Cet article a pour sujet la vie et le ministère de l'apôtre Paul, ses origines, sa conversion, sa vie d'apôtre, ses voyages missionnaires, son apostolat, son tempérament, ses épîtres, la fin de sa vie.

Source: Introduction au Nouveau Testament. 14 pages.

La vie et le ministère de l'apôtre Paul

  1. Introduction
  2. Les origines de Paul
  3. La conversion
  4. La vie apostolique
    a. La première période : Damas et Jérusalem
    b. Le premier voyage missionnaire (Ac 13.1 à 15.35)
    c. Le concile de Jérusalem (Ac 15.1-29)
    d. Le deuxième voyage missionnaire (Ac 15.36 à 18.22)
    e. Le troisième voyage missionnaire (Ac 18.23 à 21.14)
    f. La période d’emprisonnement (Ac 21.15 à 28.30)
    g. La fin de Paul
    h. Résumé des événements de la vie de Paul
  5. Paul l’apôtre
    a. Paul fait valoir son apostolat
    b. Le sens du terme apôtre
  6. Le tempérament de Paul
  7. L’auteur des lettres

1. Introduction🔗

De toutes les personnalités de l’âge apostolique, assurément saint Paul est celui qui brille d’un éclat exceptionnel. Son action et sa pensée ont été diversement interprétées par des adversaires modernes de la foi chrétienne. Ceux-ci n’ont pas pour autant pu résoudre le problème qu’ils créaient eux-mêmes de toute pièce. Les uns l’ont accusé d’avoir perverti le christianisme évangélique de Jésus. D’autres l’ont tenu pour le véritable fondateur du christianisme, en dépit du fait que l’intéressé lui-même se déclare disciple du Christ, voire son esclave. D’aucuns ont eu l’audace, pour ne pas dire l’imprudence, de soutenir qu’aucune des lettres portant son nom n’est authentique.

Néanmoins, aucun de ses critiques, même le plus virulent, n’a nié que Paul ait produit une impression déterminante non seulement durant sa propre époque, mais encore au cours des vingt siècles d’histoire chrétienne. En effet, qui d’autre que l’apôtre se serait donné la peine d’écrire et, dans le cas de l’hypothèse invraisemblable, de forger des lettres et de les signer personnellement? À l’heure actuelle, il est unanimement reconnu, aussi bien par des chrétiens que des non-chrétiens, qu’il laboura plus profondément pour ensemencer les grains de l’Évangile que personne d’autre en son temps, pas plus qu’après.

Les sources de nos connaissances sur sa vie et son apostolat sont principalement le livre des Actes des apôtres et ses propres lettres. Certes, des traditions déjà primitives nous donnent quelques renseignements sur lui. On peut y trouver quelques traits « authentiques », par exemple dans l’apocryphe Paul et Thecla, un document romancé datant du second siècle. Selon Clément de Rome, Paul aurait visité les extrémités de l’Occident, ce qui ne peut signifier que l’Espagne. On peut prêter foi à la tradition selon laquelle il aurait subi le martyre à Rome. À l’heure actuelle, les adversaires modérés de la foi orthodoxe admettront que les évidences provenant du 2siècle confirment fortement tout ce que Luc et Paul déclarent au sujet du grand apôtre des Gentils.

Dans notre introduction à ses treize lettres, nous avons exprimé la conviction selon laquelle les treize lettres du corpus paulinien sont sans exception de sa plume. Nous ne discuterons pas ici de l’authenticité de la lettre aux Hébreux qui, on le sait, soulève nombre de questions parmi même les théologiens conservateurs, sauf dans l’Église romaine pour laquelle elle ferait partie du corpus paulinien.

2. Les origines de Paul🔗

Qui est Paul pour ses contemporains? « Tu sais le grec? », lui demande le tribun qui l’arrête à Jérusalem en 58. « Tu n’es donc pas l’Égyptien qui, ces temps derniers, a soulevé quatre mille bandits et les a entraînés au désert? Moi, reprend Paul, je suis Juif, de Tarse en Cilicie, citoyen d’une ville qui n’est pas sans renom. Je t’en prie, permets-moi de parler au peuple » (Ac 21.37-39).

« Circoncis le huitième jour, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu fils d’Hébreu; pour la loi, pharisien » (Ph 3.5-6). Paul est né au sein d’une famille juive, fière de ses ascendances, fervent de la Torah. La date de sa naissance ne peut être précisée, mais on la suppose aux environs de l’an 10 de notre ère. On suppose que son père était un faiseur de tentes, comme le sera plus tard le futur apôtre. Sans doute, la famille est de condition aisée, puisqu’elle a pu envoyer ce fils étudier à Jérusalem. Elle avait également acquis la citoyenneté romaine.

Il est plus que probable que sa première initiation à la religion il l’a eue au domicile paternel. La loyauté de ses parents aux traditions judaïques est une chose remarquable et motive son orgueil. À l’âge de six ans, Paul a pu participer aux célébrations dans la synagogue et à son l’école d’instruction.

À Jérusalem, c’est Gamaliel, le grand rabbin Gamaliel, qui a été son maître à penser. On a supposé, se basant sur Actes 26.10, qu’il a pu être membre du Sanhédrin, mais ceci est peu vraisemblable du fait de son jeune âge. Il n’est pas davantage probable qu’au cours de sa jeunesse et de son séjour à Jérusalem il ait pu rencontrer Jésus. Ses lettres n’abondent nullement en renseignements sur la vie terrestre de notre Seigneur.

