Cet article a pour sujet le discernement de la volonté de Dieu qui ne doit pas être fait ni par le clergé ni par une illumination, mais par la Parole de Dieu et dans la communion de l'Église.

Source: L'Esprit de la loi - Éléments pour une éthique chrétienne et réformée. 2 pages.

Discerner la volonté de Dieu

L’Église a vu deux directions opposées se faire jour au cours de son histoire. La première laissait le soin du discernement de la volonté de Dieu entre les mains d’experts, d’une caste, c’est-à-dire aux soins du clergé. Celui-ci était et reste seul habilité à déterminer la nature de la volonté de Dieu, et avec une autorité qui se veut incontestable il dicte la bonne conduite à tenir. Le magistère de l’Église romaine s’arroge le droit de l’interprétation autorisée des Écritures. On voit bien où peut mener une telle « dictature ». La toute-puissance cléricale ôtait la liberté glorieuse des enfants de Dieu, pourtant acquise au prix de la mort de son Fils.

La redécouverte de la Parole libératrice sonna, au 16siècle, l’heure de l’affranchissement. La liberté chrétienne reconquise se plaça à nouveau au service exclusif de Dieu et, reconnaissante, accorda à l’homme régénéré, comme signe de sa gratitude, le privilège de se soumettre aux normes de l’éthique chrétienne. La justification par la foi seule constitua la pierre d’angle de l’édifice théologique de la Réforme, et la liberté chrétienne devint l’une des colonnes sur laquelle put se reposer le grand système de la doctrine et de la morale authentiquement bibliques. Face au cléricalisme tyrannique qui maintenait les fidèles dans la position de chrétiens de seconde zone, voire de sous-développés spirituels, la Réforme déclara la maturité des enfants de Dieu, en droit de jouir et d’exercer pleinement leur liberté chrétienne.

La direction opposée, que nous appellerons « spiritualiste », est caractérisée par son individualisme extrême, extrême et donc dangereux. Ici, sous prétexte d’inspiration ou d’illumination directe, immédiate, toujours extraordinaire et soudaine, que nul ne devrait mettre en question, intervient une révélation « complémentaire » à la révélation déjà accordée. Dans ce cas, on se laisse guider par des textes bibliques isolés de leur contexte, choisis au hasard, parfois même manipulés de telle manière qu’on peut assister, éberlué, à la manifestation de pratiques tenant davantage de la magie que relevant d’une saine piété chrétienne.

On pourrait presque s’amuser (mais le sujet est beaucoup trop grave pour se le permettre) en constatant comment le Saint-Esprit (mais s’agit-il encore de lui?) choisit un texte pour inspirer tel chrétien, et un autre pour inspirer tel autre, mais… dans un sens tout à fait opposé! « Dieu » et ses « volontés » se manifestent de manière tellement contradictoire lorsqu’on compare ces cas qu’il conviendrait mieux d’avoir recours aux services d’une bonne psychologie pour tenter d’expliquer ces contradictions « internes », plutôt que de les saisir à l’aide d’une théologie biblique. Le désordre et l’indiscipline spirituels sont au comble.

Les deux positions se rejoignent en ce qu’à leur manière, l’une comme l’autre exercent une inadmissible tyrannie sur la conscience chrétienne : l’une sous prétexte d’un magistère supérieur et infaillible, l’autre avec l’arbitraire et les caprices d’une vie « intérieure » chargée de chimères et ployant sous le fardeau de ses incertitudes, en dépit même des « bonnes apparences ». Toutefois, ces deux positions nous rappellent, négativement, une grande vérité biblique. La volonté de Dieu ne s’explique pas isolément, à chaque chrétien à titre individuel, mais à l’intérieur de la communauté ecclésiale. L’Esprit n’est pas accordé à l’individu isolé, mais au corps du Christ dans son ensemble, pourvu qu’il soit fidèle à sa vocation.

La grande question est de savoir quelle est la nature exacte de la différence entre l’ancienne loi et la nouvelle dispensation de la grâce. Chercher la volonté de Dieu uniquement dans l’ancienne loi du Sinaï, c’est vouloir vivre à la lueur d’une bougie, en se privant des rayons du soleil éclatant. À l’inverse, penser et agir comme s’il n’existait point de lueur ou de rayons au Sinaï, c’est prétendre que le soleil ne brille que depuis ce matin! Le Christ, le Seigneur, nous a enseigné le sens profond de la volonté de Dieu. Simultanément, il nous donne la puissance de l’Esprit pour nous permettre de nous soumettre à sa loi permanente. Pour le chrétien, il n’existe pas de loi nouvelle. En revanche, il existe une nouvelle obéissance à l’ancienne loi. Il peut parfaitement discerner la volonté de Dieu et s’y soumettre en toute liberté. Créature nouvelle, il cherche à trouver et à éprouver ce qu’est la volonté de Dieu (Rm 12.1-2). Chaque jour, il est exhorté à se conduire en tant que partenaire de l’Alliance de grâce. À chaque occasion, Dieu lui permet de saisir sa volonté (Ép 5.15-18).

L’apôtre Paul priait pour la croissance, l’approfondissement et l’enrichissement de sa vie, afin d’abonder dans la connaissance de la volonté du Dieu Sauveur (Col 1.9-11; Ph 1.9-11). L’obéissance nouvelle se vit de diverses manières. Considérons par exemple les textes suivants : Galates 5.6; 6.15; 1 Corinthiens 7.19. Ces textes contiennent une seule et même vérité. De manière différente, ils expriment le nouveau style de vie qui se vit en Christ, et dont la loi sert de guide sûr et autorisé. La nouvelle naissance n’abolit pas l’ancienne loi. Elle engage la foi de manière active et elle inspire l’amour agissant. Nous ne tenons nullement à minimiser la différence entre les deux alliances. Si jamais nous la perdions de vue, nous le ferions au détriment de notre maturité spirituelle. Mais nous ne perdrons pas pour autant leur essentielle continuité.