Cet article a pour sujet l'enseignement théologique sur la doctrine du Saint-Esprit de James Dunn, Richard Gaffin, Jean Calvin et les confessions de foi réformées.

Source: Essai sur le Saint-Esprit et l'expérience chrétienne. 13 pages.

Théologies réformées du Saint-Esprit

  1. James Dunn
  2. Richard Gaffin
  3. Jean Calvin
  4. Des livres symboliques réformés
    a. Le Catéchisme de Genève (1542)
    b. La Confession du chrétien de Théodore de Bèze (1558)
    c. La Confession de foi de La Rochelle (1559)
    d. La Confession de foi des Pays-Bas (ou Belgica) (1561)
    e. Le Catéchisme de Heidelberg (1563)
    f. Les Canons de Dordrecht (1618-1619)
  5. Conclusion

Pour commencer, nous examinerons très brièvement quelques positions modernes parmi les plus représentatives de la théologie du Saint-Esprit. Nous conclurons par un aperçu de la pensée de Calvin et résumerons les positions des textes de quelques confessions des 16e et 17siècles.

1. James Dunn🔗

La place éminente qu’occupe James Dunn parmi les théologiens modernes devra être attribuée à sa remarquable contribution publiée il y a plusieurs années1. L’auteur examine principalement l’expérience religieuse de Jésus. Le sous-titre le spécifie bien : « Étude de l’expérience religieuse et charismatique de Jésus et des premiers chrétiens, telle qu’elle est reflétée dans le Nouveau Testament. »

L’auteur consacre son effort à l’étude des Évangiles synoptiques, du livre des Actes et des lettres de Paul. Selon lui, en dépit de l’hésitation des théologiens modernes à parler d’expérience religieuse, ce fut précisément une expérience de cette nature que produisit la foi nouvelle, expérience qui engendra un dynamisme permanent dans l’Église naissante. Elle fut d’une telle intensité que l’on peut sans se tromper la qualifier de « charismatique ». Les premiers chrétiens n’étaient pas simplement conscients de Dieu, mais aussi inspirés de lui, voire enthousiastes au sens de « possédés » par Dieu.

Quelle fut la nature de l’expérience de Jésus? Pour la comprendre, il convient de savoir au préalable si les documents qui se trouvent à notre disposition sont dignes de confiance et possèdent une valeur historique. Selon l’auteur, le terrain le plus solide qui offre des assurances historiques irréfutables est celui de la vie de prière de Jésus. Il s’adresse à Dieu comme à l’« Abba », le Père. Ce terme témoigne d’une intimité inhabituelle et il implique une confiance filiale totale. L’invocation indique que Jésus avait une nette conscience de sa filiation divine.

Il ne doute pas un seul instant du caractère particulier de ses rapports avec le Père. Il a toujours éprouvé une telle intimité et il a reçu l’assurance de l’approbation de Dieu sur sa personne et son ministère. Il dépend entièrement de lui. Aussi se déclare-t-il responsable vis-à-vis de lui et de lui seul. Seule une telle relation entre « Père » et « Fils » peut expliquer les convictions messianiques de Jésus. L’emploi du terme « amen », qui est l’équivalent de l’expression « en vérité je vous le dis », se défend aussi parfaitement du point de vue historique. Cette expression revient dans la conscience qu’il a de dépendre de l’Esprit de Dieu lorsqu’il accomplit des exorcismes. Le Royaume eschatologique est présent parce que l’Esprit eschatologique l’est aussi en lui et opère à travers lui. Son expérience du baptême, qui ne soulève aucun problème d’ordre historique, apporte une autre preuve de la conviction que Jésus a d’avoir l’Esprit, et ce, dès le début de son ministère public. Elle renforce également sa conviction d’être le Fils. C’est à ce titre-là qu’il clame principalement la foi en Dieu et en l’Esprit. Ainsi, être charismatique ne veut pas dire que l’on possède un pouvoir d’action à la manière d’un magicien. Jésus n’agit effectivement pas par sa propre force comme le prétendaient les exorcistes et autres thaumaturges. Il se fonde invariablement sur la présence et sur la puissance de l’Esprit.

Dans la deuxième partie de son étude, Dunn traite de l’expérience religieuse de la communauté apostolique primitive. Ici, c’est le Christ ressuscité qui est au centre. Chez Paul, la rencontre avec le Ressuscité et la profonde conviction qu’il a de la réalité de la résurrection donnent naissance à sa vocation missionnaire exceptionnelle. L’auteur examine avec un soin rare le récit de la Pentecôte. Lors de cet événement, lui aussi exceptionnel, et dans la suite du récit du livre des Actes, l’Esprit opère dans les communautés primitives avec une puissante force motrice. Les chrétiens sont des personnes qui se transcendent dans une expérience extraordinaire. L’inspiration et l’autotranscendance les caractérisent, ainsi qu’une communion ecclésiale qui est pour eux source d’une joie authentique. Le sens de la vie communautaire est développé et la pratique des deux sacrements est étroitement liée. La joie et une intime communion dans les assemblées cultuelles sont donc les traits dominants de ces communautés.