L’apocryphe Paul et Thecla, décrit l’apôtre comme un homme de petite taille et chauve; des jambes courbées, des sourcils rapprochés, un nez quelque peu camus. Selon ses propres dires, ses adversaires le présentent ayant une apparence physique chétive. Son discours, dit-on, est sans force (2 Co 10.10). Sa faiblesse physique est bien caractérisée dans l’expression « écharde dans la chair » (2 Co 12.7). L’écharde avec la référence de Galates 4.13-15 et 6.11 a été diversement interprétée; soit que Paul serait affligé d’un mal d’yeux, ou de la malaria chronique, ou d’autres troubles de la vue, ou des maux de tête, etc. En dépit de sa maladie indéfinissable, Paul eut le courage de surmonter des obstacles physiques extrêmement sérieux (2 Co 11.24-28). Il est, nous le verrons, doué d’une forte personnalité; persécuteur violent des chrétiens, il est ensuite apôtre parmi les plus zélés et enthousiaste du Christ, et aussi un adversaire sans concession des opposants et des faux frères (2 Co 11.13; Ga 5.12).

Dans ses lettres, il se présente toujours sous son nom de Paulos, même lorsqu’il se réclame de ses origines juives. Luc, dans le livre des Actes, a conservé le nom hébreu de Saul ou Saoul. Il ne parle de Paulos qu’après la rencontre de l’apôtre avec Sergius Paulus, le proconsul de Chypre (Ac 13.7-9). On ne peut en déduire que ce fut à partir de ce moment-là que Saul ait changé son nom hébreu en nom romain Paul. L’usage de deux noms, l’un d’origine ethnique, l’autre d’emprunt, surtout quand il s’agissait de nom latin, était courant dans l’antiquité.

Tarse, jadis, fut une ville prospère grâce à sa position géographique; bâtie non loin de la mer, elle disposait d’un port important sur le fleuve Cydnus. Elle recevait les caravanes venues d’Antioche en Syrie et, d’un autre côté, elle se trouvait en relation avec d’autres centres d’Anatolie. Tarse est renommée pour la fabrication de cilice, une rude étoffe faite de poils de chèvre pour les tentes des nomades. C’est dans l’atelier paternel sans doute que Saul a appris le métier de tisserand. C’est une ville active de près de 300 000 habitants où se mêlent comme dans tous les ports des éléments variés; elle est aussi un centre culturel important avec une université renommée.

Bien plus importante pour notre propos est l’appartenance de Paul à la Diaspora juive, la dispersion des Juifs dans les pays autour de la Méditerranée. Parlant de Jérusalem, il dira :

« C’est ici, dans cette ville, que j’ai été élevé et que j’ai reçu aux pieds de Gamaliel une formation stricte à la loi de nos pères. J’étais un partisan farouche de Dieu, comme vous l’êtes aujourd’hui » (Ac 22.3).

Dans ses lettres, Paul emploie à plusieurs reprises un terme, celui de zélé, qui prend tout son sens si on le rapproche d’un certain nombre de passages de l’Ancien Testament et de la doctrine des zélotes. Peut-on préciser les motifs qui ont conduit Saul à persécuter les partisans de Jésus de Nazareth? Est-ce l’idée qu’un crucifié ne peut être Messie, puisque par son supplice il est devenu un maudit de Dieu, selon Deutéronome 21.23, que Paul retournera avec habileté en Galates 3.13? Une telle explication ne permet pas de comprendre que la persécution vise les seuls hellénistes, et non les douze qui continuent à fréquenter le Temple. Proclamer Messie un supplicié, c’est un non-sens, pas un blasphème. Il n’y a blasphème que si le Crucifié a été condamné justement par les plus hautes autorités spirituelles de son peuple et n’a pas été simplement la victime d’une machination politique. Une raison plus grave encore semble avoir commandé l’attitude de Paul. Avec son génie théologique, il a dû percevoir déjà les conséquences extrêmes de l’attitude d’Étienne vis-à-vis du Temple. C’est tout le système de la loi qui se trouvait menacé et, par là même, la place d’Israël dans le monde, s’il est vrai que la loi assurait au peuple le cadre de son existence. La conduite de Paul suppose que le christianisme lui est apparu comme une apostasie par rapport à la loi, la foi chrétienne comme une négation de son idéal d’une stricte observance des prescriptions de la loi.

On ne peut dire que ses capacités physiques furent égales à celle de son esprit. Il étudia dans une école rabbinique, sans doute apprit-il le grec. Il mène une existence sans reproche. L’éducation reçue a développé en lui un sentiment de la majesté divine et de sa loi, au sens que la loi a été donnée pour renforcer le sentiment du péché. Le commandement qui était destiné pour la vie devint cause de mort.

Ce sentiment de l’échec intérieur dut stimuler davantage le zèle extérieur pour la loi. Il considéra le christianisme comme une imposture vulgaire et son devoir était de le persécuter. Il en est l’ennemi déclaré avant même le martyr d’Étienne.

3. La conversion🔗

La conversion de Saul le persécuteur est un moment décisif dans la vie de l’Église naissante, car ce sera bien lui qui étendra les frontières de celle-ci, loin, jusqu’aux extrémités connues du monde d’alors.

Le livre des Actes associe étroitement la persécution d’Étienne à la conversion du futur apôtre (Ac 8.1; 9.1-22); l’on peut presque déclarer que la prière d’intercession pour les bourreaux du premier martyre (Ac 7.59) a été vraiment exaucée. Au sujet de l’intervalle entre la mort d’Étienne et la persécution à Damas, l’on a une indication chronologique fournie par l’apôtre, dans Galates 1 et 2. Paul fixe un intervalle de trois ans, approximativement, entre sa conversion à Damas et son premier voyage à Jérusalem. Puis il indique un autre intervalle de quatorze ans avant le concile de Jérusalem. Les indications deviennent moins précises qu’on ne pourrait le croire, car selon la manière de compter des anciens, une année, même à peine commencée, vaut pour une année pleine. Le premier intervalle peut donc se réduire à deux ans et quelques mois et le second à treize ans environ. Il convient d’additionner ces deux chiffres pour obtenir la distance chronologique entre la conversion de Paul et le concile de Jérusalem. Or, en prenant pour point de repère le second voyage missionnaire de Paul et sa comparution devant Gallion, à Corinthe, on peut sans trop de risque la situer aux environs de l’an 48.

