Cet article sur la 4e béatitude en Matthieu 5.6 a pour sujet le bonheur d'avoir faim et soif de Dieu et de sa justice, car en Jésus les pécheurs recevront la parfaite justification par la foi.

Source: Les béatitudes. 4 pages.

Matthieu 5 - Heureux ceux qui ont faim et soif de justice - Quatrième béatitude

« Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés! »

Matthieu 5.6

À certaines époques, le monde semble porté en avant par de grandes vagues d’espoir joyeux. À d’autres, l’existence, encadrée par des règles précises, semble s’écouler dans une certaine sérénité… Notre siècle apparaît comme celui de la recherche inquiète. Au sein d’efforts chaotiques, les hommes sont à la quête de leur âme. Nos jours, difficiles et passionnants à la fois, errent à la recherche de Dieu, mais d’un Dieu en « creux », par exemple celui d’André Malraux, et non pas du Dieu en « relief » de l’Écriture.

C’est de cette faim et de cette soif, qui ont été de tout temps, que souffre chaque être humain venant dans le monde. Faim et soif de Dieu, dont il porte l’aiguillon qui lui fait mal. Le germe de la divinité qui a été planté en lui et qu’il empêche de croître le rend inquiet… Il a soif d’infini, lui qui se sait tellement limité et fini; il a faim d’éternité, lorsqu’il mesure à quel point le temps est éphémère; il a le désir de perfection, lui qui se reconnaît coupable. C’est cela qui fait la grandeur et la misère de l’homme dont parlait Blaise Pascal quelque part. L’inquiétude qui le dévore, la faim qui le tenaille, la soif qui l’altère seront de tout temps, parce que, selon le mot de saint Augustin, « nous avons été créés pour Dieu et nos cœurs n’auront point de repos loin de lui ».

L’inquiétude des modernes a pris une acuité singulière; elle remet en question le sol même que nous foulons, ce terrain semblable à des sables mouvants où nous nous enlisons. Il manque aux hommes un appui résistant, ferme et inébranlable. L’ouragan qui balaie le monde emporte tout ce qui est vermoulu, laissant l’homme sans abri, désemparé et nu. Tenaillé par une faim que rien ne satisfait, il cherche anxieusement ce qui pourrait l’apaiser. D’autres subissent l’attrait de ce qui se présente comme un aliment spirituel nouveau : religions exotiques, occultismes de toujours, idéologies politiques et autres mythologies sans cesse renaissantes égarent la quête du chercheur. « Vieux os rongés et laissés pour compte par nos lointains aïeux », écrivait naguère un pasteur.

La justice, au sens courant et populaire, est la règle de ce qui est conforme au droit de chacun. C’est de cette justice-là que rêvent les masses. C’est à cause d’elle qu’éclatent les révolutions violentes. Certes, nous aurions grand tort de ne pas tenir compte de la faim et de la soif pour cette justice appelée improprement « sociale ». Elle aussi se fonde sur la justice de Dieu. Mais le fait est que cette justice-là est devenue l’objet de revendications déchaînées et surtout le prétexte pour tous les crimes. Elle est la justice réclamée par la force du poignard, et non celle qu’accorde la puissance de la Parole divine.

« Les décharges révolutionnaires s’accompagnent souvent de ce type d’assouvissement qui peut aller jusqu’à une sorte d’ivresse sanglante. Dieu marque ses distances à l’égard de cet assouvissement du sentiment de la justice en faisant perdre, tout d’abord, la révolution dans le sable » (Walter Lüthi).

Toutes autres sont la faim et la soif de la justice promises dans les béatitudes. Elles consumaient les prophètes et les témoins de Dieu dès l’antiquité lointaine : « Tu m’as séduit, Éternel, et je me suis laissé séduire », s’était écrié le plus sensible d’entre eux, le prophète Jérémie (Jr 20.7). « Mon âme a soif du Dieu vivant », chantait le chantre sacré d’Israël, auteur du Psaume 42. C’est la faim et la soif de Dieu, parce qu’il est l’objet et le but suprême de notre existence. Dès lors, comment en serait-il autrement?

Serait-ce un rêve irréalisable que de s’approcher de lui? Non point. Remarquons cependant que ces hommes de la foi, qui ont clamé leur faim et leur soif de Dieu, se savaient tout d’abord du côté de l’injustice : « Il n’y a point de juste, même pas un seul; […] tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu », affirme saint Paul (Rm 3.10,23). Pourtant, ils n’ont pas arrêté de réclamer et de revendiquer la justice divine. Dans leur misère et leur souffrance, ils ont réclamé le Seigneur : « Seigneur, me rejetteras-tu à jamais? »

« Être rassasié » c’est rencontrer celui qui vient en personne combler notre attente, assouvir notre soif, apaiser notre faim… Ce n’est plus rêver l’impossible, car Dieu a rendu la chose possible. La justice signifie à présent la justification du pécheur. Dieu justifie l’injuste; il se réconcilie avec l’inique; il pardonne le méchant, sauve le pécheur; Dieu redonne la vie à l’homme mort dans ses transgressions. La prière pour la justice ne se perd donc pas dans le vide. Pétris du limon de la terre, nous ne sommes pourtant pas laissés sans secours. Celui qui vient à notre rencontre n’est autre que le Fils de Dieu, qui a prié pour la justice et obtenu notre justification.