La théologie paulinienne fait l’objet d’une autre partie du livre. Les deux grands termes pauliniens qui décrivent l’activité divine sont « grâce » et « Esprit ». Ils sont soigneusement étudiés. Romains 7 et 8 reçoivent aussi une attention particulière. La communion avec l’Esprit signifie davantage participation à l’Esprit que communion créée par l’Esprit. Mais elle est commune à tous, partagée sans exception par tous les membres. C’est là, à notre avis, un point d’une grande importance du fait qu’il souligne le caractère ecclésial de l’expérience de l’Esprit. Paraphrasant une ancienne formule, disons que « hors de l’Église point de Saint-Esprit ». L’individualisme qui caractérise nos contemporains et qui est également le fléau des Églises modernes en est absent. Le Saint-Esprit unit tous les membres en un seul corps. Pourtant, affirme l’auteur, comment expliquer les divisions dont la cause n’est autre, précisément, que les dons accordés par l’Esprit? Cela est dû au fait que la nature et l’utilisation de ces dons avaient été mal comprises et mal interprétées.

La lecture du livre des Actes laisse l’impression, écrit Dunn, que la toute première preuve de la présence et de l’opération de l’Esprit devrait être cherchée dans l’exubérance et dans des manifestations extraordinaires, par exemple dans la ou les glossolalies. Paul, lui, insistera davantage sur les critères spirituels de l’activité de l’Esprit. Le critère auquel il convient de soumettre tout don charismatique est celui de savoir comment ce don pourra être mis au service de la gloire du Christ et au service de l’Église. Le but du charisme est de servir Jésus-Christ comme Seigneur et le prochain comme un frère. Son utilisation visera l’édification de la vie ecclésiale. Pour l’auteur, la deuxième génération chrétienne — et par là, il entend les Églises signalées dans les lettres « pastorales » — entre dans une phase nouvelle, dans laquelle la fraîcheur et la flexibilité des premières communautés se muent en une série de pratiques ecclésiastiques rigides. La vision de l’Esprit commence à disparaître. Cependant, les écrits johanniques jettent une lumière nouvelle sur la situation de cette seconde génération. La vitalité de l’expérience chrétienne ne cesse pas du fait que le Jésus de l’histoire n’est plus présent et qu’il ne reviendra que dans un futur plus ou moins éloigné. L’expérience reste toujours vivante parce que l’Esprit est à l’œuvre et, dès le départ, il est « l’autre Paraclet ».

2. Richard Gaffin🔗

C’est vers Richard Gaffin, un théologien représentant la ligne de l’orthodoxie réformée, que nous nous tournerons à présent.

Dans une étude consacrée au Saint-Esprit et aux dons charismatiques, le théologien américain développe les idées maîtresses du Nouveau Testament telles que la Réforme les avait comprises. Gaffin fait observer que l’œuvre du Christ consiste, dans sa totalité, à procurer et à communiquer à l’Église le don (baptême) de l’Esprit. La manière dont les Évangiles rapportent le ministère de préparation et de proclamation de Jean-Baptiste ne laisse aucun doute à ce sujet. Dans son sermon essentiellement christocentrique, Pierre, le jour de la Pentecôte, se situe dans la perspective de l’accomplissement définitif et il associe étroitement l’effusion de l’Esprit aux événements majeurs de l’œuvre du Christ, et plus spécialement à la résurrection et à l’ascension. Ensuite, il établit le parallèle entre le baptême de Jésus au Jourdain et la Pentecôte. Au Jourdain, le Père a accordé à Jésus l’Esprit en vue de l’exercice de son ministère messianique et de la rédemption de l’Église. À la Pentecôte, l’Esprit ayant été accordé à Jésus comme récompense pour l’œuvre achevée sera également accordé à l’Église.

Dans 1 Corinthiens 15.45, Paul donne un commentaire sur ce même thème. Ressuscité et monté au ciel, le Christ est devenu l’Esprit qui donne la vie. En vertu de son exaltation, il est parvenu à la plénitude totale de l’Esprit, de telle sorte que les deux seront identifiés dans la même activité, à savoir l’œuvre eschatologique octroyant la vie à l’Église et faisant d’elle les prémices de la moisson finale du Royaume.

Bien que l’œuvre qui accorde la vie nouvelle dans sa totalité soit envisagée comme future, à savoir la résurrection corporelle des fidèles, le Christ est présenté sous l’angle de sa fonction actuelle. La Pentecôte est l’occasion qui manifeste le Christ-Esprit à l’Église, lui accordant la vie. Vue sous cet angle, elle signifie qu’à partir de maintenant l’Esprit est présent et actif dans la communauté de l’Alliance sur la base de l’œuvre rédemptrice achevée par le Christ. C’est dans ce sens-là aussi que « l’Esprit n’était pas encore », selon l’expression johannique, parce que le Christ n’était pas encore glorifié. Nous ajouterons, pour notre part, que le don de l’Esprit n’est autre que le don de soi que le Christ fait à son Église et qu’en vertu de ses souffrances, de sa mort et de son exaltation il est devenu ce qu’il est actuellement. Ainsi, l’effusion de l’Esprit constitue-t-elle le point culminant de l’œuvre de la rédemption.

