Cet article a pour sujet la vie chrétienne, sa nature, son origine, sa spécificité, la nécessité de la foi, la communion avec Christ, le rôle de l'Esprit, le modèle de la vie nouvelle (sainteté), son progrès (sanctification), son combat, sa dynamique.

Source: L'Esprit de la loi - Éléments pour une éthique chrétienne et réformée. 16 pages.

La vie chrétienne

  1. Introduction
  2. La nature de la vie chrétienne
  3. L’origine de la vie chrétienne
  4. La spécificité de la vie chrétienne
  5. La nécessité de la foi
  6. Notre communion avec le Christ
  7. Le rôle du Saint-Esprit
  8. Le modèle de la vie chrétienne
  9. Le progrès dans la vie chrétienne
  10. Le combat de la vie chrétienne
  11. La dynamique de la vie chrétienne

1. Introduction🔗

« Je vous le dis en vérité, si votre justice ne dépasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. » (Mt 5.20).

Le domaine dans lequel opère l’éthique chrétienne est celui de la vie chrétienne. Ici, elle impose l’obligation de prendre des décisions de caractère éthique. Cela ne veut nullement dire que la vie chrétienne consisterait purement en une opération éthique. Bien au contraire. Il existe aussi des décisions religieuses à prendre, ou, si l’on préfère, des décisions dogmatiques et théologiques. Ce sont précisément ces décisions religieuses qui sont fondamentales à la vie chrétienne et qui offrent des directives aux décisions éthiques. Le chapitre présent traitera de la vie chrétienne, de ses fondements, de sa nature.

Sans la foi, il n’existe pas de possibilité de vie chrétienne. Foi et vie chrétienne sont deux réalités identiques, des expériences interchangeables. La vie chrétienne ne consiste pas en un développement progressif prenant son départ en une vie naturelle. Elle ne se base point sur la « nature », elle n’en est pas issue; elle est entièrement d’origine surnaturelle, le fruit d’un radical changement. Elle prend son origine dans l’œuvre recréatrice divine, elle est engendrée par l’Esprit. Élu par grâce, le croyant chrétien est devenu une nouvelle création. Son « cœur » a été régénéré, son intelligence éclairée, sa volonté transformée, ses émotions purifiées (Jn 3.3; Ép 2.5; 2 Co 4.16; 1 Jn 2.29). Cette opération dont il est le bénéficiaire constitue le début de la vie spirituelle. Mais la puissance avec laquelle l’Esprit poursuit le dessein de salut divin est tellement étonnante et complète que l’homme n’en est pas le simple témoin passif. Il est changé en y participant aussi de manière active. L’œuvre de l’Esprit sur et en lui devient progressivement son œuvre à lui!

Par conséquent, la foi en tant que réponse à l’action de Dieu est le premier signe clair de sa croissance dans la vie spirituelle. Par la foi, je m’engage dans l’action sanctifiée, parce que Dieu a au préalable prévalu en moi (Jr 20.7); par la foi, je saisis, parce que j’ai été d’abord saisi par lui (Ph 3.12); par la foi, je connais, parce que j’ai été connu de lui (1 Co 13.12). En outre, le fruit mûr ou mûrissant de l’Esprit, de son œuvre rénovatrice dans le cœur de l’homme s’appelle « métanoia », la repentance visible, une tristesse pour le péché, un refus aussi de pécher, mais également une conversion à Dieu. La repentance n’est pas un acte singulier, accompli une fois pour toutes, mais une conversion continue. L’obéissance à Dieu, à sa Parole et à sa loi produira l’abandon constant des actes mauvais (2 Co 12.21; Hé 6.6). Certes l’homme croyant demeure le sujet vulnérable au mal, et par moments il s’y abandonne, pourtant le secours de Dieu lui accorde le pouvoir et le vouloir de résister et de faire le bien (voir Jr 31.8-9,18-19,33-34; Lm 5.21; Ac 5.31).

Un autre signe de la croissance dans la vie chrétienne est la sanctification. En suivant le Christ, on rompt et on brise le lien, la continuité de l’association avec l’existence de pécheur pour développer plutôt une vie de consécration.

À la lumière de ces considérations, les décisions éthiques ont trait à notre sanctification et font donc partie de l’ensemble de la vie chrétienne. Des décisions éthiques contemporaines contribuent par conséquent à la croissance consacrée de la vie chrétienne. L’apôtre Jacques l’exprime bien en avertissant : « Soyez ceux qui mettent en pratique la Parole et non seulement ceux qui l’écoutent » (Jc 1.22), et plus loin : « À quoi sert, mes frères, de dire qu’on a la foi si on n’a pas les œuvres? » (Jc 2.14). Mettre la Parole en pratique, confirmer la foi par les œuvres, fera du croyant un étranger dans le monde hostile à Dieu (1 Pi 1.1). C’est la nature radicale de notre obéissance à la Parole de Dieu qui pose sur la vie un sceau de différence par rapport au « monde ». Simultanément, c’est un signe que le fidèle n’a pas encore atteint sa demeure éternelle. Il aura à accepter son statut d’étranger et vivre en cette condition temporaire. C’est la même condition de vie que celle de l’Ancien Testament, et que rappelle Pierre en ces termes familiers : « Vous serez saints, car je suis saint » (1 Pi 1.16).

Reproduisons ici des extraits de l’Institution de Calvin qui traite de la vie et de la foi :

