Cet article a pour sujet la communication de l'Évangile et ses prétendues problématiques fondées sur l'humanisme et son idée de l'autonomie de la communication, et non sur l'autorité de la Parole révélée de Dieu.

Source: La communication de l'Évangile. 5 pages.

Problématique de la proclamation de l'Évangile?

  1. La communication humaniste
  2. Le caractère théonome de notre communication
  3. Problématique? Quelle problématique?
  4. Théonomie bis!

1. La communication humaniste🔗

Dès l’abord, tâchons d’en écarter tout élément parasitaire qui chercherait à assimiler la communication en général avec la transmission de l’Évangile. La communication de l’Évangile ne fait pas partie de la communication en général. Ce n’est qu’après avoir rejeté les pseudo-communications modernes (voir les problèmes posés par les médias de masse) que nous pourrons aborder la question posée par la communication de l’Évangile. L’Évangile considère l’homme, individuellement et collectivement, comme l’image de Dieu. L’œuvre de la rédemption et de la réconciliation veut recréer en l’homme déchu l’image originelle, de sorte que, dès à présent, la nouvelle création puisse se manifester pleinement dans son existence (Col 1.28 et 3.10).

Nous devrions également écarter toute illusion quant aux résultats immédiats de notre communication. Il n’y a pas une formule recette qui nous ferait découvrir, comme par enchantement, un moyen nouveau et plus efficace, jusque là inconnu, pour l’évangéliser la société moderne!

Rappelons-nous que, depuis toujours, l’évangélisation s’accompagne d’un événement redoutable. Si nous ignorons cet élément, d’amères déceptions nous atteindront, et peut-être même le découragement nous envahira. Il s’agit du double effet produit par l’annonce de l’Évangile. Selon le texte paulinien bien connu, l’Évangile est soit une odeur de mort soit une odeur de vie (2 Co 2.14-17). Un exemple classique illustrera cette vérité. Il s’agit du témoignage d’Étienne (Ac 7), incontestablement l’un des plus remarquables de toute l’histoire de l’Église primitive et, en dépit de toutes les apparences, d’une efficacité certaine. Cependant, le résultat « apparent » semble n’avoir été que la fin peu glorieuse du protomartyr. Toutefois, tous les éléments d’une véritable communication de l’Évangile étaient réunis dans ce « témoignage ». Ceci nous amène à affirmer que, sur toute évangélisation fidèle, planera l’ombre du martyr ou au moins se déclenchera contre elle une farouche opposition.

Ceci admis, est-il encore possible aujourd’hui de communiquer l’Évangile?

Certainement, à condition que sa transmission ne suive pas la règle de la communication en général, car bon gré mal gré nous sommes les témoins des multiples moyens et types de communications qui, de plus en plus perfectionnés, véhiculent toujours davantage le mensonge. Aussi bien les communications transculturelles que celles appartenant à la même culture, à l’intérieure d’une même société, propres à la même ethnie, langue, culture, véhiculent davantage d’ambiguïtés et de confusions qu’un discours intelligible possédant de sens, le sens. Au lieu de jeter des ponts pour rapprocher, les médias de masse ont réussi à établir un nouveau type d’individualisme et à isoler l’homme de ses semblables.

Ce serait une grave erreur que de sombrer dans le pessimisme et renoncer à toute perspective d’action. Nous avons toutes les raisons du monde pour être encouragés dans notre travail. Toutes les conditions nécessaires en vue de poursuivre notre mission sont actuellement présentes. Si l’échec de la communication humaniste moderne nous inquiète, n’oublions pas qu’il est le fait de la rébellion de l’homme et de sa culture antithétique. L’homme, que ce soit avec sa culture moderne ou ancienne, a parfaitement réussi à brouiller les pistes; il a fini par détruire le récepteur; il n’est plus en état d’entrer en une communication ou bien d’en recevoir une signifiante.

