Cet article a pour sujet notre espérance par la Parole de Dieu et par son Esprit. C'est le message de l'Évangile qui orientera notre proclamation et notre  mission. Notre espérance guidera notre action.

Source: Espérer contre toute espérance. 11 pages.

Espérer par l'Esprit et la Parole

  1. L’Esprit et la Parole
    a. Ancien Testament
    b. Nouveau Testament
  2. L’espérance par la Parole
  3. Le message c’est la mission
  4. Pour une espérance active

1. L’Esprit et la Parole🔗

Le Saint-Esprit témoigne à nos esprits que Jésus-Christ est Seigneur. Par moments, son opération débordera les cadres restreints de l’Église institutionnelle afin d’opérer dans le monde. C’est l’un des modes par lesquels est appliquée la grâce générale, la grâce préventive de Dieu. Toutefois, en dehors de l’Église confessante, cette activité du Saint-Esprit passera inaperçue et sera même combattue ouvertement.

C’est dans sa communion que Jésus-Christ, le Fils incarné, nous apporte la rédemption nécessaire, suffisante et définitive. C’est une telle rédemption qui fonde et nourrit notre espérance. Lorsque l’homme aliéné de Dieu se convertit et intègre le nouveau peuple de Dieu, l’Église du Christ, il est exhorté à vivre dans la sainteté, la justice et la paix. L’Esprit Saint opère en lui une transformation qui le rend capable de vivre celles-ci et de quitter les zones de profanité pour évoluer dans la sphère de la sanctification.

Certes, connaître le Saint-Esprit et être informé de son opération ne résoudra automatiquement tous les problèmes dans aucun domaine. Sans doute Dietrich Bonhoeffer avait-il raison :

« Qui nous dit que tous nos problèmes temporels doivent et puissent être résolus? Peut-être nos problèmes irrésolus sont-ils plus importants pour Dieu que leur solution, pour nous rappeler le péché des hommes et la rédemption divine. Peut-être les problèmes des hommes sont-ils si embrouillés, si mal posés qu’ils sont réellement insolubles. Jésus ne s’occupe pour ainsi dire pas du tout de la solution des problèmes temporels. Sa parole n’est pas, dans son essence, déterminée à partir d’en bas, mais à partir d’en haut; elle n’est pas la solution, mais la délivrance. Jésus apporte au lieu de la solution des problèmes, la rédemption.1 »

Un tel avertissement nous évitera de nous conduire en chrétiens triomphalistes… Le triomphalisme sans fondement biblique est une véritable utopie, c’est-à-dire, qu’il est privé de son lieu, puisqu’il se passe de la croix. Il ne connaît pas la nature de la persévérance sous la croix et, impatient, il ne produit aucune espérance durable dans un monde brisé et au milieu d’hommes sans espérance parce que sans Dieu.

Qu’il soit permis de rappeler qu’au sein de la condition que nous avons décrite et dans une Église souvent emportée à tout vent de doctrine, notre responsabilité est principalement engagée vis-à-vis de l’Esprit et de la Parole. Nous nous garderons d’inventer quoique ce soit qui n’ait pas été déjà prescrit et transmis une fois pour toutes. Ce ne sont pas les idées dans le vent ni les idéosophies à la mode qui nous inspireront dans l’action ou qui stimuleront notre espérance. Depuis le début, le Saint-Esprit nous conduit vers le Fils et nous le fait connaître; or celui qui a vu le Fils a vu le Père.

Ainsi, en dépit de l’apostasie d’une partie de son Église ou de la sécularisation qui envahit toutes les sphères de la vie moderne, le Dieu trinitaire, le Père, origine de toutes choses visibles et invisibles, le Fils Rédempteur, dans la communion du Saint-Esprit, poursuit son œuvre de réfection d’un univers brisé sous le poids du péché.

L’incroyance ne verra ici qu’une illusion religieuse ou mythique. Il ne faut pas s’en étonner; l’homme autonome s’imagine qu’il détient l’autorité suprême. L’Esprit nous permettra de discerner les esprits, de reconnaître les vrais obstacles, de démasquer les oppositions occultes, de saisir aussi toutes les possibilités pour appliquer les remèdes qui s’imposent; Dieu a réconcilié le monde avec lui-même. Seule la foi pourra saisir à la fois la nature et l’ampleur universelle de ce fait.

Nous savons que le Saint-Esprit est totalement « engagé » à nos côtés pour créer et pour entretenir en nous l’espérance.

a. Ancien Testament🔗

Dans l’Ancien Testament, l’Esprit est connu comme l’agent qui fera venir l’âge nouveau et installera les « derniers jours ». Dans son discours (Ac 2), Pierre faisait allusion à cette activité de l’Esprit décrite bien longtemps avant l’événement par le prophète Joël.

D’après Ésaïe 11.1-2 et 61.1-2, c’est l’Esprit qui forme le Messie et en prépare le chemin. Or, cette activité de l’Esprit constitue l’un des éléments fondamentaux des derniers jours.

