Cet article a pour sujet l'évolution de la mariologie et du culte à Marie dans le catholicisme, depuis les grands conciles, le monachisme, le gnosticisme, le Concile de Trente, jusqu'aux déclarations sur l'Immaculée Conception et l'Assomption, et le Concile Vatican II.

Source: Perspectives réformées sur le catholicisme romain. 47 pages.

Le catholicisme et la mariologie

  1. Marie dans les Évangiles
  2. Extrapolations
  3. Le développement de la mariologie chez les Pères de l’Église et les grands conciles
    a. Les Pères de l’Église
    b. Le Concile d’Éphèse (431)
    c. Le Concile de Chalcédoine (451)
    d. Le Concile de Latran (649)
  4. La Magna Mater, Marie et la gnose
    a. Marie et la Magna Mater
    b. Marie et la gnose 
  5. Marie et le monachisme — Dualisme et célibat
  6. La mariologie au cours des 12e et 13siècles
  7. La Contre-Réforme et le Concile de Trente
  8. Marie et l’Église
    a. Marie Mère de l’Église
    b. Marie corédemptrice et l’Église corédemptrice
    c. Le mystère de la femme
    d. Le Médiateur et la Médiatrice
  9. Écriture et Tradition
    a. L’Église romaine et la définition de nouveaux dogmes
    b. Nouveaux dogmes et humanisme
  10. La mariologie en tant qu’imitation de la personne et de l’œuvre du Christ
  11. La mariologie en tant qu’imitation de la personne et de l’œuvre du Saint-Esprit
  12. Récapitulation
  13. L’Immaculée Conception (1854)
  14. L’Assomption de Marie (1950)
  15. Vatican II
    a. Vatican II et la relation de Marie à l’Église
    b. Le courant minimaliste
    c. La théologie maximaliste
  16. La mariologie et le dialogue œcuménique
  17. Derniers développements
  18. Jean-Paul II et l’Année mariale

1. Marie dans les Évangiles🔗

Bien que ce ne soit pas le but de la présente étude de parler de Marie telle qu’elle nous apparaît dans les Évangiles, il faudra l’évoquer, même si ce n’est que brièvement, pour se rendre compte du contraste frappant entre celle-ci et la Marie « Reine du ciel » que confessent actuellement certaines confessions chrétiennes, dont l’Église romaine.

Pour le Nouveau Testament, Marie fait partie du peuple de Dieu, sans être ni au-dessus ni en dehors de celui-ci, croyante parmi les croyants, sauvée de la même manière qu’eux. Choisie pour une tâche extraordinaire, unique, celle-ci ne la met pourtant pas au-dessus de son état de créature issue de la race déchue d’Adam… Si elle est éclairée par une lumière particulière, cette lumière n’irradie pas d’elle-même, mais émane du puissant projecteur que la grâce divine a braqué sur elle, notamment lors de l’Annonciation et de la Nativité.

L’Évangile de Noël, qui nous apporte la joie toujours renouvelée de la naissance du Sauveur, nous réjouit aussi en la personne de la vierge de Nazareth, car en cette « servante du Seigneur » s’offrant pour prêter sa chair au Fils de Dieu lorsque le moment de l’incarnation de celui-ci est arrivé, c’est toute l’humanité qui se trouvé honorée par Dieu, qui a regardé « la bassesse de sa servante Marie », et qui n’a pas refusé la chair d’une femme, notre propre chair, pour s’incarner. Nous nous réjouissons donc en Marie notre sœur et acceptons, pleinement et joyeusement, ce que l’Évangile de la grâce nous dit à son sujet. Pas moins. Pas plus.

Nous constatons que Marie est, en tout premier lieu, un membre fidèle du peuple de l’Alliance. Elle partage totalement l’espérance qui durant des générations a nourri le « reste fidèle » d’Israël. Son attitude, que traduit le Magnificat, nourri de sève biblique, en témoigne sans la moindre ambiguïté. En réponse à l’Annonciation, elle accepte humblement son rôle d’instrument entre les mains de Dieu pour une tâche qui la dépasse, mais qu’elle est prête à assumer dans la soumission. « Voici la servante du Seigneur; qu’il me soit fait selon ta parole » (Lc 1.38). C’est le oui de la foi à la grâce de Dieu, l’acquiescement à la vocation exceptionnelle qui lui est adressée. Dieu l’a choisie; il lui confie une mission. Marie la croyante répond par un oui émerveillé — peut-être mêlé de crainte, tant la faveur est grande — le oui de la foi.

Comme tant d’autres femmes, au cours de la longue histoire du peuple élu, qui ont attendu et espéré voir « le salut d’Israël », elle n’ignore pas que le Messie promis doit naître d’une femme vierge de son peuple. Le moment est venu, et elle est cette femme, cette vierge. L’Annonciation est la communication de la décision souveraine de Dieu, qui comble Marie d’honneurs immérités. « Il a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante… » (Lc 1.48). L’initiative vient du Dieu souverain, l’accomplissement aussi. Marie répond à l’annonce qui lui est faite avec la soumission du croyant : « Qu’il me soit fait selon ta parole. »

C’est pourquoi Élisabeth peut lui dire : « Heureuse celle qui a cru » (Lc 1.45), et Marie s’exclamer dans la joie : « toutes les générations me diront bienheureuse! » (Lc 1.48); et bienheureuse l’ont appelée, en effet, toutes les générations de chrétiens depuis lors sans pour autant lui accorder, en tout cas lorsqu’ils sont restés fidèles à la Parole biblique, d’autre rôle que celui que le Seigneur lui a assigné.

Mais le plan de la rédemption préparé par Dieu dès le commencement du monde ne dépend pas du fiat de Marie. Son acquiescement à la volonté de Dieu n’a pas déterminé l’accomplissement du plan divin, contrairement à ce qu’affirme Jean-Paul II1. Car le Dieu souverain accomplira de toute manière ce qu’il a décidé. Elle a été élue, comme tous les autres croyants, tout d’abord pour le salut, puis pour l’accomplissement d’une tâche, prééminente dans son cas, que Dieu avait préparé dès la fondation du monde.

Toutefois, Marie, comme d’ailleurs chaque croyant sauvé par grâce, n’est pas un automate dépourvu de volonté personnelle, mais une femme réelle et vivante, remplie de foi et de piété. Femme du peuple (elle semble appartenir aux classes modestes), elle mène sans doute une vie très active, accomplissant jour après jour de multiples tâches et assumant nombre de responsabilités. Elle nous apparaît aussi comme douée intellectuellement; ses dons poétiques, évidents dans le Magnificat, sont tout à fait remarquables. Cependant, Dieu agit à son égard comme dans la vie de chaque élu, que ce soit pour le salut personnel ou pour l’accomplissement d’une mission particulière. Il produit « le vouloir et le faire » (Ph 2.13). Le Saint-Esprit prépare l’esprit de Marie à se soumettre à la volonté du Seigneur, et sa réponse est le oui et le amen du croyant à la Parole efficace de Dieu.

Instrument de l’incarnation du Fils de Dieu, Marie est le premier témoin et le témoin privilégié de sa vie cachée, celle qui durant une trentaine d’années précédera et préparera son ministère public; « elle conservait toutes ces choses dans son cœur » (Lc 2.51).

Elle avait dû accepter, au fur et à mesure que son Fils grandissait, et plus particulièrement à partir de son ministère public, le fait que son premier-né n’était pas un fils comme les autres et qu’il y avait bien des perplexités à être la mère du Messie… (Lc 2.41-42; Jn 2.4). Elle dut surtout faire le dur apprentissage de l’effacement, accepter que sa relation avec son Fils se transforme, devienne désormais celle de la foi, se place sur le même terrain que celle de tous les autres croyants… Les liens du sang devaient désormais s’estomper en faveur de ceux du fidèle avec son Seigneur; elle devra apprendre à devenir une croyante au milieu d’autres croyants, un membre du corps du Christ parmi d’autres membres, « ceux qui font la volonté de mon Père », ainsi que le déclare Jésus (Mt 12.46; Mc 3.31-35; Lc 8.19).

Sa maternité s’accompagnera des peines, fardeaux et joies qui sont le lot commun de toutes les mères; à côté de cela, elle comportera des perplexités supplémentaires, car elle ne comprendra ni toujours ni entièrement (comme d’ailleurs les autres disciples, y compris les apôtres) le sens, les implications et l’aboutissement inévitable du ministère de son Fils. Comme les autres fidèles, elle ne recevra la pleine lumière que lors de la venue du Saint-Esprit à la Pentecôte.

Dès le ministère public du Christ, les apôtres et disciples occupent le devant de la scène en tant que ses proches et que ses témoins; si les Évangiles nous rapportent le récit de quelques brèves interventions de Marie au cours de celui-là (Jn 2), d’après ce qu’ils nous disent, ou ne nous disent pas, sa position durant les trois années du ministère public de Jésus semble avoir été secondaire et même effacée; elle n’y joue aucun rôle. Par son attitude envers elle, Jésus semble avoir voulu décourager, dès le départ, toute parole et attitude tendant à favoriser ou à légitimer une dévotion particulière envers la personne de sa mère humaine (Lc 11.27-28).

Finalement, nous la retrouvons sur la colline du Golgotha en compagnie d’un groupe de femmes croyantes qui avaient fidèlement suivi et servi Jésus durant son ministère. Ayant gravi avec lui le Calvaire, elles se tiennent avec Marie, sa mère, et Jean son disciple, au pied de la croix, témoins impuissants et horrifiés de l’indicible souffrance du Sauveur. La prophétie de Siméon atteint ici son point culminant : « Et toi-même, une épée te transpercera l’âme, afin que les pensées de beaucoup de cœurs soient révélées » (Lc 2.35).

Après la résurrection, l’ascension et l’effusion de l’Esprit, les apôtres continueront à observer la même discrétion vis-à-vis de Marie. Les Actes des apôtres ne la mentionnent que très brièvement dans le récit de la Pentecôte, où elle attendait, fidèle croyante au milieu d’autres fidèles croyants, la venue du Saint-Esprit (Ac 1). Aucune des épîtres ne fait mention d’elle.

La discrétion des auteurs du Nouveau Testament à son égard est remarquable; si sa place dans l’Église avait été celle qu’on lui a attribuée par la suite, les évangélistes et les apôtres ne nous auraient pas laissés dans l’ignorance. Malheureusement, l’Église ne persévérera pas sur la voie de cette exemplaire sobriété.

Dans l’histoire de la rédemption, Marie ne se trouve pas du côté de Dieu, mais parmi les hommes.

2. Extrapolations🔗

L’ange dit à Marie : « Toi à qui une grâce a été faite » (Lc 1.28). Or, la Vulgate, la traduction latine adoptée par l’Église romaine, rend cette phrase improprement par « toi qui es pleine de grâce ». Ce n’est plus l’expression originale, celle qui nous communique fidèlement la décision du Dieu souverain faisant une grâce imméritée à l’une de ses créatures qu’il a choisie, dans sa totale liberté, pour une mission particulière. L’envoyé Gabriel annonce à Marie ce que Dieu va entreprendre, dans sa propre vie et pour l’humanité tout entière. Il ne dit pas : Si tu es d’accord… Si tu veux bien collaborer… Son ton est affirmatif, car le moment est venu d’accomplir ce qu’il a décidé d’avance.

Or, nous trouvons déjà, dans la courte phrase « tu es pleine de grâce » toute la théologie des mérites neutralisant et souvent supplantant la théologie de la grâce, le fondement sur lequel toute la doctrine de la mariologie sera développée. Celui ou celle à qui une grâce est faite ne peut que dire merci au Dispensateur de cette grâce; celui ou celle qui est plein de grâce a des mérites propres. On peut admettre que Dieu peut « remplir de grâce » quelqu’un, mais sans que cela devienne une grâce en soi et pratiquement, sinon théoriquement, coupée de sa source.

Marie, humble et reconnaissante, magnifie la grâce qui lui est offerte. L’Église romaine, elle, glorifie Marie parce qu’à travers elle c’est l’humanité et surtout l’Église elle-même qui se glorifient. Elle interprète de façon arbitraire la réponse de Marie à l’archange Gabriel. En disant « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole », Marie aurait accepté, en réalité, une offre la faisant participer au plan de salut pour le monde! Il ne s’agit donc plus de l’obéissance de Marie au plan de Dieu, du oui de sa foi à la Parole efficace du Seigneur, mais d’une œuvre de collaboration, et pour finir, de corédemption…

Or, il n’y a rien, ni avant, ni pendant, ni après la naissance du Christ, qui puisse fonder, pas même suggérer de près ou de loin, la possibilité d’une quelconque royauté céleste, d’une « maternité divine », d’une immaculée conception, d’une assomption et encore moins d’une corédemption de Marie.

L’élection de Marie reste pour nous un mystère, comme l’est, d’ailleurs, l’élection de chaque homme et de chaque femme dans l’histoire du salut. Aucun élu ne l’a été à cause de ses mérites propres, quoique nous sommes toujours tentés de transformer le libre choix de Dieu en privilèges et mérites. Alors, ce n’est plus l’être humain pécheur qui est appelé, élu, justifié et sauvé. Il ne l’est qu’après des interventions successives le rendant digne de la grâce; il mérite déjà, quand il les reçoit, les grâces que Dieu veut lui accorder. Ce processus, lorsqu’il est appliqué à Marie, va si loin que lorsqu’elle est appelée, Dieu n’a plus de grâce à lui offrir; elle est déjà pleine de grâce…

Une telle interprétation fait sortir purement et simplement Marie de l’histoire humaine, qui ne peut être que celle de la chute. Cela la retire de l’histoire du péché et la transforme en une figure a-historique, à mi-chemin entre le divin et l’humain, et qui finira, à la fin du parcours, par être totalement divinisée. Elle n’a plus besoin d’être mise au bénéfice de la rédemption, car l’affirmation « Christ est mort pour nos péchés alors que nous étions encore des ennemis de Dieu » n’a pas de réalité en ce qui concerne Marie, puisque depuis sa conception, elle a cessé d’être l’ennemie de Dieu. C’est pourquoi on peut dire qu’une telle idée de la personne de Marie (ayant abouti aux dogmes de l’Immaculée Conception et de l’Assomption) la situe carrément en dehors de notre histoire et la rend étrangère à notre humanité commune.

Si certains Pères de l’Église et certains conciles prêtèrent parfois une attention particulière à la personne de Marie, ce ne fut pas pour elle-même, mais par souci christologique, pour bien insister sur le fait que le Fils de Dieu s’était incarné réellement et était né d’une femme, tout en étant exempt du péché inhérent à la race déchue d’Adam.

Malheureusement, des mariologues en herbe commencent à prendre prétexte de ces définitions pour développer et promouvoir leurs propres idées sur la personne de Marie.

3. Le développement de la mariologie chez les Pères de l’Église et les grands conciles🔗

a. Les Pères de l’Église🔗

Les Pères de l’Église, malgré une vénération particulière pour la personne de Marie, sont restés à cet égard d’une orthodoxie au-dessus de tout soupçon. Origène, pourtant dévot de Marie, lui attribue une sainteté particulière, mais pas de perfection. D’autres, toujours par souci christologique, penchent pour une sanctification avant sa naissance dans le ventre de sa mère, qui doit la qualifier pour la tâche qui l’attend. En cela, elle n’est pas différente d’autres croyants de l’Ancien Testament (voir Samson, Jean le Baptiste).

Jean Chrysostome et avec lui d’autres Pères se méfient de telles positions; se basant sur leur propre lecture des Évangiles, ils l’ont soupçonnée jusqu’à avoir fait preuve d’ambition durant le ministère terrestre de Jésus…

Pour Ambroise de Milan, Marie est le modèle de toutes les vertus, et il la donne comme modèle aux jeunes filles voulant entrer dans les ordres.

L’attitude négative d’Augustin à l’égard de la « chair », due à ses expériences antérieures à sa conversion, est bien connue. Elle marque aussi bien sa pensée que certaines de ses prises de position. Avec son idéalisation de la femme croyante en la personne de Marie, il ouvrira le chemin, sans le savoir, à des développements ultérieurs qui auraient fait frémir d’horreur ce grand docteur de l’Église.

Pourtant, il enseigne, lui aussi, qu’elle est issue de la chair pécheresse d’Adam et qu’elle a été sauvée par la régénération comme tous les autres fidèles. Mais il croit à sa sanctification dans le ventre de sa mère, ce qui n’est pas, comme nous venons de le mentionner, un fait unique dans l’histoire du salut, même si la Bible n’en dit rien au sujet de Marie.

Chez les Pères de l’Église, en dépit d’une dévotion mariale chez certains d’entre eux, conséquence presque inévitable de l’idéal monastique, on ne trouve pas la moindre idée, la moindre notion ou la moindre trace des doctrines qui seront développées plus tard. C’est la personne et l’œuvre du Christ qui restent centrales dans leur pensée et dans leur œuvre. On ne trouve chez aucun, même de loin, l’idée d’une immaculée conception. C’est pourtant à cette conclusion qu’aboutira l’Église romaine en développant de manière arbitraire l’idée de saint Augustin sur une possible sanctification de Marie dans le sein de sa mère.

b. Le Concile d’Éphèse (431)🔗

C’est pour défendre les deux natures du Christ, divine et humaine, contre la théologie de Nestorius, que le Concile d’Éphèse avait été convoqué. C’est uniquement pour cette raison que les Pères nomment Marie « Théotokos », c’est-à-dire « mère de Dieu ». Non pas pour elle-même, mais pour affirmer sans ambiguïté les deux natures du Christ. Chez les Pères de l’Église, encore une fois, la personne de Marie est tout à fait secondaire. Le Concile d’Éphèse fut essentiellement un débat christologique, et l’intention des Pères du 5siècle était celle d’expliciter le plus clairement et le plus fidèlement possible les deux natures du Christ contre la christologie de Nestorius2.

c. Le Concile de Chalcédoine (451)🔗

Chalcédoine, ce grand concile célèbre pour avoir défini la christologie et explicité les grandes doctrines de la foi orthodoxe, avait été convoqué par l’Empereur Marcien pour mettre un terme aux controverses et disputes provoquées par le titre de Théotokos donné à Marie lors du Concile d’Éphèse pour affirmer avec force les deux natures du Christ. Certains Pères et membres du clergé parmi les plus célèbres, aussi bien à l’époque que par la suite, regrettèrent que le concile n’eût pas trouvé un autre terme pour Marie, comme celui par exemple de « mère du Christ », dans la complexe et délicate tâche de définir les deux natures du Christ en une seule personne. Celui de Théotokos fut retenu parce que la plupart des Pères conciliaires pensèrent que ce terme, pouvant être compris non seulement par les théologiens, mais encore par le peuple, rendait assez bien compte, dans sa concision et simplicité, du fait que Dieu s’était fait homme si concrètement, si réellement, que Marie pouvait effectivement être appelée « Mère de Dieu ».