Vue encore sous un angle complémentaire, la Pentecôte fait de l’Église le nouveau peuple de l’Alliance. Le don (baptême) de l’Esprit constitue le corps du Christ comme le lieu où séjourne Dieu. Par conséquent, ceux qui ont été incorporés dans ce corps et ont une place en lui participent au baptême (don) de l’Esprit.

Cette approche explique clairement que ce qui s’est produit à la Pentecôte n’était pas une expérience ou un modèle d’expérience de « post-conversion » qu’il faudrait chercher à tout prix. Gaffin rappelle Herman Ridderbos, pour qui la Pentecôte fait partie de l’histoire du salut et non de l’ordre du salut. Elle a été l’accomplissement du salut une fois pour toutes plutôt que son application constamment renouvelée. Le baptême de l’Esprit ce jour-là fut un événement unique dans l’histoire de la rédemption; aussi la Pentecôte ne peut-elle pas servir de modèle pour une expérience individuelle chrétienne. Nous voyons encore la signification de la Pentecôte dans la note finale par laquelle Luc conclut son Évangile : « Ils étaient continuellement dans le Temple en louant Dieu » (Lc 24.53).

Pour ceux qui n’ont pas « bénéficié » de la Pentecôte, c’est 1 Corinthiens 12.13 qui permet d’expliquer et d’élucider le baptême de l’Esprit. S’unir au Christ implique une participation dans l’Esprit, celui que le Christ a reçu personnellement; cette union implique aussi la participation à sa mort, à sa résurrection et à son ascension.

Plus loin, le théologien américain compare le don de l’Esprit aux dons appelés charismes. Selon lui, il existe une différence entre le don de l’Esprit et les charismes ainsi qu’entre l’œuvre de l’Esprit, dont l’Église dans son ensemble fait l’expérience, et ces actes ou ministères qui lui sont confiés. Le premier a trait au salut révélé en Christ, les seconds consistent dans les différentes opérations appartenant aux divers ministères. C’est à ces derniers que fait allusion le texte tant controversé de Paul dans 1 Corinthiens 13.8-13.

La prophétie, comme le parler en langues, a un caractère provisoire et partiel; ils préparent la voie pour des œuvres durables telles que la foi, l’espérance et l’amour. Se fonder sur les listes de dons que nous trouvons dans Romains 12, 1 Corinthiens 12 et Éphésiens 4 pour les déclarer « dons charismatiques » en les distinguant des dons de l’Esprit qui seraient « non charismatiques » aboutit à une grave erreur.

L’emploi même du terme « charisme », considéré comme une clé, en est la preuve. Ce terme, dans le Nouveau Testament, est d’origine exclusivement paulinienne. Il ne s’applique pas uniquement à la variété des dons reçus dans la communauté, comme ceux reçus en vue du fonctionnement de celle-ci que l’on trouve en Romains 12.6 et 1 Corinthiens 12.4, mais aussi, selon 2 Corinthiens 1.11, à l’expérience de l’apôtre lorsqu’il avait été délivré d’un danger. Dans 1 Corinthiens 7.7, le célibat est aussi considéré, sous certaines conditions, comme un charisme. La capacité accordée à Timothée pour exercer son ministère est aussi appelée charisme (1 Tm 4.14; 2 Tm 1.6). L’usage du pluriel employé dans Romains 11 a probablement en vue les privilèges de l’Alliance d’Israël. Il faut examiner également son emploi dans Romains 5.15-16. Dans Romains 6.23, il est évident que le charisme s’applique à la vie éternelle elle-même.

Ainsi, il convient de reconnaître à ce terme un caractère flexible. Il peut revêtir plusieurs sens ou présenter diverses nuances. Tout charisme est la manifestation de la « charis » de Dieu, c’est-à-dire de sa grâce. Et puisqu’en son origine et son intention l’Église n’existe que par pure grâce (« charis »), l’Église, dans tous ses aspects et dans toutes ses manifestations, sera considérée comme une Église charismatique. La vie dans la foi est un don de la grâce. Ainsi, appeler uniquement certains dons « charismatiques », et pas les autres, limite exagérément et déforme même la perspective paulinienne. De la même manière, distinguer entre les dons et les fruits de l’Esprit, c’est opérer une schématisation totalement étrangère à la pensée de l’apôtre. En réalité, les termes « charismatique » et « chrétien » sont des termes interchangeables.

Dans ses remarques finales, l’auteur pose un certain nombre de questions pertinentes, dont voici l’essentiel. Est-il légitime de se fonder sur une exégèse limitée au seul baptême de l’Esprit, à la prophétie et au parler en langues et de justifier ainsi des doctrines qui ne sont pas enseignées dans l’Écriture? Parler d’un baptême de l’Esprit qui interviendrait après la conversion témoigne d’un malentendu concernant l’œuvre poursuivie par l’Esprit. C’est une interprétation qui obscurcit totalement, pour ne pas dire qui nie ouvertement, la plénitude du salut obtenu par le Christ. Gaffin signale aussi que l’apparition du mouvement charismatique chez des catholiques romains signale le retour du mysticisme médiéval dans cette même Église. Une expérience religieuse préconceptuelle et non rationnelle l’avait caractérisé. Il conclut en disant qu’il convient d’examiner le phénomène en matière de polarisation entre ce qui est rationnel et irrationnel. Nonobstant cette conclusion, le professeur Gaffin souligne que les mouvements charismatiques nous placent de nouveau en présence d’une vérité biblique essentielle d’après laquelle la foi et l’expérience ne se limitent pas au seul pardon des offenses, mais encore s’étendent-elles à la nouveauté de la vie.

