Cet article a pour sujet l'abandon du caractère sacré de la vie au profit de l'infanticide et de l'euthanasie de nourrissons et d'enfants lorsque le fondement de la foi chrétienne est rejeté.

5 pages. Traduit par Paulin Bédard

Le retour à la fournaise de Moloch

De nombreux membres de l’intelligentsia sont affreusement à l’aise avec leurs conclusions post-chrétiennes et sont enthousiastes à l’idée d’abandonner le caractère sacré de la vie humaine au profit de l’infanticide.

De nombreux membres de l’intelligentsia sont affreusement à l’aise avec leurs conclusions post-chrétiennes et sont enthousiastes à l’idée d’abandonner le caractère sacré de la vie humaine au profit de l’infanticide.

En 2017, Jerry Coyne, de l’université de Chicago, s’est plaint que les effets résiduels du christianisme freinaient la civilisation occidentale. Comment cela se fait-il? Selon lui, c’est l’éthique chrétienne qui empêche l’infanticide légal de faire son retour.
« La raison pour laquelle nous n’autorisons pas l’euthanasie des nouveau-nés est que les êtres humains sont considérés comme spéciaux, et je pense que cela vient de la religion, en particulier de l’idée que les êtres humains, contrairement aux animaux, sont dotés d’une âme. C’est le même état d’esprit qui, dans de nombreux endroits, n’autorise pas l’avortement des fœtus présentant de graves malformations. Lorsque la religion disparaîtra, comme elle le fera, une grande partie de l’opposition à l’euthanasie des adultes et des nouveau-nés disparaîtra également.1 »

De nombreux philosophes partagent le point de vue de Coyne. Peter Singer, bioéthicien de Princeton, affirme que seule la superstition religieuse nous empêche de tuer des nourrissons, une pratique qu’il juge parfaitement éthique. Comme il l’a écrit dans Practical Ethics [L’éthique pratique] : « Tuer un nourrisson défectueux n’est pas moralement équivalent à tuer une personne. Parfois, ce n’est pas mal du tout. » Pour Singer, les massacres de bébés de notre passé païen sanglant sont une source de nostalgie plutôt que d’horreur.

Le psychologue cognitif canadien Steven Pinker, du MIT [Institut de technologie du Massachusetts], ne va pas aussi loin que Singer, mais partage probablement son point de vue. En 1997, Pinker a écrit dans le New York Times que les lois contre l’infanticide étaient difficiles à défendre :

« Pour un biologiste, la naissance est une étape aussi arbitraire que n’importe quelle autre. Non, le droit à la vie doit provenir, selon les philosophes moraux, de traits moralement significatifs que nous, les humains, possédons. L’un de ces traits est la séquence unique d’expériences qui nous définit en tant qu’individus et qui nous relie à d’autres personnes. D’autres traits incluent la capacité à réfléchir sur nous-mêmes en tant que lieu continu de conscience, à former et à apprécier des projets pour l’avenir, à redouter la mort et à exprimer le choix de ne pas mourir. Et c’est là que le bât blesse : nos nouveau-nés immatures ne possèdent pas plus ces caractéristiques que les souris.2 »

Dans son ballon d’essai, Pinker cite l’essai de 1972 de Michael Tooley intitulé Abortion and Infanticide [Avortement et infanticide], dans lequel le professeur de philosophie défend l’idée que c’est la qualité de la personne plutôt que l’humanité qui confère les droits de l’homme, et que l’infanticide pourrait être autorisé « jusqu’à ce qu’un organisme apprenne à utiliser une certaine expression ». Tooley lui-même a noté qu’il établirait « une certaine période de temps, telle qu’une semaine après la naissance, comme l’intervalle pendant lequel l’infanticide sera autorisé ».

Les parents qui découvrent trop tard pour se faire avorter que leur enfant est « imparfait » devraient, selon Tooley, avoir une autre chance. Il écrit :

« La plupart des gens préféreraient élever des enfants qui ne souffrent pas de difformités flagrantes ou de graves handicaps physiques, émotionnels ou intellectuels. Si l’on pouvait démontrer qu’il n’y a pas d’objection morale à l’infanticide, le bonheur de la société pourrait être augmenté de manière significative et justifiée. »

Le bonheur des enfants rejetés n’a bien sûr aucune importance.