2. Le caractère théonome de notre communication🔗

Le caractère problématique de la communication de l’Évangile a atteint de nos jours un degré tel que même les cercles chrétiens conservateurs semblent douter de sa possibilité, allant jusqu’à mettre en question la manière traditionnelle de proclamer l’Évangile.

Ce que j’appellerai l’autonomie de la communication humaniste et athée a affecté même la communication chrétienne et dans les tentatives de transmettre l’Évangile, la communication n’a plus sa raison d’être, son fondement en l’Évangile lui-même, mais elle est fondée sur un autre terrain. C’est devenu une affaire hétéronome. Une autre loi que celle de son objet-sujet préside ce qu’on cherche à transmettre. Or, la proclamation de l’Évangile doit se faire essentiellement et exclusivement sur un terrain que j’appellerai théonome, c’est-à-dire soumis et contrôlé par la Parole et par l’Esprit de l’Évangile. Est terrain théonome ce qui est choisi, proposé, offert et valable par l’Évangile de Dieu.

Qu’en est-il des deux premières? Quelles que soient les origines historiques de la communication humaniste autonome, qu’on en retrace à la communication philosophique platonicienne, ou touchant une catégorie de pensée kantienne du nouménal et du phénoménal, elles ne reconnaissent aucune légitimité ou possibilité de parler du nouménal, déclarant l’impossibilité d’un discours théologique transcendant. Cela demeure vrai, qu’il s’agisse de la technique plus récente du jugement suspendu de Bertrand Russell, ou de la linguistique structuraliste associée aux noms de Claude Lévi-Strauss, Rolland Barthes, Michel Foucault et l’inénarrable Jacques Derrida, qui sont allés jusqu’à une déconstruction linguistique intégrale de tout discours intelligible, aboutissant aux anarchies intellectuelles que l’on connaît. Le fait est que « l’homme » humaniste, sécularisé, a atteint l’étape où il hausse ses épaules dans une totale indifférence, voire avec dédain, et déclare : « Qui est Dieu pour que je m’occupe de lui et le Fils de Dieu pour qu’il m’intéresse? » En utilisant un néologisme, appelons cette attitude de tautisme, c’est-à-dire de centration sur soi, regard à travers une fausse fenêtre, vision de vide absolu.

3. Problématique? Quelle problématique?🔗

Dans cette partie de notre exposé, nous éviterons de traiter des questions soulevées par les concepts macluhanniens ou de la contextualisation, c’est-à-dire de tout ce qui, dans des débats missionnaires modernes, a donné lieu à des discours à notre avis extravagants, tels que la mission urbaine, la missiologie statistique, l’exaltation de la théologie arithmétique, etc.

On a signalé que, du fait de l’ère hautement technicisée qu’est la nôtre et à cause de l’omniprésence d’experts scientifiques à tous les niveaux dans la vie moderne, nos contemporains sont incapables de traiter d’un point, d’une question, qu’il s’agisse de la culture, de la religion ou d’autres encore sans les élever et sans les poser au statut de problème.

Parler du caractère problématique de la communication de l’Évangile trahit encore, entre autres, la primauté du subjectif contre une réalité objective.

Notre génération, héritière du Siècle des Lumières, a posé le problème à un statut très élevé. Tout dans l’existence est devenu problème. Ainsi, il existe de plus en plus de problèmes d’ordre philosophique, littéraire, linguistique, artistique. Presqu’à tous les niveaux nous sommes confrontés à des problèmes psychologiques qui rivalisent avec ceux de la métaphysique, problèmes résultant du refus des mots avec leur sens traditionnel, etc. La liste des problèmes modernes serait longue à énumérer. Nos contemporains sont engagés dans une chasse sans fin pour les résoudre, mais sont incapables de trouver la sortie dans ce labyrinthe culturel, privés comme ils le sont d’un fil d’Ariane providentiel.