3. Jean Calvin🔗

Théologien par excellence du Saint-Esprit, Calvin a su maintenir à la fois l’identité personnelle de celui-ci et son unité avec la deuxième personne de la Trinité. Jésus monté au ciel n’est autre que Jésus de Nazareth glorifié et pourtant localisé comme une personne humaine. Lorsque Jésus quitta la terre, il s’en alla dans un lieu différent. Depuis, il reste séparé de nous par un mode d’existence qui trace une limite entre notre réalité corporelle et la sienne. Jésus est à la fois ici et il n’y est pas. Dans sa nature humaine, il n’est jamais dans une ubiquité. Il ne se transforme pas en un esprit dont on pourrait constater la présence éphémère et en faire l’expérience. Ce qu’il endura à notre place et en notre faveur nous sera attribué pour notre profit, si nous tenons à en bénéficier et si nous nous laissons secourir par lui.

Cependant, ce qu’il nous accorde depuis « là-haut » n’est rien de moins que sa propre personne. Les bénéfices de son action sont absolument inséparables de celle-ci. Ils ne se trouvent pas dans une sorte de réservoir céleste, auprès de lui, mais ils sont liés et offerts simultanément avec sa personne glorifiée.

Ce lien entre lui et nous est précisément formé par le Saint-Esprit. L’Esprit nous communique ce qui appartient au Christ. Aussi devra-t-il être décrit en des termes dynamiques et non statiques. Il est le Créateur de la vie nouvelle et non un conducteur impersonnel ou un canal figé. Il confère à notre existence un sens spirituel; il ouvre nos yeux à la réalité du Christ; il nourrit notre foi, nous entraîne dans la discipline et nous instruit. Par-dessus toutes choses, il nous unit au Seigneur vivant.

La manière dynamique et fonctionnelle dont Calvin traite de l’Esprit ressort de sa doctrine de la Trinité. Bien qu’il prenne le sujet indépendamment de l’histoire de la rédemption, il le distingue de l’expérience du salut. Généralement, il parle de l’Esprit en termes d’opérations de celui-ci. Qu’il ait pensé à l’Esprit comme à une hypostase distincte dans sa Trinité ontologique ne soulève pas l’ombre d’un doute. Il attribue à la fonction de l’Esprit la puissance et l’efficacité de toute l’action divine. Toutes les œuvres de Dieu sont celles de l’Esprit qui en assure l’efficacité et le pouvoir. Il est Dieu à l’œuvre soutenant la totalité de l’œuvre de la Trinité. Dans la création, il la déploie et la développe. Il préserve l’histoire humaine et l’empêche de tomber dans le chaos. Ainsi, est-il Dieu dans son action immanente et effective. Il est remarquable de constater que Calvin a su parfaitement rendre compte de la relation entre l’Esprit et le Fils, sans trop de définitions complexes et avec autant de clarté qu’il l’a fait à propos de celle entre l’Esprit et le Père. Chez lui, l’Esprit n’est jamais conçu de manière à rendre possible l’ubiquité du Christ, notion que Calvin avait catégoriquement rejetée.

Bien que le Christ soit éloigné corporellement de nous, il remplit toutes choses en vertu de la puissance de l’Esprit. Partout où la main droite de Dieu embrasse les cieux et la terre, le Christ y est spirituellement présent et, grâce à l’infinie puissance de son Esprit dans la nouvelle dispensation, l’Esprit opère à la manière de Dieu. Calvin précise que, comme le corps du Christ est élevé au-dessus des cieux, ainsi son pouvoir et son énergie sont diffusés et étendus au-delà de toutes les limites des cieux et de la terre. L’union avec l’Esprit est l’union avec la totalité de la personne du Sauveur, mais plus particulièrement avec sa nature humaine. Lorsqu’il s’agit d’envisager une identité essentielle du Christ avec l’Esprit, alors Calvin s’arrête net; il n’affirmera certainement pas l’étonnante « biunité » comme le fait James Dunn.

Dans son commentaire sur 2 Corinthiens à propos du Seigneur qui est l’Esprit, Calvin écrit que l’apôtre veut indiquer la fonction de l’Esprit, identifié au Médiateur dans sa fonction et non dans son être ontologique.

En résumant sa pensée, on a raison de dire que, selon le réformateur, l’Esprit est devenu l’assistant administratif du Christ. S’il demeure distinct dans sa personne, il reste néanmoins intimement impliqué dans l’exercice de la fonction. Le Christ auquel nous sommes unis n’est pas une sorte de remplaçant, mais le Christ réel. Il est spirituellement réel et présent. Calvin n’ira pas au-delà de cette affirmation et c’est tout à son honneur, car il ne force jamais le texte biblique et n’élabore aucune doctrine en rompant avec la lettre et l’esprit de l’Écriture.

4. Des livres symboliques réformés🔗

Un rapide survol des livres symboliques réformés (confessions de foi et catéchismes) montre la place importante que tient la personne et l’œuvre du Saint-Esprit dans la pensée des premiers théologiens de la Réforme.