Malgré certaines objections, ce repère reste sûr; la comparution de Paul devant Gallion (Ac 18.12-17), dont le proconsulat à Corinthe est daté par une inscription de Delphes de 51-52 (ou 50-51) place le séjour de Paul à Corinthe entre l’hiver 49-50 et l’été 51. Les autres repères proposés sont moins sûrs : le règne d’Arétas IV de 9 à 39, la mort d’Hérode Archélaüs en 44, l’expulsion des Juifs de Rome en 49-50, le changement de procurateur en Judée en 59-60. Avant 50, la datation et la succession même des événements ne sont pas toujours sûres, mais il n’y a pas lieu de mettre en doute la réalité des événements rapportés par les Actes. En soustrayant la durée maximale de 17 années, on aboutira pour la conversion à une date aussi haute que 31. Cependant, pareille hypothèse est des plus improbables, car il a fallu du temps pour que le christianisme pénètre jusqu’à Damas et que Jérusalem puisse s’en émouvoir. Compte tenu de l’élasticité des données de Paul, une date voisine de 33/34 semble la plus vraisemblable comme date de conversion.

Le livre des Actes nous a réservé trois récits de la conversion de Paul, l’un dans Actes 9.1-19, les deux autres sous forme de discours de défense où Paul présente sa défense devant les Juifs de Jérusalem (Ac 22) et devant le gouverneur Festus et le roi Agrippa (Ac 25 et 26). Luc, l’auteur, met en valeur le rôle d’Ananias, chargé d’introduire l’apôtre dans la communauté chrétienne. Dans sa défense devant les chefs juifs, Paul insiste pour rappeler son passé de Juif zélé. Il distingue la vision de Damas de celle au Temple où il reçoit l’ordre de prêcher aux nations païennes (Ac 22.21). Devant Festus et Agrippa, Paul ne parle pas d’Ananias. Aussitôt après sa conversion, le persécuteur d’hier se transforme et se manifeste comme prédicateur combatif (Ac 9.22).

Pour une raison que nous ignorons, Paul décide alors de se rendre en Arabie. Il n’y a pas à songer à un pèlerinage au Sinaï, le mot Arabie désignant tous les territoires situés à l’est du Jourdain, les uns soumis à l’autorité de Rome, les autres dépendant d’Arétas IV, roi des Nabatéens. On se rappelle que les communautés juives étaient nombreuses en Transjordanie et l’on pense que, pendant deux ans environ, Paul a cherché à les gagner à la foi nouvelle. On a pensé qu’il s’est rendu indésirable par l’agitation que provoquait sa prédication. Quand il revient à Damas, l’ethnarque du roi Arétas veut le faire arrêter. Le fait surprend, car la ville de Damas dépendait alors de Rome. Aussi faut-il se représenter l’ethnarque comme le responsable de la colonie nabatéenne, groupée dans un quartier spécial de Damas. Pour échapper à la surveillance, Paul se fit descendre le long du rempart dans une corbeille (Ac 9.23-25).

Après trois jours passés à Damas, le futur apôtre des Gentils est baptisé par Ananias (Ac 9.18). À présent, en tant que membre de l’Église du Christ, il se met à proclamer dans les synagogues que Jésus est le Fils de Dieu. Jamais le grand choc mental ou psychologique qu’il a subi après son chemin de Damas ne le contraindra à un repos. Après son séjour en Arabie avec des forces nouvelles, il retournera à Damas. La communauté juive complote contre lui et alors il décide de se rendre à Jérusalem. Il y restera une quinzaine de jours et fera la connaissance de Pierre, mais en accord avec sa stratégie missionnaire, sans consulter ni la chair ni le sang et n’ayant vu aucun autre apôtre, si ce n’est Barnabas, il ne cherchera pas à bâtir là où d’autres l’avaient précédé.

Paul n’a pas écrit des mémoires à la manière des modernes. Il est apôtre et non chroniqueur. Sa préoccupation c’est l’annonce de l’Évangile et, s’il fait des retours dans le passé, la raison en est que les circonstances l’exigeaient.

4. La vie apostolique🔗

a. La première période : Damas et Jérusalem🔗

Après la conversion s’ouvre une période très imparfaitement connue. C’est alors que Paul se décida à se rendre à Jérusalem (Ga 1.18) pour faire la connaissance de Céphas. Le verbe employé ici (« historein ») s’emploie pour une enquête ou pour une visite d’un monument. Pierre et Paul en conversation à Jérusalem avaient autre chose que des banalités à échanger. On imagine la confrontation de leur expérience et le désir de Paul de mieux connaître les paroles de Jésus de Nazareth.

La communauté chrétienne de Jérusalem n’a pas semblé très chaude pour accueillir l’ancien persécuteur. Heureusement, Barnabas put faire reconnaître l’authenticité de sa conversion et le présenter aux frères où Pierre n’est pas mentionné. On n’en invita pas moins Paul à regagner sa patrie. C’est là que Barnabas saura le chercher en temps utile.

b. Le premier voyage missionnaire (Ac 13.1 à 15.35)🔗

Appelé par Barnabas à venir l’aider à Antioche, Paul occupa une position de pointe dans cette Église importante (Ac 11.25-26). L’année suivante (46), il a été envoyé avec Barnabas vers des chrétiens nécessiteux de la Palestine (Ac 11.30). Après cela, le Saint-Esprit met à part les deux amis en vue d’une évangélisation précise de tout l’empire (Ac 13.2). En compagnie de Jean-Marc, il se dirige vers Chypre où ils remportent un succès par la conversion de Sergius Paulus, le proconsul romain (Ac 13.6-12). À Chypre, Paul se heurta à un magicien d’origine juive nommé Bar-Jésus, surnommé Élymas.

