Cet article a pour sujet la paix du Christ qui a fait l'expiation de nos péchés et notre réconciliation avec Dieu. Cette paix fondée sur sa victoire sera instaurée parmi les hommes et demeure en nous, même au milieu de l'épreuve.

Source: Méditations sur la vie chrétienne. 4 pages.

La paix du Christ

Dans un monde agité par toutes sortes de conflits larvés ou aigus et meurtri par des guerres incessantes, il serait normal de s’attendre à une soif universelle de paix. Mais j’ai de bonnes raisons de douter de l’existence d’une telle soif. Presque toutes les actions humaines tendent vers cette guerre fratricide qui déclenche les guerres et en assure la permanence. En dépit de toutes les protestations et de toutes les affirmations contraires, j’ai du mal à croire que les hommes désirent ardemment l’instauration de la paix. Ceux qui en parlent ont-ils véritablement saisi le sens du terme? Il ne suffit pas de la rechercher comme un objectif si le mode de vivre et d’agir des uns et des autres dément catégoriquement sa valeur et sa nécessité.

Les Latins l’appelaient « pax », ce qui est très proche de « pacere », qui veut dire mettre d’accord, ou même de « pangere », c’est-à-dire lier fortement ensemble. Accord et lien étroit semblent impliqués par le terme « pax », la paix. Cette idée d’unité devrait être beaucoup plus qu’un simple accord ou lien, car il existe, hélas!, des liens fort malheureux, comme certains liens conjugaux, qui ne sont pas forcément un lien de paix idéal… Il existe aussi des contrats sociaux sous des régimes tyranniques et des « paix » totalitaires qui, de surcroît, ont l’outrecuidance de vouloir imposer leur modèle, qu’ils déclarent le meilleur de tous, aux autres pays. La paix, telle que nous la concevons, est beaucoup plus que l’absence de guerre ou même qu’un assentiment mutuel.

C’est vers le Nouveau Testament que je me tournerai pour connaître le sens du mot paix, « eirènè » en grec. Ce terme biblique décrit d’abord une relation harmonieuse entre hommes (Mt 10.34; Rm 14.19), entre nations (Lc 14.32; Ac 12.30; Ap 6.4); l’amitié aussi (Ac 15.33; 1 Co 16.11; Hé 11.31), de même que la liberté par rapport à l’agression (Lc 11.21; 19.43; Ac 9.31; 16.36), l’ordre dans l’État, des relations harmonieuses entre Dieu et l’homme réalisées à travers l’Évangile (Ac 10.36; Ép 2.17), le sens du repos et le sentiment de satisfaction (Mt 10.13; Mc 5.34; Lc 1.79; 2.29; Jn 14.27; Rm 1.7; 3.17; 8.6).

Sur les pages de la Bible, la paix est un concept éminemment religieux, parce qu’il est accord, unité, harmonie et contentement, qui en sont les diverses facettes et qui rendent un éloquent témoignage à la foi et à la pratique qui la procurent. La paix que donne le Christ est toute autre chose que la détente que vous pouvez trouver auprès de votre psychothérapeute. Si la foi et les structures qui la gouvernent sont fallacieuses, la paix qui en résultera ne sera qu’une illusion.

La paix du Christ est beaucoup plus et même toute autre chose qu’un état d’âme transitoire. On peut créer des états d’âme euphoriques avec une facilité déconcertante. Le recours à l’alcool ou à de savants dosages de psychotropes peut parfois créer, pour de brefs moments, une humeur allègre ou sereine tout à fait trompeuse et illusoire, et la pénible période qui les suit témoigne des troubles profonds qui agitent notre personnalité.

Le terme « paix », comme son équivalent biblique « shalom », indique une intégrité totale, à la fois individuelle et communautaire. La paix est l’opposé même de la lutte existentielle, de la « lucha » dont parlait Miguel de Unamuno dans Le Sentiment tragique de la vie. Elle est principalement la restauration des bonnes relations entre Dieu et l’homme. C’est à elle que songeait saint Paul en écrivant : « Étant donc justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu » (Rm 5.1). Le Christ a accompli l’expiation de nos péchés et a rétabli la bonne et juste relation entre Dieu et les hommes.

L’état initial créé par Dieu et voulu par lui avant que n’intervienne la chute originelle redevient une réalité. La paix du Christ annonce que nous sommes redevenus le peuple de Dieu, dont le règne s’étend sur l’univers tout entier et qui s’exerce également sur les vies individuelles. À présent, nous sommes en mesure d’écouter la Parole de Dieu et de nous y conformer dans chacune de nos démarches. Le Christ nous a ramenés dans la communion originelle, celle à laquelle nous étions destinés dès le départ dans une relation avec celui qui nous bénit et dont la plus grande bénédiction est, justement, de nous accorder sa grâce et sa paix. Aussi c’est la raison pour laquelle les temps messianiques ont été appelés dans l’Ancien Testament les « temps de la paix ». Depuis la naissance du Christ, cette vision de la paix a été fortement soulignée. Dieu a envoyé son Fils unique pour éclairer ceux qui trébuchaient dans les ténèbres afin de les conduire sur les chemins de la paix.

Le premier aspect de la paix biblique est donc celui de l’expiation du péché par la mort rédemptrice du Christ. Celle-ci en implique d’autres, notamment celui de la paix avec nous-mêmes; elle met fin à cette hostilité sadomasochiste dont nous sommes le champ de bataille et les victimes malheureuses.