Voici la déclaration du concile :

« Avec les saints pères, nous enseignons tous, à l’unanimité, un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus-Christ; complet quant à sa divinité, complet aussi quant à son humanité; vrai Dieu, et en même temps vrai homme composé d’un être raisonnable et d’un corps; consubstantiel à nous par son humanité, et tout semblable à nous, sauf par ce qui est du péché; engendré du Père avant tous les siècles, quant à sa divinité, et quant à son humanité né pour nous dans les derniers temps, de Marie, la vierge et la mère de Dieu. Nous confessons un seul et même Christ, Jésus, Fils unique, Seigneur, que nous reconnaissons être en deux natures, sans qu’il y ait ni confusion, ni transformation, ni division, ni séparation entre elles, car la différence des deux natures n’est nullement supprimée par leur union. Tout au contraire, les attributs de chaque nature sont sauvegardés et subsistent en une seule personne et une seule hypostase. Nous confessons, non pas un fils partagé et divisé en plusieurs personnes, mais bien un seul et même fils, Fils unique et Dieu Verbe, notre Seigneur Jésus-Christ, tel qu’il a été jadis enseigné par les prophètes, tel que lui-même s’est révélé à nous, et tel que le Symbole des Pères nous l’a fait connaître.3 »

Nous nous permettrons de donner une longue citation de Giovanni Miegge dans son ouvrage La Vierge Marie, qui analyse remarquablement, à notre avis, les retombées de la décision de Chalcédoine.

« Après cette laborieuse mise au point, nous avons le droit de nous demander : Quelle est donc la signification orthodoxe et légitime du titre de la Mère de Dieu?
Quand on a écarté les erreurs théologiques qui scandalisaient Nestorius, et qu’on a soigneusement défini l’union hypostatique des deux natures distinctes en Christ, en laissant à chacune ce qui lui est propre, l’expression “la Mère de Dieu” signifie exactement que la vierge Marie est mère selon la chair du Verbe incarné, selon son aspect d’humanité. Aucune des paroles qui précèdent ne peut être retranchée sans que le sens de la Théotokos ne soit altéré. Marie est mère de Christ “selon la chair”, parce que Christ, “selon l’esprit”, est Fils de Dieu; elle n’est pas mère de la divinité en soi (ce serait un blasphème de le dire), mais de l’hypostase du Logos, non pas du Logos en soi, qui n’a pas de mère; mais du Logos incarné. Elle est la mère du Logos incarné en son aspect d’humanité, parce que les propriétés des deux natures doivent être respectées, et que l’on ne peut pas dire du Christ en tant qu’homme ce qui se dit de lui en tant que Dieu. Malgré cela, en vertu de l’union hypostatique, du fait qu’il n’y a qu’un seul Christ, on peut dire que la mère du Christ, compte tenu de toutes les réserves et des éclaircissements qui précèdent, est la mère de Dieu, et que tel est le paradoxe de la foi.
Ce paradoxe aurait pu et aurait dû en rester là. Il avait assumé sa fonction christologique; grâce à lui, on avait pu définir rigoureusement l’union hypostatique des deux natures en Christ. Il aurait donc dû rentrer dans l’arsenal des formules théologiques, à la fois utiles par leur énergique concision, et dangereuses par les implications indésirables qu’elles peuvent suggérer. On ne peut pas dire que le titre “la Mère de Dieu”, dans son expression grandiose et emphatique, corresponde exactement à la définition orthodoxe qui en a été donnée, ni qu’il suggère simplement l’idée que Marie est mère du Verbe incarné dans son aspect d’humanité. La formule, de beaucoup plus sobre et plus évangélique, suggérée par Nestorius, bien que pour de mauvais motifs théologiques, n’en était pas moins toujours la formule exacte, pieuse et pleine de respect, capable de recueillir les suffrages de toute la chrétienté : Marie est la mère du Christ. De même, l’expression que l’Évangile met sur les lèvres d’Élisabeth, “la mère de mon Seigneur” (Lc 1.47), fait clairement allusion à la dignité messianique de Jésus.
Mais le nom de Dieu, en dépit de toutes les mises au point théologiques, reste universellement le terme qui désigne la divinité dans sa plénitude. Il n’y a aucune raison pour qu’une personne qui n’est pas dûment avertie, et n’a pas médité sur les résultats des disputes christologiques au 5siècle, sache faire une distinction entre Dieu et la divinité, et considère le titre Mère de Dieu comme inférieur à celui de Mère de la divinité; il n’y a aucune raison pour qu’elle ne traduise pas le paradoxe en quelque chose de beaucoup plus vaste et plus discutable que ce qu’il entend signifier. C’est peut-être pour cette raison que Calvin, tout en reconnaissant la légitimité théologique du titre Mère de Dieu, ne l’emploie jamais, contrairement à Luther et Zwingli, et aux théologiens de l’orthodoxie protestante qui en font un fréquent usage à cause de sa signification christologique.
Mais le succès du terme Théotokos n’est pas dû à sa signification christologique. La foule en délire, qui, à Éphèse, en 431, acclamait la destitution de Nestorius, ou celle qui se réjouit vingt ans après de l’insertion de ce titre dans le Symbole de Chalcédoine, n’était probablement pas capable d’apprécier les subtilités de l’union hypostatique et de la communicatio idiomatum. Elle ne voyait clairement qu’une chose : Christ est Dieu, et Marie est sa mère. Mais la pleine divinité de Christ était désormais, depuis plus d’un siècle, le patrimoine indiscutable de l’Église universelle; la nouveauté, c’était l’emphase que les nouvelles discussions mettaient sur le nom de Marie. La formule Marie Théotokos avait été la bannière d’un parti dans la dispute christologique, la formule massive de l’union des deux natures en une seule personne, mais l’étendard était en train d’acquérir une importance en soi et pour soi : c’était la proclamation officielle, œcuménique, de la gloire incomparable de Marie. Tout ce qui tendait vers une vénération toujours plus consciente de la Vierge se trouva renforcé et revalorisé par cette formule solennelle. La réussite prodigieuse de la Vierge Marie, en tant qu’objet de culte, commence à cet instant. »

Miegge sous-entend que la formule de Théotokos allait devenir une véritable bombe à retardement si l’on ne prenait pas les précautions nécessaires pour qu’elle reste, après avoir accompli sa fonction, ce qu’elle était : une formule théologique utile à un moment donné de l’histoire de l’Église pour aider à expliciter l’une des grandes doctrines du christianisme. Sans cela, on serait inévitablement confronté, tôt ou tard, à de fâcheux développements.

Si les décisions de ces deux Conciles furent donc orthodoxes en elles-mêmes et si, dès le début, les théologiens veillèrent à ce que le titre de « Théotokos » donné à Marie ne menât pas à son exaltation, un certain anthropocentrisme triomphera de manière détournée à long terme, et le culte et la dévotion voués à Marie remplaceront, lentement mais sûrement auprès des masses, ceux dus au Christ. De son sens christocentrique, le terme « Théotokos » glissera peu à peu vers celui de la « maternité divine de Marie ». Graduellement, celle-ci cessera d’être humaine pour devenir la version christianisée de l’Isis polymorphe des mystères païens. De nombreuses représentations de la vierge, assise avec l’enfant sur un trône, portant une couronne semblable à celle de Cibèle, trahissent cette substitution. Dispersés aux quatre coins de l’Empire romain, des sanctuaires dédiés à « Notre Dame » fleuriront dans les lieux mêmes où s’érigeaient les temples en l’honneur de la Magna Mater. Il est aussi intéressant de noter que les fameuses « vierges noires » sont des versions presque invariables d’anciennes représentations d’Isis.

d. Le Concile de Latran (649)🔗

La plupart des Pères, comme plus tard les réformateurs, ont vigoureusement nié la virginité perpétuelle de Marie, n’y trouvant aucun fondement dans les Écritures. D’autres, gagnés par le courant « chevaleresque » inauguré par Jérôme, ont penché pour sa « virginité perpétuelle ». C’est cette position qu’adoptera finalement l’Église au Concile de Latran, déclarant Marie perpétuellement vierge.

À l’époque, cela n’eut aucune retombée sérieuse sur l’orthodoxie de l’Église, mais c’est déjà le début d’un glissement vers des affirmations dogmatiques dépourvues de base biblique. En effet, nulle part le Nouveau Testament n’atteste que Marie est restée perpétuellement vierge; au contraire, les récits bibliques indiquent qu’après la naissance de Jésus elle fut l’épouse de Joseph et que plusieurs enfants naquirent de leur union (Mt 1.24; 12.46; 13.54-58; Mc 6.3; 13.55; Jn 2.12; 7.3-5; Ac 1.14).

Mais l’Église, pénétrée très tôt par de forts courants dichotomistes séparant « la chair » de « l’esprit », considère comme hautement inconvenant le fait que la mère du Seigneur ait honoré son mariage avec Joseph, le mariage étant déjà considéré comme un état inférieur à la virginité, et la sexualité humaine, même dans le cadre prévu par Dieu, comme un domaine peu propice à la sanctification. Elle commence déjà à manipuler les textes bibliques et à en déformer le sens pour « prouver » la virginité perpétuelle de Marie, et les demi-frères et demi-sœurs de Jésus deviendront « des cousins ». Le sens plus large de « frère » donné parfois aux cousins dans les sociétés patriarcales ne s’applique pas à la famille de Jésus dans le contexte des Évangiles.

Ainsi, ce dogme de la virginité perpétuelle, qui n’eut certes pas de conséquences immédiates pour l’orthodoxie de l’Église de l’époque, sera un facteur très important pour les développements ultérieurs de la mariologie. Si Marie avait été simplement acceptée comme la mère humaine du Christ, devenue par la suite l’épouse de Joseph, lui ayant donné des enfants comme le rapportent les Évangiles, la route menant à son exaltation n’aurait sans doute pas été ouverte.

On se laisse déjà séduire par la spéculation; on ne se contente plus de l’Évangile, de ses silences, de sa simplicité et de sa discrétion. On commence à puiser dans des sources extrabibliques, alimentées par l’imagination populaire et son goût pour ce merveilleux dont nous avons parlé, pour fabriquer de toutes pièces un personnage qui n’existe pas dans le Nouveau Testament.

4. La Magna Mater, Marie et la gnose🔗

Examinons à présent les grands courants qui, s’infiltrant dans l’Église dès le début, donneront naissance à un culte et à une piété mariales qui mèneront, peu à peu, certaines confessions chrétiennes jusqu’aux positions extrêmes que nous leur connaissons aujourd’hui.

Nous devons rappeler, même brièvement, que l’aspiration à une déité féminine est presque aussi vieille que le monde. Aux Astartés cananéennes et aux cultes et rites grossiers qui leur étaient rendus, succèdent des divinités plus civilisées qui finiront par aboutir peu à peu à la Sophia des gnostiques, le « principe féminin » divinisé, rayonnant de pureté et de tendresse miséricordieuse. Il en sera ainsi de la Marie glorifiée telle qu’elle a évolué au cours des siècles dans la piété populaire, dans la tradition de l’Église et, finalement, dans le dogme lui-même.

L’attrait exercé sur les populations du bassin méditerranéen par la Déesse Mère, dont la vénération et le culte étaient très enracinés dans leur culture, n’a pas à être démontré.

Simultanément au courant païen et à la tentation syncrétiste, l’Église se trouve confrontée à la séduction exercée par l’hérésie gnostique, qui s’infiltre en son sein dès l’ère apostolique. Elle ne cessera d’y exercer des ravages, parfois ouvertement, d’autres fois de manière subtile, tout au long de son histoire.

Le monachisme ainsi que le célibat obligatoire du clergé, fortement influencés par la philosophie dualiste, alimenteront eux aussi, à leur façon, le culte marial. Pour un clergé resté dans l’ensemble célibataire (avant même que le célibat devînt obligatoire pour le clergé d’Occident), le besoin quasi obsessionnel d’un idéal féminin, vers lequel se tourner pour faire face aux besoins affectifs et sexuels inassouvis et aux tentations propres à leur état a été une source de promotion du culte et de la dévotion mariaux.

D’autre part, il y a eu aussi la peur du Dieu transcendant, perçu uniquement comme un Juge inflexible qui ne pardonne pas au pécheur. Ceci découle, bien évidemment, du fait de la mauvaise compréhension du sacrifice expiatoire du Christ et de son office de Médiateur, de la doctrine du salut par la foi seule, voire de la réalité de sa nature humaine (nous y reviendrons plus loin), ce qui a amené nombre de fidèles, confus à ce sujet, à rechercher des médiations supplémentaires, perçues comme plus « approchables » et plus propices à les protéger contre le courroux de Dieu.

Un autre motif s’ajoutera par la suite à cette promotion de la mariologie : la lutte contre l’hérésie cathare, l’une des formes du gnosticisme qui « explosa » littéralement durant les 12e et 13siècles en Europe. Plus tard encore, la mariologie sera le cheval de bataille que l’Église romaine enfourchera pour combattre la Réforme évangélique du 16siècle, ainsi que les jansénistes au siècle suivant.

a. Marie et la Magna Mater 🔗

Mais revenons aux débuts. L’Église post-constantinienne, prise de court par l’entrée massive de populations païennes mal christianisées, débordée par l’ampleur de la tâche et incapable de chasser entièrement le paganisme de son sein, adopta la « solution syncrétiste » comme une fatalité inévitable et choisit ce qui lui sembla un moindre mal. Comme un « moindre mal » donc, elle remplacera progressivement, au cours des siècles suivants, les anciens cultes païens voués à la Déesse Mère par le culte et la dévotion mariaux.

Peu à peu, « Notre Dame » prendra la place, à elle seule, de toutes les divinités de l’ancien paganisme du bassin méditerranéen, qui n’étaient que des simulacres reproduits à l’infini de l’antique déesse mère nature. Et dans tous les pays de la vieille chrétienté, et dans ceux plus ou moins christianisés par la suite, nous retrouvons, reproduites aussi à l’infini, des images à l’origine en général « miraculeuses » de la sainte Vierge protectrice des lieux, spécialisée dans tel ou tel miracle, veillant sur ses habitants et les protégeant en cas de danger…

D’innombrables exemples (qui seraient cocasses s’ils ne trahissaient une ignorance aussi tragique de la vérité biblique après deux mille ans de christianisme) viennent à l’esprit de ceux qui ont été élevés dans les pays où domine massivement le christianisme de confession romaine. Mentionnons par exemple ceux de fraternités, et surtout de sororités, dévoués à telle ou telle sainte Vierge, la prétendant plus puissante, plus efficace et plus miraculeuse que les saintes Vierges des fraternités ou sororités concurrentes, si ce n’est rivales…

Marie et les saints canaliseront progressivement le vaste courant du merveilleux populaire chrétien. Des légendes tirées notamment des évangiles apocryphes commenceront à circuler très tôt pour suppléer au silence de l’Écriture et de la tradition apostolique. Et ceci malgré la forte opposition, et même les condamnations officielles, des autorités ecclésiastiques de l’époque. Celles-ci semblent d’ailleurs souvent débordées par la pression populaire. Une de ces légendes, « la transition de Marie », deviendra, de longs siècles plus tard, le dogme très officiel de l’Assomption…

Le titre de « Mère de Dieu » donné à Marie dans les Conciles d’Éphèse et de Chalcédoine, pour des raisons uniquement christologiques, finira par aboutir à celui de « Reine du ciel » et aux liturgies qui se sont développées au cours des siècles et qui ont cours jusqu’aujourd’hui. Voici ce que dit Jean-Paul II :

« 42. […] Pour ces motifs, Marie “est légitimement honorée par l’Église d’un culte spécial; … depuis les temps les plus reculés,… [elle] est honorée sous le titre de ‘Mère de Dieu’; et les fidèles se réfugient sous sa protection, l’implorant dans tous leurs dangers et leurs besoins.” Ce culte est absolument unique : il contient et il exprime le lien profond qui existe entre la Mère du Christ et l’Église. […]
31. […] Les traditions coptes et éthiopiennes sont entrées dans cette contemplation du mystère de Marie grâce à saint Cyrille d’Alexandrie et, à leur tour, elles ont célébré ce mystère par une abondante efflorescence poétique. Dans son génie poétique, saint Éphrem le Syrien, appelé “la lyre de l’Esprit Saint”, a inlassablement composé des hymnes à Marie, laissant son empreinte aujourd’hui encore sur toute la tradition de l’Église syriaque. Dans son panégyrique de la Théotokos, saint Grégoire de Narek, une des gloires les plus éclatantes de l’Arménie, approfondit avec une puissante inspiration poétique les différents aspects du mystère de l’Incarnation, et chacun d’eux est pour lui une occasion de chanter et d’exalter la dignité extraordinaire et l’admirable beauté de la Vierge Marie, Mère du Verbe incarné.
Il n’est donc pas surprenant que Marie occupe une place privilégiée dans le culte des antiques Églises orientales, avec une abondance incomparable de fêtes et d’hymnes. […]
33. […] Les images de la Vierge ont une place d’honneur dans les églises et les maisons. Marie y est représentée comme trône de Dieu, qui porte le Seigneur et le donne aux hommes (Théotokos), ou comme la voie qui conduit au Christ et le présente (Odigitria), ou comme orante qui intercède, et signe de la présence divine sur la route des fidèles jusqu’au jour du Seigneur (Deèsis), ou comme la protectrice qui étend son manteau sur le peuple (Pokrov), ou comme la Vierge de tendresse miséricordieuse (Elèousa). On la représente habituellement avec son Fils, l’enfant Jésus, qu’elle porte dans ses bras : c’est la relation avec son Fils, lequel glorifie la Mère. Parfois, elle l’embrasse avec tendresse (Glykophilousa); en d’autres cas, hiératique, elle semble absorbée dans la contemplation de celui qui est le Seigneur de l’histoire (cf. Ap 5.9-14). […]
34. Une telle richesse de louanges, rassemblée dans les différentes formes de la grande tradition de l’Église, pourrait nous aider à faire en sorte que celle-ci se remette à respirer pleinement de ses “deux poumons”, oriental et occidental.4 »

Ce n’est donc pas par hasard si les plus grands centres du culte et de la piété mariaux, lorsque celle-ci se généralisa dans l’Empire, furent l’Égypte, patrie d’Isis, Éphèse, fief de Diane, et la Phrygie, terre de la grande Cybèle… Les sanctuaires de Notre Dame s’élèveront peu à peu sur les ruines de ceux des anciennes représentations de la Magna Mater. Ainsi, pour les masses superficiellement christianisées, Marie remplacera, lentement mais sûrement, toutes les divinités féminines de l’Empire.

Un exemple parmi mille de ce syncrétisme et de ces tentatives répétées pour introduire une divinité féminine dans l’Église est celui de la secte des collyridiennes, au 4siècle de notre ère, qui offraient des sacrifices à Marie selon les rites païens. Ces tentatives, qu’elles fussent marginales ou assimilées par l’Église à travers la mariologie, ont été véhiculées jusqu’à nos jours.

La superstition populaire d’une part, nourrie de la nostalgie pour une divinité féminine, l’influence de l’hérésie gnostique à la recherche d’une figure féminine idéale et divinisée, d’autre part, s’infiltrèrent très tôt dans la chrétienté et offrirent peu à peu à Marie le trône de la Magna Mater, le dressant au cœur même de l’Église et de la piété populaire.

