Cet article a pour sujet le travail qui est bon parce qu'il a été donné à l'homme par le Créateur, mais qui est devenu une peine depuis la chute. Cependant, par la grâce de Dieu, il peut de nouveau être fait au service de Dieu et pour sa gloire.

Source: Le chrétien et la société. 3 pages.

Le travail

Le 1er mai en Europe, un jour du mois de septembre sur l’autre hémisphère, sont désignés pour « fêter », ainsi que l’on dit, le travail humain.

Qui n’applaudirait à une telle célébration annuelle qui permet, notamment aux travailleurs manuels, de penser que leur travail, et au-delà de celui-ci leur personne, sont pris au sérieux et honorés. Bien entendu, cela ne résout pas les complexes problèmes du travail moderne ni ne rend plus serein le climat de tensions sociales dans lequel nous vivons de façon presque permanente. Pas plus qu’il ne met fin aux interminables conflits et revendications, parfois justifiées, par moments franchement déplacées et même outrancières, qui mettent aux prises la classe ouvrière avec la classe les dirigeants patronaux.

Ce n’est pas du « problème » du travail dans notre société que je voudrais vous entretenir dans mon exposé d’aujourd’hui. Au contraire, je vous propose une introduction, à vrai dire très sommaire, aux données bibliques relatives au travail. Il est aisé de comprendre que si je voulais aborder ici les graves situations sociales qu’on trouve fréquemment dans notre société ainsi que les conditions de travail souvent difficiles que partagent, en dépit d’un certain nombre de lieux communs démagogiques, aussi bien les ouvriers que leurs patrons, je ne pourrais qu’effleurer très superficiellement le sujet.

Je préfère plutôt pointer vers une direction qui ne va certes pas automatiquement, comme par un coup de baguette magique, résoudre les questions épineuses d’ordre technique, économique, voire psychologique. Je suis cependant persuadé que seule l’indication d’un principe général régissant tous les rapports humains est susceptible de mettre de l’ordre dans les esprits. Car ici comme dans d’autres domaines, avant même d’aborder les structures externes de la condition humaine, il convient d’opérer un changement radical des mentalités, une conversion des cœurs et des esprits, la seule à pouvoir accorder aussi bien la lucidité que l’humilité nécessaire pour se remettre en question; sans cet indispensable préliminaire, aucun système sociopolitique ne sera à même de mettre un terme à ce qui est devenu l’un des drames les plus répandus et récurrents de notre vie quotidienne. Ouvrons donc encore notre vieille et sage Bible, qui nous instruira à ce sujet comme au sujet de tous les autres aspects de notre existence ordinaire, jour après jour.

La toute première constatation que nous faisons à ce sujet est la suivante : Dans la Bible, Dieu nous est présenté comme celui qui travaille. Son action constitue le prototype du travail humain. Nombre de passages bibliques affirment avec vigueur que Dieu est à l’œuvre. Il travaille depuis le commencement. Il est Créateur, conservateur et Sauveur du monde. Jésus-Christ l’affirmait avec force dans le passage bien connu du quatrième Évangile : « Mon Père travaille jusqu’à présent. Moi aussi, je travaille » (Jn 5.17; voir Jn 4.34; 17.4).

À propos du travail à proprement parler, la Bible affirme que celui-ci est la condition normale de l’homme. Celui-ci correspond à l’ordre divin des choses. Aux œuvres de Dieu correspondent les œuvres des hommes. Le premier homme fut placé dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder. Le travail est la destinée normale prescrite à l’homme par le Créateur. C’est au moyen du travail que Dieu associe l’homme à son œuvre créatrice, il est le signe par lequel Dieu atteste que l’homme est son collaborateur. Le travail fait donc partie des ordonnances de la sagesse divine. Toute la création travaille, et l’oisiveté est condamnée. Le travail est l’ordre exprès que Dieu donne à l’homme. Ainsi donc, le travail de l’homme est bon tant qu’il est la réponse à cet ordre et qu’il s’insère dans l’œuvre de Dieu.

