Cet article sur Daniel 4 a pour sujet le rêve de Nébucadnetsar (l'arbre), son désir d'être l'incarnation de Dieu et le désir de grandeur de Babel et de Babylone. Dieu règne avec puissance, il rabaisse les orgueilleux et relève ceux qui s'humilient.

Source: Prophète du Royaume - Méditations sur le livre de Daniel. 4 pages.

Daniel 4 - La vigilance de Dieu

Daniel 4

Décidément, Nébucadnetsar ne passe pas ses nuits aussi paisiblement qu’il l’aurait souhaité! Un nouveau songe vient le troubler et le plonger dans la plus grande perplexité. Cette fois-ci, un arbre immense, dont le sommet monte jusqu’au ciel, se trouve au centre de ce rêve mystérieux et troublant. Son feuillage est beau et ses fruits abondants. Ils fournissent de la nourriture à tous.

On est en droit de se dire que, cette fois encore, le songe du roi trahit une idée fixe, chère à ce monarque : celle d’être vraiment la prolongation sur terre du Dieu des cieux. Il est l’arbre sacré, l’arbre de vie, le lien unique entre terre et ciel, terrain fertile où les hommes se tiennent et se nourrissent. Mais en réalité, il est l’arbre rival de celui planté par Dieu dans le jardin d’Eden. Nébucadnetsar songe à tous les bienfaits dont il est et sera le généreux dispensateur pour les myriades de ses sujets durant les longues années de son règne.

Il oublie cependant un point capital, à savoir l’essentielle vérité qui concerne toute existence humaine. Quoique monarque tout-puissant, néanmoins il n’est qu’homme, créature fragile et mortelle.

Ses idées sont conditionnées par sa culture babylonienne et doivent leur origine et leur vitalité à l’héritage religieux et spirituel où s’enracine son empire; ses rêves, de même que sa politique d’État, reflètent clairement les croyances religieuses de l’ancienne Babylone. N’oublions pas le lien entre Babel et Babylone. La tour de Babel avait été le premier essai, gigantesque et surhumain, d’affirmer la suprématie de l’homme sur toutes choses, déclaration d’autosuffisance et d’autonomie, manifeste dressé contre le ciel, au regard du monde entier, que l’homme est capable d’atteindre des sommets inaccessibles et parvenir, par ses propres moyens, jusqu’au ciel, d’où il saura déloger le divin occupant.

À vrai dire, les hommes de Babel et ceux de notre génération ne divergent guère sur ce point! Tant les bâtisseurs de l’antiquité que ceux de nos jours ressentent l’impérieux besoin de se justifier à leurs propres yeux, de revendiquer le droit au salut, de se déclarer les uniques artisans de leur affranchissement. Mais ce faisant, ils outrepassent les limites humaines qui leur ont été assignées. Ils ne se contentent pas seulement de refuser Dieu, de se révolter contre lui, ils estiment encore être de la même essence que lui. À leurs yeux, la différence entre les puissances célestes et leur personne n’est que de degré seulement, non de nature. Un peu plus d’effort, et nous voilà devenus comme des dieux! D’où la rivalité et l’opposition à la justice de Dieu, ainsi que les œuvres humaines qui s’élèvent avec toujours plus d’arrogance contre le règne de Dieu.

Les ziggourats, ces célèbres constructions de l’ancienne Babylone en forme d’échelles tendues vers le ciel, affirmaient, pierre par pierre, degré par degré, centimètre cube par centimètre cube, l’orgueil de l’homme, oublieux de sa condition de créature déchue, mais prétendant se placer au centre de l’univers. Depuis la plus haute antiquité, le carré et le cube ont représenté la perfection, l’harmonie, le bien-être de la cité idéale bâtie par l’effort humain. Babylone avait été construite selon un plan architectural qui révélait et qui exprimait sa religion et sa profession de foi en l’homme. Tout autre est le plan de Dieu face à ces détracteurs de néant, à ces adversaires si fiévreusement animés. Il s’oppose à eux, confond leurs œuvres et les tourne en dérision.