Ensuite, ils se mirent à naviguer vers Perge, sur le continent et, bien que Jean-Marc les ait abandonnés, Paul prêcha avec hardiesse l’Évangile au sud de la Galatie. Paul persista à prêcher à des Juifs. Ils lui répondront en le chassant d’une ville à une autre. Les missionnaires ont trouvé que partout les prosélytes les écoutaient avec joie et que même les païens montraient leur désir d’écouter l’Évangile. Les dangereux périls des missionnaires ne furent pas en vain. Des Églises ont été fondées en Pisidie, à Antioche, à Iconium, à Lystre, à Derbe et sans doute ailleurs (Ac 13 et 14). Il devenait clair que Dieu avait ouvert parmi les Gentils des portes pour la foi et que Paul avait une vocation spéciale à convertir des hommes étrangers à sa race.

c. Le concile de Jérusalem (Ac 15.1-29)🔗

L’influence de Paul se faisant grandement sentir, son apostolat reçoit une nouvelle reconnaissance. Une révélation (Ga 2.2) le dirige d’Antioche à Jérusalem où il exposera devant les apôtres l’Évangile qu’il prêche aux païens. Ce fut un temps de crise aiguë. Certains judaïsants convertis des premiers apôtres maintenaient que les promesses de l’Évangile appartenaient exclusivement à ceux qui continuaient toujours à observer la loi de Moïse. Paul, lui, soutient la justification de tous les païens qui croient en Jésus sans se placer sous le régime de la loi. Il s’est bien rendu compte que, si les Gentils devaient subir la circoncision, alors, au préalable, il leur fallait se convertir au judaïsme et ensuite seulement à l’Évangile de la grâce. Mais alors l’Évangile devenait tout à fait secondaire. Les colonnes, c’est-à-dire les principaux des apôtres, le soutinrent. Ils lui donnèrent la main droite de communion et il rentra à Antioche avec la liberté complète pour agir comme le chef de la mission parmi les incirconcis. Ainsi, tout risque de faire de la foi en Christ une secte juive était évité.

d. Le deuxième voyage missionnaire (Ac 15.36 à 18.22)🔗

Luc, l’auteur du livre des Actes, rend compte de cette période marquée par le plus grand succès. C’est au cours de celle-ci que Paul rédigera les deux lettres aux Thessaloniciens, les premières à être rédigées, et verra l’extension de la mission sur le continent européen. Cette période débuta cependant par un fâcheux incident, la rupture entre Paul et Barnabas, occasionnée par le refus de Paul d’engager à leurs côtés le jeune Jean-Marc, qui les avait abandonnés à mi-chemin en cours de route (Ac 15.36-39). Par la suite, nous apprenons qu’il se sera réconcilié avec celui-ci. En compagnie de Silas, un chrétien juif, citoyen romain, il revisite les Églises fondées lors du premier voyage missionnaire. À chaque étape, les décisions du concile de Jérusalem seront fidèlement communiquées (Ac 16.4-6).

À Lystre, Paul prend pour assistant un jeune nommé Timothée qu’il fit circoncire parce qu’il était de père grec (Ac 16.1-3). Le Saint-Esprit lui interdit de prêcher en Asie et Paul reçoit la vision de se rendre en Europe (Ac 16.6-10). À Troas, il est rejoint par Luc qui, désormais, rapportera les récits comme témoin oculaire, car c’est à partir de ce passage que l’auteur du livre des Actes emploie le pronom personnel « nous » (Ac 16.10). Ils partiront tous pour la Macédoine et prêcheront dans la grande ville de Philippe. À l’exception d’Antioche, Paul n’avait pas encore prêché dans aucune grande métropole. Désormais, il ne se rendra que dans de grands centres urbains. Cependant, c’est ici que, pour la première fois, il rencontrera une opposition sévère de la part des autorités civiles. L’opposition qu’il rencontrera davantage à Éphèse ne sera pas le fait de l’hostilité du gouvernement local ni même ne sera de nature religieuse, mais sera déclenchée par des artisans et orfèvres de la ville qui fabriquaient des statuettes en l’honneur de la déesse Diane (Artémis). Ce sont des gens dont les intérêts matériels risquent de subir de sérieux préjudices du fait de la prédication de l’Évangile. À Thessalonique et à Bérée, où il se rendra par la suite, Paul gagnera des convertis malgré l’opposition et la persécution de la part des Juifs (Ac 17.1-15).

Depuis Bérée, il se rendra à Athènes, grand centre culturel et intellectuel de la Grèce où il délivrera son célèbre discours sur la colline de Mars, l’Aréopage (Ac 17.16-34). Un membre de cette haute cour se convertit, mais les intellectuels d’Athènes ne semblent pas suffisamment se rendre compte de leur échec moral pour prêter sérieusement oreille à l’annonce de l’Évangile.

La grande ville de Corinthe, capitale commerciale de la Grèce, lui offrira un champ différent (Ac 18.1-18). La ville était célèbre pour la dissolution des mœurs; la richesse des uns et la misère des autres s’y côtoient. Pendant son séjour, Paul vécut comme un pauvre avec les pauvres; il décida de ne prêcher que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié. Protégé par la loi romaine, il y gagnera des convertis y compris des personnes de distinctions. C’est d’ici qu’il expédiera ses deux lettres aux Thessaloniciens. Le deuxième voyage missionnaire se termine par une visite à Jérusalem.