Leur préoccupation ne reste cependant pas étrangère au motif réformé du « soli Deo gloria », ceci aussi bien dans la conception du salut que dans son application subjective; en toutes choses, la gloire doit revenir au seul Dieu de notre salut.

a. Le Catéchisme de Genève (1542)🔗

Moins connu, bien que tout aussi important, le Catéchisme de Genève, cet autre document réformé, reflète les mêmes convictions et la même préoccupation au sujet de l’activité de l’Esprit. Les sections 35 à 44, que nous ne pouvons pas reproduire ici, en témoignent. Les principales affirmations commencent par attribuer l’origine de la foi non pas à notre nature, mais, ainsi que l’atteste l’Écriture, à l’Esprit Saint. Nous devons recevoir la Parole de Dieu avec l’assurance totale de sa parfaite véracité, nous y soumettant en toute humilité, l’aimant avec une réelle affection et la gravant dans nos cœurs afin de conformer nos existences au modèle qui y est déposé.

De même que le sang du Christ nous purifie, de même le Saint-Esprit lave notre conscience pour faire de nous de nouvelles créatures afin que nous soyons éternellement purifiés. L’Esprit nous régénère de telle sorte que nous recevons par lui tous les trésors et tous les dons offerts en Jésus-Christ. Si la théologie réformée a su éviter l’idée de l’ubiquité du corps du Christ, elle a néanmoins réussi à préserver la conviction de sa présence réelle dans le sacrement de la Cène. La réponse suivante du Catéchisme en explique le comment : « Est-ce que tout cela est en notre pouvoir? Non, mais c’est Dieu qui le fait en nous, à sa manière, par son Esprit. » Le Catéchisme souligne également le rôle de l’Esprit dans les sacrements. C’est par l’office de l’Esprit, c’est-à-dire par son ministère, que les promesses de Dieu sont scellées dans nos cœurs. Le pouvoir des sacrements doit être compris non comme s’il se trouvait dans les éléments externes, mais comme provenant directement de l’Esprit.

b. La Confession du chrétien de Théodore de Bèze (1558)🔗

Au chapitre consacré au Saint-Esprit et parlant de son œuvre, Théodore de Bèze, successeur de Calvin à Genève, écrit dans sa Confession du chrétien :

« Mais, dans ce traité, nous considérons surtout les effets qu’il produit chez les enfants de Dieu, comment avec la foi, il amène en eux les grâces de Dieu pour leur en faire sentir l’efficacité et la puissance. Bref, comment il les amène, de degré en degré, à la fin et au but auxquels ils ont été prédestinés avant la fondation du monde. Le Saint-Esprit est donc celui qui par le Père met et entretient ses élus en possession de Jésus-Christ, son Fils, et par conséquent de toutes les grâces qui sont nécessaires à leur salut. Mais il faut, en premier lieu, que ce Saint-Esprit nous rende aptes et propres à recevoir ce Jésus-Christ. C’est ce qu’il fait en créant en nous par sa pure bonté et sa miséricorde divine, ce que nous appelons la foi, instrument unique pour saisir Jésus-Christ quand il nous est offert, vase unique qui nous le présente. Pour créer en nous cet instrument de la foi, et pour l’entretenir et l’affermir de plus en plus, le Saint-Esprit se sert de deux moyens ordinaires (sans toutefois leur communiquer sa vertu, mais en besognant par eux), la prédication de la Parole de Dieu et les sacrements. »

c. La Confession de foi de La Rochelle (1559)🔗

Dans l’article 4 consacré à l’Écriture comme règle de la foi, la Confession de foi de La Rochelle, confession des Églises réformées en France, écrit :

« Nous reconnaissons que ces livres sont canoniques et la règle très certaine de notre foi, non pas tant par le commun accord et le consentement de l’Église, que par le témoignage et la persuasion intérieure du Saint-Esprit, qui nous les fait distinguer des autres livres ecclésiastiques sur lesquels, bien qu’ils soient utiles, on ne peut fonder aucun article de foi. »

L’Écriture est par conséquent l’œuvre de l’Esprit. Le chrétien qui met son espoir dans le témoignage biblique sait que cet espoir n’est pas le fait d’une pensée humaine, mais le fruit du témoignage intérieur du Saint-Esprit.

Dans l’article 22 traitant de la régénération, nous lisons au sujet de l’œuvre de l’Esprit :

« Étant asservis au péché de par notre nature corrompue, nous croyons que c’est par cette foi que nous sommes régénérés afin que nous vivions d’une vie nouvelle. En effet, c’est en nous appropriant la promesse qui nous est faite par l’Évangile, à savoir que Dieu nous donnera le Saint-Esprit, que nous recevons, par la foi, la grâce de vivre saintement et dans la crainte de Dieu. »

Auparavant, exposant la doctrine réformée de la foi, la Confession déclarait :

« Nous croyons que nous recevons la lumière de la foi par la grâce secrète du Saint-Esprit, de telle manière qu’elle est un don gratuit et personnel que Dieu dispense à ceux que bon lui semble. Les fidèles n’ont pas de quoi se glorifier, le fait d’avoir été préférés aux autres les obligeant bien davantage. »