Les invocations liturgiques à Marie dans le Rosaire ou dans les ouvrages de piété mariale ne sont que la transposition « chrétienne » des invocations-incantations adressées à Isis par ses prêtres et fidèles adorateurs de jadis5.

Cette vénération ou dulie, devenue une véritable adoration ou latrie chez beaucoup, relève du paganisme pur et simple, même si on le déguise sous une phraséologie « chrétienne ». Elle accapare et monopolise l’attention des masses superstitieuses assoiffées de « signes et de miracles », les entraînant vers Marie, ses apparitions, ses miracles, ses révélations… Au détriment du culte du Dieu véritable, de son Christ et de sa Parole.

Car la piété populaire, toujours en quête de prodiges, méconnaît Dieu et sa Parole pour se repaître d’imaginaire. Or, la hiérarchie romaine n’a pas hésité à jeter en pâture aux foules ce merveilleux frelaté parce qu’il attire, et sans doute attirera toujours, ces foules en quête de « révélations » pour qu’elles puissent, en quelque sorte, voir et toucher, parce qu’issues du cœur et de l’imagination humaine… Certaines confessions chrétiennes ont donc trouvé depuis longtemps leur propre « Star System » avant la lettre pour remplir leurs sanctuaires. La mariologie est le plus vaste et le plus complexe d’entre eux. Elle « fait recette », même si le terme ne semble pas approprié pour signaler un phénomène religieux se voulant chrétien.

Les grands patrons américains du « marketing » religieux font figure de naïfs à côté de l’inextricable toile d’araignée que l’Église romaine a tissée avec sa mariologie! Car les marchands de religion nord-américains s’écroulent à court terme, tandis que les ramifications étendues à l’infini de la doctrine et de la piété mariales, présentes dans la chrétienté depuis des siècles, ne semblent pas près de disparaître… Leur pouvoir de séduction est autrement plus subtil et efficace, le mensonge qu’ils véhiculent plus difficile à percer aussi, tout au moins pour celui qui n’a pas clairement compris la doctrine biblique du salut.

Vers le 17siècle, des mariologues tels Hippolyte Maraschi et Alphonse de Ligouri commencent à compiler systématiquement tous les textes du passé et du présent qu’ils peuvent découvrir sur Marie, quels qu’ils soient, qu’ils recherchèrent avec grand zèle dans les traditions orales ou écrites, dans les sermons ou dans les textes de l’Église, ajoutant à ceux-ci leur propre moisson d’imaginaire…

Le cas d’un Alphonse de Ligouri, dont on peut considérer l’ouvrage La gloria de Maria Santissima comme le traité par excellence de la mariologie moderne, est un exemple éclatant du genre poussé jusqu’à la caricature rassemblant de manière systématique tous les contes de fées religieux, toutes les superstitions et toutes les légendes populaires recueillies par la tradition orale ou écrite au cours de toute l’histoire de la chrétienté. Cet extraordinaire amalgame de merveilleux et de piété mièvre et sentimentale n’est pas dépourvu d’éléments troubles (voir certaines histoires « édifiantes », comme celle du chevalier, de son épouse et de Notre Dame).

Pourtant, Alphonse de Ligouri a été considéré comme un grand défenseur de la foi catholique et canonisé par son Église, qui s’est largement servie de ses élucubrations dans sa lutte contre les réformés. De telles caricatures de théologie et de piété ont encore cours de nos jours, car elles n’ont jamais été désavouées par la hiérarchie romaine.

Une grande ambiguïté psychologique et affective caractérise, en général, le dévot de Marie. Ceux qui dans le clergé catholique sombrent dans la piété mariale risquent de ne jamais atteindre une véritable maturité dans ces domaines. Sans vouloir accorder à la psychologie plus de place qu’il ne lui est due, force nous est de constater, à travers les nombreux exemples auxquels nous sommes confrontés, que le célibat obligatoire du clergé, allant de pair avec la dévotion à Marie, devient une source de fixation névrotique et de sexualité refoulée, servie souvent d’ailleurs par une iconographie équivoque… Ceci peut avoir des conséquences désastreuses aussi bien pour l’individu que pour son ministère.

Les prêtres de Cybèle s’émasculaient; une partie du clergé romain s’émascule psychologiquement et affectivement, en totale contradiction avec une piété véritablement biblique. Car si le célibat, en tant que don de la grâce, peut avoir dans l’Église une place légitime et honorable, il y a aussi un célibat qui n’est que source de conflit, de détresse et finalement de destruction, aussi bien pour celui qui le vit que pour son entourage.

Tous les mariologues, depuis ceux de la Contre-Réforme jusqu’à nos contemporains tels le Père Roschini, le grand spécialiste moderne de la mariologie, ont puisé aux mêmes sources et repris à leur compte les divagations de leurs prédécesseurs. (Les pages de ce dernier consacrées à « la beauté de Marie » sont dignes de figurer dans une anthologie).

b. Marie et la gnose🔗

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1) L’Église d’Orient🔗

L’Église d’Orient, à cause de son esprit et de sa théologie plus spéculatifs, fut vulnérable plus tôt aux courants gnostiques qui s’y infiltrèrent que l’Église d’Occident. Cette dernière résistera plus longtemps grâce à ses théologiens, qui, dans l’ensemble, mèneront une lutte serrée contre la tentation gnostique et autres courants hérétiques.

L’Église « orthodoxe orientale » ou byzantine commença assez tôt à attribuer à Marie des fonctions cosmiques et à l’identifier graduellement, quoique sans le formuler, avec le principe féminin de la gnose. Les représentations de la vierge et l’enfant de l’iconographie byzantine sont à cet égard significatives. Assise sur un trône, l’enfant dans ses bras ou placé sur ses genoux, majestueuse, l’expression hiératique et lointaine, elle ressemble étrangement aux représentations d’Isis, la divinité du syncrétisme méditerranéen par excellence. Mais elle rappelle déjà aussi cette « Reine du ciel, Reine des anges, Mère de l’Église, Mère des patriarches, des apôtres et des martyrs », etc., que l’Église romaine adoptera à son tour comme sienne de longs siècles plus tard.

Le thème de « la mère céleste du Christ » fut introduit de très bonne heure dans l’Église de Byzance. Celui-ci était plus ou moins identifié, d’une part, à l’Esprit Saint en tant que principe féminin ainsi qu’à la Sagesse biblique sous le nom de Sophia chez les gnostiques; d’autre part, avec le principe cosmique, qui n’était autre, en réalité, que le principe de la vie des cultes païens. Tous ces thèmes réunis feront de Marie, la Vierge-Mère, la figure toute désignée pour « compléter » la Trinité afin que celle-ci devienne la sainte Quaternité, symbole de la totalité divino-cosmique. Le titre « d’épouse de Dieu » est souvent donné d’ailleurs à Marie, aussi bien dans l’Église d’Orient que dans celle d’Occident. Ces courants gnostiques et ésotériques pénétreront par la suite dans l’Église d’Occident et dans toute la culture occidentale, et on commence à en trouver des traces dans l’iconographie du Moyen Âge.

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2) L’Église d’Occident🔗

L’Église d’Occident, qui résistera plus longtemps à l’infiltration gnostique dans sa piété mariale, verra se développer en son sein deux grands courants théologiques qui n’ont cessé de s’affronter depuis que la mariologie y a fait son apparition, restant irréconciliables à ce jour :

L’un qui a lutté et œuvré pour rester fidèle à l’Écriture, faisant siennes les paroles de Cyprien de Carthage : « Une coutume qui ne s’appuie pas sur la vérité, n’est qu’une vieille erreur; si donc la vérité vient à être douteuse sur quelque point, nous devons remonter à l’Évangile et à la tradition des apôtres. » Nous devons donc rester constamment vigilants et conscients du fait que l’ancienneté d’une erreur ou hérésie ne la transforme pas pour autant en vérité. Et puis l’autre courant, celui qui a œuvré pour le « développement du dogme » et qui, malgré le refus ouvert de nombreux théologiens, parmi les plus grands, et la prudence des autres, a avancé comme un rouleau compresseur vers l’humanisme et la légitimation dans l’Église de doctrines ouvertement opposées aux Écritures.

La mariologie, telle qu’elle s’est développée à travers les siècles, est enracinée dans les profondeurs du cœur humain irrégénéré et idolâtre, plus prêt à se tourner vers les ténèbres de ses désirs profonds que vers la lumière de l’Évangile, à moins d’y être contraint par l’Esprit. Pourtant, jusqu’à la proclamation des derniers dogmes, le culte rendu à Marie dans la pratique ne se trouvait pas tout au moins dans les textes officiels de l’Église. Celle-ci pouvait toujours donner un coup de frein et revenir vers des positions plus orthodoxes. En acceptant comme source de révélation les « visions » de gens qui confirmaient purement et simplement les traditions populaires et en proclamant « vérité révélée » celles-ci, elle semble avoir franchi un pas irréversible dans une direction opposée à l’Écriture. C’est elle qui crée désormais la vérité, qui prolonge la tradition apostolique et qui décide d’ajouter à la révélation des nouvelles « révélations » surgies du subjectivisme humain.

Marie deviendra l’image de la glorification de l’humanité; le symbole même de la « corédemption » de l’Église, d’une Église glorifiée dès ici et maintenant, « Nouvelle Ève » (titre donné aussi à Marie par analogie à celui de « Nouvel Adam » donné au Christ). Marie et l’Église deviennent alors la représentation de l’humanité d’avant la chute.

« 6. […] Le Concile souligne que la Mère de Dieu est désormais l’accomplissement eschatologique de l’Église : “L’Église, en la personne de la Bienheureuse Vierge, atteint déjà à la perfection qui la fait sans tache ni ride (cf. Ép. 5.27)” — et il souligne simultanément que “les fidèles sont encore tendus dans leur effort pour croître en sainteté par la victoire sur le péché : c’est pourquoi ils lèvent les yeux vers Marie comme modèle des vertus qui rayonne sur toute la communauté des élus”. […]
9. […] Comme l’affirme le Concile, Marie est “la Mère du Fils de Dieu, et, par conséquent, la fille de prédilection du Père et le sanctuaire du Saint-Esprit; par le don de cette grâce suprême, elle dépasse de loin toutes les créatures dans le ciel et sur la terre”. […]
10. […] La liturgie n’hésite pas à lui donner le titre de “Mère de son Créateur”, et à la saluer par les paroles que Dante Alighieri met sur les lèvres de saint Bernard : “Fille de ton Fils.”
41. […] À cette exaltation de la “fille de Sion par excellence” dans son Assomption au ciel est lié le mystère de sa gloire éternelle. La Mère du Christ est en effet glorifiée comme “Reine de l’univers”.6 »

Certains mariologues vont encore plus loin, mettant en parallèle Jésus-Christ, le Logos transcendant, avec Marie-Sophia, la sagesse immanente… Et nous voici de nouveau en plein gnosticisme, celui que l’Église avait combattu à ses débuts avec autant de vigueur. Car ces courants qui nous semblent aujourd’hui si « modernes » ne sont, en réalité, que la résurgence d’antiques hérésies, celles des premiers siècles de l’ère chrétienne, habillées avec de nouvelles défroques. Une lecture attentive d’Irénée, le Père ecclésiastique du 2siècle, dans son ouvrage Contre les Hérésies serait de nos jours indispensable à tous ceux qui veulent connaître les sources, les tenants et les aboutissants de certains courants contemporains. À la fin de ce cheminement, le Dieu éternel, transcendant et souverain est placé aux ordres de « l’éternel féminin ». C’est le thème même de la gnose. En couronnant Marie « Reine du ciel » (voir Jr 7.18-19), c’est l’humanité qui se couronne elle-même.

5. Marie et le monachisme — Dualisme et célibat🔗

Après la victoire politique du christianisme à la suite de périodiques et cruelles persécutions qui se sont étalées sur plus de trois siècles, l’Église devient une Église de multitudes, avec l’inévitable perte de pureté et d’authenticité que cela impliquait; alors commencent à se développer les mouvements ascétiques qui cherchent à retrouver les idéaux qu’on croit perdus ou négligés. Vient ensuite la période chaotique de l’écroulement de l’Empire d’Occident, ainsi que l’insécurité que les invasions des Barbares venus du Nord font peser sur l’Europe. Le célibat sera alors considéré, comme au temps de Paul (où commencèrent à sévir les premières persécutions contre les chrétiens) comme un état plus propice que le mariage, avec les fardeaux et responsabilités qu’il comporte, pour servir plus efficacement l’Église et le prochain.

Le monachisme est un cheminement ambigu et dangereux pour les chrétiens des deux sexes, car Dieu a créé l’homme et la femme pour qu’ils vivent en relation de complémentarité, que ce soit dans le mariage ou dans d’autres types de relation et de compagnonnage. Si nous devons reconnaître que les ordres religieux ont apporté une contribution très positive à la chrétienté à certaines périodes de son histoire, néanmoins ils n’ont pas été à l’abri de sérieux dangers et même de terribles faillites, lorsqu’ils se sont coupés du monde et isolé entre eux les sexes, en niant de la sorte une complémentarité voulue par Dieu. Mais nous ne nous étendrons pas sur ce sujet, car il faudrait une longue étude pour analyser ces deux aspects du mouvement monastique.

Le monachisme ne cherchera pas toujours ses idéaux dans les sources de la foi chrétienne et, parfois, il se laissera envahir par des idéaux extrachrétiens. La nette influence de la philosophie platonicienne, méprisant le corps en faveur d’une âme désincarnée d’une part, et l’idéal gnostique d’autre part s’y feront fortement sentir. Les mœurs dissolues des femmes de l’Empire décadent ne contribueront pas davantage à faire prévaloir une idée biblique de la femme. Celle-ci sera perçue non plus comme une personne à part entière, portant l’image de Dieu comme ses compagnons masculins, libérée comme eux par le Christ et ayant atteint sa majorité spirituelle à Pentecôte, où l’Esprit avait été accordé sans distinction aussi bien aux hommes qu’aux femmes. Certains clercs et théologiens — déjà célibataires à cette période, tout au moins dans les positions prééminentes — regardant la femme à travers leurs lunettes dichotomistes, la voient comme la tentatrice par excellence, la personnification même de cette redoutable « chair » si dangereuse pour leur sanctification et pour leur salut éternel; sa féminité est perçue comme « sale », symbole de la chair pécheresse… Là où de telles idées ont prévalu, là la femme a perdu la place que l’Évangile libérateur lui avait accordée.

Pourtant, si nous voulons rendre justice aux siècles chrétiens, nous devons nous élever contre le mythe de la femme opprimée, surtout durant le Moyen Âge, qui représente quand même mille ans de notre histoire! Durant ce millénium, sa place dans l’Église et dans la société a été souvent remarquable, surtout si on la compare à celle qu’avait été la sienne durant les siècles païens. C’est la Renaissance (cette Renaissance tant exaltée!) qui, ayant redécouvert l’antiquité classique gréco-romaine, a renvoyé la femme de la chrétienté au gynécée… ou peut s’en faut. Mais cela est déjà une autre histoire.

La soif d’un idéal de pureté et de spiritualité se fera donc sentir très tôt dans l’Église de l’Empire décadent, et Marie viendra combler le besoin d’une figure inspiratrice, réconfortante et miséricordieuse, notamment pour les ascètes de sexe masculin, dans leurs torturants efforts de discipline sexuelle. C’est Marie qui viendra secourir l’ascète au bord du gouffre et comblera son besoin d’amour; elle deviendra l’Idéal parmi les idéaux : celui de la Vierge-Mère, pure, tendre et miséricordieuse, vieux rêve inassouvi de l’humanité… Mais cette exaltation d’une figure féminine désincarnée — et pour tout dire déifiée — en la personne de Marie, loin d’aider la chrétienté à retrouver une idée biblique de la femme, lui sera encore nuisible. Car quelle femme pourrait se comparer à la Vierge-Mère, préservée de tout péché et des servitudes de la chair humaine réelle, telle que doivent l’assumer toutes les filles d’Ève…

La Vierge-Mère cristallisera donc les phantasmes et les obsessions des ascètes dans leur combat douloureux contre leur propre nature. En franchissant le seuil de ce qui leur est demandé en tant que chrétiens, ils passent de la sanctification « sans laquelle personne ne verra Dieu », et où le célibat a une place de choix en tant que don pour le service du Royaume, vers un idéal extrachrétien, enraciné à la fois dans la philosophie païenne et dans l’hérésie gnostique. Le célibat n’est plus alors ce don et cette grâce dont parle l’apôtre Paul, mais une lutte épuisante et stérile, sans but ni fin, contre la nature humaine en général et contre la sexualité en particulier, qui pourtant, elle aussi, est un don de Dieu lorsqu’elle est vécue dans le cadre ordonné par lui.

Au moment où le célibat devient obligatoire pour les prêtres, l’Église trouve une raison supplémentaire et « pratique » pour justifier et encourager la dévotion mariale. Elle leur offre, presque officiellement, une figure féminine unissant l’amour maternel, c’est-à-dire, la « proximité », avec la pureté de la vierge, semblable à cette « Dame » de l’amour courtois, nouvel avatar de la Sophia des gnostiques, qui prendra forme au Moyen Âge en la figure d’un être féminin hors d’atteinte, au-dessus de toute carnalité, décourageant le désir et le sublimant… Le prêtre ou le moine célibataires deviennent, avant la lettre, les chevaliers servants de leur Dame inaccessible, qui ne doit leur inspirer que ce qui est pur, noble et beau, en contraste avec l’amour humain, « charnel » entre un homme et une femme, relégué à un rang inférieur et à la limite impur. Or, cette sublimation aura, une fois de plus, une face sombre et cachée, source de souffrance et d’échec.

La virginité de Marie deviendra même pour certains une véritable obsession! Ce n’est plus la virginité en vue de la naissance miraculeuse du Fils de Dieu, mais quelque chose « en soi » de tout à fait ambigu. On est gêné par le regard inquisiteur avec lequel tant d’hommes célibataires se sont penchés sur la virginité physique de Marie, et qui prend chez certains des allures troubles, car ils ne sont tout de même pas des gynécologues exerçant leur profession… Ils feraient bien de se contenter de la discrétion évangélique, laissant dans le mystère ce que Dieu n’a pas cru nécessaire de nous révéler dans tous les détails. Cela serait aussi plus respectueux pour la personne de Marie.

Il est regrettable que tant de théologiens et de membres du clergé soient tombés dans la trappe de leurs frustrations affectives et sexuelles et qu’ils aient fait de la personne de Marie leur exutoire. Le célibat, pour ceux qui en ont reçu le don, assumé en vue du service du Royaume, dans une disponibilité totale, selon des principes bibliques, ou encore le mariage chrétien auraient évité toutes ces erreurs et ambiguïtés, et aussi bien l’Église que les fidèles s’en seraient mieux portés.

6. La mariologie au cours des 12e et 13siècles🔗

Chez les grands théologiens des 12e et 13siècles, l’on retrouve l’idée d’une sanctification de Marie dans le sein de sa mère en vue de sa mission (Thomas d’Aquin, Bernard de Clairvaux, Bonaventure). Cependant, on la tient encore comme faisant entièrement partie de la race déchue d’Adam, ce qui est conforme aux déclarations de la Bible relatives à la chute universelle de la race humaine, ainsi que l’avaient fait avant eux les Pères ecclésiastiques des premiers siècles.

