Cet article sur Habacuc 3 a pour sujet la louange qu'il convient d'adresser à Dieu même dans les inquiétudes, car si l'avenir nous échappe, il est entre les mains de Dieu; dans nos détresses, il nous a promis la victoire.

Source: Le juste vivra par la foi - Méditations sur le livre d'Habacuc. 5 pages.

Habacuc 3 - Complainte et louange

« Prière du prophète Habacuc, sur le mode des complaintes. Éternel, j’ai entendu ce que tu as annoncé, j’ai de la crainte, Éternel, devant ton œuvre, accomplis-la dans le cours des années! Dans le cours des années, fais-la connaître! Mais dans ta colère, souviens-toi de ta compassion. Dieu vient de Témân, le Saint vient de la montagne de Parân. Sa majesté couvre les cieux et sa louange remplit la terre. C’est comme l’éclat de la lumière; des rayons partent de sa main; la voilà, sa force cachée! Devant lui marche la peste, la fièvre sort sur ses pas. Il dresse et prend la mesure de la terre, il regarde et fait sursauter les nations; les montagnes éternelles se disloquent, et s’effondrent les collines antiques, les antiques sentiers. Je vois les tentes de Kouchân réduites à néant, les abris du pays de Madian frémissent. L’Éternel est-il irrité contre les fleuves? Est-ce contre les fleuves que s’enflamme sa colère, contre la mer ta fureur, lorsque tu montes sur tes chevaux, sur tes chars de victoire? Ton arc est mis à nu, tes serments sont les flèches de ta parole. Tu fends la terre par des fleuves. Les montagnes te voient et tremblent, une trombe d’eau passe, l’abîme fait entendre sa voix, il lève ses mains en haut. Soleil et lune s’arrêtent sur place à la lumière de tes flèches qui partent, à l’éclat fulgurant de ta lance. Tu parcours la terre avec fureur, tu écrases les nations avec colère. Tu sors pour le salut de ton peuple, pour le salut de ton messie. Tu brises le faîte de la maison du méchant, tu la détruis de fond en comble. Tu perces de leurs propres flèches la tête de tes chefs qui se précipitent en tempête pour me briser en poussant des cris de joie, comme s’ils dévoraient déjà le malheureux en cachette. Tu as ouvert un chemin à tes chevaux dans la mer, dans un amas de grandes eaux. J’ai entendu, et mes entrailles ont frémi. À ce bruit, mes lèvres ont tremblé; mes os se dissolvent, et sans bouger je frémis d’attendre le jour de la détresse où notre assaillant montera contre le peuple. Car le figuier ne fleurira pas, point de vendange dans les vignes; la production de l’olivier sera décevante, les champs ne donneront pas de nourriture, le petit bétail disparaîtra de l’enclos, point de gros bétail dans les étables. Mais moi j’exulterai en l’Éternel, je veux trouver l’allégresse dans le Dieu de mon salut. L’Éternel, mon Seigneur, est ma force, il rend mes pieds semblables à ceux des biches et me fait marcher sur les hauteurs. Au chef de chœur. Avec des instruments à cordes. »

Habacuc 3.1-19

Avant même d’être pétition et requête, la prière biblique est cantique de louange. Moment de souvenir et oraison de reconnaissance, elle rappelle et énumère les grandes œuvres de Dieu. Son action passée n’est-elle pas le plus sûr fondement pour celle qu’il déploie maintenant, voire le gage pour ses interventions futures? Habacuc, le prophète qui prie de la sorte, s’est élevé plus haut sur l’échelle de la foi, lui qui venait de traverser une période de grave crise. À présent, il comprend combien cette crise, relatée dans les deux chapitres précédents de son livre, lui a été bénéfique. Durant des heures sombres, il n’avait pas cessé de se confier en Dieu. À présent, il peut se réjouir en lui. Ses problèmes personnels, comme ses inquiétudes au sujet de son peuple, sont subordonnés à sa conviction intime, primant tout le reste, que Dieu doit être loué en toutes circonstances. Leçon suprême apprise à l’école de Dieu, leçon d’humilité aussi, profonde et réelle.