Enfin, le Saint-Esprit opère au moyen des sacrements. Le baptême et la cène sont des signes visibles et les sceaux d’une réalité intérieure et invisible au moyen desquels Dieu travaille en nous par la puissance du Saint-Esprit (art. 34). Nous ferons observer ici avec quel soin et combien de fidèle loyauté envers l’Écriture la Confession a évité à la fois le sacramentalisme des uns, catholiques romains ou anglo-catholiques, et le symbolisme abstrait des autres, anabaptistes, voire zwingliens. L’Esprit fait des deux sacrements un moyen de communion réelle entre le croyant et l’Église et entre le croyant et le Seigneur. Jésus-Christ nous demande d’avoir recours aux sacrements; c’est pourquoi ils ne sont pas vains et dépourvus d’importance. Son œuvre en nous est représentée par ces signes extérieurs, quoique la manière dont il agit dépasse notre entendement et ne peut être saisie par nous-mêmes que comme l’opération du Saint-Esprit.

d. La Confession de foi des Pays-Bas (ou Belgica) (1561)🔗

Rédigée peu après la Confession de La Rochelle (1559), la Belgica apporte, à sa manière, une contribution magistrale à l’intelligence de la foi biblique et réformée. À ce jour, elle reste le critère doctrinal de nombreuses Églises réformées. Son actualité demeure permanente, il est donc légitime de l’interroger sur le sujet qui nous préoccupe.

Ce document parle principalement de l’Esprit comme de celui qui est l’auteur des Écritures. La dignité et l’autorité de celles-ci ne viennent nullement de l’Église qui les reconnaît, mais du témoignage que l’Esprit rend à nos cœurs et qui atteste que l’Écriture nous vient de Dieu. À la suite de la Confession de La Rochelle, elle évite tout sacramentalisme, même le plus atténué. La régénération est l’œuvre de l’Esprit dans la vie du fidèle. Sa présence conduit celui-ci à la sanctification. Par lui, la volonté de l’homme est libérée par rapport au péché. D’après l’article 22, pour parvenir à la vraie connaissance de ce grand mystère, le Saint-Esprit anime nos cœurs d’une foi correcte, laquelle embrasse Jésus-Christ avec tous ses mérites, se les approprie et ne cherche rien en dehors de lui. La foi est le fruit de l’écoute de la Parole et celui de l’opération de l’Esprit. L’Église, elle aussi, est en même temps l’œuvre du Christ et de son Esprit (art. 27).

e. Le Catéchisme de Heidelberg (1563)🔗

Plus que tout autre texte symbolique réformé, le Catéchisme de Heidelberg, ce traité de piété exceptionnel, véritable joyau de la littérature chrétienne, nous invite à saisir la réalité essentielle de l’œuvre de l’Esprit et à en mesurer, si possible, l’infinie richesse.

L’opération de l’Esprit se déroule dans la vie de l’Église et dans celle du fidèle. Dès la première page (question 1), le fidèle est assuré que Dieu donne la vie éternelle par l’Esprit Saint. Nous invitons le lecteur à faire personnellement et directement la découverte de la doctrine réformée concernant l’œuvre de l’Esprit sur les pages de ce chef-d’œuvre.

La question 8 attribue la réalité de la régénération à l’Esprit :

« Mais sommes-nous corrompus au point d’être absolument incapables de faire aucun bien et enclins à tout ce qui est mal? Oui, à moins que nous ne soyons régénérés par l’Esprit de Dieu ».

La question 21 définit la foi véritable :

« Ce n’est pas seulement une connaissance certaine par laquelle je tiens pour vrai tout ce que Dieu nous a révélé dans sa Parole, mais c’est aussi une confiance du cœur que le Saint-Esprit produit en moi par l’Évangile et par laquelle je suis assuré que ce n’est pas seulement aux autres, mais aussi à moi que Dieu a donné la rémission des péchés, la justification et la félicité éternelles et cela par pure grâce et seulement par le mérite de Jésus-Christ. »

Les questions 72 et 73 soulignent l’importance égale qu’ont le sang du Christ et le Saint-Esprit pour notre purification. La sanctification, abordée dans la troisième partie du Catéchisme (celle qui traite de la reconnaissance du chrétien), occupe la question 86 :

« Parce que Jésus-Christ après nous avoir rachetés par son sang, nous renouvelle aussi par son Saint-Esprit à son image, afin que nous montrions à Dieu par toute notre vie, notre reconnaissance pour ses bienfaits, et qu’il soit célébré par nous. Ensuite, afin que nous puissions aussi être nous-mêmes assurés de notre foi par les fruits qu’elle porte et que, par la sainteté de notre vie, nos prochains soient gagnés à Jésus-Christ. »

À la question 115, demandant pourquoi Dieu veut que les dix commandements soient prêchés, même s’il n’y a personne qui peut les observer dans cette vie, le Catéchisme répond :

« … C’est ensuite, afin que nous nous appliquions sans relâche à demander à Dieu la grâce du Saint-Esprit, pour être renouvelés toujours plus à son image, jusqu’à ce qu’après cette vie nous atteignions la perfection qui est notre but. »

Question 116 :