Mais la paix du Christ est ensuite la paix instaurée parmi les hommes, tous les hommes. Nous devons faire ici bien attention à ce que nous appelons la paix, car elle n’est pas l’équivalent d’une attitude molle et sentimentale qui, au fond, ne nous engagerait à rien. La paix biblique contient l’idée d’une reconstruction radicale de la société selon le modèle biblique et chrétien. La paix du Christ nous invite, certes, à bâtir des Églises et à fonder des foyers chrétiens, mais elle nous engage aussi à organiser des institutions culturelles régies par des principes chrétiens et finalement, pourquoi pas, à chercher l’établissement d’un État s’inspirant des principes bibliques chrétiens.

La Parole de Dieu est à la fois le fondement de toute existence et la motivation la plus puissante pour chaque action et pour chaque entreprise réformatrice. Ce n’est qu’à cette condition-là que nous pourrons être appelés des hommes qui procurent la paix, et non pas par une attitude de résignation démissionnaire, comme si nous étions des chômeurs du christianisme. N’oublions jamais que la paix du Christ n’est jamais une démission ni une compromission. Celles-ci sont l’abandon même de la paix véritable, pour ne pas dire de sa trahison. « Compromission » est un mot qui ne se trouve pas dans le vocabulaire biblique. Bien au contraire, le mot paix y est apparenté avec celui de force ou de pouvoir. Par « pouvoir », nous n’entendons pas la force violente et armée, même pas le pouvoir temporel, car dans la Bible l’idée de pouvoir, comme celle d’autorité, ont une autre connotation. Il s’agit du pouvoir et de l’autorité délégués par Dieu et dont la force n’est pas nécessairement agressive et violente.

L’Église chrétienne ne possède que la puissance spirituelle, tandis que l’État, lui, détient par décret divin un pouvoir temporel fondé et maintenu, si nécessaire, par la force des armes.

La puissance spirituelle et la paix du Christ, elles, sont la manifestation du pouvoir ultime de Dieu en vue de salut des hommes et de la victoire de sa cause. Or, le pouvoir authentique ne concède rien. Lorsque Dieu offre sa paix, c’est lui qui en fixe les conditions. Le Dieu souverain de la Bible ne connaît pas de demi-mesures. Nous ferions bien de ne pas lui attribuer nos tendances au désordre et à l’irrationnel. Vouloir obtenir la paix grâce à des compromissions serait la plus dangereuse des erreurs. Les hommes et les nations qui cherchent à procurer la paix sur d’autres terrains et d’autres conditions que celles offertes par Dieu poursuivent des chimères. Tel est, par exemple, le cas des Nations Unies, malgré la citation biblique que l’on peut lire sur la façade de son siège à New York : « Et de leurs armes ils forgeront des charrues » (És 2.4).

Œuvrer pour la paix sur d’autres fondements que celui posé une fois pour toutes par Dieu, ce n’est pas seulement manquer la paix, mais encourir encore le jugement divin. Une certaine digression historique me permettra de mieux illustrer mon idée sur ce point-là.

L’association de la paix biblique avec la puissance de Dieu était beaucoup plus manifeste dans l’ancien concept de paix, dans ce que l’on appelait la « trêve de Dieu ». Là où la paix de Dieu prévalait, les chrétiens étaient en mesure de renforcer l’idée de l’immunité des gens faibles ou sans armes contre les attaques des factions féodales. Là où était présente la foi authentique, la paix sociale l’était aussi. La paix du sujet-citoyen signifiait la protection et l’immunité de sa terre contre toute agression. La paix défendue par le souverain s’étendait, ou en principe devait s’étendre, sur chacun de ses sujets. Elle était d’autant plus assurée que le pouvoir du prince était réel.

L’erreur tragique des pacifistes modernes consiste à croire à une paix sans force, romantique et sentimentale, une paix unilatérale et désarmée compromettant toute chance, même imparfaite, de paix.

La paix du Christ, elle, est toute autre chose que sérénité mentale, silence et quiétude. Parlant de sa paix, lors du dernier repas pris avec ses disciples, le Christ leur annonçait la tribulation : « Je vous donne ma paix. Moi, je ne vous donne pas comme le monde donne » (Jn 14.27).

Or, cette promesse était suivie de l’avènement du Défenseur, c’est-à-dire du Saint-Esprit. En recommandant la paix, Jésus ne préconisait pas une méthode de contrôle de soi, mais assurait la paix de son peuple au cœur même de la grande tribulation qui l’attendait. Mais il pouvait les rassurer, car comme il leur expliquait plus tard, « toute autorité sur la terre comme au ciel » lui avait été confiée (Mt 28.18).

La paix du Christ est ancrée dans sa victoire. Il est véritablement le Prince de la paix. Celui qui s’attaque à son Église s’attaque à celui qui détient le pouvoir universel. Parce que son règne d’amour, de justice et de paix est déjà établi en principe, nous pouvons nous adresser à lui sachant qu’il prend notre défense, quoi qu’il puisse nous advenir pour le moment.

Notre paix est une réalité au sein de la tribulation (Rm 5.1-3). Non pas parce que nous aurions trouvé un refuge en fuyant le monde, mais parce que, au cœur même des pires situations, nous possédons l’assurance de la victoire certaine et finale du Christ. Il rendra justice, une justice parfaite, et redressera tous les torts par son autorité universelle durant son règne qui durera d’éternité en éternité.