Si les adversaires de l’homme de Dieu — et ils étaient fort nombreux — comme ces Chaldéens méprisants et menaçants, servent malgré eux les desseins du Tout-Puissant, si le peuple de l’alliance doit se soumettre à la volonté divine, le prophète ne peut pas faire exception; lui aussi, à son tour, acquiesce à cette intervention. Habacuc ne s’était pas plaint de Dieu, mais seulement en sa présence, du fond de son immense détresse, avec un cœur qui saignait et avec des lèvres tremblantes, il avait posé des questions légitimes qui étaient une sorte de supplication; l’homme de la foi se rappelait des exploits de Dieu dans le passé, il conservait à l’esprit la manière dont Dieu était intervenu dans le passé. Il croit et il respire par et grâce à sa foi, sa foi qui attend la réalisation de son espérance. « Devant ton œuvre, accomplis-la dans le cours des année » (Ha 3.2). Voilà son cantique au sein de sa détresse. « Réalise à présent et achève ton œuvre », « Manifeste-toi comme le Dieu vivant, comme l’unique Seigneur, le Juge suprême du monde », « Même au milieu de ton œuvre, souviens-toi de tes compassions ».

Tout dans cette prière, détails géographiques compris, est l’écho de la venue du Dieu de jadis. Car n’est-il pas l’Ancien des jours, le Dieu de l’alliance? Il révèle sa majesté, mais il la voile aussi. Il éclaire son visage, mais il se retire aussi du milieu des hommes. Lorsqu’il foule la terre, les hommes frémissent. Il décide souverainement de la vie et de la mort.

Le silence devant Dieu devient pour le prophète une prière. C’est la prière d’un homme qui a attendu longtemps la réponse de Dieu. Jusqu’à présent, il a eu deux réponses. La première : que Dieu veut susciter les Chaldéens pour exécuter le jugement contre le peuple de Dieu, à cause de la foule de ses péchés. La deuxième : que les Chaldéens eux aussi, à cause de leur orgueil, se trouvent placés sous la sextuple malédiction et sous le jugement de Dieu. Comme un prêtre, Habacuc s’inclina devant la sainteté de Dieu. Mais cette soumission au jugement de Dieu et la repentance ne sont pas une fin pour le prophète. Son esprit doit continuer à avoir faim. Dans la prière, il ose dire à Dieu combien les réponses qu’il a reçues de lui jusqu’à présent l’ont épouvanté au lieu de la consoler.

Il a vu la justice et la force de Dieu, il voudrait voir maintenant sa miséricorde. Voilà la raison de cette instante prière : « Accomplis ton œuvre… » Étonnante, cette expression, répétée deux fois : « dans le cours des années… »

Certes, voilà une bien audacieuse prière, fort peu modeste… Car ces prophètes n’ont pas eu simplement soif d’un peu de renouveau, ils ne sont pas des fondateurs de « mouvements de réveil », non. Leur espoir et leur attente remontent jusqu’à l’ultime, jusqu’à l’éternité : ce qu’ils demandent dans leur prière ce n’est pas un nouveau temps, mais la fin du temps et l’aurore de l’au-delà. À l’égard de tout ce qui, au cours des années, s’est donné comme des « temps nouveaux », les prophètes se sont toujours montrés très réservés. Ils ne se sont pas laissés convaincre par de modiques paroles de renouvellement.

Un Habacuc connaît une paix que le monde ne peut ni donner ni recevoir, parce qu’elle appartient à ceux dont il disait : « ils vivront par la foi » (voir Ha 2.4). Habacuc a vu briller une nouvelle terre, et depuis que la foi lui a mis cet éclat au fond des yeux, il ne peut plus s’en défaire. Il sent venir le matin; non pas à la manière dont ces innombrables trompés au cours des siècles ont senti venir les vents, non! Il est de ceux qui sentent venir le vent d’en haut, de la pureté qui est au-delà de toutes les sphères humaines, le vent du matin qui vient des cimes éternelles. C’est pourquoi il ne se laisse pas séduire par ces fallacieuses protestations de paix humaines. Les prophètes de Dieu ne sont pas aussi faciles à satisfaire que nous… Ils ont eu faim de la paix entière, absolue, définitive, « qui surpasse toute intelligence ».