Lorsque les théologiens à leur tour rompent les amarres et coupent le lien avec le terrain qui leur est propre, soit parce qu’ils sont devenus les proies faciles du terrorisme intellectuel dominant, soit parce qu’ils sont victimes de la coercition et de la séduction des penseurs humanistes athées, alors ils sont pris dans les trappes de la problématique de la communication de l’Évangile — c’est-à-dire de la Bonne Nouvelle — qui est essentiellement une nouvelle qu’il faut communiquer comme message suffisant, nécessaire, clair et revêtu d’autorité.

Le terme même de communication est devenu problématique aux oreilles modernes. Le professeur S.U. Zuidema expose le cas du penseur allemand Karl Jaspers. Jaspers subit une douloureuse expérience : celle de l’impossibilité de communiquer quoi que ce soit. Ce qui veut dire qu’il ne peut communiquer réellement qu’avec des existentialistes modernes à la manière dont lui se considère comme moderne. Il ne peut communiquer qu’avec ceux qui font les mêmes expériences fondamentales, ont la même idée fondamentale et possèdent la même image de l’homme.

Plus loin, Zuidema explique : Quiconque prendrait en considération l’idée jasperienne de la communication et sa pratique ne manquerait pas de constater que l’excommunication de Dieu se révélant à la foi en une révélation divine, exprimée dans l’Évangile selon Jean : « Et la Parole devint chair », est la condition indispensable de la communication interpersonnelle. Non seulement d’après cette conception le transcendant ne peut se révéler sans équivoque, mais en outre, il n’a rien à révéler. Il n’est ni vrai, ni amour, ni compassion. Il n’est que pur être.

Dans The Reenchantment of the World, un auteur non chrétien, Morris Berman, dont la philosophie humaniste ne nous convient d’ailleurs pas, dit pourtant avec raison :

« La vie des Occidentaux semble dériver vers une entropie constante, dérive vers le chaos, se précipite vers le désastre et, en dernière analyse, aboutit au démembrement psychique et sombre dans la désintégration. Je doute que la sociologie et l’économie puissent par elles-mêmes engendrer une explication adéquate d’un tel état de choses. »

Il ne fallait pas s’attendre à moins; telle est la nature problématique de toutes choses, et même de la théologie moderne. Je me suis rappelé des vers bien connus de François du Bellay : « Nouveau venu à Rome qui cherche Rome et point ne trouve Rome en Rome! »

4. Théonomie bis!🔗

La communication de l’Évangile est possible exclusivement à l’intérieur des limites de la révélation, autrement elle dégénère soit en communication humaniste athée, soit elle se décompose en communication hétéronome du libéralisme théologique moderne, pour subir le sort d’une idéologie parmi d’autres idéologies.

La communication de l’Évangile selon l’Évangile éclaire les obscurités existentielles de telle manière qu’avec le vieux psalmiste nous confesserons : « C’est dans ta lumière que nous voyons la lumière » (Ps 36.10).

Ceux qui ont été appelés durant les heures décisives de notre histoire à proclamer l’Évangile avaient été immergés dans la culture de leurs contemporains sans pour autant l’épouser, bien qu’ils n’y fussent pas des étrangers. Leur conversion à la vérité divine révélée est la preuve que l’Esprit Saint convertit les pensées des hommes en dépit des dictatures culturelles et il les arrache des mains asservissantes de l’esprit du paganisme. Ils sont demeurés fidèles tout en utilisant le langage comme un instrument, comme un outil pour la proclamation de l’Évangile, sans se laisser contaminer par la pensée anti-chrétienne, sans laisser des éléments parasitaires envahir leur aire de réflexion et d’action.

À cet égard, il est utile de se rappeler, bien que cela aille de soi, que puisque l’homme est créé à l’image de Dieu, le miracle de l’Esprit permet que notre proclamation soit noétiquement reçue et comprise. S’il faut nous familiariser, être dans l’intimité de la culture de ceux vers qui nous sommes envoyés, cela ne signifie nullement que cette acculturation en elle sera l’élément décisif de notre communication. La décision ultime appartient au Seigneur des cœurs et des vies.