Ce fut probablement peu après qu’un incident montra la vitalité du parti judaïsant semant le trouble dans les Églises. Ces judaïsants ne niaient plus la validité de la conversion des païens, mais ils tenaient ceux d’origine juive à un niveau supérieur. Pierre, en quittant Jérusalem pour se rendre à Antioche, de peur d’offenser ces partisans du judaïsme chrétien, leur devient complice et refuse de manger avec des convertis païens. Paul le réprimandera sévèrement (Ga 2.11) pour se comporter de façon contraire à ses propres convictions. Certains interprètes estiment que l’incident eut lieu plus tôt, peu avant le concile de Jérusalem. On débat encore de la question de savoir si durant ce deuxième voyage Paul rendit visite ou non au nord de la Galatie, le pays des Phrygiens et des Galates (Ac 16.6). La Galatie recouvre un territoire connu sous des noms différents qui s’étend d’Iconium à Antioche de Pisidie, phrygienne au point de vue ethnique, mais galate au point de vue administrative.

e. Le troisième voyage missionnaire (Ac 18.23 à 21.14)🔗

Les judaïsants prendront leur revanche en visitant des Églises fondées par Paul ou en envoyant des lettres de recommandation; prétendant qu’ils représentent les premiers apôtres, ils vont calomnier Paul et dénoncer son enseignement. Pendant ce temps, ce dernier rend visite à la Galatie et la Phrygie (Ac 18.23), fait un long séjour à Éphèse (Ac 19) et se rend encore en Macédoine et en Grèce (Ac 20.1-6). Durant ces quelques années, l’apôtre atteint le sommet de sa puissance. Contraint contre sa volonté à s’engager dans la controverse, il écrira quatre épîtres : 1 et 2 Corinthiens, Galates et Romains, qui sont, à n’en pas douter, parmi les plus grands chefs-d’œuvre de toute la littérature classique. La période fut très difficile, mais sans cesse on le verra surmonter les crises des plus aiguës. Selon Actes 19, nous apprenons l’histoire dramatique d’un soulèvement par des professionnels du temple d’Artémis (Diane).

En quittant Éphèse, il apporte l’Évangile à Troas, visite de nouveau la Macédoine, l’Illyrie, la Grèce, fait de Corinthe son objectif principal. Il avait antérieurement visité en tristesse l’Église qui lui causait tant de soucis (à partir d’Éphèse, 2 Co 2.1; 13.1-2). Il est contraint d’y retourner en raison de nouvelles controverses. Ces controverses occasionnent à l’apôtre une grande anxiété, quoique la deuxième aux Corinthiens montre que son anxiété fut en partie soulagée avant qu’il quitte la Macédoine; il continue son voyage et arrive à Corinthe à la fin de 55. Il y restera trois mois (Ac 20.3). C’est durant ce séjour-là qu’il rédigera sa lettre aux Romains. Souhaitant se rendre en Syrie, un complot juif l’empêche de prendre la destination de la Syrie. Il fait alors le tour par Philippe où il passera la Pâque de 56 et traverse Troas. Luc décrit ces périples dans Actes 20 et 21.

f. La période d’emprisonnement (Ac 21.15 à 28.30)🔗

À Jérusalem, Paul rencontre une réception amicale de la part de Jacques et des anciens (Ac 21.17-18), ce qui prouve qu’il n’y avait pas de conflit entre les principaux conducteurs de l’Église, bien que des partisans de ceux-ci puissent avoir des divergences. Reconnu dans le Temple par un certain Juif d’Asie, l’apôtre est attaqué par une foule hostile (Ac 21.27-36) et, après s’être défendu dans un discours devant le peuple (Ac 21.37 à 22.29) et un autre devant le Sanhédrin (Ac 22.30 à 23.10), il sera expédié au procurateur romain Félix à Césarée (Ac 24).

Paul était citoyen romain. Les procurateurs romains eux, dans l’espoir d’un gain morbide, sont plutôt disposés à le livrer aux mains des Juifs. Finalement, pour échapper à ce risque, Paul décide de faire appel à l’empereur, ce que le gouverneur romain ne pouvait plus refuser (Ac 25.9-12; 26.32). Le voyage à Rome a été décrit par Luc avec une remarquable précision (Ac 27 et 28), qui ne manque pas de pittoresque et montre aussi combien Paul peut, dans des circonstances les plus alarmantes, manifester son ascendant sur ses compagnons de voyage, même païens.

À Rome, les chefs conducteurs juifs l’abandonneront. Il y restera jusqu’en l’an 61, vivant, sous surveillance policière, dans une maison qu’il aura louée (Ac 28.16-31). De cette période datent ses lettres dites de captivité : Colossiens, Philippiens, Éphésiens et Philémon. La tendresse et le dévouement exprimés, comme aussi son autorité et son humilité, sa conception de la foi en l’Évangile montrent que l’apôtre emprisonné gagnait en force, au lieu d’en manquer.

g. La fin de Paul🔗

Paul est libéré de ce premier emprisonnement, comme il l’espérait (Ph 1.26 et 2.24). Il avait longuement souhaité visiter l’Espagne (Rm 15.28). Bien que ses lettres ne rapportent pas le fait, Clément de Rome, en 95, dit que Paul dut se rendre jusqu’aux extrémités du monde, ce qui, pour un auteur romain, signifie l’Espagne. Des lettres à Timothée et à Tite, nous apprenons qu’il retourna en Orient. Sa dernière lettre, la deuxième à Timothée, est écrite durant l’hiver, après la première étape de son procès. Il avait récemment été à Troas et en Crète, sans doute à Milet et à Corinthe. La première à Timothée fut sans doute rédigée depuis la Macédoine, en route pour Corinthe; celle à Tite, depuis Corinthe, pendant qu’il s’attend à passer l’hiver suivant à Nicopolis, en face d’Italie. Il est probable qu’il fut arrêté après la rédaction de sa lettre à Tite.

Selon la tradition de l’Église primitive, il serait décapité près de Rome, sur la voie ostienne, à proximité de l’emplacement actuellement occupé par la basilique de saint Paul. La basilique, dit-on, contient sa tombe, marquée par une inscription datant du 4siècle. L’année de sa mort fut probablement 64.

