Cet article a pour sujet la notion du temps qui est sans valeur pour les mythologies païennes. L'historicisme moderne en quête du "Jésus de l'histoire" a évacué la véritable historicité de Jésus et a rejeté sa divinité.

Source: La vie de Jésus. 5 pages.

Le temps sans valeur des idolâtres

Parler de Jésus-Christ, Dieu et homme, c’est évoquer nécessairement les sources dont nous disposons comme documents qui nous informent sur l’événement que notre foi accueille, assimile et proclame à la face du monde entier. Poser la question de la vie de Jésus s’impose, de même que reconnaître la légitimité de la recherche historique relative à cette vie. Les Évangiles, de même que le reste de la littérature biblique, sont-ils des documents dignes de foi? L’Église de Jésus-Christ peut-elle en vérifier l’authenticité et, par conséquent, la matérialité des faits qu’ils rapportent? Peut-elle s’en passer, en ne faisant simplement que… croire, sans chercher à fonder sa foi sur les faits historiques?

La critique moderne a adopté cette dernière solution. Elle a ainsi contribué davantage à créer des mythes qu’à consolider la foi chrétienne. Elle a ravalé la foi biblique au niveau des autres religions, anciennes ou modernes, dont le fondement, l’essence et le contenu ne peuvent se résumer autrement qu’en matière de mythes. Examinons donc un instant la nature de ces religions et leur rapport avec l’histoire.

Aucune mythologie ne reconnaît de valeur au temps, d’où la conviction que l’événement historique est dénué de toute importance. Le temps n’est pas un facteur nécessaire pour croire en la divinité. Par sa nature même, le mythe est dépourvu de tout contexte historique. Tout moment et tout lieu sont propices pour s’approcher de la divinité. Lorsque la mythologie antique parle de la mort et de la résurrection de Demeter, d’Isis et d’Osiris, elle n’annonce pas un fait qui se serait déroulé véritablement.

Dans son ouvrage The Mythology of Science, R.J. Rushdoony écrit :

« Le mythe est une illusion, celle d’une époque ou d’une culture, à l’aide duquel les anciens ont interprété l’origine et la destinée de la vie, ainsi qu’évalué et jugé la vie et toute la réalité contingente.
En outre, le mythe présente une tentative, à vrai dire désespérée, de ne pas tenir compte du temps qui s’écoule et de nier par là les ravages qu’il cause.
Enfin, en niant le facteur “temps”, le mythe veut faire de l’homme le maître de l’univers. Il témoigne par conséquent d’une haine violente contre l’histoire, considérée comme le mouvement des forces qui dépassent l’homme et qui portent un jugement sur lui. L’histoire apparaît inévitablement comme le champ du conflit qui oppose le bien au mal. Ainsi, aux yeux de l’homme, l’histoire fait de lui un simple acteur, mais jamais l’auteur ni le metteur en scène du vaste drame cosmique dans lequel il pourrait détenir un rôle primordial. Or, l’homme mythologique hait l’idée de ne tenir qu’un rôle qu’il n’a pas choisi et de monter sur scène à un moment qu’il n’a pas davantage choisi. Il cherche à en finir avec l’histoire, et c’est la raison pour laquelle il forge des mythes. Il s’imagine devenir ainsi le maître de sa destinée et même de l’univers, croyant s’introniser comme tel dans le cosmos. »

Toute autre est l’attitude des critiques modernes de la vie et de l’historicité de Jésus. Nous avons déjà exposé notre conviction dans Le christianisme au XXsiècle (18 février 1980) sous le titre « Christ plus l’histoire », dont nous donnons ci-dessous quelques extraits.