Toutefois, certains groupes de la chrétienté médiévale en Occident, entre autres les Franciscains, œuvrent sans relâche pour faire avancer le culte de Marie et l’idée de l’Immaculée Conception. Une rude controverse éclate entre ceux-ci et les Dominicains. Ces derniers, meilleurs théologiens, pressentant le danger, accusent les premiers d’impiété et d’hérésie. Les Franciscains, à leur tour, ripostent en accusant les Dominicains d’être les ennemis de l’honneur de Marie…

La controverse au sujet de la doctrine de la mariologie fut donc extrême au cours du Moyen Âge, surtout entre ces deux ordres religieux, et elle dura jusqu’à la fin du 15siècle. Finalement, le pape franciscain Sixte IV interdit toute discussion publique à ce sujet. Mais une sourde lutte continua entre les promoteurs de la mariologie et ceux qui cherchaient à la freiner. Après la Réforme, deux papes interdirent tout débat et toute controverse non seulement en public… mais encore en privé.

Tout cela nous apprend qu’une grande fraction de l’Église, de son clergé et de ses théologiens fut farouchement opposée aux développements de la piété mariale ayant abouti aux derniers dogmes.

La lutte contre le gnosticisme

Aux 12e et 13siècles, au milieu de sa lutte contre l’hérésie cathare, l’Église poussera la mariologie vers « un grand bond en avant »; celle-ci deviendra officielle et le culte de Notre-Dame sera largement promu pour remplacer la Dame des gnostiques, comme l’avait fait l’Église post-constantinienne au sujet de la déesse-mère. À partir de cette époque, l’Église se met à intégrer des hérésies et des relents de paganisme que son aile orthodoxe avait combattus jusqu’alors vigoureusement et sans répit, et elle fermera les portes à tout sain débat théologique jusqu’à la Réforme.

7. La Contre-Réforme et le Concile de Trente🔗

Il faudra attendre le puissant mouvement de Réforme au 16siècle pour revenir aux Écritures, sur ce point comme sur d’autres. Malheureusement, l’Église romaine, au lieu de profiter de ce grand réveil et de secouer le carcan de traditions et de pratiques accumulées durant de longs siècles, aboutira au Concile de Trente, lequel sera animé moins par le souci de réformer l’Église que par la résolution de combattre la Réforme. Sans cette tragique attitude de raidissement et de refus, la grande rupture du 16siècle se serait sans doute terminée par une réconciliation entre frères, séparés durant une courte période, et s’attelant désormais ensemble dans la vaste et exaltante tâche de réveiller et de réformer l’Église de Jésus-Christ.

Le thème central de la Réforme fut celui du retour aux sources bibliques, en soulignant fortement la doctrine de la justification par la foi seule, grâce à la personne et à l’œuvre du Christ, seul Médiateur entre Dieu et les hommes. Le quadruple motif sola Scriptura, solo Christo, sola gratia et sola fide de la Réforme ne pouvait pas s’accommoder du fait que la Tradition jouait un rôle équivalent et parallèle à celui de l’Écriture. Il ne lui restait donc plus qu’à refuser en bloc toute doctrine non bibliquement fondée, la mariologie entre autres, comme appartenant purement à des traditions humaines.

Or, au lieu de revenir aux sources bibliques pour se réformer, afin que le corps du Christ pût retrouver son unité comme les réformateurs l’avaient souhaité au départ, l’Église romaine, au Concile de Trente, enfourchera comme un cheval de bataille des doctrines anti-bibliques pour le lancer contre la Réforme. Celle-ci lutte entre-temps et de toutes ses forces pour redonner à Jésus-Christ, à son œuvre et à sa médiation la place centrale dans l’Église. Le concile réaffirme et développe, avec une vigueur renouvelée, le rôle de Marie, sa centralité et sa médiation, et la mariologie atteint des sommets dont les plus fanatiques dévots de Marie n’auraient osé rêver! (voir Alphonse de Ligouri). Au lieu d’être freinés par les autorités ecclésiastiques, ces extravaganzas continueront à se développer, et ce jusqu’à nos jours, déplaçant toujours davantage la centralité de la croix et de la médiation du Christ en faveur de celles de Marie.

Toute formulation nouvelle des gloires de Marie trouvera désormais un accueil complaisant et sans réserve auprès de la hiérarchie romaine. Le Vatican, depuis la Contre-Réforme, n’a cessé d’encourager dans ce domaine les positions les plus extrêmes, et au lieu de freiner le zèle intempestif des mariologues et de résister à la pression de la superstition populaire, il s’est servi de la mariologie comme d’un char d’assaut pour combattre ses opposants. Là encore, comme aux 12e et 13siècles, il se trompe lourdement de « défense », et surtout d’adversaire. Ce n’est pas la Réforme ou le christianisme biblique qui est l’ennemi de l’Église romaine, mais le syncrétisme, la vieille hérésie gnostique et l’ancien paganisme « christianisé ».

8. Marie et l’Église🔗

a. Marie Mère de l’Église🔗

Dans la théologie romaine, la conception de l’Église est sacramentelle; elle perpétue et actualise l’incarnation et le sacrifice du Christ dans l’histoire. À cet égard, Marie réalise, pour celle-là, la parfaite synthèse entre l’humain et le divin, et dès le Moyen Âge se laisse déjà sentir dans l’Église d’Occident la confusion entre « notre mère l’Église » et « notre mère Marie ».

« Parler de l’Église, c’est aussi parler de la Vierge Marie. Parler de Marie, c’est encore parler de l’Église. Marie n’est-elle pas “celle qui occupe dans la sainte Église la place la plus élevée au-dessous du Christ, et nous est toute proche” (LG 54)? Aussi, après avoir abordé le mystère du Christ, puis celui de l’Église, il est normal de mettre en lumière, comme le fait la Constitution du concile Vatican II sur l’Église, “le rôle de la Bienheureuse Vierge dans le mystère du Verbe incarné et du corps mystique” (LG 54).7 »
« C’est pourquoi, quand elle contemple la sainteté de la Vierge, l’Église “devient à son tour une Mère, grâce à la Parole de Dieu qu’elle reçoit dans la foi : par la prédication en effet, et par le baptême elle engendre, à une vie nouvelle et immortelle, des fils conçus du Saint-Esprit et nés de Dieu.” (LG 68).8 »
« Dans la communion de toute l’Église, au cœur de la prière eucharistique, nous nommons en premier lieu la Bienheureuse Marie toujours Vierge. Marie est, en effet, “membre assurément et absolument unique de l’Église, modèle et exemplaire admirables pour celle-ci dans la foi et dans la charité” (LG 53).9 »
« À la fin du dernier concile, le pape Paul VI a proclamé Marie Mère de l’Église, c’est-à-dire Mère de ses pasteurs et de ses fidèles. Comme une mère, Marie a son rôle propre dans la famille dont elle fait partie, rôle que l’on trouve déjà esquissé dans le Nouveau Testament.10 »

Selon l’interprétation romaine, Marie au pied de la croix représente l’Église, la somme totale des membres du corps du Christ collaborant et coopérant à la rédemption du monde, interprétant les paroles de Paul (Col 1.24-29) de telle manière que la rédemption devient une œuvre collective et solidaire, accomplie par le Christ et les siens. En la personne de Marie, nous serions en quelque sorte, nous autres humains, des corédempteurs.

Pour l’Église romaine, Marie est « la source de l’Église », « sa mère », puisque selon son interprétation de Jean 19.26-27, Jésus, avant de mourir, l’aurait donnée comme mère à tous les croyants en la personne de l’apôtre Jean. Dans ses paroles « Voici ta mère », démontrant le souci filial de Jésus avant de mourir, voulant confier sa mère à celui qui lui semble le plus apte à en prendre soin, Jésus aurait proclamé à la face du monde, selon Roschini, « la maternité spirituelle de Marie ».

« 28. […] “C’est pourquoi, dans l’exercice de son apostolat, l’Église regarde à juste titre vers celle qui engendra le Christ, conçu du Saint-Esprit et né de la Vierge précisément afin de naître et de grandir aussi par l’Église dans le cœur des fidèles.” […]
24. […] Il y a donc, dans l’économie de la grâce, réalisée sous l’action de l’Esprit Saint, une correspondance unique entre le moment de l’Incarnation du Verbe et celui de la naissance de l’Église. La personne qui fait l’unité entre ces deux moments est Marie : Marie à Nazareth et Marie au Cénacle de Jérusalem. Dans les deux cas, sa présence discrète, mais essentielle, montre la voie de la “naissance par l’Esprit”. Ainsi celle qui est présente dans le mystère du Christ comme Mère est rendue présente — par la volonté du Fils et par l’Esprit Saint — dans le mystère de l’Église. Et dans l’Église encore, elle continue à être une présence maternelle, comme le montrent les paroles prononcées sur la Croix : “Femme, voici ton fils”; “Voici ta mère”.11 »

Parmi les innombrables titres accordés à Marie dans la liturgie mariale et dans les déclarations de certains papes et théologiens romains, nous pouvons retenir ceux de : Mère de l’Église, Reine de l’univers, Reine du ciel, Mère de tous les croyants, Mère de l’humanité, Source de grâce, Refuge des pécheurs, Mère de miséricorde, Porte du ciel, Temple de la divinité, Corédemptrice, etc.

« Dieu a mis Marie au-dessus de toutes les choses créées. Il aime Marie à tel point qu’il lui donne ce qu’il a de plus cher, son Fils unique.12 » « Elle est dispensatrice de tous les dons que Christ nous a acquis.13 » « Marie, avec le Christ, a sauvé la race humaine.14 » « Marie était étroitement associée à l’œuvre de la rédemption et y a contribué d’une manière toute spéciale.15 »

De tout cela Roschini16 déduit la corédemption de Marie, même si l’on ne trouve nulle part, ni dans l’Écriture ni dans la tradition apostolique, la moindre idée pouvant laisser entendre que Marie serait la source de l’Église, la mère que Jésus aurait donnée à tous les croyants…

Jean-Paul II, lors de son voyage au Mexique, s’était exclamé au sanctuaire de la Guadeloupe, à Puebla :

« Marie, tu es la femme promise à Eden, la femme choisie de toute éternité à être la mère de la Parole incarnée, la mère de la Divine Sagesse, la mère du Fils de Dieu; Salve, mère de Dieu! »
« Nous ne pouvons pas oublier que Marie est vénérée à Lourdes par des millions de croyants, justement comme celle qui a dit : “Je suis l’Immaculée Conception”.17 »

b. Marie corédemptrice et l’Église corédemptrice🔗

Le Nouveau Testament nous présente l’Église comme étant définitivement rachetée par l’œuvre accomplie « une fois pour toutes ». Ses membres ont été sauvés par le sacrifice du Christ; ils n’ont pas de mérites ni ne peuvent en avoir pour se prévaloir de leur salut. Leurs œuvres sont simplement des œuvres de reconnaissance, les signes de leur obéissance, de leur sanctification. Elles rendent gloire au Dieu de leur salut. Les membres de l’Église, aussi bien dans le Nouveau Testament que dans l’Église primitive, ne se situent jamais au niveau d’une rédemption laissée en voie d’achèvement, à laquelle ils pourraient ajouter quoi que ce soit. Ils se savent tous au bénéfice d’une rédemption, d’une œuvre accomplie parfaitement par Jésus-Christ.

Pour comprendre les prémisses de l’idée de la corédemption de Marie, il faut se pencher, même brièvement, sur la théologie de l’Église romaine, qui trouve une expression moderne et concrète dans les théologies dites « de la libération ». Celles-ci ne semblent pas s’intéresser le moins du monde aux racines de cette pensée, mais elles en tirent les aspects pratiques. C’est la doctrine du corps du Christ vivant et agissant, déformée et déplacée en faveur d’une doctrine de corédemption totalement étrangère à la Bible. C’est la même pierre d’achoppement qui revient toujours à nouveau : les œuvres de reconnaissance devenant des œuvres indépendantes et méritoires de l’homme, des œuvres de corédemption. L’homme sauvant l’homme, l’humanité rachetant l’humanité…

La tentation humaniste, dont Pélage s’était déjà fait l’avocat au 5siècle, n’a jamais cessé de hanter l’Église romaine sous la forme du semi-pélagianisme18. Toutefois, il faut signaler que nombre de protestants opposés au catholicisme romain sont à leur manière des semi-pélagiens synergistes parce qu’ayant adopté la théologie arminienne professant la coopération de l’homme avec Dieu pour l’obtention de la foi.

Pour Roschini, « comme le Père, elle a abdiqué de ses droits et n’a pas épargné son propre Fils, unissant son sacrifice au sien pour le salut du monde. À la croix, elle offre son Fils comme sacrifice à toute l’humanité; elle forme avec son Fils une seule et même victime… » Au fond, ce n’est plus le Père qui offre son Fils, mais Marie, la vierge, la mère, la femme, qui offre le sien. Elle participe ainsi au sacrifice rédempteur, offrant quelque chose qui lui appartient en propre; elle qui avait sur lui de véritables droits maternels, en abdiquant ces droits elle contribue à notre salut.

Certains sont allés jusqu’à affirmer : « Christ notre Tête étant sorti du sein de Marie, et nous-mêmes étant unis à Christ notre Tête, nous sommes tous fils de Marie. Marie peut donc être considérée, dans un sens très réel, comme la mère de l’Église. » Quelle étrange dialectique! Lorsqu’on abandonne le domaine et les limites de la théologie biblique, on ne peut que s’enfoncer toujours davantage dans la spéculation.

Les souffrances de Marie sont mises en parallèle avec celles du Christ. C’est la souffrance humaine en la personne de Marie qui est offerte avec celle du Christ pour compléter la rédemption.

c. Le mystère de la femme🔗

Des théologiens romains associent, dès Genèse 3.15, la mère au Fils dans sa victoire contre le serpent. Jean-Paul II représente l’aile « modérée » de ce courant. Nous continuerons à nous référer à Redemptoris Mater pour présenter cette position :

« 7. […] Le plan divin du salut […] inclut toute l’humanité, mais réserve une place unique à la “femme” qui est la Mère de celui auquel le Père a confié l’œuvre du salut. Comme l’écrit le Concile Vatican II, “elle se trouve prophétiquement esquissée dans la promesse faite à nos premiers parents tombés dans le péché”, selon le Livre de la Genèse (3.15). […]
11. […] Voici que vient au monde un Fils, le “lignage de la femme” qui vaincra le mal du péché à sa racine même : “Il écrasera la tête du serpent.” Comme le montrent les paroles du protévangile, la victoire du Fils de la femme ne se réalisera pas sans un dur combat qui doit remplir toute l’histoire humaine. “L’hostilité” annoncée au commencement est confirmée dans l’Apocalypse, le livre des fins dernières de l’Église et du monde, où réapparaît le signe d’une “femme”, mais cette fois “enveloppée de soleil” (Ap 12.1). Marie, Mère du Verbe incarné, se trouve située au centre même de cette hostilité, de la lutte qui marque l’histoire de l’humanité sur la terre et l’histoire du salut elle-même. […]
24. Nous nous trouvons ainsi au centre même de l’accomplissement de la promesse incluse dans le protévangile : “Le lignage de la femme écrasera la tête du serpent” (cf. Gn 3.15). De fait, par sa mort rédemptrice, Jésus-Christ vainc à sa racine même le mal du péché et de la mort. Il est significatif que, s’adressant à sa Mère du haut de la Croix, il l’appelle “femme” et lui dit : “Femme, voici ton fils.” D’ailleurs, il avait aussi employé le même mot pour s’adresser à elle à Cana (cf. Jn 2.4). Comment douter qu’ici spécialement, sur le Golgotha, cette parole n’atteigne la profondeur du mystère de Marie, en faisant ressortir la place unique qu’elle a dans toute l’économie du salut? Comme l’enseigne le Concile, avec Marie, “la fille de Sion par excellence, après la longue attente de la promesse, s’accomplissent les temps et s’instaure l’économie nouvelle, lorsque le Fils de Dieu prit d’elle la nature humaine pour libérer l’homme du péché par les mystères de sa chair”.
Les paroles que Jésus prononce du haut de la Croix signifient que la maternité de sa Mère trouve un “nouveau” prolongement dans l’Église et par l’Église symbolisée et représentée par Jean. Ainsi, celle qui, “pleine de grâce”, a été introduite dans le mystère du Christ pour être sa Mère, c’est-à-dire la Sainte Mère de Dieu, demeure dans ce mystère par l’Église comme “la femme” que désignent le livre de la Genèse (3.15) au commencement et l’Apocalypse (12.1) à la fin de l’histoire du salut. Selon le dessein éternel de la Providence, la maternité divine de Marie doit s’étendre à l’Église, comme le montrent les affirmations de la Tradition, pour lesquelles la maternité de Marie à l’égard de l’Église est le reflet et le prolongement de sa maternité à l’égard du Fils de Dieu. […]
47. […] Ce lien spécial qui unit la Mère du Christ à l’Église permet d’éclairer davantage le mystère de la “femme” qui, depuis les premiers chapitres du Livre de la Genèse jusqu’à l’Apocalypse, accompagne la révélation du dessein salvifique de Dieu à l’égard de l’humanité. En effet, Marie, présente dans l’Église comme Mère du Rédempteur, participe maternellement au “dur combat contre les puissances des ténèbres” qui se déroule à travers toute l’histoire des hommes. Et par cette identification ecclésiale avec la “femme enveloppée de soleil” (Ap 12.1), on peut dire que “l’Église, en la personne de la bienheureuse Vierge, atteint déjà à la perfection qui la fait sans tache ni ride”; c’est pourquoi les chrétiens, en levant les yeux avec foi vers Marie durant leur pèlerinage terrestre, “sont tendus dans leur effort pour croître en sainteté”. Marie, fille de Sion par excellence, aide tous ses fils — où qu’ils vivent et de quelque manière que ce soit — à trouver dans le Christ la route qui conduit à la maison du Père.
L’Église, dans toute sa vie, maintient donc avec la Mère de Dieu un lien qui inclut, dans le mystère du salut, le passé, le présent et l’avenir, et elle la vénère comme la Mère spirituelle de l’humanité et celle qui nous obtient la grâce.
50. […] En annonçant l’Année mariale, je précisais par ailleurs que sa conclusion aurait lieu l’année suivante en la solennité de l’Assomption de la sainte Vierge Marie au ciel, afin de mettre en relief le “signe grandiose qui apparaît au ciel”, dont parle l’Apocalypse. De cette façon, nous voulons également répondre à l’exhortation du Concile, qui se tourne vers Marie, “signe d’espérance assurée et de consolation devant le Peuple de Dieu en pèlerinage”. Et cette exhortation, le Concile l’exprime ainsi : “Que tous les chrétiens adressent à la Mère de Dieu et des hommes d’instantes supplications, afin qu’après avoir assisté de ses prières l’Église naissante, maintenant encore, exaltée dans le ciel au-dessus de tous les bienheureux et des anges, elle continue d’intercéder auprès de son Fils dans la communion de tous les saints, jusqu’à ce que toutes les familles des peuples, qu’ils soient déjà marqués du beau nom de chrétiens ou qu’ils ignorent encore leur Sauveur, soient enfin heureusement rassemblés dans la paix et la concorde en un seul peuple de Dieu à la gloire de la très sainte et indivisible Trinité.”
51. Chaque jour, à la fin de la Liturgie des Heures, l’Église fait monter vers Marie une invocation, celle-ci entre autres :
“Sainte Mère du Rédempteur, porte du ciel, toujours ouverte, étoile de la mer, viens au secours du peuple qui tombe et qui cherche à se relever. Tu as enfanté, à l’émerveillement de la nature, celui qui t’a créée!”19 »

Cette obstination, cette obsession faudrait-il dire, chez certains à vouloir associer la femme, en la personne de Marie, à l’œuvre du salut, est un thème fondamental de la gnose. Dans celle-ci, toute manifestation du divin dans le monde sensible doit nécessairement se réaliser à travers des couples bisexuels. Le couple Marie-Jésus ne va pas sans nous rappeler le couple Isis-Horus.