« 1 Nous avons dit que le but de notre régénération était que notre vie manifeste l’harmonie entre la justice de Dieu et notre obéissance, et de manifester ainsi l’adoption par laquelle Dieu a fait de nous ses enfants. Bien que la loi de Dieu définisse cette nouveauté de vie qui restaure en nous son image, il sera utile, en raison de notre paresse, de définir d’après divers textes de l’Écriture des règles de conduite chrétienne, afin d’éviter à ceux qui se convertissent à Dieu les erreurs et les hésitations. … Je me bornerai d’ailleurs à indiquer une méthode permettant au chrétien de bien orienter sa vie, une règle générale à laquelle il pourra soumettre toutes ses actions. … Comme les philosophes ont des critères de droiture pour définir les devoirs et les actions vertueuses, l’Écriture possède aussi en ce domaine un ordre et une méthode, bien meilleurs du reste et beaucoup plus certains que ceux des philosophes. …
2 Cette doctrine morale de l’Écriture comporte deux parties. La première imprime dans nos cœurs l’amour de la justice, auquel notre nature n’est pas portée. La seconde nous donne une règle certaine pour éviter les hésitations et les erreurs dans la conduite de notre vie. Pour inspirer à notre cœur l’amour du bien, l’Écriture nous fournit des arguments nombreux et puissants. … Le premier, fondement de toute vie chrétienne, est que nous devons être saints parce que Dieu est saint. … 3 Et en outre, pour toucher plus vivement notre cœur, l’Écriture nous montre que Dieu s’est réconcilié avec nous en son Christ et que, de plus, il nous a donné en lui un modèle auquel il veut que nous nous conformions.
Ceux qui estiment que seuls les philosophes ont véritablement traité la morale seraient bien en peine de me montrer dans leurs ouvrages une doctrine aussi claire que celle que je viens d’énoncer. Leur grand principe d’orientation de la vie morale est le respect de la nature. Mais l’Écriture nous invite à puiser à une bien meilleure source : elle nous commande de soumettre notre vie à Dieu, qui en est l’auteur. Après nous avoir montré que notre nature était déchue de sa pureté originelle, elle nous présente dans le Christ, qui nous a réconciliés avec le Père, le modèle dont notre vie doit refléter l’image. …
4 C’est ici le moment de nous tourner vers ceux qui, bien qu’ils ne soient chrétiens que de nom, veulent néanmoins être considérés comme chrétiens. Ils ont bien de l’audace de tirer gloire du saint nom du Christ. Car nul ne peut se dire lié au Christ s’il ne l’a pas connu dans sa vérité par la parole de l’Évangile. … Qu’ils cessent donc d’insulter Dieu en se vantant d’être ce qu’ils ne sont pas, ou qu’ils se montrent vrais disciples du Christ. …
5 Je n’irai pas jusqu’à exiger que la vie du chrétien soit entièrement conforme à la pureté de l’Évangile. Certes, c’est l’idéal que l’on doit s’efforcer d’atteindre, mais on ne peut pas refuser le nom de chrétien à celui qui ne l’a pas encore atteint, car ce serait exclure de l’Église tous les hommes de la terre. Tous, même les plus avancés, sont encore bien loin de cette perfection évangélique et la plupart ont à peine commencé à en approcher, mais ils ne doivent pas être rejetés pour autant. L’important est que nous ayons tous devant les yeux la perfection à laquelle Dieu nous appelle. Nous devons tendre toutes nos forces vers ce but. Car nous n’avons pas le droit de marchander avec Dieu, d’accepter une partie des exigences de sa Parole et de laisser le reste selon notre fantaisie. Ce que Dieu exige d’abord de nous, c’est l’intégrité, c’est-à-dire la pureté d’un cœur exempt de tout calcul et de toute duplicité. La source de la morale est d’ordre spirituel : il faut qu’au plus profond de la vie intérieure l’âme s’attache à Dieu sans partage pour suivre le chemin de la justice et de la sainteté. Nul homme, sans doute, dans sa prison terrestre, n’est assez fort et assez résolu pour courir sur ce chemin avec l’agilité souhaitable et le plus grand nombre est si faible qu’il trébuche et ne progresse que lentement. Marchons néanmoins, chacun selon nos faibles forces, sans abandonner le chemin sur lequel nous sommes engagés. Nul ne cheminerait si piètrement qu’il ne progresse un peu chaque jour vers le but.
Efforçons-nous donc sans relâche de progresser dans la voie du Seigneur et ne perdons point courage si nos progrès sont lents. Car si le résultat n’est pas ce que nous souhaitons, tout n’est pas perdu dès lors qu’aujourd’hui marque une avance sur hier. Fixons simplement sur le but un regard pur et droit, et tendons vers lui nos efforts sans nous abuser ni nous flatter, sans nous dissimuler nos fautes. Travaillons à devenir chaque jour meilleurs que nous ne sommes, jusqu’à ce que nous soyons parvenus à la souveraine bonté, que nous devons chercher tout le temps de notre vie, pour la saisir enfin lorsque, ayant dépouillé l’infirmité de notre chair, nous serons reçus dans l’entière communion, “compagnie”, de Dieu.1 »

Cherchons à présent par étapes systématiques à étudier le cours de la vie chrétienne.

2. La nature de la vie chrétienne🔗

Qu’est-ce que la vie chrétienne? C’est avec le plus grand sérieux qu’il convient de répondre à cette question. Assurément, il existe actuellement, comme jadis, des malentendus, voire des abus à ce sujet. L’adjectif chrétien, forgé aux débuts du christianisme comme un sobriquet méprisant par des adversaires, par la suite est devenu un titre d’honneur. Or, nous n’avons pas le droit de nous considérer comme chrétiens à moins que, d’une manière ou d’une autre, notre comportement ne témoigne de la foi et n’atteste son authenticité. Prenons garde à toute illusion. Il serait par exemple hautement tentant d’appartenir au courant « chrétien » sans pour autant être l’enfant régénéré de Dieu et le croyant sanctifié qui persévère dans la foi. La Parole, norme suprême de vie et d’action, nous met en garde constamment contre un tel malentendu et prédit une sévère sanction! Le Christ en personne ne nous laisse pas nous leurrer : « Ce ne sont pas ceux qui me disent Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le Royaume de Dieu, mais celui qui fait la volonté de mon Père » (Mt 7.21). De son côté, saint Paul dénonce ceux qui « ont l’apparence de la piété, mais qui en ont renié la force » (2 Tm 3.5).

La foi chrétienne cherche à se soumettre à la volonté de Dieu en toutes choses, en toutes circonstances, reconnaissant que nous sommes créés corps et âme, appelés à servir Dieu dans la totalité de la personne, avec toute la force et tout le cœur. Parlant de l’âme, nous la distinguerons de l’esprit et de la volonté. L’esprit et la volonté, de même que les affections du cœur, doivent se consacrer au service de Dieu. Nous lui devons la vie et le souffle, la santé et la protection par sa providence, comme nous lui devons notre salut et notre liberté authentique. En nous donnant Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur, Dieu nous a tout donné. En nous rappelant ces vérités fondamentales, fondatrices de vie chrétienne et source de foi, d’espérance et d’amour, nous serons à l’abri de malentendus et d’erreurs qui depuis toujours ont gravement compromis l’existence et la fidélité de l’Église.

L’une de ces erreurs, et non la moindre, consiste à penser que le christianisme est une affaire exclusivement de l’âme et qu’il s’occupe des dispositions intimes, cachées, seulement du cœur. Bien que l’Écriture sainte souligne avec force l’importance du « cœur », car c’est de lui que sont issues la vie et les affections, elle souligne avec une égale vigueur que le corps de son côté doit servir d’instrument de glorification du Seigneur; notre corps est devenu à présent le Temple de l’Esprit. Le corps est l’outil même de l’âme. Bien que ce soit une vérité familière, rappelons quand même que notre personne n’est pas une âme désincarnée, mais au contraire un corps animé. Nous nous exprimons à travers le corps, instrument de notre âme, si l’on peut employer un langage aussi prosaïque.

