Cet article sur Matthieu 21.9 a pour sujet l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem qui s'est laissé acclamer. Il est le grand Roi et Seigneur universel qui nous offre le salut et nous appelle à nous soumettre à son autorité suprême.

Source: Méditations sur les fêtes chrétiennes. 4 pages.

Matthieu 21 - Méditation sur le dimanche des Rameaux

« Les foules précédaient et suivaient Jésus en criant : Hosanna au Fils de David! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur! Hosanna dans les lieux très hauts! »

Matthieu 21.9

En matière de manifestation de foules et de liesse populaire, nous en avons vu bien d’autres! Gigantesques, soulevant des millions et des millions d’hommes dans les différents continents, et qui contrastent tellement avec cette mini-manifestation du jour des Rameaux, petit fait divers quelque peu insolite au regard des consommateurs avides de nouvelles à sensation que nous sommes, nous autres gens du vingtième siècle… À quoi bon nous transposer deux mille ans en arrière pour rapporter ou remémorer ce qui se passa un matin, en début de semaine, sur une route poussiéreuse descendant d’une colline menant vers la capitale d’un tout petit pays?

Fait divers charmant, pittoresque, mais qui paraît tellement suranné! Cela jure avec notre actualité. Car en matière de soulèvements et de soubresauts, de hourras, d’acclamations et d’adulations aux pères des peuples et aux soleils des nations, aux guides des révolutions et aux grands timoniers, notre époque aura été particulièrement gâtée, si l’on ose dire; de même qu’en matière de vile soumission et de servilité courtisane. Les grands de ce monde n’ont pas manqué, à travers les siècles et surtout à notre époque, de prendre plaisir et de susciter, souvent sous la contrainte, ce genre de délires collectifs.

Depuis les rois et les despotes d’autrefois jusqu’aux dictateurs modernes qui se veulent programmateurs de destinées, il y a toujours eu foule et délire, et surtout beaucoup de sang versé…

Il y a toujours eu les adeptes du culte de la personnalité, mais combien de victimes innocentes ont été nécessaires pour asseoir leur despotisme? La vassalité servile n’a pas fait l’économie de la violence ni des exactions et exécutions à grande échelle. S’il fallait en faire le compte et citer des noms, mille exposés n’y suffiraient pas. L’actualité nous suffit pour être saisis d’indignation et d’écœurement. Parmi ceux qui agitent des banderoles, combien ne vont-ils pas tomber bientôt, exécutés par leurs concurrents ou par les mercenaires qui ne manquent jamais pour servir n’importe quel pouvoir?

Alors, pourquoi s’arrêter sur cet incident que le vieil Évangile, écrit il y a deux mille ans, nous rapporte de façon détaillée? Voici un homme jeune, à la force de l’âge, nommé Jésus de Nazareth, inaugurant la dernière semaine de sa vie. Il monte un âne, monture dérisoire à nos yeux, nous qui voyons défiler des chefs d’État en voiture blindée et des conducteurs d’Église escortés en grande pompe. Il est entouré par un groupe de disciples, fidèles de la première heure, entouré et acclamé par une foule d’admirateurs auxquels ont dû se mêler des badauds dans ces jours précédant la grande fête. Dans le cortège se trouvent sans doute des hommes haineux, envieux et mortellement blessés dans leur orgueil, prêts à une contre-manifestation. Voilà encore des vêtements en guise de tapis. Oui, dans un geste d’abandon et de joie, des hommes et des femmes, sans doute aussi des enfants, jettent à terre leur tunique pour que cette procession royale aie, ne serait-ce que de façon modeste, un air d’honneur…

Ailleurs, des rameaux arrachés en toute hâte aux oliviers bordant le chemin sont agités à la cadence des « Hosanna! », l’équivalent de notre « Hourra! ». Cette scène pourrait faire le thème et le scénario d’un film de reconstitution historique pour des amateurs de vieilles histoires. Mais quel rapport a-t-elle avec notre vie quotidienne, sociale, culturelle, politique, et quels sont ses effets sur la religion que nous aimerions peut-être pratiquer quand même?