Lui aussi s’est écrié dans son tourment : « J’ai soif » (Jn 19.28). Le Pain de vie descendu du ciel (Jn 6) s’est offert sur la croix afin que « des fleuves d’eau vive » (Jn 7.38) coulant de son flanc percé puissent nous désaltérer. À cause de la soif qu’il ressentit, il est en mesure de nous nourrir et d’étancher notre soif.

La sainte Cène qu’il a instituée en est le signe tangible et permanent, jusqu’à ce qu’il revienne. Le rassasiement est promis à notre désir insatiable de justice et de justification; bien plus, aussi paradoxal que cela puisse paraître, Dieu nous apaise pour créer en nous de nouveaux désirs. La faim et la soif de justice deviennent à présent l’exigence même pour une vie toute neuve, l’effort pour atteindre la perfection, la réponse pour l’appel du Christ : « Soyez parfaits, comme je suis parfait. »

Cette béatitude est sans doute aussi une demande très exigeante. Elle nous dit que Dieu n’est pas simplement un objet d’investigation ou d’intérêt; que le Christ ne se présente pas à nous comme une abstraction, une de plus; que la foi chrétienne n’est pas le sujet de dissertations littéraires, mais vie, nouveauté, exigence d’absolu. Dieu nous rassasie comme le père miséricordieux de la parabole. Il nous remplit de telle sorte que nous pouvons affirmer : « Pour moi, Christ est ma vie » (Ph 1.21). Mais aussi il nous incite à prier : « Donne-nous notre faim d’aujourd’hui ». Vous avez bien entendu : il s’agit bien de réclamer la faim de Dieu, de sa perfection, de sa sainteté, de son amour.

Dieu nous entraîne afin que nous renoncions aux aliments impurs. La béatitude suppose une rupture avec le passé, avec le « moi », avec nos points d’attraction.

Si vous avez lu le célèbre roman d’inspiration chrétienne de l’auteur polonais H. Sienkiewicz, Quo Vadis? vous vous rappellerez sans doute du jeune Marcus Vinicius, patricien romain. Profondément amoureux d’une jeune chrétienne qui, pour rien au monde, n’aurait épousé un homme ne partageant pas sa foi, il la suit un soir, en secret, jusqu’au lieu de rassemblement et de culte des chrétiens. Il y entend la prédication de l’Évangile; il est troublé, voire profondément convaincu que le Christ est l’unique Seigneur. Mais voici que surgit l’obstacle : accepter le Christ ne le privera-t-il pas de ses avantages de patricien? Ne risque-t-il pas de se déconsidérer aux yeux de ses amis et des gens de sa classe et de son rang? Alors, en tout cas pour le moment, Vinicius renonce au Christ.

Il en est si souvent ainsi dans la réalité! Tant d’échecs ne s’expliquent que par des considérations mondaines… Mais la foi n’est pas un loisir destiné aux dilettantes. Elle trace un chemin étroit devant le disciple disposé à tout laisser pour confesser le nom de son Seigneur, prêt à souffrir le martyre s’il le faut. Mais c’est ce disciple-là qui sera convié au plus riche des festins, et non le repu, le satisfait, celui qui se promène avec sa bonne conscience, qui s’imagine n’avoir besoin de rien… Celui-là me rappelle Cyrano de Bergerac dans la dernière scène de la pièce d’Edmond Rostand : Le vieux guerrier s’apprête à se présenter devant Dieu sans être recouvert de l’habit du Christ ni de la justice obtenue par la foi seule, mais plutôt fier de sa noblesse, de son courage et de son intégrité. Ici, l’homme est devenu sa propre providence, il s’offre son propre salut. Peut-être que Dieu tient quand même une place dans sa vie, mais c’est une place honoraire… Cyrano est le modèle de ceux qui affirment avec autant de présomption que de naïveté : « Je n’ai rien à me reprocher! » La Bible, elle, déclare que nous avons, tous et chacun, des choses à nous reprocher, que nous sommes injustes à moins d’être revêtus de la justice de Dieu.

Sur les dernières pages du livre de l’Apocalypse, nous trouvons la plus extraordinaire des promesses :

« Il habitera avec eux, ils seront son peuple, et Dieu lui-même sera avec eux. Il essuiera toute larme de leurs yeux, la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses ont disparu. […] Ses serviteurs le serviront et verront sa face, et son nom sera sur leurs fronts. La nuit ne sera plus, et ils n’auront besoin ni de la lumière d’une lampe ni de la lumière du soleil, parce que le Seigneur Dieu les éclairera. Et ils régneront aux siècles des siècles. » (Ap 21.3-4 et 22.3-5).