L’athée L. Feuerbach (philosophe allemand du début du 19siècle), l’avait d’ailleurs bien compris20. Mais une telle proximité, sentant si fort le soufre, n’a pas rendu les mariologues plus prudents. On revient toujours et inévitablement au principe féminin déifié, symbole de l’humanité divinisée, de l’humanité s’autorachetant.

d. Le Médiateur et la Médiatrice🔗

La mariologie est enracinée dans le cœur de beaucoup pour les mêmes raisons que les païens recherchaient les divinités féminines : leur terreur d’un Dieu transcendant perçu comme un Juge.

Le chrétien romain lui aussi, lorsqu’il n’a pas compris, parce qu’il n’a pas été enseigné, le sens de l’incarnation, de la mort et de la résurrection du Fils, regarde la croix avec effroi. Il ne se sent pas totalement et inconditionnellement pardonné. Alors il s’accroche à l’idée des mérites, et dans sa peur il cherche désespérément une aide, une médiation supplémentaire et à sa portée. Et voici qu’on lui propose Marie, à qui Dieu ne peut rien refuser… À la place du rictus du crucifié qui l’accable, on lui propose une figure bienveillante, pleine de douceur, prête à le couvrir de son manteau de compassion, comme une mère protégeant son enfant fautif d’un père trop sévère… Oui, elle intercédera pour le pauvre pécheur effrayé auprès de l’Homme de douleurs, qu’il n’ose pas approcher.

Face à un Dieu sévère et à son Christ, il y a donc Marie, telle que l’a fabriquée l’Église romaine, miséricordieuse, pleine d’indulgence maternelle, dont la tendresse excuse et couvre les fautes de ceux qui se confient en elle, telle une mère poule couvrant ses petits en cas de danger… Cela ne peut que plaire, que réveiller l’éternel enfant qui sommeille en chacun de nous, qu’attirer ceux qui n’ont pas compris la rédemption telle que Dieu l’offre et dans les termes dans lesquels il l’offre.

Le Médiateur donné par le Père qui s’est incarné — et à quel prix! — en vue de cette médiation, qui a passé sa vie sur terre à témoigner de sa compassion envers l’humanité souffrante et déchue, qui a été envoyé précisément pour nous révéler le visage d’amour et de compassion du Père, ne rassure toujours pas ceux qui n’ont pas compris la doctrine du salut par la seule grâce. Ni l’amour infini du Christ, ni sa mort expiatoire sur la croix, ni son intercession auprès du Père « pour nous autres pécheurs » ne leur suffisent. Il leur faut encore « la médiation miséricordieuse de Marie ». Pourquoi la « miséricorde de Marie » leur semble-t-elle plus proche et réelle que celle du Christ? Sans doute parce que, encore dans ce domaine, la pitié de Marie pour les hommes n’est, en dernière analyse, que la pitié que l’humanité se porte à elle-même. Ils se sentent en terrain connu, familier… Ceux qui tombent dans ce mirage seront ainsi éloignés du Christ. Parfois pour toujours, car c’est là la négation pure et simple de la rédemption.

L’ombre du docétisme21 plane sur cette conception de la personne du Christ. Ce danger se fait plus concret au fur et à mesure qu’avance la doctrine mariologique avec sa duplication de la personne et l’œuvre du Christ.

« En devenant la Mère de Dieu, Marie a coopéré à la réalisation de notre salut. Elle en est devenue la servante. Son service fut celui de l’obéissance aimante, antithèse vivante de la désobéissance d’Ève. Service de l’intercession comme à Cana. “Elle apporta à l’œuvre du Sauveur une coopération absolument sans pareille par son obéissance, sa foi, son espérance, son ardente charité, pour que soit rendue aux âmes la vie surnaturelle. C’est pourquoi elle est devenue pour nous, dans l’ordre de la grâce, notre Mère.” (LG 61).22 »
« 39. […] C’est pourquoi non seulement Marie est devenue la mère du Fils de l’homme, celle qui l’a nourri, mais elle a été aussi “généreusement associée, à un titre absolument unique” au Messie, au Rédempteur. Comme je l’ai déjà dit, elle avançait dans son pèlerinage de foi et, dans ce pèlerinage jusqu’au pied de la Croix s’est réalisée en même temps sa coopération maternelle à toute la mission du Sauveur, par ses actions et ses souffrances. Au long du chemin de cette collaboration à l’œuvre de son Fils Rédempteur, la maternité même de Marie connaissait une transformation singulière, s’imprégnant toujours davantage de “charité ardente” envers tous ceux auxquels s’adressait la mission du Christ. Par cette “ardente charité”, qui visait, en union avec le Christ, à ce que soit “rendue aux âmes la vie surnaturelle”, Marie entrait d’une manière tout à fait personnelle dans la médiation unique “entre Dieu et les hommes”, qui est la médiation de l’homme Jésus-Christ. Si elle a été elle-même la première à faire l’expérience des effets surnaturels de cette unique médiation — déjà, à l’Annonciation, elle avait été saluée comme “pleine de grâce” —, il faut dire que par cette plénitude de grâce et de vie surnaturelle elle était particulièrement prédisposée à la coopération avec le Christ, médiateur unique du salut de l’humanité. Et cette coopération, c’est précisément sa médiation subordonnée à la médiation du Christ.
Dans le cas de Marie, il s’agit d’une médiation spéciale et exceptionnelle, fondée sur la “plénitude de grâce”, qui se traduisait par la pleine disponibilité de la “servante du Seigneur”. En réponse à cette disponibilité intérieure de sa Mère, Jésus-Christ la préparait toujours davantage à devenir, pour les hommes, leur “Mère dans l’ordre de la grâce”. […]
40. Après les événements de la Résurrection et de l’Ascension, Marie, entrant au Cénacle avec les apôtres dans l’attente de la Pentecôte, était présente en tant que Mère du Seigneur glorifié. Elle était non seulement celle qui “avança dans son pèlerinage de foi” et garda fidèlement l’union avec son Fils “jusqu’à la Croix”, mais aussi la “servante du Seigneur”, laissée par son Fils comme mère au sein de l’Église naissante : “Voici ta mère”. Ainsi commença à se former un lien spécial entre cette Mère et l’Église. L’Église naissante était en effet le fruit de la Croix et de la Résurrection de son Fils. Marie, qui depuis le début s’était donnée sans réserve à la personne et à l’œuvre de son Fils, ne pouvait pas ne pas reporter sur l’Église, dès le commencement, ce don maternel qu’elle avait fait de soi. Après le départ de son Fils, sa maternité demeure dans l’Église, comme médiation maternelle : en intercédant pour tous ses fils, la Mère coopère à l’action salvifique de son Fils Rédempteur du monde. Le Concile dit en effet : “La maternité de Marie dans l’économie de la grâce se continue sans interruption jusqu’à la consommation définitive de tous les élus.” Par la mort rédemptrice de son Fils, la médiation maternelle de la servante du Seigneur a atteint une dimension universelle. […]
“En effet, après son Assomption au ciel, son rôle dans le salut ne s’interrompt pas : par son intercession répétée, elle continue à nous obtenir les dons qui assurent notre salut éternel.” […]
41. Par sa médiation subordonnée à celle du Rédempteur, Marie contribue d’une manière spéciale à l’union de l’Église en pèlerinage sur la terre avec la réalité eschatologique et céleste de la communion des saints, puisqu’elle a déjà été “élevée au ciel”. La vérité de l’Assomption, définie par Pie XII, est réaffirmée par le Concile Vatican II, qui exprime ainsi la foi de l’Église : “Enfin, la Vierge immaculée, préservée par Dieu de toute atteinte de la faute originelle, ayant accompli le cours de sa vie terrestre, fut élevée corps et âme à la gloire du ciel, et exaltée par le Seigneur comme la Reine de l’univers, pour être ainsi plus entièrement conforme à son Fils, Seigneur des seigneurs (cf. Ap 19.16), victorieux du péché et de la mort.” Par cet enseignement, Pie XII se reliait à la Tradition, qui a trouvé de multiples expressions dans l’histoire de l’Église, tant en Orient qu’en Occident.23 »

9. Écriture et Tradition🔗

a. L’Église romaine et la définition de nouveaux dogmes🔗

Pour comprendre tant soit peu quelque chose à la proclamation des nouveaux dogmes dans l’Église romaine, nous devons commencer par comprendre ce qu’on appelle « les deux sources de la révélation » et « le développement du dogme ». Ce sujet a été traité dans deux articles précédents sur Le dogme romain et son évolution et sur L’Écriture sainte et la Tradition, mais nous y consacrerons ici même quelques phrases.

Le développement du dogme inclut la primauté de l’autorité de « l’Église vivante », dans tout ce qu’elle a de changeant et de mouvant, prenant le pas sur « le dépôt de la foi transmise une fois pour toutes » (Jude 1.3-4). C’est l’Église institution qui définit, qui en réalité décide, ce qu’est le « dépôt de la foi ». Elle ajuste les Écritures et la foi apostolique, comme sur un lit de Procuste, à ce qu’elle a décidé de déclarer dogme ou vérité révélée. C’est là d’ailleurs tout le problème de l’exégèse catholique romaine.

« La tradition est la première norme de la foi, la conscience vivante de l’Église aujourd’hui, et non les Écritures.24 »

Ainsi, c’est l’Église qui peut créer à n’importe quel moment de son histoire « la tradition apostolique » et promulguer de nouveaux dogmes sans mesurer ses définitions à l’aune des Écritures.

Depuis Vatican II, des tentatives pour revenir aux Écritures ont été amorcées, ce qui aurait dû, logiquement, aboutir à renoncer aux dogmes non bibliquement fondés. Or, au lieu de cela, on se livre plutôt à de véritables prouesses exégétiques pour les prouver par les Écritures, essayant d’extorquer à celles-ci des appuis pour étayer, contre toute vraisemblance, les dogmes déjà promulgués, notamment ceux de la mariologie. Le principe d’interprétation orthodoxe que la Réforme a hérité des Pères et qu’elle a remis en valeur, selon lequel une vérité qui ne semble pas claire ou qui est isolée doit être éclairée et interprétée à la lumière des autres Écritures, et non par le consensus populaire ou ecclésiastique, est ignoré, quitte à appeler les Écritures a posteriori à la rescousse par les étranges méthodes exégétiques auxquelles nous avons fait allusion.

Un théologien, un pape, un saint peuvent par exemple faire une assertion (en accord ou pas avec les Écritures) sur un sujet donné. Celle-ci sera la base d’une doctrine nouvelle qui se développera, soit imperceptiblement soit par « bonds », jusqu’à devenir un nouveau dogme ou doctrine officielle de l’Église, comme ça a été le cas pour la mariologie. On lui cherchera des justifications a posteriori en jonglant avec les textes bibliques.

Il est bien évident que, pour amorcer un véritable dialogue œcuménique, quelles que soient les parties impliquées, il faut se placer sur le même terrain. Autrement, il ne peut y avoir qu’un dialogue de sourds.

En ce qui concerne la définition de nouveaux dogmes, il est devenu difficile, depuis la Contre-Réforme, de trouver des évêques qui pensent par eux-mêmes, capables de résister à la pression et aux contraintes exercées sur eux, aussi bien par une hiérarchie décidée à faire avancer ses idées que par les masses superstitieuses. La conformité avec la majorité, la crainte de se singulariser et le poids de la Curie romaine, toujours prête apparemment à promulguer de nouveaux dogmes, pèsent lourdement sur un clergé devenu de plus en plus muet à cet égard.

b. Nouveaux dogmes et humanisme🔗

L’évolution du dogme, le progrès vers de nouvelles « révélations » acceptées par la hiérarchie romaine, n’est pas le progrès, l’effort pour rendre les grandes doctrines de la foi chrétienne plus claires, plus compréhensibles aux membres de l’Église et à ceux qui sont étrangers à la foi chrétienne (à ceux notamment d’une culture différente), et pour lutter contre les hérésies, ainsi que l’avait fait l’Église aux premiers siècles. Ce n’est pas un progrès vers une meilleure formulation des vérités chrétiennes, vers un plus grand approfondissement des Écritures et de la personne et de l’œuvre du Christ. Ce qui est appelé ici « progrès » n’est en réalité qu’une fuite en avant, un éloignement toujours plus marqué des sources bibliques, des spéculations promues au rang de révélation… L’Église romaine se croit autorisée à développer la révélation en y ajoutant une « révélation progressive » qui, selon elle, doit jeter de nouvelles lumières sur la révélation elle-même. Il ne s’agit donc pas simplement de méthodes d’interprétation afin de nous aider à clarifier ce qui nous a déjà été révélé, mais bel et bien de nouvelles révélations. Ce « progressisme », comme bien d’autres, n’est, en réalité, qu’une progression vers l’abîme.

Les trois grands « progrès » accomplis par l’Église romaine au cours des deux derniers siècles sont la déclaration comme « vérité révélée » des dogmes suivants : l’Immaculée Conception, l’infaillibilité papale et l’Assomption de Marie. « L’évolution du dogme » est un principe éminemment moderniste; il minimise l’historicité des Écritures, donc du canon, ainsi que les grands Conciles œcuméniques, pour mettre au centre l’homme et ses « révélations », c’est-à-dire ce qu’il décrète révélation lui-même à travers une vue humaniste des Écritures. C’est lui qui devient la seule mesure et le seul principe d’interprétation de la vérité divine.

La mariologie est peut-être la face la plus libérale, la plus hétérodoxe de l’Église romaine, qui s’imagine pouvoir récupérer les foules en leur jetant en pâture des idéaux nourris de son propre humanisme, et qui les éloigneront toujours davantage du Dieu véritable et du salut offert en Christ.

Mais nous ne nous étendrons plus sur ce sujet, invitant le lecteur à consulter un article précédent qui aborde avec plus de détail la question de l’Écriture et de la Tradition dans l’Église romaine.

10. La mariologie en tant qu’imitation de la personne et de l’œuvre du Christ🔗

Il est essentiel d’étudier la doctrine de la mariologie à la lumière des Écritures en général et des passages qui parlent de l’œuvre et du ministère du Christ et du Saint-Esprit en particulier, pour se rendre compte que la place qu’occupe Marie dans le dogme et la piété romains est devenue, à tous les niveaux, une imitation et même une duplication de la personne et de l’œuvre du Christ, qui pourtant, selon les Écritures sont et doivent rester uniques. Vus à travers la doctrine de la mariologie, tous les grands faits de la rédemption rapportés par les Évangiles et par la tradition apostolique, toutes les grandes doctrines de la foi orthodoxe, sont amoindris et dévalorisés. En voici les principaux exemples :

  • Le Christ consent à s’incarner pour notre rédemption.
    En donnant son consentement à l’incarnation du Fils de Dieu, Marie coopère à notre rédemption25.
  • Jésus est né sans péché d’une mère humaine.
    Marie est née aussi sans péché (Immaculée Conception).
  • Jésus est la victime expiatoire.
    Marie est la grande prêtresse qui offre la victime26.
  • Jésus est le second Adam.
    Marie est la seconde Ève.
  • Le corps de Jésus ressuscité ne voit pas la corruption.
    Le corps de Marie, par son Assomption, ne voit pas non plus la corruption.
  • Jésus-Christ intercède pour les siens auprès du Père.
    Marie intercède auprès de son Fils pour l’humanité tout entière.
  • Jésus est le seul Médiateur entre Dieu et les hommes.
    Marie est la mère spirituelle de l’humanité, la Médiatrice entre son Fils et les hommes.
  • Christ est le Roi du cosmos tout entier.
    Marie est « la Reine du ciel », « la Reine de l’univers ».

L’exaltation et la terminologie employées dans la liturgie du culte marial n’ont même pas d’équivalent dans les liturgies utilisées pour le culte rendu au Christ.

Avec la mariologie, l’incarnation du Fils de Dieu perd de sa réalité; la nature humaine en la personne de Marie qui lui est superposée le remplace finalement pour que la rédemption puisse être complétée. Notre propre humanité en la personne de Marie devient nécessaire pour mener à bien l’œuvre du Christ, qui autrement resterait incomplète. Il faut le sceau de la médiation humaine pour que nous puissions avoir la certitude de notre salut. Celui-ci ne devient alors possible qu’à travers deux sources : l’une divine, en Christ, l’autre humaine, via la personne de Marie. La nature humaine du Christ, bien que maintenue dans la formulation théologique, s’estompe peu à peu dans l’esprit du croyant et dans la vie de l’Église. Nous sommes donc, sinon dans la formulation tout au moins dans la pratique en plein monophysisme27.

Quelles que soient les précautions prises lorsqu’on choisit une telle approche, on ne peut éviter le fait qu’une complémentarité est ajoutée à l’œuvre du Christ et que le salut nous parvient à travers deux sources : Christ et Marie. Cela contredit l’affirmation de toute l’Écriture (voir 1 Co 15.20-23).

Voici les principaux passages qui témoignent, en dehors des Évangiles, comment les apôtres et l’Église primitive ont compris, par le Saint-Esprit, l’œuvre du Christ et son ministère d’intercession en tant que Grand Sacrificateur de la Nouvelle Alliance : Rm 3.21 à 8.39; 1 Co 8.6; 11.12; 2 Co 11.2; Ép 1.3-14; 4.5; Col 1; 2.4-15; 1 Tm 1.17; 6.15; Jc 4.12; Hé 4.14 à 10.18.

Donc l’idée selon laquelle Marie aurait participé et participerait toujours activement, d’une manière qui lui soit propre, même sous la forme d’un ministère adjoint et dérivé, à l’œuvre rédemptrice et au ministère du Christ et du Saint-Esprit, contredit ouvertement toute l’Écriture. Cette œuvre, selon la Bible, est unique, sui generis, accomplie par Dieu, Père Fils et Saint-Esprit, sans aucune collaboration humaine.

Pour Rome, les souffrances de Marie sont mises en parallèle avec celles du Christ. C’est la souffrance humaine en la personne de Marie qui est offerte avec celle du Christ pour compléter la rédemption.