Vous avez peut-être haussé les épaules avec indifférence devant ce récit. Certains d’entre vous diront peut-être qu’en matière de scènes typiques ou d’incidents marquants, ils ont déjà opéré leur sélection dans les dits et les faits de Jésus de Nazareth; que leur préférence va au Rabbi galiléen assis sur les flancs d’une colline et enseignant ses vérités incomparables plutôt qu’au jeune homme du jour des Rameaux dans cette procession royale dérisoire, au milieu d’une agitation sans lendemain. Le jeune ou l’adulte avisé que vous êtes pense peut-être qu’il n’a rien à faire d’un Christ acclamé roi dans une flambée d’enthousiasme sans lendemain. Je crains que vous soyez nombreux, chers lecteurs, à vous faire une image de Jésus plus proche d’une méchante photo de photomaton que d’une fidèle reproduction à partir du portrait qu’en font les Évangiles. Mais reconnaissons que nous n’aimons pas le Jésus historique, celui des Évangiles. Son portrait n’entre pas dans nos cadres surfaits. Il nous gêne, ici ou ailleurs. Il nous choque. Parfois même, il nous scandalise.

Ne prétextons pas la distance historique qui nous sépare de lui, présentée souvent comme un obstacle majeur pour le connaître tel qu’il fut, et qui ne cadre pas avec notre modernité. Nous avons avoué que tous, à un moment ou l’autre de notre vie, devant le Jésus de chair et d’os que nous rencontrons sur les pages du Nouveau Testament, nous avons eu des pensées et des sentiments ambigus, car parfois il nous surprend, nous angoisse ou même nous scandalise. Au fond de nous-mêmes, ce n’est pas l’image émouvante de l’homme avançant sur un petit âne et que nous trouvons insolite, bizarre, peut-être vieux jeu, qui nous gêne, mais le fait qu’elle est indissociable de l’histoire de l’homme de Nazareth qui est aussi le Fils incarné de Dieu. Ceci nous surprend et nous gêne autant que le petit enfant naissant sur la paille d’une étable ou que cet homme flagellé, sanguinolent, frappé à mort et gravissant le chemin de la croix, ou encore celui qui, trois jours après, réapparaît ressuscité des morts, pour surprendre ses amis et confondre ses ennemis trop tôt réjouis de sa disparition.

Jésus de Nazareth, le Messie d’Israël, le Seigneur de l’Église, Fils éternel du Dieu des cieux et de la terre, est partout la même personne accomplissant une seule mission. L’épisode des rameaux fait partie de ce vaste tableau et il a lieu au début d’une semaine qui verra quelques jours plus tard le dénouement tragique du vendredi de la crucifixion. Ce Jésus-là, voyez-vous, n’est pas une simple figure historique. Il nous adresse aujourd’hui un message qui soit forcera notre foi et nous arrachera un aveu d’allégeance, soit provoquera le refus, qu’il soit respectueux et poli ou violent et hargneux.

Puis-je vous demander de ne pas hausser les épaules et de ne pas mettre de côté cette lecture, avant d’avoir fini de lire ce message qui est le sien? Beaucoup de choses dans votre vie pourraient changer. Que dis-je! Votre vie en serait transformée comme le fut la mienne, qui, depuis mon enfance, n’a cessé d’être charmée et bouleversée par ces scènes évangéliques. J’ai conservé le souvenir le plus heureux de ces dimanches, fête des Rameaux, où nous nous transposions deux mille ans en arrière pour revivre ces heures inoubliables de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem. Ceux qui sont venus plus tard vers lui ont enfin compris que, Seigneur et Sauveur, il n’y a personne d’autre, sur la terre ou dans les cieux, qui puisse leur accorder le sens de toutes choses; le pardon et le bonheur de vivre ou de revivre avec Dieu. C’est ce message-là que je veux vous apporter en premier lieu.

Mais que s’est-il passé au juste ce jour-là? Pourquoi lions-nous cet épisode à un message qui peut transformer notre existence et toute notre conception des choses?

