Cet article a pour sujet le don de la vie nouvelle qui commence à la régénération et qui continue par la sanctification progressive qui est l'oeuvre du Saint-Esprit dans la vie du croyant.

Source: Essai sur le Saint-Esprit et l'expérience chrétienne. 5 pages.

L'appel à la sanctification - Le don de la vie nouvelle

Le Christ nous a libérés du pouvoir du péché. Par sa mort, il a anéanti la vieille nature asservie au péché afin de nous ressusciter avec lui. En lui, nous sommes vivants pour Dieu. Notre vie est transformée en lui et pour lui. Elle s’appelle « vivre en Christ ».

« Nous qui, le visage découvert, contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image de gloire en gloire, comme par le Seigneur, l’Esprit » (2 Co 3.18).

Notre sanctification est le don de Dieu. Elle ne saurait, à aucun degré, être une œuvre autonome accomplie par nous-mêmes. L’Évangile nous appelle tous à devenir des hommes « spirituels », à réaliser ce que nous sommes déjà, en principe et sans exception, en Christ; à nous aligner sur son œuvre rédemptrice. L’Évangile ne trace pas de limites discernables entre une catégorie de chrétiens de mauvaise qualité et une catégorie de super-chrétiens très séduisants à première vue, dont on peut pourtant se demander s’ils vivent encore de la seule grâce… Nous aurons l’occasion de le rappeler encore.

La tension existera toujours entre les pécheurs pardonnés que nous sommes et les puissances des ténèbres. La chair et le monde nous solliciteront sans cesse. La tension ne disparaît pas automatiquement du fait que l’on a dépassé un certain stade. Même régénérés, nous serons en butte à la tentation, à l’infirmité, nous connaîtrons la défaillance, nous subirons l’échec. « Pardonne-nous nos offenses », demandons-nous dans l’Oraison dominicale. « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous le faisons menteur », renchérit saint Jean (1 Jn 1.8-10). Plus nous vivons dans la proximité de Dieu, mieux nous nous rendons compte de nos infirmités. « Malheur à moi, car je suis pécheur », s’exclamait le grand prophète de l’Ancien Testament (És. 6).

Comment l’homme régénéré pourra-t-il vivre « en Christ » et posséder en lui les sentiments qui animèrent Jésus? Répondra-t-il à sa vocation de sainteté? Comment pourra-t-il ne servir que Dieu, lui exprimer sa joyeuse gratitude et ne chercher que sa gloire? Comment pourra-t-il répondre dignement à sa vocation céleste? se garder sans tache au milieu d’un monde inique, triompher du péché et résister à Satan? L’appel est pressant : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5.48).

Vivre la vie en Christ serait impossible sans la régénération. Comme tel, le fidèle se reconnaît charnel, il sait ne pas être habité par le bien, mais faire le mal!

Si quelqu’un est en Christ, sa croissance dans l’obéissance ne souffrira ni arrêt volontaire ni négligence. Son objectif consiste à atteindre la pleine stature de l’homme, sa conformité à celle du Christ, « le premier-né d’entre les morts ». La régénération n’est pas une fin en soi, le point terminal de la vie dans la foi. Nous tendrons de toutes nos forces vers le but ultime fixé devant nous. « Hommes nouveaux », nous désirerons ardemment le progrès spirituel et un haut degré d’obéissance.

Dieu nous a placés sur une voie. Il nous fait vivre de la vie nouvelle en vue de notre sanctification. Parlant de ce double aspect de l’œuvre divine en nous, Calvin la qualifiait de « duplex gratia », de grâce double. Nous ayant appelés à devenir des créatures nouvelles, il nous destine aussi à des œuvres bonnes pour que nous les mettions en pratique.

Le professeur Berkouwer parle de quatre étapes caractérisant la croissance dans la sanctification : une connaissance accrue de notre état de péché; un désir plus grand d’obtenir le pardon; une vie de prière intense, afin de connaître la plénitude du Saint-Esprit et devenir conforme à l’image du Christ; une attente de la perfection définitive1.

Par conséquent, il ne suffirait pas de nous savoir régénérés et justifiés comme si l’œuvre divine en nous et l’opération de l’Esprit s’arrêtaient à ces stades du salut. Il faut nous laisser transformer visiblement. Si Dieu nous a régénérés, c’est dans l’intention de nous sanctifier, de sorte que la sainteté même du Christ nous soit impartie et qu’elle soit reflétée dans nos existences.