Une autre erreur consistera à se représenter le christianisme comme un système de connaissance doctrinale auquel il suffirait d’accorder l’assentiment de l’intellect. L’Écriture, elle, insiste fortement et avec grande précision pour dire que notre volonté doit être active dans le choix du bien et se soumettre à la volonté de Dieu. L’assentiment purement cérébral, même nécessaire, à des vérités bibliques révélées n’offre pas le signe exhaustif d’une vie chrétienne complète, sinon authentique, et ne suffit pas pour attester la vitalité de la foi qui sauve.

Mentionnons enfin cette autre idée largement répandue qui veut que l’action chrétienne se déroule au détriment de la connaissance biblique. Le christianisme ici se vantera d’être non pas une théorie abstraite, mais un « vécu ». Cette erreur qui souligne exagérément un aspect isolé de la vie chrétienne dans la foi ne rend pas compte de l’importance que l’Écriture sainte accorde à l’élément cognitif de la foi. Avant même d’être en mesure d’accomplir, même activement et fidèlement, la volonté de Dieu, nous aurons à en saisir les contours et toutes les implications, savoir simplement en quoi elle consiste et ce qu’elle réclame de nous.

Ainsi, nous savons que la foi chrétienne et la vie qu’elle anime ne sont nullement fonction « d’une seule partie » de notre personne. Elles s’expriment dans la totalité de celle-ci, c’est-à-dire esprit, âme et corps. D’ailleurs, est-il propre d’évoquer même des parties de notre personne. Notre personne n’est-elle pas une unité totale et complète s’exprimant sous des aspects différents, mais complémentaires et irréductibles?

L’étude de la vie chrétienne nous engage à examiner ce qui est bien plus important encore que l’ensemble des règles qui la régissent. Notre vie se fonde et s’appuie sur un fondement certain. Dieu, et lui seul, décide ce qui est acceptable et agréable à ses yeux. Nous ne possédons ni la connaissance suffisante ni la force pour la mener correctement selon la révélation de sa Parole ordonnatrice. L’esprit et l’intelligence doivent être éclairés et la volonté s’incliner pour le servir. Or, une telle disposition, active et visible, sera le produit du renouvellement de notre cœur, de la régénération de notre personne, l’effet de l’œuvre rédemptrice et rénovatrice du Dieu trine. Dieu nous a pourvus de tous les moyens pour que nous menions la vie chrétienne dans la foi, selon ses propres exigences. La vie chrétienne n’est pas laissée aux aléas d’un hasard, risquant les dérives, en proie à des ruses subtiles. Dieu qui l’engendre par une semence incorruptible la soutient, la nourrit et la fait croître; il y pourvoit par des moyens de grâce, la Bible et la prière, l’Église et les sacrements. L’Esprit se sert de ces moyens extérieurs pour nous venir en aide. Alors la vie, qui prit naissance lors de la régénération et devint consciente au moment de notre conversion, mûrira graduellement, cherchera constamment la sanctification, progressera d’une étape vers une autre.

Puisqu’elle doit recevoir une expression, Dieu donne dans sa Parole l’unique et véritable modèle qui nous servira de guide. La norme, nous l’avons déjà aperçue, en est sa loi. Nous aurons aussi à cultiver toutes les vertus chrétiennes, et cela grâce à l’assistance sanctifiante de l’Esprit qui nous habite.

Dès lors, cette vie, soumise à Dieu et confiée à ses soins, sera la meilleure préparation pour l’entrée en gloire, pour connaître la communion ininterrompue du Dieu Sauveur, pour le temps et pour l’éternité. Ne sous-estimons pas la vie chrétienne vécue par la foi, ici et maintenant. En un temps où les jours sont mauvais, où l’incrédulité est rampante et le matérialisme païen galopant, sachons que c’est un privilège que d’appartenir à la communion des saints qui louent le Seigneur par leurs lèvres et offrent leur corps au Seigneur en sacrifice agréable. Nous avons déjà rappelé la grande invitation, d’après le livre des Proverbes : « Mon fils, donne-moi ton cœur » (Pr 23.26). Donner notre cœur à Dieu signifie nous soumettre à sa volonté.

3. L’origine de la vie chrétienne🔗

Une question : Pourquoi et comment sommes-nous chrétiens? Autour de nous, la majorité ne partage point nos convictions. Elle ignore peut-être le secret de ce qui nous différencie d’autrui, sans doute s’oppose-t-elle même obstinément à ce privilège, au statut nouveau dont nous sommes les titulaires. Serions-nous « privilégiés » en un sens banal du terme, parce que meilleurs que les autres? N’avons-nous pas appris que tous les hommes sont pécheurs et sont privés de la gloire de Dieu? (Rm 3.23). Nous aussi nous étions autrefois inclus dans ce « tous ». Nous n’étions pas dotés de qualités requises nous valant un tel privilège, méritant la grâce divine. « Dieu a choisi les choses insensées du monde pour rendre honteuses celles qui se disent sages; Dieu a choisi les choses faibles afin de confondre les choses puissantes » (1 Co 1.27). Notre propre décision ne suffirait pas pour nous incorporer à l’armée des régénérés et des sanctifiés qui avancent vers le Royaume. « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis, afin que vous portiez beaucoup de fruits » (Jn 15.16), déclarait Jésus à ses disciples, et cela est également vrai pour notre cas. La source de la vie chrétienne jaillit de la grâce de Dieu manifestée en Jésus-Christ. Le témoignage éloquent et irréfutable de cette vérité a été rendu par saint Paul dans le célèbre passage de sa lettre aux Éphésiens (Ép 2.1-10).

La grâce de Dieu est source de bénédictions spirituelles, accordées par la source unique de tout don excellent; elle consiste en sa faveur imméritée et sa bonté envers ceux qui se confient à lui. Si par nature nous sommes des rebelles, nous étant détournés pour nous asservir à d’autres seigneurs et maîtres, méritant son courroux et son juste châtiment, néanmoins, dans sa souveraine et libre grâce, depuis toute éternité, Dieu a décidé de nous accorder son amour et nous accueillir auprès de lui. Notre salut en Christ est une affaire qui appartient déjà à l’éternité (Rm 8.29). Par sa grâce, Dieu accorde le salut et engendre la vie chrétienne en vue de sa propre gloire.

Trois traits principaux caractérisent cette grâce : (1) Le salut est éternel, ce qui nous accorde une très grande consolation et un ferme encouragement, car nous savons qu’aucune résistance ne peut surmonter la décision divine prise en notre faveur ou bien détruire ses desseins éternels. (2) Notre salut est l’œuvre souveraine de Dieu, car il choisit qui il veut et nul n’a le droit de le questionner sur sa manière d’agir ou l’accuser d’être injuste (Rm 9.20-21). (3) Notre salut est efficace, car la grâce divine est irrésistible. L’opiniâtreté de nos esprits, les ruses de l’adversaire, les accidents de parcours n’empêcheront pas Dieu d’atteindre ses objectifs et de réaliser ses desseins bienveillants.