« 18. […] Au pied de la Croix, Marie participe par la foi au mystère bouleversant de ce dépouillement. C’est là, sans doute, la “kénose” de la foi la plus profonde dans l’histoire de l’humanité. Par la foi, la Mère participe à la mort de son Fils, à sa mort rédemptrice…28 »

Or, aucune souffrance humaine ne peut être ajoutée à celle du Christ, parce que celle-ci est une souffrance d’une qualité différente : celle de l’Homme-Dieu. Seule cette souffrance-là pouvait accomplir notre salut. Il n’y a aucune parenté ni aucune analogie entre la souffrance du Christ et celle d’un être humain, fût-il sa mère; aucune souffrance humaine, féminine ou pas, maternelle ou non, ne peut ajouter ni ôter quoique ce soit à son œuvre. Jésus-Christ est le point de rencontre entre l’infini, le transcendant et le fini, la créature, entre l’éternité et le temps. C’est pourquoi l’Homme-Dieu est le seul, l’unique et le parfait Médiateur. Aucun autre ne pourrait l’être. Nous devrions relire Irénée à ce sujet.

11. La mariologie en tant qu’imitation de la personne et de l’œuvre du Saint-Esprit🔗

Nous nous trouvons confrontés au même problème lorsque nous nous penchons sur la personne et l’œuvre du Saint-Esprit, car la mariologie a de sérieuses retombées sur la sotériologie (doctrine du salut) et la pneumatologie (doctrine du Saint-Esprit) et prend, dans ce domaine aussi, la primauté sur sa personne et sur son œuvre. Là encore, c’est Marie qui applique l’œuvre du Christ en nous, qui intercède pour nous, qui nous « fait naître dans l’Esprit », usurpant de la sorte le ministère du Saint-Esprit. (Sur l’œuvre du Saint-Esprit, voir les passages suivants : Rm 8.16; Ép 2.18; 1 Co 12.11; 1 Pi 1.2).

D’après Pie X, Marie est « placée au-dessus de l’Église et l’éclaire »; elle est, pour celle-ci, « dispensatrice de grâce » et « dispensatrice de tous les dons que le Christ nous a acquis ». En tant que « mère des croyants », elle « nous fait naître en Christ » (Jean-Paul II), ce qui relègue l’œuvre du Saint-Esprit à un brouillard confus et incompréhensible…

Même après Vatican II, l’Église romaine enseigne que « toutes les grâces nous parviennent à travers Marie », et le dernier catéchisme autorisé par le Vatican, bien que ne consacrant que quelques pages à la médiation de Marie (ce qui le rend à cet égard plus discret que nombre d’autres catéchismes), reprend quand même, inchangé, le thème de la médiation de Marie29.

« 44. En vertu de ce rapport d’exemplarité, l’Église se retrouve avec Marie et cherche à lui devenir semblable : “Imitant la Mère de son Seigneur, elle conserve, par la vertu du Saint-Esprit, dans leur pureté virginale une foi intègre, une ferme espérance, une charité sincère.” Marie est donc présente dans le mystère de l’Église comme modèle. Mais le mystère de l’Église consiste aussi à engendrer les hommes à une vie nouvelle et immortelle : c’est là sa maternité dans l’Esprit Saint. Et en cela, non seulement Marie est le modèle et la figure de l’Église, mais elle est beaucoup plus. En effet, “avec un amour maternel, elle coopère à la naissance et à l’éducation” des fils et des filles de la mère Église. La maternité de l’Église se réalise non seulement selon le modèle et la figure de la Mère de Dieu, mais aussi avec sa “coopération”. L’Église puise abondamment dans cette coopération, c’est-à-dire dans la médiation maternelle qui est caractéristique de Marie en ce sens que déjà sur terre elle coopérait à la naissance et à l’éducation des fils et des filles de l’Église, comme Mère de ce Fils “dont Dieu a fait le premier-né parmi beaucoup de frères”. […]
47. Pendant le Concile, Paul VI proclama solennellement que Marie est Mère de l’Église, “c’est-à-dire Mère de tout le peuple de Dieu, aussi bien des fidèles que des Pasteurs”. Plus tard, en 1968, dans la Profession de foi connue sous le nom de “Credo du Peuple de Dieu”, il reprit cette affirmation avec plus de force encore : “Nous croyons que la très sainte Mère de Dieu, nouvelle Ève, Mère de l’Église, continue au ciel son rôle maternel à l’égard des membres du Christ, en coopérant à la naissance et au développement de la vie divine dans les âmes des rachetés”.30 »
« Quand, en effet, vient “l’Heure” de Jésus, l’heure du salut par la croix, Marie, la “femme” (Jn 19.26), la nouvelle Ève, comme le suggère saint Jean, enfante le monde nouveau qui naît du Calvaire : Mère humaine du Christ, Marie devient alors, selon la volonté de son Fils, Mère des croyants (Jn 19.26-27). Depuis, elle apporte à la naissance et à l’éducation des croyants la coopération de son amour maternel (voir LG 63).31 »
« 5. […] Cela, le Concile l’exprime dans un autre passage quand il constate que Marie “occupe la première place”, devenant “figure de l’Église… dans l’ordre de la foi, de la charité et de la parfaite union au Christ”. Sa “première place” comme figure, ou modèle, se rapporte au même mystère intime de l’Église qui réalise et accomplit sa mission salvifique en unissant en soi, comme Marie, les qualités de mère et de vierge. Elle est vierge, “ayant donné à son Époux sa foi qu’elle garde intègre et pure”, et elle “devient à son tour une Mère… : elle engendre, à une vie nouvelle et immortelle, des fils conçus du Saint-Esprit et nés de Dieu”. […]
19. […] C’est donc à juste titre que nous pouvons trouver dans la parole “Bienheureuse celle qui a cru” en quelque sorte une clé qui nous fait accéder à la réalité intime de Marie, de celle que l’ange a saluée comme “pleine de grâce”. Si elle a été éternellement présente dans le mystère du Christ parce que “pleine de grâce”, par la foi elle y participa dans toute l’ampleur de son itinéraire terrestre : “Elle avança dans son pèlerinage de foi” et, en même temps, de manière discrète, mais directe et efficace, elle rendait présent aux hommes le mystère de Christ. Et elle continue encore à le faire. Par le mystère du Christ, elle est aussi présente parmi les hommes. Ainsi, par le mystère du Fils, s’éclaire également le mystère de la Mère.32 »

Lorsque l’on accepte la médiation de Marie dans l’application de l’œuvre du salut, on se demande quel est le rôle laissé à l’Esprit Saint, même si, théoriquement, on continue à lui accorder une place; sa personne et son œuvre deviennent de plus en plus effacées, jusqu’à s’estomper et disparaître finalement en faveur de la personne et de la médiation de Marie. On ne sait plus alors quel est son ministère ni pourquoi il nous a été envoyé. Car le Paraclet ou Consolateur envoyé par le Père et le Fils pour nous amener au Christ et nous appliquer son œuvre est lui aussi, à son tour, secondé et finalement supplanté par Marie, qui devient en dernier ressort celle qui applique l’œuvre du Christ, usurpant de la sorte le ministère du Saint-Esprit. La mariologie, dans ce domaine aussi, finit par prendre le pas sur l’œuvre du Saint-Esprit et sur sa personne.

Ainsi, dans son long cheminement à travers les siècles, la mariologie finit par prendre le pas sur la christologie et la pneumatologie; elle les démantèle et les vide de leur substance. C’est le plus extraordinaire phénomène de vampirisation de toute l’histoire de l’Église.

12. Récapitulation🔗

Récapitulons brièvement les grandes étapes dans le développement de la mariologie des débuts de l’Église jusqu’à nos jours :

L’infiltration via des courants païens et gnostiques dans le christianisme pour le doter d’une figure féminine afin de « compléter » le Dieu du christianisme biblique.

L’infiltration plus subtile d’hérésies telles que le docétisme et le monophysisme, récusant l’humanité réelle du Christ.

La terreur du Dieu transcendant causée par l’incompréhension de l’œuvre du Christ et de celle du Saint-Esprit ainsi que de leur médiation.

L’anthropocentrisme, l’obsession humaniste de placer la créature au centre de toutes choses. C’est pourquoi notre propre humanité en la personne de Marie devient nécessaire pour mener à bien l’œuvre de la rédemption, qui autrement resterait incomplète; il nous faut le sceau de la médiation humaine pour avoir la certitude de notre salut.

La question n’est donc pas de savoir s’il faut honorer la personne de Marie, car de nombreux personnages ont été honorés dans les pages mêmes de la Bible, mais de savoir quel genre d’honneur l’Église et les fidèles doivent lui accorder.

Les réformateurs étaient bien conscients que le moindre rôle accordé à Marie dans l’œuvre du salut mènerait fatalement à l’effacement de l’humanité du Christ (comme ç’avait été déjà le cas dans les Églises orientales) et à placer, finalement, la créature humaine au centre de son propre salut.

L’ombre planant sur certaines Églises en ce qui concerne l’unicité de « la Parole faite chair » n’a cessé de grandir à travers les siècles, et à travers la mariologie une créature à mi-chemin entre Dieu et les hommes a vu le jour. Elle est un engrenage mortel pour la foi biblique et la théologie orthodoxe. En tant que réformés, nous continuerons à nous en tenir à la sola Scriptura, au solo Christo, à la sola fide et à la sola gratia de nos pères dans la foi.

Nous rendrons brièvement compte, dans les pages qui suivent, des deux derniers dogmes mariologiques : l’Immaculée Conception de Marie et son Assomption.

13. L’Immaculée Conception (1854)🔗

Les spéculations au sujet de l’Immaculée Conception de Marie commencent très lentement et très timidement, à partir de tentatives pour trouver une « sanctification de Marie » dès le sein de sa mère, par souci christologique et christocentrique tout d’abord, comme une tentative d’explication pouvant aider les fidèles à comprendre le fait que le Christ fut exempté du péché originel bien qu’ayant revêtu la chair d’Adam par sa mère. On ne se contente pas tout à fait de ce que dit l’Écriture pour expliciter le mystère de la rédemption. (Il serait fort utile d’examiner à cet égard ce que des Pères de l’Église ont dit sur la sanctification de Marie dans le sein maternel).

Le Concile de Trente avait réaffirmé, à son tour, la virginité perpétuelle de Marie : avant, pendant et après la naissance du Christ.

Thomas d’Aquin, le plus grand théologien romain, avec d’autres théologiens, s’était élevé vigoureusement contre l’idée de l’Immaculée Conception, et lui consacre cinq articles dans sa Summa Theologica. Bernard de Clairvaux, qui en homme de son siècle est acquis à la piété mariale, tout en rendant honneur à la Vierge, craint à juste titre que faire avancer l’idée de l’Immaculée Conception risque d’aboutir à une hérésie. Mais celle-ci continuera à avancer malgré une forte opposition, et elle fera son chemin jusqu’à la proclamation du dogme au siècle dernier.

Celui-ci marque, en effet, un tournant radical. Marie franchit un pas décisif sur cette marche ascendante vers sa divinisation, dont l’Assomption sera l’étape suivante, logique et inévitable.

Le dogme de l’Immaculée Conception (1854) affirme que, dès l’instant où elle fut conçue dans le sein de sa mère, Marie, par l’effet d’une grâce particulière, fut préservée de la souillure du péché originel, et qu’elle resta toujours pure de tout péché personnel.

C’est le pape Pie IX, grand dévot de la Vierge, qui prend sur lui la décision de promulguer l’Immaculée Conception comme dogme de l’Église. La cérémonie se déroula en grande pompe, dans un climat d’émotivité exacerbée, avec beaucoup de sanglots et de larmes qui se communiquèrent à l’assistance… Une telle ambiance n’est pas sans nous rappeler certains grands rassemblements religieux, où le subjectivisme et les émotions débridées tiennent lieu de vérité.

C’est dans une telle atmosphère que l’Immaculée Conception est déclarée « vérité révélée ». Désormais, tout bon catholique devra y souscrire comme à une vérité d’égale valeur que celle de l’incarnation du Christ, de sa mort expiatoire ou de sa résurrection… Le pape exerce, pour la première fois, son « infaillibilité », laquelle ne sera pourtant proclamée officiellement que plus tard, en 1870!

Jusqu’au moment de la promulgation de ce dogme, on pouvait encore trouver au sein de l’Église romaine un discours théologique se voulant orthodoxe, car il y avait toujours eu au long de son histoire un courant formé par un clergé et par des théologiens soucieux de saine doctrine, combattant avec vigueur en faveur de l’orthodoxie. Avec la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception, qui marque une totale nouveauté par rapport aux étapes précédentes de la mariologie (tout au moins dans les textes officiels), la route reste désormais pavée pour l’étape suivante : celle de la corédemption de Marie.

Marie, la Vierge sainte conçue sans péché

« C’est en approfondissant les paroles de l’ange : “Je te salue, comblée de grâce”, que la Tradition a pu exprimer le double mystère de l’Immaculée Conception et de l’Assomption, au commencement et à l’accomplissement de la vie de la Vierge. Au premier instant de sa conception, par la grâce et le privilège du Dieu tout-puissant, et en considération des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, la Vierge Marie fut préservée intacte de toute souillure du péché originel. »

Telle est la foi de l’Église catholique, définie en 1854 par le pape Pie IX. Marie est entièrement sainte, elle n’a commis aucun péché. Plus encore, sa sainteté est « originelle ». C’est la sainteté qui a été accordée gratuitement par Dieu à celle qui a donné au monde la source de la grâce. Mais le dogme de l’Immaculée Conception ne dit pas que Marie a échappé au besoin de rédemption et de salut, qui concerne toute la famille humaine. Elle appartient pleinement au peuple des rachetés, elle est la première rachetée. Par rapport à la rédemption, elle est du même côté que nous. Comme nous tous, elle a été libérée du péché et sauvée par le Christ. Mais la grâce de Dieu la précède de façon unique, le salut lui vient déjà, « dès le premier instant de sa conception, par anticipation, de la mort et de la résurrection de son Fils. Le salut prend chez elle, non la forme de la guérison ou de la purification, mais celle de la préservation.33 »

Nous ne pouvons pas oublier que Marie est vénérée à Lourdes par des millions de croyants, justement comme celle qui a dit : « Je suis l’Immaculée Conception » (Pie XII).

Les proclamations des dogmes de l’Immaculée Conception, de l’infaillibilité papale et de l’Assomption sont des étapes prises à de très courts intervalles qui jalonnent la fuite en avant de l’Église romaine vers le libéralisme. Les meilleurs théologiens catholiques, ainsi qu’une partie du clergé et des fidèles, ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Ils ont exprimé leur détresse en public ou en privé, par leurs paroles et par leurs écrits, avant d’être réduits au silence. Mais le torrent boueux de l’humanisme a continué à avancer, submergeant au fur et à mesure l’orthodoxie de certaines confessions chrétiennes, dont l’Église de Rome.

Dans ce glissement qui déplace peu à peu la centralité de la personne et de l’œuvre du Christ en faveur de la centralité de la créature humaine, les « œuvres de reconnaissance » deviennent des œuvres de « corédemption » avec toutes leurs variantes, depuis la mariologie jusqu’aux théologies dites « de la libération », les « théologies féministes » et autres « théologies » anthropocentriques.

Or, pour tout chrétien dont la foi se veut fondée en l’Écriture, la promulgation du dogme de l’Immaculée Conception est une atteinte directe portée à la doctrine biblique de la Parole faite chair. C’est le recul humain devant le scandale de l’incarnation, la naissance sans péché du Fils de Dieu d’une chair entachée de péché. Il veut prouver à sa manière, à travers une créature humaine, que le Christ revêtu de la chair d’Adam est vraiment né sans péché. Or, l’impeccabilité du Christ ne dépend pas de l’impeccabilité de Marie, bien que la véritable humanité du Christ dépende de la totale humanité de Marie. Le fait de naître sans péché d’une mère totalement humaine a été accompli à travers un miracle spécial.

En « préparant » la naissance du Fils le faisant naître d’une femme « immunisée » contre le péché, le dogme de l’Immaculée Conception tend à atténuer, si ce n’est à occulter le scandale de l’incarnation du Logos, né sans péché d’une femme de la race déchue d’Adam. La nature humaine du Christ, bien que maintenue dans les formulations théologiques, s’estompe peu à peu et finit par perdre sa réalité, aussi bien chez le croyant que dans la vie de l’Église dans son ensemble.

Pourquoi mettre en question la Parole biblique? Pour quelle raison ne suffit-elle pas? Faut-il que le miracle de l’incarnation du Christ soit prouvé par celui de l’Immaculée Conception de Marie? Car le même miracle accompli lors de l’incarnation du Fils de Dieu aurait dû l’être aussi pour faire naître celle-ci, à son tour, sans péché d’une mère humaine. Mais pour les tenants du dogme, soit deux assurances valent mieux qu’une, soit la chair dont le Christ s’est revêtu ne peut pas, ne doit pas être celle de la race déchue d’Adam… Pourtant, c’est bel et bien de cette chair déchue qu’il s’est revêtu (Hé 7.26; 2 Co 5.21). Pour les hommes, cela est tout aussi scandaleux que le scandale de la croix lui-même.

« Christ a été fait péché pour nous » (2 Co 5.21) signifie qu’il s’est revêtu de la véritable chair d’Adam, et c’est pourquoi « il a été tenté en toutes choses comme nous, sans commettre de péché » (Hé 4.15) et que la tentation a été pour lui réelle. C’est pourquoi nous avons en lui le Souverain Sacrificateur qui nous convient (voir Hé 4).

Si Dieu s’était incarné dans une chair différente de la nôtre, une chair « aseptisée », comment aurait-il pu « être tenté en toutes choses » sans commettre toutefois de péché? Son incarnation n’aurait pas été réelle. Il aurait peut-être descendu vers nous, mais n’aurait pas pu nous rejoindre; il ne serait pas entré dans notre histoire.

Avec le dogme de l’Immaculée Conception, l’Église romaine nie, d’une manière qui lui est propre, la réalité de l’incarnation du Fils de Dieu et met en péril toute l’œuvre de la rédemption. Elle fait sortir Marie de l’histoire des hommes, qui est inévitablement celle de la chute et du péché, et la situe dans un « no man’s land » imaginaire, créé de toutes pièces. Or, tout être humain ne peut se situer que dans l’histoire, qui est celle de la chute. Seul le Christ est né sans péché de la race déchue d’Adam, lui seul et personne d’autre.

14. L’Assomption de Marie (1950)🔗

L’Église romaine adopta en 1950 le dogme de l’Assomption de Marie, proclamé par Pie XII. Selon ce dogme, Marie, ayant bénéficié d’une rédemption parfaite, fut aussitôt corporellement enlevée au ciel après sa mort. Le pape ne recueillit que 8 millions de signatures, ce qui est bien peu par rapport aux 400 millions de fidèles que l’Église romaine comptait officiellement à l’époque. Dans certains pays catholiques, tels l’Espagne franquiste, il fut soumis à un véritable référendum populaire après une intense campagne parfaitement orchestrée par un clergé et un pouvoir politique inféodés au Vatican, auprès de masses totalement ignorantes des doctrines fondamentales de la foi chrétienne.