Coyne, professeur d’écologie et d’évolution, propose également un changement de politique. Il laisse entendre que c’est uniquement à cause du christianisme que nous sommes dégoûtés par l’infanticide. Il est temps de dépasser cette superstition :

« Il est temps d’ajouter à la discussion l’euthanasie des nouveau-nés, qui n’ont pas la capacité ou les facultés de décider de mettre fin à leur vie. Bien qu’il semble interdit d’en parler aujourd’hui, je pense qu’un jour, cette pratique se généralisera, et ce sera pour le mieux. Après tout, nous euthanasions nos chiens et nos chats lorsque prolonger leur vie serait une torture, alors pourquoi ne pas étendre cette pratique aux humains? Les chiens et les chats, comme les nouveau-nés, ne peuvent pas prendre une telle décision, et ce sont donc ceux qui prennent soin d’eux qui en assument la responsabilité. Je l’ai moi-même fait pour un animal de compagnie, comme beaucoup d’entre vous, et je suis fermement convaincu que c’est la bonne chose à faire. La douleur que nous éprouvons à prendre une telle décision est atténuée par le fait que les chiens et les chats, comme les nouveau-nés, ne connaissent pas la mort et ne la craignent donc pas.3 »

Pendant des années, les éthiciens et les militants pro-vie se sont entendus dire que le fait de citer des universitaires prestigieux prônant l’infanticide constituait le sophisme de la pente glissante. Après tout, nous disait-on, on peut trouver un universitaire pour défendre à peu près n’importe quoi, mais personne ne le prend au sérieux. Mais si l’histoire du 20e siècle nous apprend quelque chose, c’est que les intellectuels fêlés peuvent nous donner des montagnes de crânes fêlés.

Le 2 août 2020, une étude intitulée Healthcare professionals’ attitudes towards termination of pregnancy at viable stage [Attitudes des professionnels de la santé à l’égard de l’interruption de grossesse à un stade viable]4 et publiée par la Fondation pour la recherche en Flandre et l’Université de Gand a révélé que 89,1 % des professionnels de la santé et 93,6 % des professionnels de la santé belges ont indiqué que l’infanticide est acceptable dans certaines circonstances. Parmi les personnes interrogées, 87,9 % « sont d’accord pour dire que la loi belge devrait être modifiée pour rendre cela possible ». En outre, ils ont convenu que l’infanticide devrait être une option même lorsque l’état du bébé est « non létal » — en bref, c’est l’eugénisme à l’état pur. Tous les professionnels de la santé interrogés sont favorables à l’avortement tardif pour les bébés présentant des « malformations fœtales ».

L’infanticide est déjà de facto légal dans des circonstances limitées aux Pays-Bas depuis un certain temps. Les enfants de moins d’un an dont le pronostic vital est engagé peuvent être euthanasiés en vertu du protocole de Groningue de 2004, qu’un journal a décrit comme une tentative « de réglementer la pratique consistant à mettre activement fin à la vie des nouveau-nés et d’empêcher les meurtres incontrôlés et injustifiés ». L’idée que l’infanticide doit être réglementé plutôt qu’interdit et que le fait de tuer certains bébés peut être « justifié » est bien sûr inhérente à cette description. L’extension de l’euthanasie des enfants aux Pays-Bas est imminente5.

L’euthanasie des enfants pourrait bientôt arriver au Canada. Depuis plusieurs années, les militants du suicide plaident pour que les « mineurs matures » se voient accorder le « droit » à l’euthanasie pendant plusieurs années6; aujourd’hui, certains professionnels de la santé demandent également au gouvernement de légaliser l’infanticide. Le 7 octobre 2022, le Dr Louis Roy, du Collège des médecins du Québec, a déclaré au Comité mixte spécial de la Chambre des communes sur l’aide médicale à mourir que, selon son organisation, l’euthanasie des nourrissons de moins d’un an devrait être légale si le bébé en question présente des « syndromes graves et sévères » ou des « malformations graves » ou si « ses chances de survie sont nulles, pour ainsi dire ».

Un journal national a publié un éditorial au titre dérangeant : Canada must not become a country that kills disabled babies [Le Canada ne doit pas devenir un pays qui tue les bébés handicapés]7. Roy a répondu à l’horreur des Canadiens en condamnant les opposants à l’infanticide comme « politisant » la proposition.

