Cet article a pour sujet la Réforme de l'Église qui a réaffirmé la souveraineté absolue de Dieu et son salut par pure grâce reçu par la foi, contre l'idée que l'Église, les sacrements ou nos mérites pourraient contrôler Dieu comme par magie.

Source: La Réformation. 5 pages.

Réformation

« Christ est tout et en tous. Christ est tout et en tous. »

Colossiens 3.11

En nous remémorant ce que nous devons à la Réforme du 16siècle, nous voulons, comme nos pères, rester dans la communion de tous les chrétiens. Car il n’est question pour nous que de fidélité à l’Évangile, et ce que cette fidélité retrouvée grâce à nos pères spirituels peut apporter aux hommes de notre époque qui se débattent dans leur perdition, dans leurs damnations de toutes sortes, leur chaos social, leur anarchie économique, leurs désordres politiques, leurs conflits militaires, leurs égarements culturels.

Réforme : Cela veut dire remise en forme de l’Église — notre Église — déformée au cours des siècles par l’énorme pression du monde, par l’obscurantisme des traditions, par l’orgueil spirituel, par la suffisance d’institutions vieillies, devenues de lourdes structures abritant le mal. Ce qu’un théologien catholique, l’Allemand Eugen Drewermann appelle encore aujourd’hui : les structures du mal (Die Structuren die Böse). Réforme, cela veut dire remise en place de la vie chrétienne, vécue sous le regard de Dieu, coram Deo. Mais Réforme veut dire aussi et tout d’abord, si l’expression est permise, remise en place de Dieu; reconnaissance par l’homme de la place de Dieu, qui est celle de la souveraineté absolue.

Certes, nul chrétien ne le conteste en principe. Mais quand, au 16siècle, l’Église déclarait, entre autres choses, que les enfants morts sans baptême allaient en enfer, n’était-ce pas dénier à Dieu le droit et le pouvoir d’en arracher ces créatures? Heureusement, il n’a pas attendu, pour agir selon sa volonté souveraine, la permission d’une institution humaine, d’une doctrine sclérosée. Aujourd’hui encore on maintient que le ciel leur est interdit, donc qu’il est interdit à Dieu de les y admettre, mais on leur concède de fantomatiques « limbes », ignorés de l’Évangile… Où est alors la souveraineté de Dieu? Elle est inféodée au sacrement (ici au baptême), c’est-à-dire à quelque chose qui dépend de l’homme, quelque chose de matériel, opérant de soi (ex opere operato), et sans quoi Dieu ne peut sauver.

C’est pour obvier à ce risque, éviter cette catastrophe, que cette même Église autorise, en cas d’urgence, n’importe qui (fut-ce un mécréant) à baptiser (ou ondoyer) de façon valable — parfois avec des procédés étonnants — le bébé arrivé ou en train d’arriver au monde, à la seule condition que les paroles correctes soient prononcées et que l’eau y soit suffisante. Et si, à l’instant dramatique, on n’avait pas d’eau sous la main, elle a établi avec soin la nomenclature — parfois tout aussi étonnante — des liquides de remplacement, à l’exclusion de tous autres.

Cela se pratique encore aujourd’hui, et l’homme de la rue comme l’intellectuel brillant, membres de cette Église, doivent le croire. Mais qui ne voit pas que la conséquence négative pour cette Église de tout cela est qu’elle ne peut plus échapper à sa doctrine des sacrements? Si leur absence empêche Dieu de sauver, c’est que, dans la même mesure, leur action accomplit une part indispensable et autonome du salut. En soi, le baptême lave, la pénitence absout, la communion ingère la vie du Christ avec l’hostie, l’extrême-onction met en état de comparaître devant Dieu!

Il est tentant pour l’homme d’appeler à son secours des rites pouvant contraindre Dieu — au moins, c’est ce qu’il croit — à le sauver, ou, tout au moins, à l’y pousser à l’aide de ces éléments nécessaires… Il s’agit, répétons-le, d’éléments matériels, donc faciles à manipuler… Seulement, cette nécessité a sa contrepartie, cette facilité a sa tragique et inévitable sanction. Ne pouvoir être sauvé sans les sacrements est l’envers de vouloir être sauvé par eux! Dans un cas comme dans l’autre, Dieu n’est pas libre de ne pas en tenir compte, ni par conséquent de l’Église qui les accorde ou les refuse. Voilà contre quoi la Réforme a protesté, y décelant le vieux rêve magique de l’homme qui tente de s’assujettir de l’extérieur ou au moins d’infléchir la puissance divine, qu’il harnache pour cela de rites et de formules comme un cheval qu’on veut tenir en bride. La Réforme, rejetant ce harnois futile et trompeur, proclame la souveraineté absolue de Dieu, c’est-à-dire qui est au-dessus de toute intervention de l’homme.