L’interprétation que l’Église donne à cette entrée triomphale de Jésus à Jérusalem est unanime. Une prophétie de l’Ancien Testament prononcée quelque cinq siècles avant Jésus-Christ vient d’être accomplie : « Sois transportée d’allégresse, fille de Sion! […] Voici ton roi, il vient à toi; il est juste et victorieux, il est humble et monté sur un âne… » (Za 9.9). Ce sont là les paroles du prophète Zacharie. Montant sur le petit d’un âne, Jésus s’identifiait aux aspirations messianiques du peuple juif. Ce n’est pas une mesure de modestie excessive qui lui fait choisir cette monture insolite. Des siècles durant, les juifs de la patrie et ceux de la diaspora s’attendaient à l’avènement du Libérateur.

Jésus apparut à l’époque où sa nation était asservie sous le joug de fer des Romains, souffrait et luttait pour s’affranchir. L’attente messianique cherchait le conducteur charismatique qui pourrait les libérer, et des leaders n’avaient pas manqué de soulever les cœurs ou entraîner à leur suite des groupes de zélotes. D’un certain Judas, à Bar Cochba, que d’espoirs et d’illusions étaient nés! Au milieu de cette espérance fiévreuse et folle, parmi des groupuscules de résistants zélateurs fomentant la révolte, Jésus apparaît enfin comme le descendant glorieux du roi David. Beaucoup pensent qu’il va enfin inaugurer l’heure de l’émancipation juive et instaurer le pouvoir national et universel dont rêvaient depuis des siècles les descendants du peuple élu.

On ne peut pas séparer ce triomphe d’un jour de la tragédie qui va conclure le séjour de Jésus à Jérusalem, car à vue humaine le triomphe tourna au désastre. En relisant la page émouvante du jour des Rameaux, je saisis aussi ces notes de la Passion selon saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach, dont le « Salut ô Roi » traduit si fidèlement l’ironie et l’hypocrisie des hommes. Je ne prétends pas que la foule du premier jour de la semaine fut celle qui vociféra le vendredi matin : « Crucifie-le, crucifie-le! » Nous ne voulons pas que cet homme soit notre roi. Mais l’événement aboutit à cette fin tragique. S’agit-il d’une tragédie au sens courant du terme? L’enthousiasme populaire dont Jésus fut l’objet un instant l’aurait-il aveuglé au point de ne pas prévoir la fin et sa mort sur une croix?

Je ne le pense pas. Le témoignage des quatre évangélistes est unanime. Jésus a délibérément marché vers la croix. Il a choisi la mort, il a accepté l’apparente défaite et a fait de sa passion le moyen de sa victoire.

Mais en ce jour de l’entrée à Jérusalem, que l’Église chrétienne tout entière commémore comme « le dimanche des Rameaux », Jésus a laissé un message particulier que l’Église chrétienne reçoit dans la foi, l’espérance et la soumission. Le Christ acclamé dans les « Hosanna! » et les « Hourras! » est véritablement le Seigneur universel.

Gare et malheur à celui ou à ceux qui, accédant au pouvoir, qu’il s’agisse de régimes tyranniques ou même de régimes démocratiques, voudraient exercer de leur propre chef, ou à cause de l’acclamation populaire, un pouvoir qui ne serait pas soumis à l’autorité suprême du Christ, Fils de Dieu et Seigneur universel. Gare et malheur à nos chefs d’État, à nos parlements, à nos partis politiques et à nos syndicats ainsi qu’à toute autre institution qui oublierait ou refuserait ce message-là. Il faut qu’ils lisent et méditent la page des Évangiles rapportant « le fait divers » de l’entrée de Jésus à Jérusalem.

Mais gare et malheur aussi à l’Église du Christ qui, sous prétexte de la royauté du Christ, s’arrogerait aujourd’hui droits, honneurs, prestige, popularité et despotisme pour asservir ses membres ou pour dicter au monde autre chose que la foi et la soumission au Christ et à lui seul. Gare et malheur aux hommes d’Église qui se substitueraient, consciemment ou inconsciemment, à Jésus de Nazareth, dont la royauté s’exerce par le don de soi et dont l’autorité s’établit dans le sacrifice de sa personne. Les premiers disciples du Christ avaient saisi ce message-là. Je comprends leur émotion et leur enthousiasme, leur zèle, leur conviction et leur martyre.