Pie XII déclarait que l’Assomption de Marie « était la couronne et la perfection » de toute la doctrine mariologique, qu’elle parachevait le dogme de l’Immaculée Conception. D’autres théologiens catholiques y ont vu les prémisses, le signe de la résurrection des croyants. L’Assomption de Marie devient la duplication de la résurrection et de l’ascension du Christ. Encore une fois, il faut que nous ayons confirmation des grands faits de la rédemption en les « humanisant » et les dupliquant en la personne de Marie. Apparemment, la résurrection du Christ ne suffit plus pour nous rassurer que l’œuvre de la rédemption a été achevée, qu’elle a été agréée par Dieu, qu’elle est le oui du Père à l’œuvre du Christ, le gage et les prémices de notre salut et de notre propre résurrection, le signe eschatologique que nous aussi, à notre tour, nous ressusciterons dans un corps glorieux le dernier jour. Il faut encore et toujours la proximité « plus proche » de la créature humaine pour nous rassurer; l’humanité du Christ et sa proximité ne suffisant apparemment pas à nous rassurer…

« 41. […] Dans le mystère de l’Assomption s’exprime la foi de l’Église, selon laquelle Marie est “unie par un lien étroit et indissoluble” au Christ, car si, en tant que mère et vierge, elle lui était unie de façon singulière lors de sa première venue, par sa continuelle coopération avec lui elle le sera aussi dans l’attente de la seconde venue; “rachetée de façon suréminente en considération des mérites de son Fils”, elle a aussi ce rôle, propre à la Mère, de médiatrice de la clémence lors de la venue définitive, lorsque tous ceux qui sont au Christ revivront et que “le dernier ennemi détruit sera la Mort” (1 Co 15.26).34 »
« Enfin, dans son Assomption, Marie est élevée dans la gloire du ciel : parfaite image de l’Église à venir, aurore de l’Église triomphante, elle guide et soutient l’espérance de son peuple encore en chemin (cf. préface de la fête de l’Assomption). Dès maintenant, “elle brille déjà comme un signe d’espérance assurée et de consolation devant le peuple de Dieu en pèlerinage” (LG 68).35 »

Après deux mille ans de christianisme, trois dogmes anti-bibliques ont donc été proclamés comme vérité révélée en moins d’un siècle d’intervalle, par la plus grande des Églises chrétiennes, et élevés au même plan que toutes les grandes doctrines de la révélation biblique.

15. Vatican II🔗

Malgré les espoirs mis en Vatican II par de nombreux théologiens et exégètes romains ainsi que par de nombreux « frères séparés », notamment parmi les confessions issues de la Réforme, peu de changements importants ont été apportés par le Concile, et ceci malgré les tentatives de beaucoup de pères conciliaires pour revenir à des positions plus bibliques, notamment dans la mariologie.

Berkouwer, dans son étude sur Vatican II, écrit ce qui suit :

« Ces dogmes (d’après Vatican II) se trouveraient de façon implicite et voilée dans les Écritures, et ils auraient été mis à jour par la tradition; celle-ci n’aurait donc pas été créatrice de nouveaux dogmes, mais aurait interprété l’Écriture de manière à en faire sortir ce qui s’y trouvait déjà. […] La doctrine de la mariologie émerge donc inchangée de cette redéfinition des sources de la révélation. Car la tradition ne doit pas être créatrice de nouveaux dogmes, mais faire simplement sortir ce qui se trouve déjà en principe dans l’Écriture et le présenter comme vérité révélée.36 »

C’est la raison pour laquelle interviennent alors ces étranges références à l’Écriture, qui voient Marie partout, depuis le jardin d’Eden en passant par Noé, Abraham et jusqu’à l’Apocalypse…

a. Vatican II et la relation de Marie à l’Église🔗

Voici les positions de l’Église romaine depuis Vatican II et de Jean-Paul II :

« Déjà, à la naissance de Jésus, Marie est présentée comme la première croyante, icône de l’Église en prière, qui “retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur” (Luc 2:19). À la naissance de l’Église, au matin de la Pentecôte, à Jérusalem, Marie, avec les disciples, appelait elle aussi de ses prières le don de l’Esprit Saint sur le peuple de Dieu (voir LG 59).37 »
« 23. […] La mère du Christ, se trouvant directement dans le rayonnement de ce mystère, où sont impliqués les hommes — tous et chacun —, est donnée aux hommes — à tous et à chacun — comme mère. L’homme présent au pied de la Croix est Jean, “le disciple qu’il aimait”. Et pourtant, il ne s’agit pas que de lui seul. Selon la Tradition, le Concile n’hésite pas à appeler Marie “Mère du Christ et Mère des hommes” : en effet, elle est, “comme descendante d’Adam, réunie à l’ensemble de l’humanité…, bien mieux, elle est vraiment Mère des membres [du Christ]… ayant coopéré par sa charité à la naissance dans l’Église des fidèles”.
Cette “nouvelle maternité de Marie”, établie dans la foi, est un fruit de l’amour “nouveau” qui s’approfondit en elle définitivement au pied de la Croix, par sa participation à l’amour rédempteur du Fils.
24. […] Selon le Concile, le moment même de la naissance de l’Église et de sa pleine manifestation au monde laisse entrevoir cette continuité de la maternité de Marie. […]
Ainsi celle qui est présente dans le mystère du Christ comme Mère est rendue présente — par la volonté du Fils et par l’Esprit Saint — dans le mystère de l’Église. Et dans l’Église encore, elle continue à être une présence maternelle.
47. […] L’enseignement du Concile a souligné que la vérité sur la Vierge très sainte, Mère du Christ, constitue un apport utile pour l’approfondissement de la vérité sur l’Église. Paul VI encore, prenant la parole au sujet de la Constitution Lumen gentium qui venait d’être approuvée par le Concile, déclara : “La connaissance de la véritable doctrine catholique sur la bienheureuse Vierge Marie constituera toujours une clé pour la compréhension exacte du mystère du Christ et de l’Église.” Marie est présente dans l’Église comme Mère du Christ et en même temps comme la Mère que le Christ, dans le mystère de la Rédemption, a donnée à l’homme en la personne de l’Apôtre Jean. C’est pourquoi Marie, par sa nouvelle maternité dans l’Esprit, englobe tous et chacun dans l’Église, englobe aussi tous et chacun par l’Église. En ce sens, Marie, Mère de l’Église, en est également le modèle. L’Église en effet, comme le souhaite et le demande Paul VI, “doit trouver dans la Vierge, Mère de Dieu, la plus authentique forme de l’imitation parfaite du Christ”.38 »

Nombre de pères de Vatican II ont demandé qu’on redéfinisse la relation de Marie à l’Église comme étant celle d’un membre se situant à l’intérieur de celle-ci et non pas au-dessus, ce qui fait d’elle un membre d’une essence différente.

Telle a été la position prépondérante chez les pères et théologiens conciliaires et post-conciliaires.

Comme au cours de toute l’histoire de l’Église, des voix autorisées et courageuses, parmi les meilleurs théologiens et exégètes catholiques, se sont élevées encore une fois contre la doctrine de la mariologie. Sans toujours le dire ouvertement, certains n’ont pas hésité, tout au moins en privé, de parler de « l’hérésie mariale ». En effet, certains exégètes et théologiens la considèrent comme une hérésie, conscients du fait que l’ombre du monophysisme plane au-dessus de cette « duplication » de l’œuvre du Christ puisqu’elle présente, nolens volens, la nature humaine du Christ soit comme irréelle, soit comme incomplète; c’est pourquoi il faut lui adjoindre une partie humaine et la coopération humaine pour la compléter. Mais comme par le passé, les voix s’opposant aux doctrines mariologiques et à leur développement ont été soit ignorées, soit réduites au silence par la hiérarchie.

La lettre écrite par Karl Barth à un jeune théologien après Vatican II au sujet de la mariologie est à cet égard significative. Pour le théologien de Bâle, « la mariologie est le dogme central et critique de l’Église romaine, l’aune d’après laquelle tous les autres restent debout ou tombent ». Voici un extrait de cette lettre :

« Bâle, le 21 octobre 1966
Monsieur et cher collègue,
Peu après mon retour de Rome, votre Mariologie m’est bien parvenue; j’en ai entrepris presque aussitôt la lecture, allant de la première à la dernière page avec l’attention passionnée que je vouais jadis aux romans policiers.
Permettez-moi tout d’abord d’exprimer tout le bien qu’en bonne conscience je puis en dire : votre travail atteste remarquablement les dons de systématisation, la vigueur de pensée et la compétence théologique de son auteur. Quelle que soit ma position personnelle à l’endroit du thème abordé, celui qui est capable, comme cela vous est manifestement donné, de l’aborder et de le présenter d’une manière aussi propre, aussi logique et aussi claire, peut être assuré d’avance de mon respect. Je me suis réjoui aussi de votre façon circonspecte et digne d’entrer en débat avec les autres “mariologues” passés et présents ainsi que de la franchise avec laquelle, partout où il s’agit de problèmes “historiques”, vous n’hésitez pas à avouer ce qui doit l’être. Et, surtout vers la fin du livre, j’ai rencontré plus d’une phrase que, faisant abstraction de son contexte, je ne pouvais m’empêcher de signaler en marge d’un “bien”, comme un instituteur qui corrige une composition d’élève. Quant au fond, vous devinez que je n’ai pas manqué de remarquer et d’appuyer votre effort constant de ramener et d’ordonner l’ensemble de votre sujet à ce centre de la théologie chrétienne qu’est la christologie, centre qui jadis commandait absolument tout ce que la foi chrétienne dit de Marie, et qu’à mon sens la mariologie ultérieure a eu une telle propension à abandonner.
Tout irait donc très bien… si la “mariologie” pouvait légitimement devenir et être un thème de la théologie. Si je pouvais la reconnaître pour telle, j’exprimerais tout au plus une réserve au sujet de la façon dont, d’un bout à l’autre de votre livre, vous combinez et distinguez les termes “d’histoire” et de “foi”. Ce faisant, vous vous engagez sur la pente fatale qui mène à Schleiermacher et à Bultmann. J’ai remarqué à Rome que vous n’êtes pas seul, parmi les jeunes théologiens catholiques d’aujourd’hui, à être tenté par cette pente. Permettez-moi de vous dire que, vous aventurant dans cette direction, vous ne sauriez vous attendre à cueillir de bons fruits théologiques, ni sur le thème que vous traitez — qui à mes yeux n’a pas de légitimation théologique — ni sur d’autres thèmes qui eux seraient réellement des thèmes théologiques.39 »

Car si Vatican II a théoriquement ramené les deux sources de révélation à une seule, le malentendu à cet égard reste entier; rien, au fond, n’a été changé. Toute révision sérieuse des trois derniers dogmes risque, en effet, de faire tomber l’édifice tout entier, ainsi que le fait remarquer Karl Barth, et en tout premier lieu celui de la mariologie, puisque chacun des dogmes et des doctrines qui la fondent a été déclaré basé sur un « fait ». Il faut alors interpréter les Écritures par la Tradition de manière à ce que les conclusions restent les mêmes, et nous voici renvoyés à la case départ… Marie continue donc à jouer un rôle central dans l’œuvre de la rédemption, de la médiation et de l’application de celle-ci. Car si dans les textes officiels Marie « n’enlève rien au Christ ni à son œuvre », elle est placée, en réalité, au même niveau que les trois personnes de la Trinité.

Les mêmes titres, qui n’appartiennent qu’à Dieu, continuent à être donnés à Marie dans l’Église romaine : Consolatrice, Avocate, Médiatrice, nouvelle Ève, etc., etc.

Après Vatican II, les deux courants coexistant dans l’Église de Rome, « minimaliste » et « maximaliste », se sont clairement définis.

b. Le courant minimaliste🔗

Les « minimalistes » ne rejettent pas les doctrines et dogmes sur lesquels se fonde la mariologie, mais ils ne voudraient pas la voir envahir l’ensemble de la vie de l’Église et de la piété populaire. Ils ne voudraient pas la voir non plus en progression constante, ce qui risquerait d’aboutir à de nouveaux dogmes. Ils veulent situer Marie à l’intérieur de l’Église, comme un membre sauvé de celle-ci, et non au-dessus d’elle, telle une déesse, ainsi que l’a placée le courant « maximaliste ». Ils s’opposent à celui-ci lorsqu’il cherche à franchir une nouvelle étape déclarant Marie « corédemptrice ». Ils refusent donc, en principe, la corédemption de Marie. Nombre d’exégètes adhérant à ce courant considèrent comme fausses les exégèses faites dans le passé dans ce domaine.

Leur souci est aussi celui de ne pas briser le dialogue œcuménique avec les branches du christianisme issues de la Réforme, qui, comme l’on sait, n’acceptent pas le rôle de Marie dans l’histoire du salut tel que le conçoit l’Église romaine.

Les « minimalistes » veulent donc situer Marie à l’intérieur du corps du Christ, au milieu d’autres croyants, dans une situation historique limitée. Certains l’on comparée à Abraham, « qui a cru aux promesses de Dieu ».

Cependant, si les tenants du courant « minimaliste » n’arrivent pas à résoudre la contradiction qui existe entre leurs positions modérées, plus proches de l’orthodoxie, et la contradiction fondamentale entre Tradition et Écriture, d’où est né d’ailleurs tout le malentendu, on ne voit pas très bien comment ils peuvent soutenir leurs positions et où celles-ci peuvent aboutir.

c. La théologie maximaliste🔗

Pour le courant « maximaliste », Marie a un rôle actif dans le mystère de la rédemption, qui passe à travers elle. Elle collabore dès le départ au salut de l’humanité, participe à toute l’histoire de la rédemption, représente l’Église glorieuse, pure et triomphante dans le ciel, intercède pour nous, applique le salut… L’aboutissement inévitable, le point culminant de ces positions est la corédemption de Marie. Le salut nous parvient alors à travers deux sources : le Christ et Marie. Donc pour les maximalistes, celle-ci « n’applique » pas seulement le salut comme une « aide », mais l’achève bel et bien pour la race humaine. Son rôle dans l’histoire du salut est actif, elle y coopère, y participe activement, car le mystère de la rédemption passe à travers elle. Cette participation active mène donc inévitablement et irrésistiblement vers ce climax qu’est la corédemption.

Les encycliques de certains papes appuient implicitement cette position. Des efforts n’ont pas manqué, depuis les années 20 déjà, pour la faire déclarer « Grande-Prêtresse », afin de la mettre encore une fois sur un pied d’égalité avec le Christ, notre Grand-Prêtre.

La mariologie a fait de Marie la créature humaine glorifiée par excellence, à qui Dieu ne peut rien refuser. Elle n’est pas une personne d’origine divine comme étaient censées l’être les déesses de l’antiquité, mais une personne humaine divinisée et glorifiée, symbole de l’humanité, s’adorant elle-même en sa personne; de l’humanité régnant finalement sur le Royaume de Dieu et donnant presque des ordres au Tout-Puissant lui-même… Le soli Deo gloria est dérobé à Dieu en faveur de la créature humaine représentée par Marie.

En dépit donc d’une stricte orthodoxie en ce qui concerne les articles fondamentaux de la foi chrétienne, l’Église romaine a fini, elle aussi, par succomber à l’attrait de l’immanence. En déplaçant la centralité du Christ Médiateur en faveur de la médiation humaine à travers la personne de Marie, la créature se substitue encore une fois au Créateur. De ce fait, même si cela paraît étrange du fait que dans le premier chapitre de sa lettre aux Romains Paul parle tout d’abord de la rébellion éthique de l’homme (fruit inévitable de sa rébellion spirituelle), la mariologie se trouve placée sous le sévère jugement de l’apôtre à l’égard des transgresseurs de la Parole de Dieu : « … eux qui ont remplacé la vérité de Dieu par le mensonge et qui ont adoré et servir la créature au lieu du Créateur, qui est béni éternellement » (Rm 1.25).

Comment une doctrine telle que la mariologie a-t-elle pu se développer au sein d’une Église qui a conservé les anciens Credo orthodoxes des premiers siècles? Sans doute et en tout premier lieu, comme nous l’avons souligné tout au long de cette étude, pour accommoder l’irrésistible penchant du cœur humain idolâtre, cherchant toujours et à nouveau un symbole à travers lequel il puisse adorer sa propre humanité à la place du Dieu transcendant.

La mariologie est une pierre d’achoppement placée sur le chemin des fidèles, qui doivent rester fondés et enracinés sur le fondement « des prophètes et des apôtres » (Ép 2.20). Elle est un voile qui obscurcit le salut en Christ; un scandale de l’ordre de ceux dont le Christ a dit : « Mais si quelqu’un était une occasion de chute pour un de ces petits qui croient en moi, il serait avantageux pour lui qu’on suspende à son cou une meule de moulin, et qu’on le noie au fond de la mer » (Mt 18.6). Elle est un chemin vers le paganisme ancien et vers la gnose, dont elle s’est largement nourrie.

Nous ne pensons pas, à moins l’intervention de changements importants et inattendus, que le courant soit près de se renverser sous le pontificat de Jean-Paul II40. Celui-ci, dont l’attachement à l’orthodoxie et à l’éthique chrétienne face à un monde qui les rejette de plus en plus ne fait pas de doute, se situe, à notre grand regret en tant que réformés, dans le courant « maximaliste », dans la tradition de ses prédécesseurs Pie IX, Pie XII, même s’il s’exprime avec plus de modération que certains. Son encyclique Redemptoris Mater (dont nous avons donné de larges extraits, la considérant comme le document pouvant éclairer le mieux la position officielle de l’Église après Vatican II), ne laisse pressentir aucun changement vers des positions plus modérées ni vers le renversement du courant actuel, allant dans le sens du développement de la mariologie.

Il a dédié le Catéchisme de l’Église catholique, l’œuvre majeure de la catéchèse romaine de ces dernières décennies, « à la Très Sainte Vierge Marie, Mère du Verbe incarné et Mère de l’Église… »

« 6. […] Marie ne cesse d’être “l’étoile de la mer” (Maris stella) pour tous ceux qui parcourent encore le chemin de la foi. S’ils lèvent les yeux vers elle dans les divers lieux de l’existence terrestre, ils le font parce qu’elle “engendra son Fils, dont Dieu a fait le premier-né parmi beaucoup de frères” (Rm 8.29) et aussi parce que, “à la naissance et à l’éducation” de ces frères et de ces sœurs, elle “apporte la coopération de son amour maternel”.41 »

16. La mariologie et le dialogue œcuménique🔗

Les derniers développements du dogme dans l’Église romaine, qui marquent une nouvelle étape vers ce qui semble être un engagement sans retour vers des positions inacceptables pour d’autres confessions chrétiennes, ont bloqué le dialogue œcuménique qui s’était amorcé entre l’Église romaine et les Églises issues de la Réforme, un dialogue qui s’annonçait pourtant plein de promesses… La mariologie restera une pierre d’achoppement, un fossé infranchissable entre l’Église romaine et les Églises issues de la Réforme restées orthodoxes, même si sur le plan individuel des chrétiens ayant compris l’unicité et la centralité de l’œuvre du Christ peuvent se sentir unis dans une communion profonde et authentique.