Le chapitre 11 du livre de la Genèse est une admirable page qui décrit l’ironie de Dieu sur les bâtisseurs insensés de la tour de Babel. Dieu a ridiculisé magistralement, dans la plaine de Schinéar, la mégalomanie humaine. Il a démontré de façon accablante que le centre véritable et unique de tout homme se trouve en Dieu. La cité parfaite, la Jérusalem céleste qui descend des cieux, avec sa forme à la fois rectangulaire et cubique, sera son œuvre; elle sort directement d’entre ses mains. Dieu et son Agneau, c’est-à-dire le Christ, y règnent; leurs trônes y sont établis pour toujours. Notons bien qu’il est question de Dieu et de l’Agneau. L’Agneau n’y est pas seul. Ce point est d’une énorme importance pour notre foi et pour notre confession de foi moderne. L’Agneau de Dieu est le Fils incarné de Dieu.

Or, de nos jours, pour certaines théologies en vogue, l’incarnation est devenue un prétexte pour exalter l’homme-créature. Les motifs anthropocentriques sont transparents dans ces théologies dites radicales, qui inventent des confessions de foi de toutes pièces… tout en les déclarant christocentriques! Elles discourent sur Jésus de Nazareth, mais un Jésus de Nazareth qui n’est pas, en définitive, le Fils de Dieu, celui auquel l’Écriture et l’Église fidèle rendent témoignage et confessent comme Fils de Dieu, seconde personne de la Trinité.

Examinez par exemple ce Jésus dont nous entretient Eugen Drewermann, ce prêtre catholique allemand, sorti des tréfonds de sa psychanalyse et qui n’a pas, bien entendu, la moindre parenté avec le Jésus-Christ des Évangiles, Seigneur universel de l’Église! Or, notre confession de foi ne sera authentique que si elle proclame le Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, c’est-à-dire le Dieu trinitaire; autrement, elle ne sera pas chrétienne. La tour de Babel et la Jérusalem céleste sont les deux pôles, diamétralement opposés, dans l’histoire humaine, et ceci dès l’aube de l’histoire.

Nous venons de voir que ce sont les idées politico-religieuses de Nébucadnetsar qui avaient conditionné son rêve et l’avaient fait surgir du subconscient de cet Oriental. À notre tour, ne sommes-nous pas, nous autres aussi, trop souvent conditionnés par les idées qui nous entourent? Notre esprit est modifié, parfois même profondément altéré, par l’esprit du temps et de la culture prédominante. Génération de notre temps, nous estimons, à tort qu’avec l’esprit pragmatiste qu’est devenu le nôtre, nous saurons nous adapter à la réalité qui nous entoure et qui, par moments, nous asphyxie. Les temps changent et nous assistons à de profondes mutations socioculturelles. Comment ne pas en subir les altérations sur notre mentalité et dans notre mode de vie?

Pourtant, quelle erreur, mes amis, si nous pensons ou agissons comme si les temps, les mœurs et les idéologies courantes étaient les facteurs décisifs; comme si la vérité que nous devons apprendre en priorité n’était pas celle qui nous révèle le Dieu transcendant ainsi que notre nature et condition de créatures! Cette vérité ne sera jamais changée au gré des temps et aucune idéologie ni tyrannie humaine ne saurait l’anéantir ou la rendre muette. Les hommes sont inexcusables aux yeux de Dieu parce qu’ils ont changé son image en celle de la créature déchue.

« Mais Dieu veille. Le Veilleur éternel se tient à son poste. Il ne laisse jamais au repos les Nébucadnetsar. Dans ce dernier rêve, d’une grandeur encore jamais atteinte, le roi s’imagine supporter et soutenir toute sa génération, être le seul principe suffisant de la vie. Mais voilà, cette fois encore il sera obligé d’entendre la sentence divine, qui, telle la foudre, tombe en plein jour et le frappe à l’endroit même de son péché. Dans l’éclat de ses succès, le monarque venait de dépasser toute mesure. Vous connaissez ce propos des vieux paysans : “Les arbres ne s’élèvent pas jusqu’au ciel.” Ici, c’est le prophète porte-parole de Dieu qui l’affirme. Celui qui veille empêche les grands arbres de pousser jusqu’au ciel » (Walter Lüthi).

Chaque fois qu’apparaît un monarque de la stature de Nébucadnetsar, nous voyons surgir à ses côtés celui dont la mission est de prendre garde à ce qu’on n’oublie pas de rendre à Dieu ce qui lui est dû.