Les sacrements ne sont que des signes visibles de ses grâces invisibles, que rien ne peut conditionner. Ils sont encore sa Parole rendue sensible — avec ce qu’elle ordonne, ce qu’elle promet, ce qu’elle apporte — aux personnes de chair que nous sommes. Pédagogiques, miséricordieux, ils sont tournés vers l’homme pour l’aider et non vers Dieu pour le forcer. Ni suffisants ni indispensables, ils ne sont — comme l’Église elle-même — que des moyens de grâce, dont Dieu peut, à son gré, se servir ou se passer.

Pas plus, d’ailleurs, que par ses rites et formules, l’homme ne peut agir sur Dieu par ses prétendus mérites, ni même par ses prières. Le culte n’est que l’honneur dû et rendu à Dieu, et il deviendrait blasphématoire s’il prétendait lier Dieu. Néant que tout cela! La liberté de Dieu n’est limitée par rien, pas même par ce que notre ignorance trouverait juste ou injuste.

Ainsi, l’homme, à son tour, est remis à sa place.

Si Dieu est tout, l’homme n’est que ce que Dieu veut. Pour affirmer sans aucune équivoque, Calvin, niant après Augustin et Luther le libre arbitre de l’homme esclave du péché (comment un esclave serait-il libre?), a affirmé, se basant sur la Bible, la doctrine de la prédestination, c’est-à-dire du bon plaisir absolu de Dieu.

Normalement, si les hommes étaient prédestinés, soit au salut, soit à la perdition, il aurait dû en résulter, pour ceux qui le croyaient, le plus inerte fatalisme. C’est le contraire qui s’est produit. Pourquoi? Parce qu’ils considéraient leurs œuvres, non comme la cause, mais comme la preuve de leur élection et son résultat nécessaire. Ainsi, un arbre bien greffé ne peut que porter les fruits qui prouvent qu’il est greffé.

Cela veut dire que ces hommes se savaient prédestinés au salut et non à la perdition. Le bon plaisir de Dieu — ils le sentaient — n’était pas un caprice. Il ne s’agissait pas pour le grand réformateur, pas plus que pour ceux qui se réclament avec lui d’une révélation strictement biblique, d’un fatalisme déterministe à la manière de la pensée générée par une religion dite monothéiste du Moyen-Orient. La prédestination est orientée par l’amour de Dieu. Ce bon plaisir est bon envers nous, il est celui de l’amour qui veut nous sauver à tout prix, jusqu’au prix de l’offrande de la divine personne du Fils unique, et que rien, pas même nos fautes, ne peut empêcher d’aboutir. Il ne requiert de l’homme que l’abandon total qui, de son vrai nom, est la foi.

Telle est la triomphante affirmation de la Réforme : le salut par la seule foi de l’homme répondant à la seule grâce de Dieu. Sola fide, sola gratia!

Les hommes de la Réforme n’ont retenu que cette grâce de Dieu venant briser en eux l’esclavage du mal et les rendant, désormais, libres d’obéir à Dieu. Leurs œuvres prodigieuses, ils les accompliront non pour être sauvés, mais parce qu’ils le sont. À l’amour souverain de Dieu, c’est leur amour qui répondra par une obéissance inconditionnée et par une sécurité égale à leur abandon. Ils n’ont plus, en effet, à tenir la décevante comptabilité de leurs mérites et démérites, dont nul n’oserait croire au bilan positif. Ils n’ont plus à s’inquiéter de leur salut. Ce salut, non mérité ni à mériter, leur est donné, pour ne pas dire imposé, par le décret de l’amour souverain. On voit quelle folie il y avait pour eux — finalement quel désespoir — à réduire, par des pratiques humaines ou par des valeurs humaines, cette souveraineté absolue. Calvin le dira clairement : Le salut n’est point par les œuvres, mais il n’est pas non plus sans les œuvres!

À supposer que cela serait possible, l’homme aurait tout à y perdre. Ce n’est que parce que Dieu est absolument souverain que le salut peut être absolument certain. Il n’est pas à faire, il est fait. C’est décidé par Dieu de toute éternité!

