Cet article sur Matthieu 13.31-33 a pour sujet les paraboles du grain de moutarde et du levain illustrant l'avènement final du royaume de Dieu contrastant avec son petit commencement dans l'humble ministère de Jésus.

Source: L'Évangile en paraboles. 4 pages.

Matthieu 13 - Ce qui est caché sera révélé - Paraboles du grain de moutarde et du levain

« Il leur proposa une autre parabole et il dit : Le Royaume des cieux est semblable à un grain de moutarde qu’un homme a pris et semé dans son champ. C’est la plus petite de toutes les semences; mais, quand elle a poussé, elle est plus grande que les plantes potagères et devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent habiter dans ses branches. Il leur dit cette autre parabole : Le Royaume des cieux est semblable à du levain qu’une femme a pris et introduit dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que la pâte soit toute levée. »

Matthieu 13.31-33

En lisant récemment un livre sur l’athéisme, écrit par un auteur athée, je suis tombé sur une phrase de Jacques Lacan, le médecin psychanalyste français bien connu, traitant l’Évangile de Jésus de « cette historiole qui a eu un succès époustouflant ».

Je ne pus m’empêcher de sourire à la lecture d’une telle phrase. Je suppose qu’en parlant « d’historiole », Monsieur Lacan voulait souligner son peu d’estime pour Jésus et pour son Évangile. Mais je n’ai pu m’empêcher de me rappeler la fin peu glorieuse de ce qu’on appelait naguère « l’école psychanalytique lacanienne » qui, à l’époque, avait mis tout le Landernau médical de France et de Navarre en branle-bas. N’en déplaise aux contempteurs modernes de « l’historiole de Jésus », nous nous y intéressons encore, et deux paraboles, celle du grain de sénevé et celle du levain dans la pâte, en expliquent parfaitement le pourquoi.

Le chapitre 13 de l’Évangile selon Matthieu contient, comme on s’en souvient, sept paraboles qu’on appelle les paraboles du Royaume. Le chapitre se termine par ces deux courtes paraboles, celle du grain de moutarde et celle du levain.

« Jésus s’adresse de nouveau à la foule, et ces nouvelles histoires forment un deuxième discours, prononcé après l’interruption des disciples. Le thème de la semence se poursuit et se développe. Cette fois, Jésus mentionne expressément le sujet de son enseignement : “Le Royaume des cieux est semblable à…” Il propose une manière nouvelle d’envisager cette réalité inconnue, qu’il vient révéler et qu’il s’agit de découvrir par comparaison ou par analogie.
Les paraboles du Royaume révèlent le dessein caché de Dieu depuis la fondation du monde, et qui maintenant doit être annoncé et révélé. Ces paraboles font allusion à l’achèvement dernier qui mettra en lumière de façon visible et glorieuse “les œuvres du Seigneur” qui s’accomplissent dans le mystère. Il y a un plan éternel de Dieu qui se réalise maintenant et pour l’éternité. Son Royaume est à la fois présent, donné, actuel et futur, promis et éternel. Il est à la fois invisible et caché, mais destiné à être manifesté et glorieux. » (Hébert Roux, Commentaire).

Entre la graine et l’arbre, la disproportion est immense; cependant, c’est une telle graine qui produit l’arbre! Si la différence est grande, la continuité est pourtant certaine. Mais il ne faut pas penser que Jésus nous représente l’avènement de son règne comme une évolution, un progrès continu. L’idée du développement organique du germe à la plante n’est pas ici en jeu.

Les victoires et le développement du christianisme dans le monde peuvent être légitimement considérés comme illustrant les paraboles du Royaume, à condition qu’on regarde ces faits comme des signes, des symboles de l’avènement final, et non comme des étapes progressives.

Si Jésus nous présente la victoire finale comme un miracle mystérieusement lié aux humbles commencements de son ministère, il ne s’ensuit pas qu’il condamne ses disciples à la passivité. Tout l’Évangile s’élève contre cette conséquence. Ceux qui croient en Jésus ne « font » pas, ne fabriquent pas le Royaume. Celui-ci viendra en dépit de leurs défaillances; mais ils en sont les témoins et, par là même, ils sont des instruments entre les mains de Dieu, « attendant l’avènement du jour de Dieu » (2 Pi 3.12). C’est pourquoi il leur est dit : « Dans cette attente, efforcez-vous d’être trouvés par lui sans tache et sans défaut » (2 Pi 3.14).

Écoutez bien la parabole du grain de moutarde; elle a pour objet unique cette disproportion des commencements et de la fin. Le commencement, c’est Jésus. Son enfance humble et cachée, son ministère solitaire, l’humble condition de ses disciples, sa passion et sa croix. C’est l’Église primitive, faite de petites gens, tout au moins à ses débuts, méprisée et bientôt persécutée.

Mais dans les siècles suivants, la petite graine montre sa puissance. Le christianisme s’étend sur une grande partie du monde et façonne toute une civilisation. Aujourd’hui encore, il s’étend en bien des lieux. Est-ce dire que le Royaume est accompli? Tant s’en faut! Nous voyons l’influence chrétienne combattue et diminuée dans bien des domaines. Le monde n’est pas gouverné « par l’Esprit de Jésus-Christ ». Les Églises le discréditent souvent par leurs infidélités. Pourtant, nous savons qu’un jour « la terre sera remplie de la connaissance de la gloire de l’Éternel » (Ha 2.14). Et nous savons que cette transformation sera l’épanouissement, entre les mains toutes-puissantes de Dieu, de la petite graine enfouie dans la terre.

