’expression « le Seigneur est l’Esprit » constitue le cadre de toute l’histoire de la rédemption. L’Esprit donne son caractère de nouveauté à la Nouvelle Alliance.

Le contraste entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance est décrit en termes d’opposition entre l’Esprit qui vivifie et la lettre qui tue. L’apostolat paulinien est plus excellent que la mission de ceux qui, avec leur légalisme et leur attachement à l’ancienne dispensation, ne cessent de troubler l’Église et de mettre en péril la foi en l’Évangile. Il nous faut exercer une extrême prudence pour éviter d’établir un contraste absolu entre l’Esprit et la lettre et de tomber dans l’écueil de l’interprétation libérale opposant l’Esprit à la lettre. Selon l’apôtre, « la lettre qui tue » est la loi promulguée sur le Sinaï; si elle est mauvaise, c’est à cause de l’usage abusif qu’en ont fait les Juifs. L’observation de la loi dégénéra en légalisme, au lieu de faire du peuple de Dieu une nation sainte. Dans ce sens, la dispensation sous la loi produisit la mort. Celle-ci s’oppose à la nouveauté de la vie qui anime actuellement une communauté nouvelle, régie non plus par la lettre, mais placée sous l’Esprit qui la fonde, la forme et l’anime.

Dans sa démonstration, l’apôtre pense en termes historiques. L’âge nouveau est supérieur à celui qui l’a précédé. Le Christ est le Chef de la nouvelle dispensation qu’il inaugura par sa mort et par sa résurrection. L’Esprit est la puissance qui caractérise la nouvelle ère. La loi est actuellement inscrite dans les cœurs et elle accorde la vie. Ces faits objectifs donnent raison à Paul lorsqu’il défend son ministère et en démontre la supériorité. L’examen de l’identité des deux sujets ne mérite pas que nous nous y attardions. Le Seigneur n’est autre que le Christ. Quant à l’Esprit, nous pensons à la suite de Calvin qu’il s’agit de l’Esprit Saint.

L. Smedes présente un tableau utile dans lequel il compare les fonctions du Christ et de l’Esprit dans la vie de l’Église et celle du croyant. L’Esprit ne s’occupe pas uniquement de quelques fragments de l’expérience chrétienne, mais de la totalité de celle-ci, qui est à la fois une réalité actuelle et un objectif eschatologique. Voici les parallèles établis par l’apôtre :

scellés en Christ (Ép 1.13),
scellés en l’Esprit (Ép 4.30);
consacrés en Jésus-Christ (1 Co 1.2),
consacrés en l’Esprit Saint (Rm 15.16);
justes en Christ (Ph 3.8-9),
justes en l’Esprit (Rm 14.17),
justes en les deux (1 Co 6.11);
nous avons la vie en Christ (Ép 2.5; Col 3.3-4),
nous avons la vie en l’Esprit (Rm 8.10-11);
espoir fondé en Christ (1 Co 15.19),
espoir fondé en la puissance de l’Esprit (Rm 5.5; Ga 6.8);
le Christ est l’alternative à la loi du péché et de la mort (Rm 8.2),
l’Esprit est l’alternative à la loi du péché et de la mort (Rm 8.2);
nous sommes appelés à demeurer fermes dans le Seigneur (Ph 4.1),
nous devons demeurer fermes dans l’Esprit (Ph 1.27);
nous devons nous réjouir dans le Seigneur (Ph 4.4),
nous devons avoir de la joie dans l’Esprit (Rm 14.17);
Paul parle de la vérité en Christ (Rm 9.1; 2 Co 2.17),
il parle de la vérité en l’Esprit (1 Co 12.3);
nous sommes appelés à la communion du Christ (1 Co 1.9),
nous sommes bénis par la communion de l’Esprit Saint (2 Co 13.13).

L’apôtre ne divise pas la réalité de la vie nouvelle en catégories de temps passé, présent et futur. Selon lui, le Christ a déjà libéré la vie actuelle des forces eschatologiques. L’avenir « est caché en Christ », mais en notre faveur. La théologie paulinienne, comme toute celle du Nouveau Testament, ne connaît pas de futurisme, car elle est essentiellement une théologie eschatologique, un futur déjà présent. Le Christ est déjà Seigneur et l’Esprit nous est déjà accordé. Le futur pénètre déjà le présent. Entre le Royaume eschatologique des Évangiles synoptiques et la théologie de l’Esprit de Paul, il existe indiscutablement une réelle identité.

Résumons ce qui vient d’être dit jusqu’ici. Le Christ a inauguré la création nouvelle; l’Esprit est celui qui l’anime; il la maintient et la domine. Le Christ appelle les hommes à lui; l’Esprit permet aux hommes d’aller vers lui. Le Christ est devenu la pierre d’angle de l’Église; celle-ci est appelée le Temple de l’Esprit. En dehors de ce dernier, il n’y a pas de relation possible entre le Christ, la Tête, et l’Église, son corps.

Le Christ et l’Esprit sont inséparables, mais non identiques. L’Esprit fonctionne comme l’Agent du Christ. Ce dernier est le principal exécutant de la rédemption, mais partout où il se trouve, il est accompagné et soutenu par l’Esprit. En un sens, Jésus est sur le point de partir, mais en un autre sens, il reste auprès des disciples. Lorsqu’il les quittera, c’est l’Esprit qui le remplacera auprès d’eux. Il ne les abandonne donc point. L’Esprit, qui exercera un ministère de Paraclet, les exhortera et les soutiendra. Dans l’Évangile selon Jean, la promesse de l’Avocat Soutien rappelle celle que nous trouvons dans l’Évangile selon Matthieu : « Voici je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28.20). L’une et l’autre de ces promesses éclairent la note de consolation et d’exhortation contenue à la fin du discours d’adieux : « Prenez courage, car j’ai vaincu le monde! » (Jn 16.33).

On ne tiendra pas rigueur à Paul d’avoir présenté un Esprit vague et diffus, au détriment de la présence, voire de la prééminence et de la centralité du Christ dans l’œuvre de la rédemption. Chez lui, nous ne rencontrerons aucune trace de mysticisme oriental. L’Esprit opère en l’homme nouveau de manière aussi bien subjective qu’objective. Pour décrire l’œuvre « pro nobis » (en notre faveur) et « in nobis » (en nous), certains termes sont appliqués aussi bien à l’Esprit qu’au Christ. Le Christ Seigneur est également les arrhes, le premier-né d’entre les morts. Hendrikus Berkhof pense que le Christ est dirigé vers le « totum » et l’Esprit est celui qui conduit vers ce « totum » (la totalité du salut). Il est le mouvement final qui, à partir du Christ, mène vers la fin; depuis les prémices, il fait aboutir à la moisson finale.

Après avoir établi la nature précise des rapports existant entre le Christ et l’Esprit, ce qui à notre avis doit être fait préalablement à toute étude analytique des passages bibliques, nous considérerons dans les sections suivantes les trois parties du Nouveau Testament qui contiennent la matière la plus abondante relative au Saint-Esprit : les Évangiles synoptiques (Matthieu, Marc, Luc), l’Évangile selon Jean et les écrits de Paul.

Notes

1. C.F.D. Moule cité par J. Dunn.

2. Lewis B. Smedes, All Things Made New, Eerdmans, Grand Rapids, 1970, p. 43 99.