L’homme n’est que ce que Dieu veut. Apparemment, cela semble écraser l’homme. En réalité, il n’en est rien. Cela signifie simplement que l’homme est tout ce que Dieu veut. Et Dieu a voulu qu’il fût son fils, avec ses droits de fils de Dieu sur la vie et sur la mort!

Voilà pourquoi la Réforme fut une explosion de joie, couvrant les pays avec les chants des Psaumes. Voilà pourquoi ces hommes se sentent invincibles. Ils sont dans la main de Dieu. Qui pourrait les en retirer? Livrés à Dieu, ils sont délivrés des hommes. Libres devant l’événement.

Voici ce que disait le prêtre Florent Venot au procureur Lizet, qui le tenait depuis quatre ans, pour cause d’adhésion à la Réforme, en un cachot effroyable et des sévices exécrables :

« Vous prétendez débiliter par de longs tourments la force de l’esprit, mais vous perdez votre temps, car j’espère que Dieu me fera la grâce de persévérer jusqu’à la fin et de bénir son saint nom en ma mort. »

Cela s’accomplit, en effet, sur un bûcher de la place Maubert, au centre de Paris. Combien d’autres, comme lui, chantèrent dans les flammes!

Abandonnés à Dieu, les hommes de la Réforme ont été soutenus aussi par Dieu contre le mal! Les historiens s’accordent à reconnaître leur extraordinaire valeur morale et l’irréparable malheur pour la France de la persécution qui les lui enleva. N’étant pas à dompter, ils n’étaient pas non plus à vendre. Ce courage, les hommes de la Réforme, ils la cherchaient dans la Bible, à l’écoute de la Parole de Dieu. Mais dans la préface dédicatoire à François 1er, de son Institution, Calvin écrivait :

« Principalement je voulais, par ce mien labeur, servir nos Français desquels j’en voyais plusieurs avoir faim et soif de Jésus-Christ, et bien peu qui en eussent reçu la droite connaissance. »

Et c’est pourquoi le même réformateur pouvait prier : « Mon cœur je t’offre ô Dieu, promptement et sincèrement! »

Souveraineté absolue de Dieu, seul garant, malgré notre nature désespérément corrompue, de notre salut par la foi, obéissance à Dieu qui crée l’indépendance envers les hommes, recherche de la vérité et de la justice dans tous les domaines; par-dessus tout, communion avec le Christ, dans l’amour de Dieu et l’amour des hommes, voilà ce que la Réforme offre à la perdition moderne, afin de combler ce vide entre les techniques et les consciences où le monde, chaque heure, menace de basculer.

Mais la Réforme sera en permanence dans l’Église. L’Église a toujours besoin de se réformer à la lumière de la Parole de Dieu. Grâce au renouveau de l’Esprit et à la lumière de la Parole. Existe-t-il des signes annonciateurs d’une telle réforme radicale? Certes, nous entendons beaucoup discourir actuellement de toute sorte d’aggionamenti, et nous sommes les témoins affligés, dans des Églises se réclamant de la Réforme, de changements désordonnés, souvent bizarres. Tous ces changements engendreraient-ils la Réforme nécessaire? Il ne s’agit pas de remplacer nos anciennes ou actuelles trivialités par des trivialités d’un ordre différent, pour clamer Réforme! Seuls l’Esprit et la Parole produiront celle-ci, parce que l’un et l’autre rendent témoignage au Christ, Fils de Dieu, Sauveur des hommes. Lui, qui est tout.

En l’an de grâce 1610, le roi des Français, Henri le Quatrième, mourait assassiné par un moine déchu. Trois officiers de haut rang se trouvaient dans le carrosse royal. Deux d’entre eux se mirent aussitôt à la poursuite du régicide. Le troisième, La Force, huguenot, restant auprès du souverain mourant, lui adressa cette parole émouvante : Sir, souvenez-vous de Dieu!

Souvenez-vous de Dieu! Est-ce possible qu’à l’heure actuelle jusque dans les Églises se réclamant du Christ, on ait oublié Dieu? C’est un prophète des temps modernes, le Russe Alexandre Soljenitsyne, qui nous adresse cet avertissement : Nous avons oublié Dieu! Or, nous ne voulons proposer rien d’autre à personne ni permettre qu’on nous impose. Aimer le Christ, le servir, pour le salut commun le proclamer Roi, voilà la grâce suprême qui nous est faite, et la mission céleste, que nous aurons à accomplir, jusqu’à la fin. Afin « d’amener toute pensée captive à l’obéissance du Christ » notre Seigneur et l’unique Sauveur.