Il est paradoxal que Jean-Paul II veuille placer le dialogue œcuménique sous le patronage de Marie, sujet qui, entre tous, divise les chrétiens! À moins qu’il n’ait en vue uniquement les relations de son Église avec les Églises d’Orient, qui, comme chacun sait, n’ont rien à apprendre de Rome en fait de piété mariale… Selon lui, l’œcuménisme doit passer par Marie « notre mère à tous », « qui prie pour l’unité de la famille de Dieu ». Elle est « Mater Unitatis ».

« 30. Les chrétiens savent que leur unité ne sera vraiment retrouvée que lorsqu’elle sera fondée sur l’unité de leur foi. Ils doivent surmonter des désaccords doctrinaux non négligeables au sujet du mystère et du ministère de l’Église et parfois aussi du rôle de Marie dans l’œuvre du salut. Les dialogues entrepris par l’Église catholique avec les Églises et les Communautés ecclésiales d’Occident convergent de plus en plus sur ces deux aspects inséparables du mystère du salut lui-même. Si le mystère du Verbe incarné nous fait entrevoir le mystère de la maternité divine et si, à son tour, la contemplation de la Mère de Dieu nous introduit dans une intelligence plus profonde du mystère de l’Incarnation, on doit en dire autant du mystère de l’Église et du rôle de Marie dans l’œuvre du salut. Approfondissant l’un et l’autre, éclairant l’un par l’autre, les chrétiens désireux de faire ce que Jésus leur dira — comme le leur recommande leur Mère (cf. Jn 2.5) — pourront progresser ensemble dans le “pèlerinage de la foi” dont Marie est toujours l’exemple et qui doit les conduire à l’unité voulue par leur unique Seigneur et tellement désirée par ceux qui sont attentivement à l’écoute de ce qu’aujourd’hui “l’Esprit dit aux Églises” (Ap 2.7,11,17).
Il est déjà de bon augure que ces Églises et ces Communautés ecclésiales rejoignent l’Église catholique sur des points fondamentaux de la foi chrétienne également en ce qui concerne la Vierge Marie. En effet, elles la reconnaissent comme la Mère du Seigneur et estiment que cela fait partie de notre foi dans le Christ, vrai Dieu et vrai homme. Elles la contemplent au pied de la Croix, recevant comme son fils le disciple bien-aimé, qui à son tour la reçoit comme sa mère.
Pourquoi, alors, ne pas la considérer tous ensemble comme notre Mère commune qui prie pour l’unité de la famille de Dieu, et qui nous “précède” tous à la tête du long cortège des témoins de la foi en l’unique Seigneur, le Fils de Dieu, conçu dans son sein virginal par l’Esprit Saint?42 »

17. Derniers développements🔗

L’Église romaine semble entraînée toujours davantage vers une théologie et une pratique aliénées des sources bibliques. L’Écriture a cessé d’être l’aune à laquelle celle-là mesure ses dogmes et ses croyances.

Si elle continue dans cette fuite en avant, elle finira par plonger, grâce à ses manipulations de la révélation biblique, dans le dernier des égarements : celui de la divinisation du principe féminin en l’intégrant, en la personne de Marie, à la Trinité, le Mystère des mystères… Certains soutiennent déjà ouvertement que grâce à sa conception de Jésus par le Saint-Esprit, Marie a été introduite dans la famille même de Dieu : la très sainte Trinité. Le titre « d’épouse de Dieu » qu’on lui donne dans certains textes et dans certaines liturgies prend, à la lumière de ces développements, une tournure plus radicale, marque une nouvelle escalade vers la déification de Marie.

Nous semblons nous acheminer dans ce domaine vers une crise semblable à celle du 13siècle. Sous la pression des grands courants de pensée de notre époque amplifiés par les moyens modernes de communication et poussés jusqu’à leur paroxysme à l’intérieur même de l’Église (dont un féminisme radical et influent à l’extrême, fortement influencé soit par l’idéologie égalitaire soit par le gnosticisme, parfois par les deux à la fois, ainsi que par la pression de théologies hétérodoxes surgissant en son propre sein), le « Dieu patriarcal » de la Bible est sommé, en notre temps, de céder le pas au « Principe féminin de la divinité »… La personne du Christ passera alors définitivement à l’arrière-plan, jusqu’à n’être qu’une ombre, et l’humanité déifiée prendra sa place à travers la divine quaternité chère aux gnostiques.

Or si l’Église de Rome et les autres veulent vraiment rester fidèles à leur vocation véritable, c’est un demi-tour qu’elles doivent faire, une conversion à cent quatre-vingts degrés, comme l’avait déjà fait la Réforme du 16siècle, abandonnant les immenses pans de théologie-fiction qu’elles se sont bâties, revenir aux sources, aux Écritures bibliques dont elles se sont éloignées. Ecclesia Reformata quia Semper Reformanda est! L’Église de Jésus-Christ peut et doit se réformer toujours à nouveau en revenant aux sources. Persévérer dans ses égarements ne peut la mener que vers sa destruction et lui attirer sans rémission le jugement de Dieu.

L’idée de « Marie corédemptrice », présente dans l’Église romaine depuis longtemps, bien que de manière non officielle, apparaît de plus en plus souvent au grand jour, comme un geyser crachant son jet d’eau bouillante par intermittences à travers le courant « maximaliste ». Nous risquons d’aboutir, si ce courant n’est pas arrêté par le retour à une théologie orthodoxe, vers la « sainte quaternité de Dieu » chère aux gnostiques, car Marie est en train de gravir, une à une, les marches vers sa glorification et vers sa déification.

La mariologie a toujours séduit une partie du clergé et des masses parce qu’en Marie c’est l’humanité elle-même qui gravit les marches vers sa propre glorification, vers la nature humaine déifiée. Le mensonge satanique par excellence : vous deviendrez comme des dieux, promis par le serpent à Ève, semble s’approcher de son point culminant. Tel un cancer, il a étendu ses métastases dans le corps de l’Église tout entier à travers les siècles, avec des périodes de rémission; à présent, il semble s’acheminer vers sa phase finale.

La piété populaire, sous l’impulsion du pontife actuel, semble évoluer autour de Marie, de ses apparitions, de ses miracles, et la foi des masses ignorant la foi biblique a plus que jamais comme objet, non pas le Dieu trinitaire, mais l’humanité divinisée de Marie.

« Il [Jean-Paul II] réalisa sa consécration à Dieu en se livrant à Marie, sa Mère, avec une totale confiance, comme l’exprime sa devise, gravée sur son blason papal, sous le monogramme de Marie : Totus tuus (tout à toi). […]
De plus, le pape n’exprime point seulement son expérience personnelle, mais une expérience d’Église : au premier plan, celle de son pays, la Pologne, où tout est parti d’une consécration à Marie; celle des Philippines. […] C’est selon cette dynamique profonde que Jean-Paul II invite l’Église sur la route du troisième millénaire, à l’exemple de Marie, sur les pas de Marie, avec Marie : aide toujours efficace du Christ seul Médiateur.43 »
« 28. […] En cette période de vigile, par la foi même qui l’a rendue bienheureuse, spécialement depuis le moment de l’Annonciation, Marie est présente dans la mission de l’Église, présente dans l’action de l’Église qui fait entrer dans le monde le Règne de son Fils. Cette présence de Marie connaît de multiples modes d’expression à l’heure actuelle comme dans toute l’histoire de l’Église. Son action rayonne aussi de multiples manières : par la foi et la piété des fidèles individuellement, par les traditions des familles chrétiennes ou des “églises domestiques”, des communautés paroissiales et missionnaires, des instituts religieux, des diocèses, par la force d’attraction et de rayonnement des grands sanctuaires où non seulement les individus ou les groupes locaux, mais parfois des nations et des continents entiers cherchent la rencontre avec la Mère du Seigneur, avec celle qui est bienheureuse parce qu’elle a cru, celle qui est la première parmi les croyants et pour cela est devenue Mère de l’Emmanuel. C’est là ce qu’évoque la Terre de Palestine, patrie spirituelle de tous les chrétiens, parce qu’elle est la patrie du Sauveur du monde et de sa Mère. C’est là ce qu’évoquent les innombrables sanctuaires que la foi chrétienne a élevés au cours des siècles à Rome et dans le monde entier. C’est là ce qu’évoquent des centres comme Guadeloupe, Lourdes, Fatima et d’autres dispersés dans différents pays, parmi lesquels comment pourrais-je ne pas rappeler celui de ma terre natale, Jasna Góra? On pourrait parler peut-être d’une véritable “géographie” de la foi et de la piété mariale, qui comprend tous ces lieux de pèlerinage particulier du Peuple de Dieu à la recherche d’une rencontre avec la Mère de Dieu pour trouver, dans le rayonnement de la présence maternelle de “celle qui a cru”, l’affermissement de sa propre foi. En effet, dans la foi de Marie, dès l’Annonciation et de manière achevée au pied de la Croix, s’est rouvert en l’homme l’espace intérieur dans lequel le Père éternel peut nous combler “de toutes sortes de bénédictions spirituelles” : l’espace “de l’Alliance nouvelle et éternelle”. Cet espace subsiste dans l’Église, qui est en Jésus Christ “un sacrement de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain”.44 »

18. Jean-Paul II et l’Année mariale🔗

Lors de la parution de la lettre encyclique Redemptoris Mater, en 1987, Jean-Paul II annonça une Année mariale dans les termes suivants :

« 47. […] L’Église, dans toute sa vie, maintient donc avec la Mère de Dieu un lien qui inclut, dans le mystère du salut, le passé, le présent et l’avenir, et elle la vénère comme la Mère spirituelle de l’humanité et celle qui nous obtient la grâce.
48. C’est précisément le lien spécial de l’humanité avec cette Mère qui m’a conduit à proclamer dans l’Église, en la période qui précède la conclusion du deuxième millénaire depuis la naissance du Christ, une Année mariale. Une telle initiative a déjà été prise dans le passé, quand Pie XII proclama 1954 Année mariale afin de mettre en lumière la sainteté exceptionnelle de la Mère du Christ, exprimée dans les mystères de sa Conception immaculée (définie exactement un siècle auparavant) et de son Assomption au ciel. […]
Dans ce contexte, l’Année mariale devra promouvoir une lecture nouvelle et approfondie de ce que le Concile a dit sur la bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, dans le mystère du Christ et de l’Église auquel se rapportent les réflexions de cette encyclique. Il s’agit ici non seulement de la doctrine de la foi, mais aussi de la vie de la foi et donc de l’authentique “spiritualité mariale”, vue à la lumière de la Tradition et spécialement de la spiritualité à laquelle nous exhorte le Concile. En outre, la spiritualité mariale, non moins que la dévotion correspondante, trouve une source très riche dans l’expérience historique des personnes et des diverses communautés chrétiennes qui vivent parmi les peuples et les nations sur l’ensemble de la terre. J’aime à ces propos évoquer, parmi de nombreux témoins et maîtres de cette spiritualité, la figure de saint Louis-Marie Grignion de Montfort qui proposait aux chrétiens la consécration au Christ par les mains de Marie comme moyen efficace de vivre fidèlement les promesses du baptême. Je constate avec plaisir que notre époque actuelle n’est pas dépourvue de nouvelles manifestations de cette spiritualité et de cette dévotion.
Il y a donc de solides points de référence qu’il faut garder en vue et auxquels il faut se relier dans le contexte de cette Année mariale.
49. […] Ainsi, par cette Année mariale, l’Église est appelée non seulement à se souvenir de tout ce qui, dans son passé, témoigne de la toute spéciale coopération maternelle de la Mère de Dieu à l’œuvre du salut dans le Christ Seigneur, mais aussi à préparer pour l’avenir, en ce qui la concerne, les voies de cette coopération, car la fin du deuxième millénaire chrétien ouvre comme une nouvelle perspective.45 »

Notes

1. Jean-Paul II, Redemptoris Mater, parag. 13.

2. Nestorianisme : Hérésie christologique du 5siècle, due à l’enseignement de Nestorius. Le nestorianisme est né surtout de l’imprécision des termes théologiques employés pour déterminer les noms applicables à Jésus à la fois Dieu et homme. L’école d’Antioche, à laquelle appartenait Nestorius, répugnait à attribuer à la nature divine du Verbe incarné ce qui est propre à la nature humaine. Nestorius, devenu patriarche de Constantinople (428), s’en prit surtout au terme de Théotokos (mère de Dieu), qu’il déclara inacceptable; or, ce terme était devenu si populaire que les interventions de Nestorius amenèrent des protestations et la violente opposition de saint Cyrille d’Alexandrie, qui aboutit à la condamnation de Nestorius au Concile d’Éphèse (431). Plus orateur que théologien, l’archevêque avait employé des termes insuffisamment clairs; ses conceptions peuvent se ramener aux propositions suivantes : 1) il y a deux personnes en Jésus-Christ, celle du Verbe et celle de l’homme; 2) l’union des deux natures n’a pas lieu d’une manière substantielle et hypostatique, parce qu’elle n’est qu’accidentelle et morale; 3) en conséquence, Marie est mère du Christ (Christotokos) mais non mère de Dieu (Théotokos).

3. Lietzmann, Symbole der Alten Kirche, p. 85; cité par Miegge.

4. Jean-Paul II, Redemptoris Mater, parag. 42, 31, 33, 34.

5. Il est vivement recommandé, à ceux qui estimeraient que ce sont là des propos exagérés, de prendre connaissance de tels ouvrages, que l’on peut se procurer dans la plupart des librairies catholiques. Un bon exemple en est l’ouvrage récemment paru : La Vierge Marie : Homélies de Pères Cisterciens. Pain de Cîteaux; abbaye Cistercienne de Notre-Dame-du-Lac, Québec.

6Redemptoris Mater, parag. 6, 9, 10, 41.

7Catéchisme des évêques de France, p. 248.

8Id., p. 256.

9Id., p. 255.

10Id., p. 255.

11Redemptoris Mater, parag. 28, 24.

12. Pie IX, Ineffabilis Deus, 1854.

13. Pie X 1906.

14. Benoit XV.

15. Pie XII, Salve Regina.

16Mariologia, II p. 298-299.

17. Pie XII à Lourdes.

18. Le semi-pélagianisme est une doctrine théologique à mi-chemin de l’hérésie pélagienne et de l’orthodoxie, définie par la doctrine de la grâce augustinienne. Il dérive son nom de Pélage, hérésiarque condamné au 5siècle, pour ses vues sur la grâce. Le pélagianisme est une idée synergiste (collaboration de l’homme avec la grâce divine pour l’obtention du salut) contre le monergisme augustinien.

Bien que l’Église a condamné Pélage comme hérétique, néanmoins elle n’a pas suivi tout à fait Augustin, qu’elle tient pourtant pour doctor ecclesiae. Pour celui-ci, la foi est purement l’effet de la grâce; celle-ci est irrésistible; le salut a son fondement en l’élection divine; qu’aucun acte (mérite) ne doit être considéré comme la cause de l’opération divine de la grâce. Cette théologie fut refusée comme inacceptable, notamment par les molinistes (jésuites). Le synergisme est ainsi semi-pélagien; négation de la grâce prévenante; refus de croire que la foi soit le don de Dieu; refus d’admettre que l’homme naturel soit totalement incapable de faire le bien; faisant ainsi la coopération spontanée de l’homme la condition de l’opération de la grâce; supposant que la grâce est impartie comme conséquence des mérites humains. La position actuelle de l’Église romaine peut-être dite néo-semi-pélagienne.

19Redemptoris Mater, parag. 7, 11, 24, 47, 50, 51.

20. Voir son Essence du christianisme.

21. Docétisme : Hérésie des premiers siècles de l’Église, enseignant que Jésus-Christ, n’ayant eu qu’un semblant de chair, était né, avait souffert et était mort seulement en apparence. Les origines du docétisme sont assez obscures, mais elles remontent à l’âge apostolique. Au début du 2siècle, Ignace d’Antioche le combat vivement. Les gnostiques des 2e et 3siècles, en particulier les valentiniens, le reprennent, par haine pour la matière impure de ce monde. Après le 3siècle, le docétisme disparaît presque entièrement, pour renaître au 4siècle dans certaines sectes monophysites. La réfutation de ce système tient une grande place dans la littérature chrétienne des trois premiers siècles.

22Catéchisme des évêques de France, p. 350.

23Redemptoris Mater, parag. 39, 40, 41.

24. Carl Feckes.

25. Léon XIII, 1896.

26. Les tentatives au sein de l’Église romaine pour la déclarer sacerdotissima, c’est-à-dire Grande Prêtresse, n’ont d’ailleurs pas manqué, surtout à partir du début du siècle. Si le titre n’a pas été officiellement accordé — bien que Pie X ait déclaré Marie Virgo Sacerdos en 1906 — la notion est toujours présente dans l’Église de Rome et apparaît plus ou moins ouvertement dans nombre de textes; elle est, en tous cas, bien vivante dans la piété populaire.

27. Monophysisme : Hérésie christologique du 5siècle. Étymologiquement, on appelle monophysisme toute doctrine qui ne reconnaît dans le Verbe incarné qu’une seule nature individuelle après l’union de l’humanité et de la divinité, et historiquement, toute doctrine contraire à la définition du Concile de Chalcédoine (451) : « Le Verbe divin, Fils unique de Dieu, né de la Vierge Marie quant à son humanité, est en deux natures qui demeurent sans confusion, sans changement, sans division ni séparation. » L’hérésie eut pour père Eutychès. Ce fut d’abord le Brigandage d’Éphèse (449), où le parti d’Eutychès et de Dioscore triompha grâce à des mesures policières. Mais leurs erreurs furent condamnées au Concile de Chalcédoine.

28Redemptoris Mater, parag. 18.

29Catéchisme de l’Église catholique, p. 107 à 112, n484 à 511; p. 160-161, n721 à 726; p. 207 à 209, n963 à 975; p. 542-543, no 2673 à 2682.

30Redemptoris Mater, parag. 44, 47.

31Catéchisme des évêques de France, p. 350.

32Redemptoris Mater, parag. 5, 19.

33Catéchisme des évêques de France, p. 253.

34Redemptoris Mater, parag. 41.

35Catéchisme des évêques de France, p. 256.

36. G.C., Berkouwer, The Second Vatican Council and the New Catholicism, p. 221ss.

37Catéchisme des évêques de France, p. 255.

38Redemptoris Mater, parag. 23, 24, 47.

39. Karl Barth, Entretiens à Rome après le Concile.

40. Note de la rédaction : Nous pourrions en dire autant du pontificat des autres papes qui ont succédé à Jean-Paul II depuis le moment où ce document a été écrit.

41Redemptoris Mater, parag. 6.

42Redemptoris Mater, parag. 30.

43. René Laurentin, dans sa préface à Redemptoris Mater.

44Redemptoris Mater, parag. 28.

45Redemptoris Mater, parag. 47, 48, 49.