À toutes les théologies qui, au cours des siècles, avaient dit : « Christ plus sa mère », « Christ plus I’Église », « Christ plus les sacrements », et tout récemment encore « Christ plus le Saint-Esprit », nos contemporains ont apporté leur contribution avec ce nouveau « plus » qu’est l’histoire. La différence entre celle-ci et les « plus » précédents n’est pas essentielle, sauf qu’elle fonctionne différemment des autres « compléments » ajoutés au Christ. Or, plus les compléments ajoutés au Christ sont nombreux, plus la christologie devient un discours sur le néant.

« L’historicisme, écrivait Herman Dooyeweerd, est la maladie intellectuelle de notre époque, dont les syndromes apparaissent avec l’absolue… relativisation de tout. Toute norme de valeur permanente étant récusée et en tout premier lieu l’Écriture sainte, c’est par l’historicisme, que l’on voudra déterminer jusqu’au contenu même de la révélation. »

La question théologique essentielle « Que dit l’Écriture? » est remplacée par « Que dit l’Écriture qui puisse cadrer avec mes a priori philosophiques et mes préjugés théologiques? » Ayant tout relativisé, la Parole de Dieu, la foi, voire la personne même de Dieu, l’historicisme n’admettra que l’axiome suivant : Tout se développe, l’Ancien Testament évolue et se développe en Nouveau Testament, celui-ci en tradition ecclésiastique, et cette dernière, sans jamais aboutir à un point fixe, telle une échelle dressée contre le vaste ciel, se meut entre un développement théologique et une théologie du développement.

Quelle raison aurait le lecteur de la Bible et, à plus forte raison, le « théologien historiciste », de lire par exemple le livre du Lévitique ou de méditer les Psaumes dits « imprécatoires », de s’attarder au Credo primitif de l’Église apostolique ou d’oser se réclamer de l’esprit de la Réforme du 16siècle? Le sens des mots ayant changé, les concepts étant eux-mêmes des denrées de consommation périssables après une date limite, l’historiciste déclarera que tout est illusion. Il sonnera aussi le tocsin pour vous appeler à fuir comme la peste tout discours théologique qui ne serait pas « dynamique » d’après ses propres critères.

Cette dynamique vous épargnera, bien entendu, toute certitude, car le terme n’a plus aucun sens. L’existence en général, la personne, la famille, l’Église et la société comme l’État ne sauraient se réclamer d’un principe permanent ni d’une norme régissant les individus et les structures. Il ne reste en tout et pour tout que « l’historicisme » et le « progressisme », ces deux maigres mamelles qui vous laissent sur votre faim.

Les théologies dites historicistes trahissent toutes des a priori philosophiques. Aussi aboutissent-elles à des résultats contraires à leur intention première, c’est-à-dire celle de prononcer un discours intelligent sur Jésus-Christ, car en est-il encore l’objet véritable? Lorsque le discours sur Dieu en soi est évacué, le christocentrisme de certains se transforme en « christomonisme », c’est-à-dire en un Christ qui est amputé et du Père et du Saint-Esprit. Dieu est conçu comme étant exclusivement en relation (théologie dialectique oblige) avec ce Christ humain comme la seule révélation de Dieu. L’historicisme se charge alors de relativiser Dieu et le Christ même, surtout le Christ historique, sans même se rendre compte qu’il anéantit le discours sur l’homme tout en cherchant à parler du Christ homme, devenu homme tout court, sans conserver sa divinité.

Un des tenants de cette position écrivait :

« Il n’est pas question de réduire la révélation à l’histoire, mais il importe de renoncer à la théologie de la Parole pour montrer que c’est dans l’histoire, dans l’événement, que la révélation s’est manifestée et se manifeste toujours, chaque jour qui passe. »

Or, si Dieu n’est qu’en relation et non pas d’abord le Dieu en soi, nous serons fatalement amenés vers un Jésus dit « historique » qui n’a rien à voir avec le Christ des Évangiles. Avant que l’historicisme vous invite à vous immerger dans l’histoire, dans le grand courant du temps, il a déjà immergé dans ce même courant, le Dieu contingent, dépossédé de tous les attributs de la divinité, pour devenir le contraire de ce qu’il est. Ainsi, Dieu n’était vraiment en Christ que parce qu’il n’était nulle part ailleurs; pas dans sa Trinité (ontologique). Lorsque Dieu devient totalement homme, l’homme, lui, peut s’attendre à devenir totalement dieu!