La réponse de Dieu au prophète est la seule preuve et l’unique indication qu’il n’est jamais resté sans témoins à travers les siècles.

Il descendit par pure grâce là-bas au Sinaï, lorsqu’il éclaira la terre de la pure lumière de ses commandements saints et éternels. C’est à cause de sa seule miséricorde qu’il ne laissa pas errer le monde dans l’obscurité et le brouillard, mais lui donna une lampe pour guider ses pas et une lumière pour éclairer son sentier. Oui, Dieu se manifesta au Sinaï dans sa loi paternelle le jour où il lui plut de communiquer, au milieu « du tonnerre, de la fumée et des éclairs », ses commandements à son serviteur Moïse. Acte pour lequel les anges du ciel l’ont loué…

Et tout ceci, Dieu l’a fait pour son peuple : « Tu sors pour le salut de ton peuple » (Ha 3.13). Tout cela pour annoncer sa miséricorde dans le cours des années. Quels vains, quels faibles adversaires sont même des gens comme ces Chaldéens « peuple féroce et impétueux », opposés à ce que Dieu peut faire, quand il se dresse en ennemi, quand il tend son arc… Peste, feu, soleil, eau, lune sont à son service quand il se dresse lui-même pour la guerre afin que les malheureux ne soient pas dévorés, poursuivis jusque dans leurs cachettes. Malheur à celui qui a Dieu pour adversaire, Dieu le protecteur des faibles, et qui excite Dieu au combat.

« Ainsi Dieu ne montre pas au prophète Habacuc, en relation avec les actes guerriers et victorieux des Chaldéens, un changement imminent des choses, une ère nouvelle et meilleure, un “il faut que tout change ici et maintenant”, ou encore “un nouvel épanouissement de la prospérité”. Non, rien de tout cela! Ce que Dieu soumet à Habacuc, c’est une tout autre réalité. Les Chaldéens laisseront un monde totalement ruiné. Dieu a bien étendu sa longanimité, laissé refleurir de temps en temps ce qu’on appelle “vie sur les ruines”. Mais s’est-il servi pour cela de la main des Chaldéens? Pourquoi n’a-t-il pas cherché pour cela des mains plus bénies? Le “devoir mondial” des Chaldéens est strictement limité à ceci : dans la meilleure hypothèse, le devoir fixé et établi par Dieu consiste à déblayer ce qui est inutilisable et pourri. Mais édifier du neuf eux-mêmes les Chaldéens ne l’ont jamais pu. Quand ils construisaient, et les Chaldéens étaient de puissants constructeurs, leurs édifices servaient toujours à de nouvelles destructions. L’être le plus intime des Chaldéens est et demande la force destructrice. Où le Chaldéen pose un pied, il ne pousse plus un brin d’herbe.1 »

Il est le Dieu qui au commencement avait donné l’ordre au sein des ténèbres : Que la lumière soit! Il est celui qui enferma les eaux menaçantes, qui tira le monde du chaos, qui fit revivre sa création après le déluge. Il intervient comme le Créateur et le Rédempteur. Aujourd’hui encore, c’est la conviction du prophète, il viendra arrêter ses desseins, les dévoiler. De sa puissance surnaturelle dépend l’existence ou l’anéantissement de tout. Il est aussi bien capable de sauver l’univers que de le faire retourner dans le chaos. Cette puissance apparaît au regard d’Habacuc comme le trait le plus éclatant de la nature de Dieu, et c’est par elle qu’il accourt secourir son peuple. Il avait choisi quelques tribus numériquement faibles, à peine formées, afin de manifester à la face de l’humanité tout entière le triomphe de sa justice, afin de déployer sa puissance libératrice contre les abus de la force brutale. Plutôt que de s’allier aux grandes puissances militaires et impérialistes de l’époque, il avait conclu un pacte avec un groupe d’hommes écrasés, privés de liberté et de droits, pour faire valoir sa justice.