Aucun chrétien au cours de l’histoire n’a accompli autant en l’intervalle de 28 années que Paul, le converti du chemin de Damas, le grand apôtre des païens, le témoin et le disciple fidèle du Christ.

h. Résumé des événements de la vie de Paul🔗

10 - Naissance
Élève à Tarse
34-35? - Conversion
Séjours en Arabie pendant trois ans
37 - Première visite à Jérusalem
49-50 - Écrit la première aux Thessaloniciens
50-51 - Rencontre avec Gallion à Corinthe
50-51 - Concile de Jérusalem
52-54 - Éphèse
53-55 - Écrit Galates, 1 Corinthiens, Philippiens
55-56 - À Corinthe
55-58 - Écrit la lettre aux Romains
62 ou 64 - Exécuté à la fin de son emprisonnement à Rome

5. Paul l’apôtre🔗

a. Paul fait valoir son apostolat🔗

Nous avons déjà noté que Paul se réfère à lui-même toujours comme « apôtre de Jésus-Christ, par la volonté de Dieu ». Il soutient, souvent avec une rare véhémence, que sa mission ne lui fut pas confiée par l’intermédiaire d’un homme, mais fut reçue par la révélation même de Jésus-Christ (Ga 1.1,12). Comme preuve de son apostolat, il offre l’existence même des Églises qu’il a établies (1 Co 9.2) ainsi que les « signes et merveilles » que ses convertis ont constatés parmi eux (2 Co 12.12). En sa qualité d’apôtre, il a droit de bénéficier du soutien matériel des Églises, quoique lui-même préférait ne pas présenter cette revendication de peur qu’il ne soit suspecté de motifs matérialistes (1 Co 9.4-18; 2 Co 11.7-11; 1 Th 2.6-9).

Il parle de sa qualité d’apôtre de façons diverses, mais invariablement son accent principal sera placé sur la prédication de l’Évangile. C’est à elle qu’est subordonnée l’administration des sacrements : « Christ ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour prêcher l’Évangile » (1 Co 1.17). Il parle de « l’Évangile que vous avez entendu parler dont moi Paul je suis devenu ministre » (Col 1.23 et 25). En passant en revue toute sa carrière pour informer les chrétiens de Rome, il résume :

« Je n’oserais rien mentionner que Christ n’ait fait par moi, pour amener les païens à l’obéissance, en parole et en œuvre, par la puissance des signes et des prodiges, par la puissance de l’Esprit » (Rm 15.18-19).

À Athènes, Paul est pris pour un propagateur de divinités étrangères. Des adversaires malveillants font de lui un agitateur politique. Il fait l’écho de toutes ses accusations et il s’en défend avec vivacité, dans la première lettre qu’il a écrite (voir 1 Th 2.5-8).

Les penseurs grecs auraient utilisé le terme de crieur public, « kérux », ou de sentinelle, « katascopos ». Paul leur préfère « apostolos », l’apôtre, l’envoyé. Il a mis en valeur la spécificité de sa fonction apostolique en se présentant comme prophète du Christ, ministre de la Nouvelle Alliance, dans l’Esprit (voir spécialement le préambule de la lettre aux Romains). « Klétos apostolos » exprime l’essentiel. Comme les prophètes jadis, et les douze en Galilée, Paul a fait l’objet d’un choix gratuit et bénéficie d’un appel en vue d’une mission toujours plus vaste.

En écrivant à des communautés fondées par lui, Paul n’avait pas à redire les circonstances de son appel, d’autant que par une pudeur de bon aloi il se montrait très discret sur les grâces dont il fut l’objet. Pourtant, il eut des circonstances où la nécessité de la prédication ou la polémique l’obligeaient à redire l’originalité de sa mission. En voici les passages essentiels : 1 Corinthiens 9.11 et 15.1-11; Galates 1.11-17; Philippiens 3.4-16; 1 Timothée 1.12-14.

Notons qu’il ne décrit jamais la vision qu’il a eue. Il est certain d’avoir vu le Seigneur. L’initiative vient du Père, comme le souligne Galates 1.15. Le Christ s’est donné lui-même à voir. Et l’action du Christ n’a pas comporté seulement une vision et un message, mais une transformation.

L’envoi de Paul vise spécialement les nations. On peut estimer sur ce point que l’apôtre n’a que progressivement pris pleine conscience de cet objectif. Ses débuts tâtonnants le prouvent. Pourtant, tout dans sa vie se rattache à la rencontre initiale.

Devant son passé de persécuteur, Paul n’a pas de fausse honte. Il peut témoigner qu’il a agi de bonne foi. Sa conversion est un exemple frappant de la toute-puissance de la grâce divine. Paul ne l’oubliera pas dans son message.

Il complète l’œuvre d’évangélisation par un travail pastoral. Ainsi, il se compare à une nourrice qui prend soin des enfants (1 Th 2.7), à un père qui exhorte et encourage ses enfants et leur demande « de mener une vie digne de Dieu » (1 Th 2.12), à une mère qui connaît les douleurs de l’enfantement « jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous » (Ga 4.19). Il peine et il lutte pour qu’il puisse présenter tout homme parfait en Christ, avertissant tout homme et enseignant tout homme en toute sagesse (Col 1.28). « Le soin des Églises » est son fardeau quotidien (2 Co 11.28). Une fois que ses Églises sont établies, il s’engage à l’administration de leurs affaires cherchant à développer en elles la volonté d’accepter la responsabilité, en intervenant avec le poids de son autorité seulement là où elles sont menacées par l’apparition d’hérésies qui rendraient nulles l’Évangile (la Galatie), ou avec l’acceptation des pratiques incompatibles avec les exigences morales de l’Évangile (Corinthe). Négativement, il ne suggère jamais qu’il soit investi d’une autorité pour choisir ou pour ordonner leurs conducteurs ou pour ratifier un choix qu’ils ont fait.

b. Le sens du terme apôtre🔗

Le titre d’apôtre est clairement connu avec le verbe « apostello », envoyer, mais est plus restreint dans son usage à une application technique. Jean le Baptiste, bien qu’il ait été envoyé, n’est pas apôtre en ce sens. En général, en grec, le terme « apostolos » n’est pas utilisé comme un envoyé, mais se rapporte plutôt à une flottille, un bateau, un cargo, plus fréquemment de guerre; occasionnellement aussi, il désigne le conducteur de l’expédition et parfois une bande de colons envoyés de la cité mère pour y fonder une nouvelle colonie. Ce dernier emploi signifie quelque chose d’entièrement nouveau pour des oreilles grecques et tous ceux qui sont familiers avec le grec. Ceci se voit clairement dans le fait qu’on ne puisse le traduire; il fut emprunté du latin comme un mot étranger.