Mais sans doute le prophète s’adresse-t-il aussi à nous. À nous, petits arbrisseaux… Voyez comment Nébucadnetsar ne rêve pas uniquement de puissance et de grandeur. Il aimerait aussi être utile, porter des fruits en grande quantité offrant ainsi de la nourriture à tous. Il se voit dans le rôle, très moderne d’ailleurs, d’État providence… Il organisera une administration qui ne lésera personne, il sera animé par ces idées absurdes qui distribuent à gauche et à droite des biens que d’autres ont acquis à grand-peine; cet État qui se chargera au fur et à mesure de la répartition des richesses que les paresseux et les irresponsables savent dilapider vite et bien! Ce roi antique, monarque absolu et grand seigneur, a les idées utopiques et généreuses du socialisme appliqué! Un beau rêve politico-social devançant de vingt-cinq siècles celui des partisans de l’État paternaliste…

Ces États modernes sont même en retard, me semble-t-il, comparés à celui que Nébucadnetsar cherche à bâtir! Combien d’hommes aimeraient être les sujets d’un tel pays, les citoyens de ce pays de cocagne, les bénéficiaires d’une société d’abondance, consommateurs privilégiés de tous les biens de consommation, utiles et inutiles? Combien d’hommes rêvent d’un arbre qui s’élève jusqu’au ciel, où ils pourraient être à l’abri, de la naissance jusqu’à la mort, sous son feuillage luxuriant, assurés de ne manquer de rien, administrés d’une cité pragmatiste et économiquement stable, où ils peuvent décider de leur sort sans consulter Dieu?

Qu’ils prennent garde. Le grand Veilleur a dit une fois pour toutes : « Tu n’auras pas d’autres dieux devant ma face. » « Abattez donc l’arbre, coupez ses branches, secouez ses feuilles et dispersez ses fruits; mettez fin à son expansion sauvage et inhumaine… »

Le Très-Haut domine sur la royauté des hommes. Il veille et il est à l’œuvre; il décime les fiers sommets et coupe le feuillage luxuriant. Un frémissement agite alors les grands arbres, mais aussi les arbrisseaux… Les coups de sa cognée retentissent aussi bien en Orient qu’en Occident. Partout où l’homme cherche à être plus qu’homme, il devient moins qu’homme. Son humanité disparaît et il est réduit à l’état d’animal sauvage. Nébucadnetsar est atteint de zoanthropie et il est banni vers la campagne inculte, où ses cheveux pousseront comme les plumes de l’aigle et ses ongles comme ceux des oiseaux de proie. Quelle humiliation, quelle condition dégradante pour cet homme naguère au faîte de sa gloire et de sa puissance!

Et quelle page déplaisante et humiliante pour nous aussi, pour tout homme qui a décidé qu’il n’y a point de salut en dehors de lui, en dehors de ses œuvres et de ses performances, de sa politique et de ses révolutions, de sa science et de sa technique.

Cette page si dure, si cruelle qu’elle nous blesse à mort, laisse quand même une porte ouverte à l’espérance. « Mets un terme à tes péchés par la justice et à tes fautes par la compassion envers les malheureux, et ta tranquillité se prolongera » (Dn 4.24). Partout, la Parole prophétique véhicule une invitation. Dieu ne cesse de parler. Il ne désire pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. Même pour Nébucadnetsar il y a une espérance et un salut. Sur le chemin étroit et pénible de l’humiliation, de la repentance et de l’aveu des fautes, Dieu relève le pécheur le plus avili.

Car il a dressé un endroit où toutes les iniquités des hommes ont été jugées et rachetées. Détail important, cet endroit se trouvait en dehors de toute cité, là où il n’y avait ni perfection ni harmonie, ni carré ni cube, mais seulement une colline chauve et rocheuse. Là, sur le Calvaire, le Fils de Dieu a ôté les péchés du monde. Il a donné sa vie pour que nous retrouvions la nôtre. Lorsque cesseront les règnes de tous les Nébucadnetsar, lorsque l’histoire des arrogants et des hautains prendra fin, alors apparaîtront les nouveaux cieux et la nouvelle terre. Par la foi, nous sommes les sujets de son Royaume et par l’espérance nous en sommes les héritiers. L’Arbre de la vie y pousse et il nourrit de ses fruits tous les rachetés. Sa sève irrigue notre existence et renouvelle notre foi. Il n’était, au début, qu’un minuscule grain de sénevé, « la plus petite des semences », mais depuis le Vendredi saint, depuis le dimanche de Pâques, Dieu laisse la cime de cet arbre s’élever jusqu’au ciel et ses branches s’étendre jusqu’aux extrémités de la terre.