Le Maître véritable et ultime se distingue donc de cette manière des usurpateurs violents; il fait de son règne le domaine de la liberté et non une tyrannie oppressive.

C’était, précisons-le, la vision que le prophète avait de son Dieu, du Dieu de l’alliance. Mais une vision, aussi grandiose soit-elle, ne peut remplacer l’avènement effectif du Seigneur. Or, quoiqu’ébranlé jusqu’au fond de son être par tout ce qu’il avait entendu, tremblant de frayeur dans son corps et dans son âme, le prophète éprouve simultanément et paradoxalement de la joie; et face à l’avenir, et quoiqu’il puisse arriver, il sait sans l’ombre d’un doute que si cet avenir lui échappe, il ne peut pas échapper à Dieu, car l’avenir est enfermé dans les mains du Dieu tout-puissant, celui à qui il s’adresse en suppliant : « Manifeste ton œuvre au cours des années. »

La rencontre extraordinaire entre l’angoisse la plus aiguë et la joie la plus profonde est donc possible! Cela nous émerveille ou nous déroute. La foi, elle, en saisit toute l’occasion; elle accueille cette vision et se fonde en une solide certitude, pas en une illusion. La consolation qu’elle reçoit de Dieu n’est pas faite d’éléments étrangers, hétérogènes et contrefaits. La foi n’est pas un pis-aller; elle n’est pas apaisée par des propos de prétendu bon sens, par un optimisme irréaliste; elle ne se fonde pas sur un courage stoïque ni sur une patience dépourvue d’ossature. Il existe un réalisme presque déroutant, qui est propre à la foi et que le croyant ne peut ignorer. La réalité est bien pire que tout ce que l’on saurait décrire ou même imaginer! Mais précisément, l’homme croyant, même effrayé jusqu’au tréfonds de lui-même, ne désespère point. À travers la détresse, il progresse avec une joie victorieuse. N’a-t-il pas rencontré Dieu? Et Dieu n’a-t-il pas promis que la justice triompherait? Que son règne est imminent et qu’il demeure fidèle à son alliance?

« La lutte passionnée du prophète, écrit à cet endroit Martin Luther, ne vise qu’un seul but : que le peuple élu ne désespère pas de la venue du Christ promis. » Et Calvin ajoute :

« Il est exact que les croyants ne pourraient pas sauvegarder sous la loi leur espérance en Dieu, s’ils ne fixaient pas leurs regards et leurs pensées sur le Christ. Pour autant que les promesses sont oui et amen en Christ, seule une vision dans laquelle Christ apparaît au milieu d’eux pouvait fortifier l’espérance du salut. »

L’Évangile est message de victoire. La grande nouvelle, la seule nouvelle qui compte jusqu’à la fin du monde, même au sein des cendres et poussières qui nous enveloppent, est celle de la victoire totale et définitive de Dieu. Le prophète qui a tant prié, supplié et peiné l’a-t-il entrevue? Sans doute de manière confuse, voilée, en Jésus-Christ. Or, nous sommes mieux placés que l’antique prophète de l’Ancien Testament. Dieu a remporté la victoire en et par Jésus-Christ, l’homme de douleurs et de détresse, celui qu’il jugea comme le pire d’entre les criminels, celui qui fut crucifié, mais qui rompit les chaînes de la mort et brisa les portes de l’enfer et qui siège, à présent et pour l’éternité, à la droite du Père. Cet événement du passé est la plus grande des œuvres de Dieu. Elle décide du cours des événements; elle est le gage d’un avenir qui se trouve entre les mains de Dieu. Elle annonce aussi que ce qui entraîne la détresse et précipite les ruines est toujours et invariablement dû à la même cause : le mal qui se trouve en nous. C’est par notre faute que nous sommes châtiés.

Note

1. W. Lüthi, notes dactylographiées.