Dans son emploi chrétien, il est simplement la traduction araméenne de « shaliach », un titre largement utilisé dans le judaïsme ultérieur pour désigner le représentant officiel d’un magistrat ou d’un souverain, ayant reçu les pleins pouvoirs d’exécuter la mission qui lui est confiée. Il est un agent plénipotentiaire. Sa dignité et son droit dérivent de la dignité et de l’autorité de celui qui l’envoie, non de ses qualités personnelles. En sa capacité de « shaliach », d’envoyé, dans l’accomplissement de sa mission qui lui est confiée, c’est son supérieur qui parle et agit en lui.

Par conséquent, Paul peut dire : « Nous sommes donc ambassadeurs pour le Christ, comme si Dieu exhortait par nous; nous vous en supplions au nom du Christ : Soyez réconciliés avec Dieu! » (2 Co 5.20). Et notre Seigneur a également pu dire aux douze : « Qui vous reçoit me reçoit, et qui me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé » (Mt 10.40). « Celui qui vous écoute m’écoute, et celui qui vous rejette me rejette, et celui qui me rejette rejette celui qui m’a envoyé » (Luc 10.16). « En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n’est pas plus grand que son seigneur ni l’apôtre plus grand que celui qui l’a envoyé » (Jn 13.16). Ces paroles sont entièrement en accord avec le sens de « shaliach » énoncé plusieurs fois dans le Talmud. Un « shaliach » de quelqu’un est comme lui-même.

L’apostolat est certainement une charge spéciale, et non une simple fonction, quoiqu’on puisse en dire des autres ministères exercés dans l’Église primitive. Sans doute, il s’agit d’un office qui comporte une autorité spéciale que le Seigneur lui a donnée pour édifier et non pour déchirer (2 Co 13.10). Les fonctions exercées sont en général partagées par des hommes tels que Timothée. Celui-ci est appelé « notre frère, le serviteur de Dieu dans l’Évangile du Christ » pour établir dans la foi et exhorter les frères (1 Th 3.2). L’apôtre assure les Corinthiens que son jeune collaborateur « fait l’œuvre de Dieu comme moi » (1 Co 16.10). Mais nulle part Timothée n’est appelé apôtre. Même lorsque son nom est ajouté à celui de Paul dans les salutations de ses lettres, si le titre d’apôtre est employé, celui-ci se limite à Paul et la formule devient : « Paul, un apôtre de Jésus-Christ par la volonté de Dieu et Timothée notre frère » (2 Co 1.1; Col 1.1). Timothée peut exercer les mêmes fonctions, mais il n’est pas pour cela appelé un apôtre. Cela justifie notre pensée que le titre d’apôtre désigne non seulement une fonction ministérielle, mais encore un office très particulier dans l’Église. On peut dire cependant que ceci est le seul ministère d’office auquel Paul se réfère. Tous les autres ministères dont il parle sont simplement des fonctions exercées par ceux à qui l’Esprit de Dieu a donné les dons nécessaires.

Qui sont selon lui les autres apôtres? Notre première observation est qu’il ne s’identifie pas avec l’office apostolique du cercle des douze. Il accorde le titre à Pierre, à Jacques, le frère du Seigneur, et il laisse supposer qu’il doit y en avoir d’autres à Jérusalem. Lorsqu’il s’y est rendu lors de sa première visite après sa conversion, il les a rencontrés (Ga 1.17-19). Pourtant, il ne se réfère nullement à eux comme formant une sorte de collège apostolique des douze à qui il pourrait conférer le titre. Jacques, Pierre et Jean sont connus comme les colonnes qui lui donnèrent ainsi qu’à Barnabas la main d’association, reconnaissant la validité de la mission menée parmi les Gentils. Cette décision capitale est présentée par Paul non comme l’acte formel émanant d’un collège apostolique qui siégerait avec une autorité souveraine dans l’Église, mais comme un accord privé entre les trois « colonnes » de l’Église judaïque et l’apôtre des Gentils.

6. Le tempérament de Paul🔗

Une vie aussi remplie que la sienne est celle d’un homme d’action, c’est une banalité que de la qualifier de la sorte. Mais cette action, après le chemin de Damas, est tout entière suspendue à l’appel entendu (1 Co 1.1, 17). Il se peint lui-même comme un coureur sur le stade (Ph 3.14). Cette activité, il lui arrive de le rappeler si cela est nécessaire pour la défense de sa mission; mais ce batailleur a aussi des accents d’humilité (1 Co 15.8-9). L’évangélisation est une charge qui lui a été confiée, il doit l’offrir gratuitement (1 Co 9.17-18), sans tirer de gloire ou de profit de son efficacité. Ce n’est pas qu’au deuxième examen qu’on découvre chez lui une vive sensibilité, elle aussi centrée sur la vocation. La contradiction provoque chez lui des réactions contraires selon qu’elles affectent ou non le succès de l’action. Des évangélistes sont animés à son égard de sentiments malveillants. Peu importe, pourvu que le Christ soit annoncé (Ph 1.15-18).