Distinguons encore deux aspects de la grâce. Le premier aspect en est l’œuvre externe de Dieu en notre faveur (« ad nos », en latin). Dieu nous a élus en Christ. Dans la plénitude du temps désigné par lui, il a envoyé son Fils (Ga 4.4) pour opérer notre rédemption. Le ministère terrestre du Christ a été consacré à la réalisation de ce plan, quoique nous ne devons nullement négliger toute son existence historique, depuis sa naissance et son enfance jusqu’au moment où il entreprit son ministère palestinien. Cette vie humaine du Fils incarné à sa manière était une vie vécue en vue de notre rédemption; elle constitua une souffrance vicaire, une souffrance et misère endurées pour la réalisation du dessein à cause de nous et pour notre péché. Soulignons enfin l’envoi du Saint-Esprit afin d’appliquer le salut dans la vie de tous ceux qu’il a connus d’avance et qu’il a prédestinés.

L’autre aspect est son opération intérieure à nous, à travers nous (« in nobis »). L’opération du Saint-Esprit nous fait bénéficier des fruits de la passion, de la mort et de la résurrection du Christ. L’Esprit nous appelle et nous conduit vers le Christ; par la prédication de la Parole, il nous régénère et nous unit au Christ, nous rend capables de repentance et de confesser la foi, enfin nous instruit, nous défend, nous encourage, en nous conduisant vers la vie éternelle. Ce n’est que par l’opération efficace du Saint-Esprit qu’il nous est donné de vivre notre vie dans la foi.

4. La spécificité de la vie chrétienne🔗

Nul n’est enfant de Dieu par nature. Par naissance, nous sommes, selon l’expression de l’Écriture, enfants de la colère, conçus dans le péché et nés dans l’iniquité. Ce n’est que par la grâce salvatrice divine que nous devenons des enfants adoptifs. Il a opéré en nous un changement radical. Nous sommes passés de la mort à la vie, de la position d’aliénation d’avec Dieu et esclaves du péché à la position d’hommes réellement libérés, afin de vivre et de servir le Seigneur, notre Dieu vivant. Le début de la vie nouvelle se situe dans la régénération dont nous traiterons plus loin. Le Saint-Esprit a planté en nous le principe premier de la vie spirituelle, et par son œuvre continuelle, cette vie se développe et mûrit en une vie d’amour et de service pour Dieu.

Quand cette vie devient consciente et active, nous disons qu’elle est une conversion, nous nous sommes tournés du péché vers le service de Dieu. La vraie conversion consiste à se repentir et à croire. Sous l’effet que produit la prédication de la Parole, l’Esprit convainc de la nécessité de la conversion et de la repentance. Cette œuvre est la racine même de toute vie chrétienne. Nul ne peut plaire à Dieu à moins de croire en Dieu qui récompense ceux qui le cherchent (Hé 11.6).

La foi engendrée par l’Esprit, lors de la régénération, est la racine portant le tronc et produisant des fruits.

5. La nécessité de la foi🔗

Pour parvenir à une connaissance correcte, vraie et salvatrice de Dieu, la foi servira de réceptacle exclusif. Elle est essentielle pour l’éthique pour accomplir la volonté de Dieu. Cette volonté est révélée en les termes de la loi ou les commandements, les préceptes ou le témoignage du Seigneur.

Dans la vie chrétienne, nous cherchons la communion avec Dieu par l’intermédiaire de Jésus-Christ, le Médiateur. Dieu sera notre bien suprême. Lui seul accorde une pleine satisfaction à nos cœurs « inquiets ». Il rend la vie digne d’être vécue.

Nous n’insisterons pas assez sur le rôle décisif de la foi. Sans la foi, point de salut. Hors de la foi, point d’union avec le Sauveur, notre Tête. Toutefois, signalons qu’il s’agit d’un rôle réceptif. Notre foi n’ajoute rien à l’œuvre parfaitement achevée du Sauveur, elle ne coopère nullement au perfectionnement du salut. Car en Christ tout a été accompli en notre faveur.

Or, une telle foi est le don de Dieu. L’homme naturel déchu n’entend rien aux choses de l’Esprit (1 Co 2.14), mais le Saint-Esprit qui nous conduit dans toute la vérité est celui qui, pour commencer, nous fait accepter la Bonne Nouvelle de notre salut. Il opère de manière efficace, il ouvre notre « cœur », sans quoi celui-ci demeurerait dans l’obscurité de l’ignorance. La vie dans la foi est appelée à la fois vie en Christ et vie en l’Esprit. Rendons-nous compte que, contrairement à l’hérésie pentecôtiste, la vie en l’Esprit n’est pas une seconde étape dans la vie de la foi, une étape supérieure, que seuls les « spirituels » franchiraient, avec le bagage surchargé de « bénédictions » surérogatoires, connues et même inconnues! Par la foi en Christ et par l’efficace opération du Saint-Esprit, nous vivons une vie radicalement transformée, véritablement spirituelle. Le Saint-Esprit ne fait qu’appliquer les bénéfices obtenus à la croix en notre faveur2.

Nous admettons qu’il ne pourrait exister de vie nouvelle dans la foi sans l’intervention du Saint-Esprit. Considérons à cet effet les questions et réponses 21 et 22 du Catéchisme de Heidelberg :

« Qu’est-ce qu’une vraie foi? Ce n’est pas seulement une connaissance certaine par laquelle je tiens pour vrai tout ce que Dieu nous a révélé dans sa Parole, mais c’est aussi une confiance du cœur que le Saint-Esprit produit en moi par l’Évangile, et par laquelle je suis assuré que ce n’est pas seulement aux autres, mais aussi à moi que Dieu a donné la rémission des péchés, la justice et la félicité éternelles, et cela par pure grâce et seulement par le mérite de Jésus-Christ.
Qu’est-il nécessaire à un chrétien de croire? Tout ce qui nous est promis dans l’Évangile et que les articles de la foi universelle et indubitable de tous les chrétiens renferment en abrégé dans le symbole des apôtres. »

6. Notre communion avec le Christ🔗

Rappelons ici le grand principe de la foi, à savoir que « nous sommes enclins au mal, incapables par nous-mêmes de faire le bien et que tous les jours et de plusieurs manières nous faisons le mal », selon l’admirable expression de la confession de foi de Théodore de Bèze. C’est un fait que par nature nous n’aimons pas Dieu et nous nous détournons de lui. Nous nous détournons également du prochain, transgressant aussi bien les commandements de la première table que ceux de la seconde. Car on ne peut aimer son prochain sans d’abord aimer Dieu, et inversement on ne peut aimer Dieu si on se détourne du prochain.