Selon Hendrikus Berkhof, la sanctification est le contenu de la rédemption. Cependant, le théologien néerlandais nous met en garde contre une conception statique du terme « contenu ». La sanctification est une œuvre dynamique de l’Esprit nous conduisant vers le Rédempteur, œuvre et mouvement devenant alors éminemment dynamiques2.

L’appel à la sanctification est pressant. Notre vie tout entière devra en être marquée. Nous sommes avertis que sans elle nul ne verra Dieu. Nous aurons à vivre « chaque jour comme si le Christ était mort hier, ressuscité aujourd’hui et revenait demain ». C’est dans un tel climat spirituel qu’évolue le chrétien devenu une nouvelle création. La réponse que la foi accorde à l’offre du salut est une réponse sans restriction, elle est totale. La sanctification n’est pas une théorie, une doctrine annexe ajoutée à une longue série de doctrines dont nous pourrions, à la rigueur, nous dispenser pour nous en tenir à ce qui pourrait nous paraître primordial, par exemple la justification par la foi seule.

Nos existences et nos expériences sont entièrement tissées dans une seule et même œuvre rédemptrice. Cette œuvre porte les noms de rédemption, de régénération, de justification, de sanctification, de conformité au Christ et à sa résurrection. Cet ordre du salut n’a rien de figé. La justification n’est pas un portique sous lequel nous pourrions nous immobiliser à peine le seuil franchi et nous y attarder sine die, indifférents au commandement divin et à l’exigence éthique.

Le célèbre « simul justus ac peccator » (toujours pécheur et justifié) de Martin Luther n’a jamais signifié, même pour le réformateur allemand, le moindre encouragement à l’indolence ou au quiétisme spirituel. On oublie souvent que Luther aimait tenir un langage savoureux, imagé et parfois propre à dérouter certains esprits. Mais le souci de la sanctification n’a pas été absent de sa théologie, bien que sa doctrine soit moins précise sur ce point que celle de Calvin. Une illustration dont il se sert éclairera le propos du grand réformateur allemand. On ne peut empêcher, disait-il, que des oiseaux voltigent autour de nos têtes, mais on peut les empêcher d’y construire leurs nids!

Pour l’apôtre Paul, la sanctification du chrétien constitue l’un des miracles majeurs de l’Esprit. Elle est la preuve de l’opération puissante de celui-ci. Ce qui explique qu’en dehors des deux chapitres de sa première lettre aux Corinthiens où il traite du « charisme », il ne mentionne plus nulle part cet aspect de l’œuvre de l’Esprit. Mais l’Esprit Saint est « Pneuma hagion » et son œuvre en nous s’appelle « hagiasmos », c’est-à-dire sanctification.

Dans 2 Thessaloniciens 2.13, il aborde de nouveau le thème du salut et de la sanctification. Ici encore, ainsi que nous le verrons plus loin, la sanctification et la justification sont intimement liées. Toutefois, elles ne se confondent pas. La première ouvre l’accès à la vie nouvelle, la seconde la développe. C’est par la foi que nous sommes unis au Christ (1 Co 6.11).

L’homme « spirituel » se laisse conduire par l’Esprit. Sa vie, aussi bien intérieure qu’extérieure, imitera la vie sainte et irréprochable du Christ (Ga 5.22). Bien que dans 1 Corinthiens 13 l’amour n’est pas expressément présenté comme un charisme de l’Esprit au sens courant de ce terme, la lecture de Galates 5.22 nous permet de le considérer comme un fruit authentique de l’Esprit. D’ailleurs, n’est-il pas le premier à figurer sur la liste de ces fruits? La marche dans l’Esprit nous offre la possibilité de lutter contre toutes « les œuvres de la chair » (Ga 5.16).

Notons en passant la différence entre l’attitude spirituelle de fait des Corinthiens et leur comportement ostentatoire et futile. À leurs yeux, n’étaient considérés comme spirituels que ceux qui pouvaient se prévaloir de dons spectaculaires et de visions célestes accordés par le Saint-Esprit. Contrairement à cette conception erronée, l’apôtre ne tient pour chrétien spirituel que celui qui fait preuve de compassion envers le frère.