Cette certitude est encore confirmée par la parabole de Jésus dans Marc : la semence germe et croît sans que l’homme sache comment (Mc 4.27).

La parabole du levain a le même sens. La note particulière qu’elle ajoute, c’est qu’ici la puissance de vie est introduite du dehors, dans une masse inerte par une volonté consciente. La femme cache le levain dans la pâte. Il semble perdu dans la masse, comme Jésus et ses disciples dans le monde. Mais il n’en est rien. Ce peu de levain sera l’élément de transformation de toute la pâte. « C’est vous qui êtes le sel de la terre. […] C’est vous qui êtes la lumière du monde » (Mt 5.13-14).

Gardons-nous, bien entendu, d’identifier le Royaume avec l’Église. L’Église chrétienne n’est pas le Royaume, elle est plutôt la sphère terrestre sur laquelle le Royaume étend ses rayons d’activité et y imprime d’abord ses effets. Le Royaume est ce règne caché derrière la face de l’Église, et il s’en sert pour étendre les rayons de son action au-delà de celle-ci.

Il est pourtant indéniable que ce fut à travers l’Église, sa servante, que le Royaume de Dieu devint ici et là, au cours de l’histoire de l’humanité, visible, présent et dynamique. Tel le levain, il a levé la pâte, et la société humaine en a puissamment, profondément ressenti les effets. Un regard sur le passé, sur l’histoire écoulée depuis deux mille ans nous convaincra.

Combien d’œuvres remarquables ont été accomplies par l’Église, au nom du Royaume, afin de le rendre visible! Quelque chose de grand a été achevé chaque fois que l’Église, s’oubliant elle-même, a agi au nom du Royaume, a prié pour son avènement, témoigné de sa proximité, cherché sa justice. On ne peut pas ignorer le fait que des oiseaux sont venus se poser sur les branches de cet arbre, qui a poussé à partir d’un minuscule, infiniment petit grain de sénevé… Des païens en ont profité, des nations ont été mises à son bénéfice, des barbares ont été civilisés, des ignorants instruits, des tribus et des langues en ont été affectées… À une période de l’histoire où les hordes barbares envahissaient l’Occident, le levain de l’Évangile les transforma. Ce fut aussi sous l’influence chrétienne que les jeux inhumains des arènes faisant le loisir et le plaisir des Romains furent bannis; oui, c’est cette influence qui, tel un grain minuscule, porta des fruits permettant l’humanisation de la société romaine.

Plus près de nous, lorsque d’innombrables personnes, notamment des femmes et des enfants, mouraient faute de soins médicaux ou victimes de superstitions démoniaques, ce fut encore le bon grain semé qui porta des fruits palpables. L’Évangile les arracha aux ténèbres pour les amener à l’admirable lumière du Fils. Une civilisation pénétrée par la foi chrétienne et biblique a été le résultat de cette pâte levée et de ce grain semé. Une civilisation que l’on cherche actuellement à détruire de la façon la plus sauvage.

Faudrait-il pour autant craindre l’avenir? Je ne le pense pas. Il me semble qu’à l’heure actuelle nous nous trouvons devant de nouveaux commencements, mais que la force cachée du Royaume reste toujours aussi active et dynamique. Il se pourrait, effectivement, que nous soyons ramenés vers de faibles débuts, afin de pouvoir ressaisir à nouveau le secret, le mystère et la puissance du Royaume dont parle Jésus. Ainsi, l’avenir chrétien n’est pas sombre, loin de là, pas en tout cas pour celui qui médite la parabole du Christ. Il y puisera une nouvelle vision de la réalité cachée, apparemment petite, infime, mais prometteuse d’une merveilleuse et abondante moisson.

Au moment où des courants tumultueux nous agitent, que de fausses spiritualités submergent notre sol et enténèbrent les esprits, que des idéologies anti-chrétiennes, voire misanthropes, sont en vogue, rappelons-nous que la puissance du Royaume n’est pas épuisée. Comme à ses débuts, l’Évangile caché et apparemment insignifiant continuera quand même à troubler la société. Il attend sans doute à manifester sa force dans la faiblesse, à déployer sa sagesse dans la folie, à faire éclater sa lumière derrière les ténèbres opaques… Chaque opposition actuelle devrait nous apparaître comme le signe que le grain enfoui dans la terre est en train de germer, et le levain caché en train de faire lever la pâte.

Actuellement encore, comme le fut saint Paul en son temps, nous serons considérés comme ceux qui troublent les villes et bouleversent le monde…

Rappelons-nous que le Nouveau Testament, livre du Royaume par excellence, est aussi le livre de l’espérance; il ne se termine pas par le récit du Vendredi saint, la passion de Jésus-Christ, sa mort et sa descente aux enfers, mais par le livre de l’Apocalypse, qui en grec veut dire révélation; révélation du règne éternel du Christ, qui renverse le courant de l’histoire au moment le plus critique, voire désespéré.

Ne sous-estimons donc pas la force de l’Évangile; il est la puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit. Il renouvellera toutes choses. Restons vigilants, pleins d’espérance, remplis de joie; confessons notre foi comme les premiers chrétiens : Le Royaume est à notre Dieu et à son Christ. La victoire qui vainc le monde c’est notre foi en lui.