Dieu ne nous rencontre pas directement seulement, mais aussi indirectement, en la personne du prochain (Mt 25.40,45 par exemple). Ainsi, l’obéissance à la deuxième table de la loi doit avoir sa racine dans la première table des commandements. Certes, une certaine possibilité d’amour existe même entre hommes non régénérés, mais un tel amour ne reflète pas le commandement et ne traduit pas l’amour inspiré par Dieu; ce n’est point un amour qui est né de Dieu, pour reprendre l’expression de la première lettre de Jn (4.7). Il ne suffit pas de connaître la volonté de Dieu en tant que norme de vie et de conduite. Il faut encore être libéré pour le service de Dieu, de même que pour le service d’amour qui est dû au prochain. Ce n’est qu’en Christ que nous recouvrons notre liberté. C’est lui qui nous a émancipés de la servitude du péché, dont la croix a anéanti l’acte des ordonnances qui nous condamnaient. Sa mort fut la mortification de notre vieille nature charnelle et nous a accordé la véritable, totale et glorieuse libération des enfants de Dieu.

Il ne suffit donc pas d’une simple amélioration pour nous rendre aptes à obéir au commandement. L’homme en situation de chute, pécheur, doit mourir, sa vieille nature être anéantie. Mais la grande nouvelle est que le peuple racheté de Dieu est mort avec le Christ, lors de la crucifixion du Sauveur, son Chef et sa Tête. À présent, l’Église peut se regarder comme vivante en Christ, unie à lui, par la foi. Le Christ a été pour nous justification, mais également sanctification. Désormais, notre vie réelle, rachetée, justifiée et sanctifiée est cachée avec Christ, en Dieu (Col 3.3).

Le monde ne nous connaît pas comme tels, comme il n’a pas connu le Christ, le Seigneur. Romais 7, que nous avons étudié précédemment, traitait de ce problème, qui est analogue à celui de la mort dont Paul parle dans Romains 8 : Nous en avons été libérés selon l’Évangile, mais il semble quand même que nous sommes encore sous la domination de cette puissance de perdition. Cependant, l’apôtre nous exhorte de croire que nous sommes plus que vainqueurs dans toutes ces choses par celui qui nous a aimés (Rm 8.37), ainsi, le péché n’a plus de pouvoir sur nous, car nous sommes non pas sous la loi, mais sous la grâce (Rm 6.14). Par la foi, nous avons la certitude qu’un changement radical est intervenu dans notre vie, en notre faveur. Le Christ est notre vie (Ph 1.21). Nous sommes de nouvelles créatures (2 Co 5.17). Nous avons été mis à mort avec lui, mais également ressuscités avec lui; Dieu nous a fait asseoir avec le Christ dans les lieux célestes (Ép 2.6).

Nous sommes donc unis au Christ par la foi seule. Nous pouvons confesser, déclarer que le Christ est notre vie, à condition de vivre par la foi, unis à lui. La foi nous rend sensible la présence du Christ en nous. Cela explique pourquoi saint Paul associe notre baptême et notre résurrection en Christ (Rm 6.3-4). N’en déduisons pas que la décision de Dieu de nous sauver a été prise seulement au moment du baptême. C’est une erreur doctrinale grave qui accorde au sacrement du baptême une force quasi magique, faisant au moins du baptême un acte qui opère par lui-même ce changement extérieur. Notre baptême atteste que nous sommes des membres de l’Église, laquelle est le corps du Christ. Nous avons la certitude que nous appartenons au corps ressuscité du Seigneur.

Concernant l’union du fidèle avec le Christ, la Confession de foi de La Rochelle, dans son article 20, déclare :

« Nous croyons que Dieu nous fait participer à cette justice par la foi seule, puisqu’il est dit que Jésus-Christ a souffert pour obtenir notre salut, afin que quiconque croit en lui ne périsse point. Nous croyons que nous participons à la justice de Jésus-Christ parce que les promesses de vie, qui nous sont données en lui, sont adaptées à notre usage et que nous en sentons l’effet quand nous les acceptons; car nous sommes convaincus, par la bouche même de Dieu qui nous en donne la formelle assurance, que nous ne serons pas frustrés de ce qu’elles promettent. Ainsi la justice que nous obtenons par la foi dépend des promesses gratuites par lesquelles Dieu nous déclare et nous atteste qu’il nous aime. »

Le chrétien est enté en Christ. Dans l’Institution chrétienne, Calvin rappelle les paroles du Christ : Je suis le cep et vous les sarments (Jn 15.1-5). Il insiste sur le fait que par nous-mêmes, sans lui, nous ne pouvons rien faire. Il précise que le Christ ne veut point dire que nous sommes infirmes et que, par conséquent, il nous est impossible de produire du fruit, mais il va jusqu’à réduire à néant et il exclut toute fantaisie de la moindre puissance du monde.

7. Le rôle du Saint-Esprit🔗

En son article 21, La Confession de La Rochelle déclare :

« Nous croyons que nous recevons la lumière de la foi par la grâce secrète du Saint-Esprit, de telle manière qu’elle est un don gratuit et personnel que Dieu dispense à ceux que bon lui semble. Les fidèles n’ont donc pas de quoi s’en glorifier, le fait d’avoir été préférés aux autres les oblige bien davantage. »

L’Esprit opère cette dynamique de la manière suivante : Il organise l’Église comme le corps du Christ et demeure en elle en tant que le principe divin qui l’anime (Ép 1.22-23; 1 Co 3.16). Il inspire les auteurs des saintes Écritures par lesquelles se nourrit l’Église (1 Co 2.13; 2 Pi 1.21). Il opère dans l’Église qu’il fait croître dans la connaissance de la grâce, la préserve de toute erreur et la prépare pour la gloire à venir (1 Jn 2.27; Ac 5.32; Rm 8.1-17). Il opère dans nos vies individuelles. Là où sa puissante opération est à l’œuvre, un changement indubitable s’apercevra dans l’existence de ceux qui bénéficient de son opération. Il nous unit par la foi au Christ. Personne ne peut croire en Christ et le nommer Seigneur si ce n’est par l’Esprit.

C’est donc à lui que nous attribuons la naissance de la foi, naissance dont les moyens de grâce nous attestent le don et la réalité. C’est lui qui nous régénère (Jn 3.5). C’est encore lui qui nous appelle à la vie éternelle par la prédication de la Parole qu’il applique à nos vies (1 Th 2.12-13). Il produit en nous une sincère repentance et nous amène à croire (Ép 2.8). Il nous sanctifie de sorte que chaque jour nous mourons au péché (Rm 6.2). Il donne l’assurance de la foi nécessaire nous permettant d’appeler Dieu notre Père (Rm 8.15-16). Enfin, par son activité permanente, il nous prépare pour le Royaume à venir (Ph 1.6). Ainsi, notre salut n’est pas une œuvre accomplie par nos forces, mais un don divin appliqué par son Esprit.