Il convient de noter ici que le Canada tue déjà des bébés handicapés; plus de 90 % des enfants diagnostiqués avec le syndrome de Down sont tués par avortement. Les défenseurs de l’infanticide notent à juste titre qu’il n’y a pas de distinction morale entre un enfant né peu avant et un enfant né peu après la naissance, et que la frontière entre l’avortement tardif et l’infanticide est souvent floue. En 2012, le bureau national des statistiques, Statistique Canada, a révélé qu’entre 2000 et 2009 491 bébés étaient nés vivants et qu’on les avait laissés mourir après un avortement. Malgré les implications évidentes de l’infanticide, le Premier ministre conservateur Stephen Harper est resté blasé lorsqu’il a été interrogé à ce sujet au Parlement : « Tous les membres de cette Assemblée, qu’ils soient d’accord ou non, comprennent que l’avortement est légal au Canada. »

Le parti démocrate des États-Unis est également devenu un fervent défenseur des pratiques d’avortement infanticides. Les gouverneurs démocrates opposent régulièrement leur veto à des projets de loi offrant une protection aux bébés qui survivent à une tentative d’avortement (un événement rare, mais qui se produit), le dernier en date ayant été rejeté par le gouverneur de l’Arizona, Katie Hobbs8. Les sénateurs démocrates ont rejeté des projets de loi qui criminalisent le fait pour un médecin de blesser ou de négliger un enfant ayant survécu à une tentative d’avortement, malgré les témoignages de professionnels de la santé et de survivants d’avortements qui dénoncent et décrient cette pratique. En pratique, le Parti démocrate soutient le point de vue de certains philosophes selon lequel certains nourrissons peuvent être tués ou, à tout le moins, devraient être privés de la protection de la loi.

En 2014, le chroniqueur conservateur agnostique Douglas Murray a écrit un article effroyable pour le Spectator dans lequel il dit ceci :

« Alors que l’Occident devient de plus en plus post-chrétien, nous devrons peut-être accepter que le concept du caractère sacré de la vie humaine soit une notion judéo-chrétienne qui pourrait très bien ne pas survivre à la civilisation judéo-chrétienne. Ceux qui ne croient pas en Dieu et qui regardent cette falaise […] peuvent se rendre compte que seules trois options s’offrent à nous. La première consiste à tomber dans la fournaise. La deuxième consiste à travailler furieusement à l’élaboration d’une version athée du caractère sacré de l’individu. Si cela ne fonctionne pas, il ne nous reste plus qu’une seule possibilité. C’est le retour à la foi, que cela nous plaise ou non.9 »

Dix ans plus tard, il semble évident que les athées qui regardent cette falaise spartiate sont affreusement à l’aise avec leurs conclusions et enthousiastes à l’idée de laisser le caractère sacré de la vie humaine dans le rétroviseur. Il y a des athées éthiques, mais il n’y a pas d’éthique athée. Il n’y aura pas de version athée du caractère sacré de l’individu. Singer, Pinker et Coyne ne s’intéressent pas non plus à la foi. Et c’est ainsi, semble-t-il, que nous retournerons à la fournaise de Moloch.

Notes

1. Jonathon Van Maren, « Evolution professor says Christianity is preventing legalized infanticide » [Selon un professeur spécialiste de l’évolution, le christianisme empêche la légalisation de l’infanticide], The Bridgehead, 31 juillet 2017.

2. Michael Kelly, « Arguing for Infanticide » [Plaider en faveur de l’infanticide], The Washington Post, 6 novembre 1997. Steven Pinker, « Why They Kill Their Newborns » [Pourquoi ils tuent leurs nouveau-nés], The New York Times, 2 novembre 1997.

3. Jonathon Van Maren, « Evolution professor says Christianity is preventing legalized infanticide » [Selon un professeur spécialiste de l’évolution, le christianisme empêche la légalisation de l’infanticide], The Bridgehead, 31 juillet 2017.

4. Jonathon Van Maren, « Near-total majority of Belgian doctors back infanticide as acceptable in certain circumstances » [La quasi-totalité des médecins belges considèrent l’infanticide comme acceptable dans certaines circonstances], The Bridgehead, 21 août 2020.

5. Jonathon Van Maren, « Child Euthanasia Comes to the Netherlands » [L’euthanasie des enfants arrive aux Pays-Bas], First Things, 15 octobre 2020.

6. Jonathon Van Maren, « Doctors propose killing sick children under Canada’s new euthanasia law » [Des médecins proposent de tuer des enfants malades en vertu de la nouvelle loi canadienne sur l’euthanasie], LifeSite, 24 septembre 2018.

7. Ben Woodfinden, « Canada must not become a country that kills disabled babies » [Le Canada ne doit pas devenir un pays qui tue les bébés handicapés], National Post, 12 octobre 2022.

8. Michael Gryboski, « Arizona Gov. Katie Hobbs vetoes bill requiring abortionists to save babies born alive in botched abortions » [La gouverneure de l’Arizona, Katie Hobbs, a opposé son veto à un projet de loi obligeant les avorteurs à sauver les bébés nés vivants lors d’avortements ratés], The Christian Post, 7 avril 2023.

9. Douglas Murray, « Would human life be sacred in an atheist world? » [La vie humaine serait-elle sacrée dans un monde athée?], The Spectator, 19 avril 2014.