Si Dieu n’est pas identique à tous points de vue avec le Fils incarné, de telle sorte que la seconde personne de la Trinité n’a plus aucun rapport avec la Trinité, l’homme insistera, il tapera même du pied, pour vous soutenir qu’il est en train de devenir dieu. Le Christ ayant cessé d’être l’unique Médiateur entre Dieu et l’homme, il apparaîtra comme l’unique essence et possibilité de l’homme, manifestation exhaustive de toute la divinité immergée dans l’histoire, sans aucune existence au-delà de celle-ci. Et cela parce que, selon la théologie historiciste, il n’y a jamais eu de création.

La distinction entre Créateur et créature y est ainsi complètement oblitérée, d’où le relativisme historiciste. Parce qu’il n’existe pas d’idée et de conviction de l’éternité, pas même de Dieu en soi, l’histoire elle-même n’a plus aucun sens.

En refusant l’éternité, on détruit forcément la temporalité. Il n’y a ni éternité ni temps, mais leur hybridation dans laquelle l’historiciste cherchera à se réfugier. Une fois le Christ réduit à une idée, ce sont les christologies idéalistes du néant qui vont hanter l’esprit des chercheurs historiques. Selon Cornelius Van Til, c’est là un « vague mysticisme dans lequel Dieu n’est pas Dieu, l’homme n’est plus homme et le Christ a cessé d’être le Christ ».

On connaît la méthode historiciste appliquée à la déconstruction-reconstruction de la figure historique de Jésus. Elle sépare dans les Évangiles les éléments surnaturels (les attribuant à des couches de la tradition ecclésiastique ultérieure) des éléments dits naturels, seuls dignes de crédit. Les premiers seront considérés comme des résidus de mythes et de légendes, les seconds comme la seule réalité que l’historien daignera examiner. Il faut pourtant s’interroger : De quel droit le critique ose-t-il séparer ce qui est indissolublement uni? Ou bien la recherche historique est objective et impartiale, et elle ne peut trier arbitrairement ce qui lui semble digne de foi et ce qui ne lui semble pas digne de foi, ou bien elle ne vénère que saint Kant, patron infaillible de la relativisation absolue et des phénoménologistes historicistes depuis deux siècles.

Dans le Nouveau Testament, seul document que toute recherche historique devrait pourtant examiner, il n’y a pas la moindre hésitation. Le surnaturel existe, les disciples l’ont rencontré. En témoins qualifiés et plénipotentiaires, ils y rendirent un témoignage vibrant qui, de surcroît, est aussi authentifiable que légitime. La doctrine ecclésiastique des deux natures du Christ devient la seule solution à l’énigme de la figure historique de Jésus. Loin d’être source de problèmes, elle résout ceux que certains s’ingénient à fabriquer. Elle n’est pas hypothèse, mais assertion des premiers confesseurs de la foi, qui ont pris au mot les affirmations de Jésus-Christ au sujet de sa propre personne. On peut la rejeter, mais ce faisant, on rejette le Jésus des Évangiles au profit d’un autre qui n’est plus lui.

Ce « Jésus de l’histoire » devient la plus grande duperie de tous les temps. Outre cette méthode, qui aboutit à un Christ fictif, c’est leur a priori qui refuse le surnaturel qu’il faut reconnaître, parce que le surnaturel les scandalise. Pourtant, tous les efforts déployés depuis plus d’un siècle et demi pour reconstituer une image dite historique de Jésus n’en ont même pas donné un portrait-robot. Si certains, dans leur désespoir, sont allés jusqu’à nier l’existence historique de Jésus, d’autres se sont acharnés non pas tant à éliminer Jésus qu’à éliminer surtout le Jésus des Évangiles. C’est symptomatique et même significatif.