« Pour quelle raison le chrétien est-il invité à prier? Pour manifester à Dieu sa gratitude. Dieu ne veut donner sa grâce et son Saint-Esprit qu’à ceux qui les lui demandent, avec des prières ardentes et continuelles et qui l’en remercient. »

Remarquons encore de quelle manière les questions 47 et 49 nous assurent de la présence continuelle du Christ après son ascension, grâce à la permanence de son Esprit. Comme tout texte réformé qui se respecte et dans le plus pur souci pastoral, le Catéchisme évite toute vaine spéculation autour de la personne et de l’œuvre du Saint-Esprit. Avec les réformateurs, les deux auteurs du « Heidelberg » insistent sur le fait que la Parole et l’Esprit agissent conjointement. Selon eux, l’Esprit scelle dans nos cœurs les promesses de Dieu, lesquelles ne se trouvent nulle part ailleurs que dans sa Parole écrite. Ils évitent ainsi tout danger d’illuminisme, qui était déjà fort en vogue au 16siècle.

f. Les Canons de Dordrecht (1618-1619)🔗

Les Canons de Dordrecht tiennent assurément une place de choix dans la liste des livres symboliques réformés. Ils ont été rédigés en 1618-1619, lors du synode extraordinaire réunissant de nombreux théologiens réformés de l’Europe, à la suite de la grande controverse théologique soulevée par les idées et l’enseignement de Joseph Arminius et de ses disciples.

C’est avec un intérêt tout à fait particulier que les Canons rappellent et soulignent le rôle essentiel de l’Esprit, aussi bien dans la conception du salut que dans son application. Ce rôle s’étend aussi bien à l’Église qu’au fidèle à titre individuel. C’est ainsi que ce texte put dresser un puissant barrage à la pensée synergiste arminienne qui prétendait offrir une base biblique à l’idée de la coopération de l’homme avec Dieu en matière de salut personnel. Les Pères dans la foi de Dordrecht (Pays-Bas) s’opposèrent à toutes les idées qui cherchaient à réduire, dès la fin du 16siècle déjà, la place du salut et de l’Évangile en les ramenant à un phénomène et à une réalité quasiment humains.

Ainsi, le libéralisme naissant du 17siècle amenait l’homme chrétien à être une personne autonome au point de vue spirituel et faisait de lui le critère et la mesure ultime de la vérité biblique révélée. Son sentiment devenait la norme exclusive de l’expérience spirituelle. Une fois de plus, la gloire réservée à Dieu était usurpée au profit de l’homme autonome « religieux ».

Mais les Canons insisteront sur l’affirmation biblique selon laquelle Dieu a réellement appelé des élus et qu’il les a attirés à sa sainte communion par sa Parole et par son Esprit. Car l’Esprit produit en nous la foi et des dons en vue de notre salut. Hors de la grâce régénératrice de l’Esprit, l’homme n’est pas capable de se tourner vers Dieu; il n’en est même pas disposé. Ni la lumière ni la loi n’accorderont la grâce salvatrice. Par son Esprit, Dieu accomplit seul notre salut. Il ne suffit donc pas de prêcher l’Évangile de manière extérieure. Ce n’est que sous l’action de l’Esprit que l’homme sera atteint et renouvelé jusque dans son for intérieur.

Les articles consacrés à la persévérance des saints et à la foi insistent de nouveau sur la puissante intervention et sur l’opération efficace de l’Esprit. Nier une doctrine aussi essentielle pour la foi équivaut à méconnaître la grâce, laquelle opère à l’aide de l’Esprit et agit intérieurement. Les Canons réfutent l’objection selon laquelle cette doctrine mènerait fatalement à la paresse et à l’indolence. La doctrine qu’ils défendent est la seule qui se fonde, d’une part, sur la considération générale qu’on a de l’œuvre de l’Esprit et, d’autre part, sur la nature même de la foi biblique.

5. Conclusion🔗

Le survol des textes symboliques réformés nous aura non seulement permis de saisir l’intérêt que les théologiens de la première heure de la Réforme ont porté à cet aspect de la révélation et de la rédemption, mais encore d’apercevoir des lignes directrices très sûres qui peuvent nous permettre aujourd’hui d’élaborer en toute certitude une saine doctrine de la personne et de l’œuvre de l’Esprit. Certes, nous sommes conscients qu’en explorant ce « domaine » nous n’avons touché qu’à une seule veine de la mine, riche d’enseignements, qu’avaient fouillée nos pères dans la foi.

« L’expérience chrétienne » est une réalité et l’Esprit de Dieu, son unique Auteur. Par conséquent, nous sommes bien placés pour affirmer qu’une expérience chrétienne authentique a ses limites et qu’elle est d’une tout autre nature que celle des mysticismes équivoques dont nous sommes devenus les spectateurs désolés jusque sur le sol de nos Églises « réformées ».