En revanche, s’il pense que l’évangélisation est compromise ou altérée, sa véhémence est extrême. Il ne recule ni devant l’injure (« prenez garde aux chiens », Ph 3.2) ni devant la malédiction (« leur fin sera leur perdition, leur dieu c’est leur ventre », Ph 3.19). Ce sont des cris non de haine, mais de douleur (Ph 3.18). D’un désintéressement total, il a néanmoins des accents pathétiques, lorsqu’en mettant en cause son titre d’apôtre on cherche à ruiner l’Évangile qu’il prêche. L’épître aux Galates et la deuxième aux Corinthiens abondent en traits de ce genre. Alors il se glorifie, mais dans le Seigneur (1 Co 1.31). Il se vante de ses faiblesses, qui font mieux voir en lui la puissance de Dieu (2 Co 12.5-10; Ga 6.14).

À l’égard de ses frères juifs, tantôt il porte des jugements terribles, jusqu’à leur reprocher la haine du genre humain, comme faisaient les païens, parce qu’ils empêchaient la prédication qui sauverait les non-juifs, « en mettant ainsi le comble à leurs péchés » (1 Th 2.15-16); tantôt, dans son extrême douleur et souffrance sans trêve, il voudrait lui-même être anathème, séparé du Christ pour les frères de sa race selon la chair (Rm 9.2-3). Cela se comprend selon qu’il les considère comme des obstacles au salut des hommes ou appelés eux-mêmes au salut.

Ses sentiments s’épanchent surtout avec les Philippiens (Ph 4.1). Il le dit avec des paroles hardies (Ph 1.6-8). Porté par cet amour, il n’est retenu de désirer « être avec le Christ » dans la mort que par l’espoir d’être encore utile aux Philippiens (Ph 1.24). Amour fraternel à l’occasion paternel (1 Co 4.14-15; 1 Th 2.11-12), il se fait même maternel (Ga 4.19-20; 1 Th 2.7-8). Rien d’étonnant à ce qu’il ait été l’objet de sentiments passionnés (Ac 20.24-38) et qu’il ait suscité des dévouements extrêmes (Ga 4.15). Mais dans ces amitiés, le Christ est toujours présent comme en tout ce que vit l’apôtre1.

7. L’auteur des lettres🔗

C’est une personne choisie par Dieu qui est l’auteur des treize lettres authentiques que nous tenons de sa plume. Une mesure providentielle toute particulière, une inspiration qui ne laisse nul doute font de lui le premier théologien de l’Église, le porte-parole plénipotentiaire de Dieu, le pasteur missionnaire par excellence de l’Église primitive et de l’Église universelle.

Mesure providentielle, elle se voit dans le fait que, d’origine juive, Paul connaît parfaitement l’Ancien Testament de même que l’arrière-plan de toute l’histoire de la rédemption. En outre, il est Juif de la Diaspora, vivant hors des frontières de la Palestine et familier des religions et des cultures païennes. Ainsi avait-il déjà des perspectives bien plus larges qu’un Juif palestinien. Son éducation, dans le centre cosmopolite et culturel qu’était Tarse, fut des plus complètes et la meilleure dont il pouvait espérer. Esprit brillant capable de comprendre le sens profond de l’Évangile, il est doué d’un cœur ardent, animé d’un zèle tel que toute la première mission évangélisatrice de l’Église en a bénéficié et qu’en bénéficient toujours les générations successives.

Ainsi que l’on constatera en lisant ses lettres — et nous recommandons vivement aux lecteurs de commencer par leur lecture —, elles ont un caractère soit individuel, adressées à de proches collaborateurs ou amis et frères dans la foi, soit communautaire, épîtres à des Églises qu’il a fondées où qu’il a l’intention de visiter.

Toutes contiennent un enseignement fondamental, y compris celle la plus personnelle et intime, à savoir la lettre à Philémon. On peut dire ainsi que ces enseignements fondamentaux les plus profonds sur la révélation et la connaissance du salut ne nous sont pas parvenus comme des essais religieux spéculatifs et abstraits. En les lisant encore aujourd’hui, nous savons qu’elles furent écrites à notre intention. Davantage, nous avons là une autre preuve de l’inspiration divine de ces lettres qui font partie du canon chrétien de l’Écriture sainte. Parole écrite, revêtue d’une souveraine autorité en matière de foi et de vie.

Toutefois, en les lisant et les étudiant, il conviendrait de tenir aussi compte de leur arrière-plan historique et des circonstances dans lesquelles elles furent rédigées. Ainsi, les circonstances particulières motivèrent la rédaction de telle ou telle lettre. Par exemple, pour la première aux Corinthiens, la situation dans l’Église nécessitait une intervention vigoureuse et une réponse urgente à certaines questions soulevées, ou des mesures d’apaisement des esprits au sujet de tel ou tel point controversé, la résurrection par exemple.

D’ordinaire, l’apôtre dictait ses lettres à son ou à ses secrétaires. Cela s’explique peut-être par sa mauvaise vue ou parce que telle était la coutume de l’époque. Dans certaines de ses lettres, il mentionne le nom de son secrétaire (Rm 16.22); d’autres nous laissent supposer qu’il eut en effet recours au service d’un secrétaire. Une seule semble avoir été directement écrite par sa propre main (Galates). Ces lettres parviennent à leurs destinataires par l’intermédiaire d’amis ou de proches collaborateurs.

On peut classifier les lettres pauliniennes selon l’ordre chronologique suivant :

  • 1-2 Thessaloniciens, Galates, 1-2 Corinthiens, Romains;
  • les lettres de la captivité : Colossiens, Philémon, Éphésiens, Philippiens;
  • les pastorales : 1-2 Timothée, Tite.

Nous pouvons les diviser également en deux classes suivant leur destinataires : écrites à des particuliers; adressées à des communautés2.

Notes

1. Voir le dictionnaire encyclopédique de la Bible.

2. Consulter notre introduction à chacune des lettres de Paul dans notre Introduction au Nouveau Testament.