Il y a plus d’un siècle que certains théologiens ont commencé à parler du « mythe du Christ »; ils ont affirmé, avec une belle assurance, que Jésus n’avait jamais existé. Les Évangiles seraient l’invention d’escrocs du premier siècle de notre ère. Ni la foi ni l’Église ne pouvaient se réclamer d’un fondement historique. Avec la même assurance, ils établissaient des parallèles entre la naissance miraculeuse de Jésus et les légendes de l’Orient ancien. Jésus n’aurait pas plus de réalité historique que les dieux et les déesses de l’Olympe. Les récits des miracles ne seraient pas plus dignes de foi que les guérisons attribuées à la science et à l’art d’Esculape. Quant à ses discours, en vain y chercherait-on une originalité quelconque : Ces théologiens, qui semblaient plus proches du système juif, sont certainement tributaires des sources païennes.

Albert Schweitzer a été l’un des plus illustres représentants de cette tendance. Quoiqu’il ne niait pas l’existence de Jésus, le théologien alsacien voyait en Jésus de Nazareth, s’annonçant comme le Messie, prêchant la morale du Royaume et mourant pour donner à sa mission la suprême consécration, un personnage qui n’offrait pas les garanties requises pour défendre son existence historique.

Plus près de nous, Rudolf Bultmann a prétendu que la forme, aussi bien humaine que céleste de Jésus, serait cachée à nos regards de modernes. Bien qu’il ait attribué aux Évangiles une certaine valeur, le théologien de Marburg n’y découvrit, en définitive, que le très faible écho d’un soupir. Le culte voué à Jésus témoignerait simplement de l’aspiration des hommes à échapper aux dures réalités de leur existence et à rêver d’un monde où ils verraient tous leurs problèmes résolus.

Contre ces hypothèses qui, outre leur opposition à la foi, n’ont même rien de scientifique, nous affirmerons que les faits historiques rapportés par les évangélistes sont d’une authenticité digne aussi bien de notre foi que de notre confiance et que, sans leur présence, notre foi devient inintelligible. Suivre l’avis de ces deux théologiens « critiques », en faisant preuve de scepticisme quant à l’historicité de la vie de Jésus, c’est faire aujourd’hui preuve d’une extrême naïveté. L’imagination fertile du célèbre missionnaire, musicien et théologien avait dépeint la figure d’un Jésus fanatique, personnage hors du commun, broyé dans sa folle tentative pour renverser le sens de la roue de l’histoire dans laquelle les hommes ordinaires mènent leur existence. Les théologies-fictions meurent aussitôt que disparaissent leurs auteurs, mais elles sont, hélas!, aussitôt remplacées par de nouvelles fictions suscitant le même enthousiasme que les anciennes.

Bultmann, lui, avait été obsédé par une idée fixe. La vie de Jésus se serait déroulée dans un cadre culturel trempé de mythologie, et c’est au théologien du 20siècle qu’il appartiendrait de découvrir la signification profonde de l’existence de Jésus. Or, le noyau de celle-ci ne pourra être découvert qu’à l’aide de l’interprétation existentielle. Selon un schéma classique, devenu presque un cliché chez les disciples de Bultmann, Dieu confronte l’homme et l’oblige à prendre une décision; ce dernier est contraint à lui répondre à partir de sa situation existentielle. À première vue, nous n’aurions aucune objection à opposer à ce schéma, s’il ne trahissait pas, hélas!, des a priori contre toute recherche objective pour rétablir les faits historiques. En définitive, c’est la foi de l’individu qui compte. Elle ne s’occupe pas tant du Fils incarné de Dieu… que de la décision de l’homme répondant à un appel hypothétique et sans contenu qui lui serait adressé par Dieu. Il s’agit là d’une foi sans consistance et d’un Christ au visage méconnaissable.