8. Le modèle de la vie chrétienne🔗

La vie chrétienne telle que nous l’avons étudiée et décrite jusqu’ici est entièrement ancrée dans la grâce de Dieu, offerte et répandue en Jésus-Christ par l’efficacité du Saint-Esprit. Elle est issue d’un domaine transcendant, tout autre. Aussi, nous admettons qu’elle est totalement régie et orientée par des principes révélés qui sont par conséquent d’origine divine.

Néanmoins, le péché est toujours présent dans le monde, et chaque jour, de diverses manières, nous lui faisons face. Une existence soumise au péché, vécue sous son emprise tyrannique, avilissant, est le contraire de ce que Dieu veut; or sa volonté est sage, bonne et parfaite.

Il ne va cependant pas de soi que nous sommes complètement contrôlés et conduits par l’idéal révélé et offert pour notre bien. Quoique ce que nous appelons « l’idéal » chrétien soit décrit dans la Bible, c’est la sainteté qui est surtout accentuée comme qualité fondamentale.

Dans l’Ancien Testament, elle était clairement exprimée par les termes du Lévitique (Lv 20.7). Les Israélites devaient se regarder comme « une nation sainte » (Ex 19.6). Pour être en mesure de comprendre cette vérité biblique, nous aurons à nous rendre compte qu’Israël avait reçu vocation d’être saint parce que Dieu, lui, était saint (Lv 19.2). En tant que ses enfants libérés, ils devaient lui ressembler. Néanmoins, la sainteté de l’Éternel n’est pas un attribut ajouté à d’autres attributs divins, mais plutôt une qualité caractérisant tout son être divin. Ainsi, Dieu est saint dans sa sagesse, dans son amour, dans sa justice et même dans son courroux. Le terme hébreu dérive probablement d’une racine signifiant « couper ». Cela souligne encore davantage le fait que Dieu soit inapprochable (transcendant). Lorsque nous parlons de sa sainteté, nous voulons dire qu’il est « séparé » du monde, à la fois parce qu’il est infini et transcendant et que nous sommes « finis », limités et mortels, et parce qu’il est pur, c’est-à-dire sans péché, tandis que nous sommes pécheurs.

C’est donc notre vocation que d’être saints. La sainteté véritable à laquelle les Israélites étaient appelés signifiait, en tout premier lieu, que leur vie tout entière devait être séparée de celle des nations païennes. Israël devait être un peuple à part et différent à cause de la grâce divine reçue. Ils étaient tenus à développer et à maintenir leur identité particulière en tant que propriété de Dieu. En accord avec ce fait, ils devaient se garder purs de toute souillure païenne et idolâtre. Nous-mêmes, actuellement, nous aurons à nous rappeler qu’une telle sainteté implique nécessairement beaucoup plus qu’un certain degré de morale! Elle exprime suprêmement la relation fondamentale avec Dieu, celui qui adresse notre vocation et sépare son nouveau peuple, l’Église, pour l’engager à son service. À ses yeux, toute forme d’idolâtrie et d’infidélité envers sa personne est l’équivalent d’adultère spirituel.

Dans le Nouveau Testament, l’idéal de sainteté demeure essentiellement le même. Mais la mesure et la manière dans laquelle il est révélé diffèrent du précédent. Le peuple de Dieu est toujours appelé nation sainte, propriété de Dieu (1 Pi 2.9). Pourtant, cette sainteté est à présent directement, explicitement et étroitement associée à l’Esprit Saint. C’est lui qui renouvelle la vocation et sanctifie le nouveau peuple de Dieu. Il rend capable de mener une vie à la seule gloire de Dieu. La même séparation spirituelle vis-à-vis du monde est également requise ici, mais l’élément positif de la sainteté, qui consiste en la consécration totale au Seigneur, sera plus fortement souligné encore. Ici encore, gardons à l’esprit que l’idéal de la vie chrétienne ne doit jamais se confondre avec une progressive amélioration « morale ».

En voulant notre sainteté, Dieu insiste pour une vie totalement renouvelée et vécue dans une relation régie et contrôlée par son Alliance de grâce, pour son nom, en vue de son service. Le Christ est alors présenté comme l’exemple de notre sainteté.

À présent et à la lumière de ce qui précède, nous comprenons pourquoi le Christ a toujours été présenté comme le grand exemple du peuple de Dieu. Il est notre exemple, non simplement parce qu’il s’adonne au bien du prochain, mais en tant que le modèle à suivre qui, par son indéfectible obéissance, a parfaitement satisfait à la volonté du Père, de manière substitutive, en vue de notre salut.

Ce salut, il l’offre à son Église, par son Esprit, qui désormais nous rend capables de mener une existence par la foi et d’obéir aux saints commandements de Dieu. Le Christ est notre idéal parce qu’il a obtenu la vie nouvelle pour nous, il nous a montré le modèle à suivre et il nous accorde l’Esprit Saint pour vivre pour la seule gloire de Dieu.

Ceci explique également ce que saint Pierre écrit : « C’est à cela, en effet, que vous avez été appelés, parce que Christ lui aussi a souffert pour vous et vous a laissé un exemple, afin que vous suiviez ses traces » (1 Pi 2.21). De même, saint Paul exhorte les chrétiens de Philippe : « Ayez en vous les pensées qui étaient en Jésus-Christ » (Ph 2.5). Une telle ressemblance avec le Christ signifie bien plus qu’une simple imitation du Christ (celle dont nous parlerons plus loin en abordant le paragraphe consacré à la décision éthique).

Notre vie consiste à nous conduire en un rapport continu et dépendant de Dieu par l’intermédiaire du Christ, au moyen de sa grâce rédemptrice, en une entière consécration au service de Dieu.

9. Le progrès dans la vie chrétienne🔗

Cette vie nouvelle se révèle-t-elle déjà sur terre? Est-elle visible? Se distingue-t-elle vraiment de la vie du commun mortel? Rappelons que nous vivons par la foi et non par la vue. Ce changement et cette transformation seront clairement visibles lorsque nous passerons de la vie présente à celle de gloire, lors de l’avènement du Seigneur, quand le Royaume sera définitivement installé sur terre. Actuellement, elle est cachée en Christ. Mais cette connaissance nous incite déjà à rechercher les choses d’en haut (Col 3). Cette connaissance nous prépare à assumer dès maintenant une vie transformée, radicalement différente de celle de l’incroyant. Libérés par le Sauveur, nous devons vivre sur cette terre comme des personnes libérées. Nous cherchons à accomplir la volonté de Dieu; nous nous tenons pour morts au péché sachant que le pouvoir du péché a été vaincu par le Christ. Nous n’atteignons certes pas la perfection, mais nous constaterons quand même une différence entre nos désirs charnels passés et nos affections sanctifiées présentes (Ph 3.12).