L’intérêt que nous portons à l’expérience réelle de la foi n’est certes pas de nature théorique. Selon Calvin, le fondement de la théologie chrétienne ne doit pas se trouver dans le primat de la raison, mais dans la compréhension correcte et l’interprétation fidèle des Écritures, confirmée par le témoignage intérieur de l’Esprit. Au lieu d’une théologie qui ne serait qu’une synthèse abstraite, Calvin nous aide à saisir bibliquement la nature de notre relation intime et directe avec Dieu. Le célèbre passage de son commentaire sur le livre de la Genèse jette une pleine lumière sur l’expérience authentiquement chrétienne. Dieu nous combat avec sa main gauche et nous soutient par sa main droite. Chez lui, le « coram Deo vivere » (vivre devant Dieu) rejoint le « soli Deo gloria » (à Dieu seul la gloire). Alors, toute l’expérience chrétienne, le progrès dans la sanctification, voire les couronnes mêmes que le fidèle aura gagnées à la fin du combat serviront cette gloire-là. La lecture des théologiens réformés du 16siècle ne justifie nullement l’idée selon laquelle il pourrait exister une orthodoxie morte! Ce serait là une contradiction absolue. Le propre de toute orthodoxie biblique est d’amener l’Église et les fidèles à une pratique de la foi authentique.

Nous admettrons volontiers que les réformateurs n’ont pas tout dit sur le Saint-Esprit et sur tous les aspects de l’expérience chrétienne. Aurions-nous cependant nous-mêmes la prétention de prononcer le mot définitif durant cette période de confusion du langage et de la pensée qui caractérise aussi bien le « monde » que les Églises? Certes, la foi qui se fonde sur la révélation écrite et qui se nourrit de l’Évangile doit connaître la croissance, la purification, le perfectionnement et une réforme constamment renouvelée. Néanmoins, la croissance de la foi (la foi comme connaissance) ne peut s’effectuer qu’à condition de ne pas s’écarter de la voie tracée, ce qui serait s’aliéner « de la loi et du témoignage », critères absolus de foi et de piété.

Les confessions de foi ont permis aux fidèles de l’époque, vivant dans des circonstances souvent dramatiques, de se rendre compte du rôle éminent que l’Esprit tenait dans leur expérience chrétienne. Leur esprit pastoral nous est d’un grand secours, aussi bien comme exemple que comme guide.

Les chrétiens qui discourent de nos jours sur le baptême de l’Esprit, parfois même sur le double baptême, n’ont pas accordé aux textes bibliques l’attention et le soin dont témoignent les textes réformés que nous venons de consulter. Force nous est de constater que ces chrétiens, même du côté des « évangéliques », opèrent d’une manière qui rappelle celle des catholiques romains. Ils n’échappent pas à l’idée d’une double source de la révélation. D’une part l’Écriture, d’autre part l’Esprit! La dualité légitime Parole-Esprit cache mal le dualisme antithétique Esprit-Parole. Au lieu de confesser par la Parole (« sola Scriptura ») et par l’Esprit (« solo Spiritu »), nous trouvons chez les protestants « pentecôtistes » une opposition pure et simple entre les deux. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que, sur ce terrain aussi vague de l’Esprit, catholiques romains et protestants se rencontrent et parviennent à créer un œcuménisme « sauvage ».

Que l’Église ait besoin d’un renouveau spirituel, cela est incontestable. Cette œuvre de renouveau doit même être permanente. Il n’existe pas d’état statique de renouveau, mais tout renouveau authentique ne peut se concevoir et s’effectuer que dans et par une rigoureuse fidélité à la révélation écrite, dans l’humble conviction aussi que le Christ reçoit la gloire dans l’Église et dans nos vies individuelles grâce à son Esprit. Notre régénération et la persévérance dans la foi peuvent être ressenties comme des expériences chrétiennes authentiques. Il n’existe pas d’expérience « en soi », mais uniquement celle qui est produite par l’Esprit, suivant l’ordre du salut dont nous trouvons le modèle dans la Bible.

À certaines époques de l’histoire de l’Église, Dieu permet que des torrents désordonnés emportent les éléments étrangers qui encombraient la doctrine et la piété. Mais si l’on n’y prend pas garde, ces mêmes torrents risquent d’apporter d’autres éléments non moins étrangers à l’Évangile et, par conséquent, extrêmement nocifs. Il appartient à l’Église d’être vigilante et de rechercher la purification permanente de sa pensée et de sa pratique. Les chrétiens réformés, héritiers d’une tradition théologique riche et solide, sont particulièrement bien placés pour accomplir une telle tâche. Sans se laisser prendre au piège de renouveaux aussi fulgurants qu’éphémères, ils remonteront aux sources et s’en tiendront jalousement à la spiritualité biblique prophétique et personnaliste, afin que, tôt ou tard, les vrais fruits de l’Esprit, les seuls accordés à l’Église, puissent mûrir et être cueillis.

Lorsque certaines modes disparaîtront, sans laisser de traces permanentes, nous devrons encore et toujours réexaminer l’Écriture pour en tirer l’enseignement qui est capable de renouveler tant l’expérience que la doctrine. Alors notre foi sera patiente. La patience engendrera l’espérance, et l’espérance fera naître des certitudes sereines. Nous serons éclairés par la Parole et, toujours guidés par l’Esprit, nous connaîtrons enfin la véritable nature ainsi que les limites d’une authentique expérience chrétienne. Car c’est « dans ta lumière que nous voyons la lumière » (Ps 36.10).

Note

1. James Dunn, Baptism in the Holy Spirit, S.C.M. Press, London.