Mais ce travail bon, cette noble vocation que Dieu adresse à l’homme, connaît une déchéance. La chute a tout gâté, y compris la mission de cultiver et de conserver la terre confiée à l’homme. L’ordre voulu de Dieu a été renversé et le travail de celui-ci, qui devait être une grâce et une joie, va se trouver lui aussi aux prises avec les conséquences du péché. D’après Genèse 3, nous voyons que le travail accompli par l’homme pécheur devient une peine, une souffrance, car son péché a rendu le travail pénible, et une malédiction pèsera désormais sur le travail de l’homme et de la femme. Cela ne veut pas dire que depuis la chute le travail est mauvais en soi; mais l’homme pécheur disqualifie désormais le travail. Au lieu de servir à louer Dieu, il est utilisé pour glorifier et exalter la créature. Il devient un but en soi, une idolâtrie, ainsi qu’un moyen d’exploitation et d’oppression du prochain.

Néanmoins, parce que malgré tout la grâce divine continue d’agir dans cette situation malheureuse de l’homme, le travail peut quand même être source de bénédiction. D’ailleurs, la pédagogie divine ne cesse, dans cet ordre perturbé par la chute, de rappeler à l’homme la signification véritable du travail. Ce rôle est joué en particulier par l’institution du sabbat, qui préfigure le grand repos réservé au peuple de Dieu. Par là même, en tant que limite posée au travail, il rappelle â l’homme que la fin véritable de sa vie n’est pas le travail en soi, mais la gloire et le service de Dieu.

Lorsque, d’autre part, il est prescrit aux Israélites de sacrifier à l’Éternel les prémices du bétail et des moissons, le travail des hommes est replacé dans sa véritable perspective : la terre appartient à Dieu, et l’homme qui la fait fructifier par son travail n’est que le gérant des biens du Maître de toutes choses! Ainsi la grâce de Dieu indique, tout au long des siècles, le chemin d’une sanctification du travail.

Mais nous savons que si le travail a été soumis au régime de la chute, comme tout le reste de l’ordre créaturel, il est aussi le bénéficiaire du régime de la rédemption. Telle sera notre conclusion. Car ce n’est que dans l’ordre nouveau inauguré par Jésus-Christ, que le travail de l’homme trouve son vrai sens et sa véritable place.

Le Christ lui-même, ainsi que ses apôtres, ont donné l’exemple du travail. Jésus travailla de ses mains : il fut charpentier. Saint Paul tissait des tentes. La Bible, d’un bout à l’autre, honore le travail manuel. Elle ne fait d’ailleurs pas de distinction entre différents types de travail. Ce qui importe c’est l’esprit dans lequel le travail est accompli.

Le travail du Christ se présente sous deux aspects. D’une part comme une charge lui ayant été confiée par son Père, et d’autre part comme un service auprès des hommes.

À cette lumière, le travail de l’homme peut être renouvelé et trouver une nouvelle signification. Certes, il ne cesse pas complètement d’être une peine. Dans le Nouveau Testament, l’une des expressions grecques définissant le travail renferme encore l’idée de souffrance et de fatigue. Il existe toujours une acception péjorative du travail. Il est vrai aussi que, même pour les croyants, il existe le danger d’accomplir des œuvres vaines. Néanmoins, en Jésus-Christ chaque homme est appelé à donner à son travail une qualité nouvelle, à savoir l’allure et la dignité d’un labeur vécu par sa grâce et pour sa gloire. Ce sera un travail fait « dans » et « pour » le Seigneur.

Dans cette perspective, l’homme qui travaille apparaît comme un administrateur des biens de Dieu, comme un serviteur du prochain. Ce travail-là ne sera pas vain. Il a certainement une valeur, même si celle-ci est autre que ce qu’elle paraît aux yeux des hommes. C’est pourquoi il recevra sa récompense. Il faut remarquer, en effet, que la Bible n’ignore pas la notion du juste salaire. Mais elle étend cette notion au-delà des cadres de l’équité et du mérite selon les critères humains.

Au jour du jugement, la valeur de l’œuvre de chacun sera révélée. Mais la sanction finale pour l’ouvrier sera un acte de la grâce divine autant que de la justice divine. Ce qui importe avant tout, dans la vision nouvelle des choses donnée en Jésus-Christ, c’est que le travail humain soit participation au travail créateur et recréateur de Dieu. Dans cette mesure là, les œuvres des croyants auront une valeur pour l’éternité, car elles sont intégrées au grand œuvre de Dieu.