Si notre foi est réceptive, elle est aussi active. Elle court pour saisir, puisqu’elle a été saisie par le Christ. Notre activité ne complète pas davantage l’œuvre du Christ que fait notre foi ou même le Saint-Esprit! Notre activité nouvelle, elle aussi à son tour, est le don de Dieu. Tout vient de lui, le vouloir et le faire. Mais parce que nous savons que nous ne sommes pas parfaits, nous nous efforçons d’aller toujours plus loin dans la recherche de la sanctification, de progrès en progrès, franchissant de nouvelles étapes dans la course. La vie dans la foi devra être celle d’une course constante et d’un progrès qui ne se décourage jamais.

À cause des promesses reçues de Dieu, nous combattrons le péché qui est en nous (2 Co 7.1). L’apôtre parle même d’un progrès de gloire en gloire (2 Co 3.18). Jude de son côté indique l’édification de nous-mêmes sur notre très sainte foi (Jude 20; voir aussi 2 Pi 3.18). Ainsi que nous l’avons dit plus haut, même ce progrès est le don, le charisme de Dieu. Son Esprit et sa Parole nous permettent d’avancer. Connaissant la grâce qu’il nous a faite, nous cherchons à lui plaire (1 Th 4.1). Nous n’avons pas de raison de nous glorifier comme le faisaient les pharisiens avec leur propre justice. Notre devoir est de rester reconnaissants pour la bonté du Seigneur. Car nous avons tout pleinement reçu de lui.

Prenons garde à ce que notre reconnaissance ne soit pas feinte. La vraie reconnaissance exclut tout sujet d’orgueil, notre vie dans la foi est le don renouvelé de Dieu. Et puis, même nos œuvres les meilleures restent encore entachées de péché, elles sont imparfaites.

Si nous avons parlé du progrès dans la foi et la vie de soumission, est-ce dire que nous aurions sauté l’étape de la justification et de la rémission des péchés? Nullement. Car le fondement même d’un tel progrès normal est précisément la rémission de nos fautes. À mesure que nous avançons, nous apprenons combien nous sommes loin de la sanctification; aussi la sanctification reste-t-elle dépendante de la justification.

Progrès dans la foi ne signifie nullement perfectionnisme, la maîtrise d’une méthode qui serait infaillible, nous permettant un progrès sans faille, évitant tous les zigzags. Dieu qui nous dirige ne nous laisse heureusement pas livrés à nous-mêmes, à notre zèle ou dans nos défaillances! Ainsi que le dit avec une grande psychologie spirituelle le Catéchisme de Heidelberg, « même les plus saints aussi longtemps qu’ils sont dans cette vie n’ont qu’un petit commencement d’obéissance ».

Mais l’œuvre du Christ devra apparaître déjà dans la vie présente. Le changement qu’il a opéré doit être visible. Ce changement intervenu s’appelle ou bien sanctification ou bien régénération. Nous avons traité amplement de ces sujets dans notre Essai sur le Saint-Esprit et l’expérience chrétienne. Ici même, nous n’avons qu’à donner un rapide aperçu.

Rappelons que la régénération est au début de la vie nouvelle et que la sanctification est le prolongement de la nouveauté dans la vie quotidienne. La régénération a le sens de l’opération du Saint-Esprit, aussi est-elle à la racine même de la foi. Gardons-nous de l’idée d’après laquelle la sanctification progresserait à la manière d’un processus biologique, comme si elle fût une activité propre de l’homme. La sanctification est, nous l’avons dit, entièrement l’œuvre de Dieu, comme l’est notre justification.

Que veut dire que le Christ est notre sanctification? Obtenue à la croix (objective), elle est aussi cette opération en nous dont nous avons mentionné la réalité indubitable (subjective). Cependant, il s’agit de la même sanctification. Le Saint-Esprit ne fait qu’appliquer cette sanctification obtenue par le Christ dans notre vie. Ce progrès peut également se dire une conversion continue.

La sanctification est en rapport avec le renouvellement de notre vie. Mais la sanctification implique aussi une conversion continuelle. La conversion nous est nécessaire même après notre régénération pour prouver et pour signaler que nous avons rompu avec le monde et le péché. Notre rédemption est complète si nous avons la foi en l’œuvre du Christ. Et si notre foi est vraie, alors elle se manifestera par notre conversion. Nous chercherons les choses d’en haut, nous vivrons comme les sujets du Royaume de Dieu.

Une telle conversion ne nous arrache pas aux réalités terrestres; elle ne nous détache pas du monde; elle ne nous dispense pas de nos obligations matérielles, physiques, naturelles, normalement dues à notre existence terrestre. Il faut nous garder d’un faux désir des choses d’en haut et d’une nostalgie du ciel qui s’imagine qu’il nous délivrerait de notre condition humaine. Car Dieu est aussi bien Créateur des cieux que de la terre. Il nous a créés non comme des âmes désincarnées, mais comme des corps animés par le souffle de son Esprit. Si le monde est encore soumis au pouvoir de l’adversaire, la puissance de Dieu empêche que son peuple y soit assujetti et anéanti. Le Christ est venu libérer non pas de simples âmes, mais nos personnes, afin de restaurer le monde, l’univers tout entier, le restituer intact, ou plutôt entièrement renouvelé, aux mains de Dieu, le Père. Le croyant qui vit dans le siècle présent, à partir de sa conversion, y séjourne de manière différente de la manière dont il se comportait avant sa conversion. Sur terre, il est comme un étranger et un voyageur (Hé 11.13). Il doit tenir compte des priorités. Le Royaume est le but suprême, mais le Royaume n’efface pas le monde, pas plus qu’il n’annule ses obligations terrestres, la mission reçue pour cultiver la terre et la faire fructifier.

Notre vie régénérée sera donc une vie de conversion continuelle, jusqu’à la fin de notre existence terrestre. L’expérience d’une première conversion ne nous épargnera pas celle d’une conversion continue, comme si la première conversion fut définitive, complète. Nous savons combien nous sommes pécheurs aux yeux de Dieu; chacun de nos actes peut devenir le symbole, le signe, que le péché veut encore nous entraîner vers le mal, nous asservir au Malin. Nous devons remporter toujours à nouveau la victoire sur le péché et sur notre vieille nature charnelle.