Dans Galates 6.3, il expose sa philosophie que résume la simple phrase « celui qui croit être quelqu’un n’est rien et il se trompe ». En un sens, l’Église de Corinthe semblait l’une des plus spirituelles parmi celles établies par Paul. En pratique, elle donnait des signes inquiétants de suffisance spirituelle incompatibles avec la véritable vocation chrétienne, en tolérant des factions en son sein, en se querellant sans cesse et en tolérant des conduites immorales, même si elles n’étaient pas généralisées.

Depuis l’époque de l’apôtre, les marques extérieures et trompeuses de telles spiritualités n’ont pas manqué dans l’Église. L’exhibitionnisme piétiste entre autres reste, à notre avis, l’un des pires fléaux qui aient frappé l’Église du Christ. L’apôtre conseillait à ses lecteurs, et à leur suite à l’Église universelle, de s’examiner à la lumière des principes proposés et fixés avec son autorité apostolique qui lui a été déléguée par le Seigneur. Sans l’amour, toujours caractérisé par la modestie, toute « valeur spirituelle » est vouée à la disparition. L’apôtre souligne que l’Esprit ne se contente pas de sanctifier l’homme intérieur, mais encore la personne tout entière jusque dans son corps (1 Co 6.19), car à présent le corps est devenu le temple même qu’habite l’Esprit.

Cette réalité et cette identité nouvelle excluent toute immoralité; elles devraient faire disparaître la moindre trace d’impureté charnelle. Le fidèle a été purifié par l’Esprit et la vie nouvelle qu’il porte dans ses membres s’oppose à toutes les manifestations du péché. La sensualité est par conséquent classée parmi les offenses les plus graves, car elle est l’occasion de commettre un sacrilège dans le corps où l’Esprit du Christ a élu domicile. Hélas!, à Corinthe, les péchés de la chair étaient regardés avec beaucoup d’indulgence. On y tolérait jusqu’à la fornication. La repentance ne semblait nullement pratiquée; elle n’était même pas prise en considération. L’apôtre devait insister sur l’exigence de la pureté des membres du corps du Christ. « Quiconque détruit le temple de Dieu, Dieu aussi le détruira » (1 Co 3.17). L’Église dans son ensemble est devenue ce temple, mais le chrétien l’est aussi à titre personnel; il est comme la pierre vivante qui fait partie du grand édifice saint. Il doit refléter la vérité et la beauté céleste. À la vue affligeante de la spiritualité déformée des Corinthiens ou d’autres, il est remarquable de constater le robuste optimisme de Paul quant à la nature précise de la spiritualité chrétienne; mais malgré cela, il maintient une idée très élevée de l’Église en tant que corps du Christ.

Chaque fois qu’il sera question de l’Esprit, il en discutera de manière aussi bien idéale que pratique. D’après lui, on ne doit pas chercher le signe de sa présence dans des manifestations exceptionnelles; le signe suffisant en est la marche quotidienne, humble et persévérante dans la foi, dans les qualités ordinaires d’une vie entièrement soumise à la volonté de Dieu et vivant de sa seule grâce. C’est alors qu’apparaîtront des fruits mûris, substance de la vie justifiée et régénérée, qui constituent toute la valeur et la dignité du chrétien. Ils sont l’accomplissement du commandement de la grâce vécu dans la liberté glorieuse des enfants de Dieu. Ils assurent que le Royaume de paix, de justice et de sainteté est déjà une réalité sensible (Rm 14.17).

Ce Royaume n’est pas encore présent ici et maintenant dans sa totalité, mais les fruits de l’Esprit en sont les signes sûrs. L’apôtre, il faut lui rendre justice, refuse d’admettre comme preuve absolue de l’opération de l’Esprit ses effets miraculeux et s’en tient à la marche ordinaire et constante dans la foi. La corrélation entre l’Esprit de Dieu et la vie éthique est assurément l’une des contributions magistrales qu’il apporte à notre connaissance du salut. Le chrétien n’est pas appelé à vivre dans le merveilleux, dans une chaîne ininterrompue de « happening » donnant satisfaction à ses penchants naturels. Au contraire, il devra se conduire selon la vocation qu’il a reçue. La nature de cette vie nouvelle conduite par l’Esprit permet à l’apôtre de parler également de la consolation de l’Esprit, qui accorde l’assurance de la résurrection des corps et fait du chrétien les prémices de l’Esprit (voir Rm 8.2).

Notes

1. G.C. Berkouwer, Faith and Sanctification, Eerdmans, Grand Rapids, 1952, p. 109

2. H. Berkhof, The Doctrine of the Holy Spirit, p. 73-75.