La repentance, elle aussi, sera le signe de la nouveauté de vie, car le vieil homme en nous est mort afin que l’homme nouveau puisse apparaître. Nous nous convertirons en nous repentant pour être des pécheurs. La repentance, elle aussi, durera aussi longtemps que nous reconnaîtrons notre nature de péché. Elle marquera notre rupture avec le mal. Elle exigera même la réparation du mal que nous aurions accompli publiquement (Lc 19.1-10). Nous chercherons à faire tout pour montrer que nous avons abandonné la vieille nature pour passer à l’état d’homme régénéré. Lutter contre le vieil homme requiert de notre part nombre de sacrifices. Le Christ a demandé d’arracher notre œil s’il causait du scandale ou de couper notre main si elle nous induisait au mal (Mt 5.29-30). Certes, le péché est niché dans les recoins les plus profonds, les plus intimes de notre pensée (Mt 15.19). Mais le Seigneur nous demande de prendre garde à tout ce qui risque de devenir un obstacle sur la voie du progrès et de la sanctification.

Nous aurons à nous exercer à une saine ascèse (ces deux termes sont en réalité une tautologie, mais expriment clairement ce que nous entendons par cette discipline spirituelle que nous devons sans arrêt nous imposer). Même ce qui est bon en soi pourrait parfois devenir un obstacle à notre progrès. Celui qui court dans le stade doit se débarrasser de lourds habits, pour pouvoir avec une grande aisance courir et remporter le prix. La vie dans la foi requiert des sacrifices volontaires, même de ce qui à nos yeux serait légitime.

10. Le combat de la vie chrétienne🔗

La vie dans la foi est un continuel développement. Elle ne s’arrête que lorsque, au-delà de la vie présente, dans la chair, le chrétien est reçu dans la gloire céleste et qu’enfin il atteint la perfection à laquelle il est destiné. Ne nous imaginons pas que ce développement se déroule de manière régulière, automatique, sans interruption. D’une année à l’autre, d’une circonstance à une autre, le degré ou l’intensité peuvent en varier. Telle circonstance pourrait peser lourd sur nous. La vie et l’exemple des personnages bibliques nous le montrent bien et éclairent notre propos.

Le Nouveau Testament nous exhorte cependant à mener le combat de la foi. De très nombreux textes bibliques nous rappellent le pouvoir, certes non ultime, mais redoutable que le péché exerce encore sur nous. Bien que le Christ ait parfaitement obéi comme notre Substitut à la loi et nous ait délivrés de sa malédiction, nous apercevons toujours les vestiges du péché. Or, le Christ ne nous délivre pas simplement du pouvoir du mal, mais il crée aussi en nous la nouveauté de vie. Nous sommes appelés à être parfaits comme notre Père céleste est parfait. Saint Jean écrivait : « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous », et surtout, « nous faisons Dieu menteur » (1 Jn 1.8,10)!

La lettre aux Hébreux nous exhorte à nous défaire du fardeau du péché qui nous environne de toutes parts (Hé 12.1). Bien qu’ayant reçu une identité nouvelle, il nous advient, peut-être par nostalgie irresponsable ou convoitise charnelle, de faire des incursions illicites dans les vieux territoires où le péché a encore son dernier mot et règne en maître incontesté! Bien que totalement renouvelés et créés à l’image de Dieu, nous succombons si souvent à l’attrait de la convoitise et aux séductions des idéologies anti-chrétiennes. Cependant, plus notre vie nouvelle atteint la maturité, plus elle porte des fruits à la gloire de Dieu et tout en conformité avec sa sainte volonté. La présence du péché autour de nous et la lutte par la foi signifient donc que nous aurons à nous opposer constamment au mal.

Ce mal peut être de nature individuelle ou collective. Le péché se cantonne autant dans le cœur de l’homme que dans les institutions et structures sociales. Il détruit la vie privée et démantèle et désagrège la vie du foyer. Il prend plaisir à l’injustice qui devient la norme, les méchants écrasent les faibles. Il faudra le haïr de toute notre force et le combattre sans relâche. L’impureté dans laquelle tant d’hommes se vautrent, la convoitise qui attise des conflits et oppose les hommes, des groupes et des peuples les uns aux autres, l’avarice qui est signe de la stérilité du cœur et de l’incrédulité envers Dieu, l’anarchie qui s’oppose à la discipline personnelle, familiale, sociale, politique, ne sont que des formes du mal et des expressions du péché qui naissent dans notre esprit.

La vie dans la foi luttera autant contre la paresse et l’égoïsme personnels que contre les fléaux sociaux, sans jamais oublier que le terrain propice où le mal se développe est bien le cœur humain. Nul d’entre nous ne serait un bon soldat du Christ s’il n’apprenait à lutter contre la forteresse intérieure, cette cinquième colonne, le péché niché, installé confortablement et sans entrave dans notre propre esprit. Si nous en étions tous exempts et personnellement affranchis, il est certain que les fléaux sociaux disparaîtraient aussi dans une très large mesure.

Menons donc le bon combat, d’abord contre les résidus d’un monde révolu, en décadence, quoique résistant à Jésus-Christ et rebelles à son autorité. Nous sommes appelés à une constante réforme de notre manière de vivre et de nous conduire. C’est à cette condition-là que nous grandirons dans sa grâce. Un tel combat n’est pas une simple affaire de stratégie personnelle; Dieu nous équipe en vue de la lutte et nous arme de ses armes spirituelles. Par elles, nous surmonterons les ruses du diable et vaincrons tous ses vilains stratagèmes (Ép 6.10-20; Ap 2.7,10-11,17,26-28; 3.5,12,21).

11. La dynamique de la vie chrétienne🔗

Comment faire en sorte que notre vie dans la foi se maintienne et se développe? Qui est en mesure de nous secourir dans notre combat spirituel, livré chaque jour?

Pour l’Écriture, le pouvoir qui résistera en nous au péché et qui nous permettra de croître dans la connaissance de la grâce du Seigneur nous est accordé par le Saint-Esprit. Non seulement l’Esprit a créé la vie nouvelle, mais encore il la maintient, la nourrit et l’amène à son parfait accomplissement. Sans lui, nous ne pourrions rien accomplir, car il est l’Esprit du Christ qui nous communique les bénédictions et les grâces qui nous ont été acquises lors de la rédemption.

Nous renvoyons le lecteur au paragraphe 7 plus haut traitant du rôle spécifique de l’Esprit dans la naissance de la vie chrétienne.

Si le chrétien a bien saisi la portée de cette opération essentielle, il priera pour que l’Esprit l’habite, il prêtera attention à son enseignement, au Docteur par excellence de l’Église, il suivra ses directives. Ce n’est que grâce à l’Esprit que notre vie spirituelle sera réelle et s’épanouira régulièrement, pour permettre donc une vie chrétienne normale et surtout agréable à Dieu, ce qui est précisément sa raison d’être.

Notes

1. J. Calvin, L’Institution chrétienne, édition abrégée en français moderne, P.B.U., Lausanne, 1985, III/6.1-5, p. 110-112.

2. Nous avons développé cette idée dans notre Essai sur le Saint-Esprit et l’expérience chrétienne.