Il est source de vie nouvelle, facteur ou agent de renouveau du peuple de Dieu (És 32.15-17 et 44.2-4). On pourrait multiplier les textes de l’Ancien Testament, notamment des deux grands prophètes Jérémie et Ézéchiel, ayant trait à cette activité eschatologique de l’Esprit de Dieu.

b. Nouveau Testament🔗

Les discours de Jésus rendent témoignage à l’accomplissement des antiques prophéties relatives à l’Esprit. Le premier sermon dans Luc 4.16-21 reprenait le texte d’Ésaïe 61. Dans d’autres péricopes, il est expliqué que Jésus accomplit des œuvres puissantes grâce à la présence en lui de l’Esprit Saint. Il peut exorciser les démons. L’Esprit qui demeure en permanence en Jésus coopère avec lui. Son baptême est d’ailleurs le témoignage par excellence et de cette présence et de cette coopération. Aussi Jésus baptisera-t-il en Esprit et non seulement par l’eau.

Il est quasiment superflu d’insister ou même de remarquer toute l’importance que Paul accorde à cette activité de l’Esprit. L’Esprit nous propulse dans une nouvelle existence. Il habite le chrétien et il influence tous les rayons de ses activités. Agent eschatologique par excellence, il nous fait par anticipation saisir comme un avant-goût les bienfaits de la vie à venir, quelque chose du futur que nous espérons. Les bénédictions qui sont réservées au ciel pour nous sont déjà connues, voire goûtées. Il s’est emparé de nous et il fonde l’espérance en une réalité dont on ne pourra plus jamais douter. Il nous associe étroitement à l’âge à venir. Toutefois, il n’est présenté que comme un avant-goût, comme la première moisson de la vaste récolte eschatologique. En somme, il tient un rôle d’intérimaire et celui-ci apparaît dans une triple face : il témoigne de notre adoption par Dieu et nous permet de l’appeler Abba, c’est-à-dire Père.

À son tour, l’adoption confère une dimension eschatologique à l’existence que l’on mène aujourd’hui dans la foi, puisqu’à notre tour, avec l’ensemble de la création, nous soupirons pour la délivrance. La rédemption acquise n’est pas accordée dans sa totalité. Ce n’est qu’en espérance que nous sommes sauvés.

Enfin, l’Esprit nous assure que nous sommes devenus cohéritiers avec le Christ.

Cette triple facette du rôle de l’Esprit nous révèle à sa manière la nature de la tension dynamique entre le « pas encore » et le « déjà ».

De son côté, Jean témoigne de cette même triple fonction de l’Esprit (voir 1 Jn 3.1-2).

Il est manifeste que l’œuvre de l’Esprit dans le Nouveau Testament est décrite dans une variété de termes qui, pris séparément, n’auraient pu en épuiser toute la richesse ou en explorer toute la profondeur. Il suffit de rappeler encore que l’un des fruits de cette œuvre est l’espérance.

On pourrait utilement recenser certains termes grecs décrivant cette œuvre provisoire ou intérimaire de l’Esprit. « Prémisses », qui traduit le terme aparchè, s’applique aussi bien au Christ qu’à l’Esprit.

« Assurance », qui traduit arrabôn, suggère qu’il s’agit d’une sorte de dépôt consigné devant payer une partie de la dette; c’est un acompte versé. Il est le sceau (en grec sphragis), scellant aussi bien notre appartenance à Dieu que l’assurance que Dieu nous prendra en charge et nous placera sous sa garde paternelle. Le Saint-Esprit est donc notre sécurité et la garantie que l’héritage promis deviendra notre propriété.

Ceci devrait aller de pair avec notre connaissance de son rôle dans la résurrection des corps. Il avait tenu un rôle certain dans celle de Jésus. Certains textes (Rm 1 et 8) l’assurent au moins implicitement. 1 Corinthiens 15.42-44 l’assure explicitement. On a suggéré que non seulement l’Esprit prend part à notre résurrection, mais qu’il maintient en nous une relation telle que le corps spirituel ressuscité pourra exister. En raison de cette relation, le chrétien peut être appelé nouvelle création.

Nouvelle création, nous témoignons de l’amour de Dieu abondamment répandu dans nos cœurs, par l’Esprit. Morts au péché, nous sommes vivants pour Dieu et en lui.

Nous ne vivons plus selon la chair, mais selon l’Esprit; certes, c’est là une situation bien inconfortable, car nous avons sans cesse besoin de lutter. Mais notre combat spirituel exige aussi une armure spirituelle qui seule pourra déjouer les manœuvres stratégiques et tactiques du grand Malin.

Nous en connaissons l’issue; Christ est sorti vainqueur non pour son propre compte, mais en vue de notre délivrance et de notre victoire, nous rendant possible de vivre de la puissance régénératrice de son Esprit. À présent, l’Esprit nous arrache au pouvoir corrupteur et mortel du péché. Outre l’union qu’il crée et scelle entre nous et le Seigneur, il crée aussi la communion à l’intérieur de l’Église; ici ont disparu toutes les séparations, ici s’assemblent tous les enfants rachetés du Père. Ici meurt chaque jour le vieil homme et naît l’homme nouveau. L’Esprit œuvre pour l’ouverture d’un horizon nouveau, contemplé par la foi, par l’espérance et par la charité et que plus rien ne saurait boucher, jusqu’à ce que se réalise définitivement l’objet de notre espérance.

2. L’espérance par la Parole🔗

Nous aurions souhaité consacrer, en partie au moins, cette section du chapitre présent au rapport organique entre l’Esprit et la Parole. Nous ne pourrons aborder la question sous cet aspect du fait qu’une telle considération nous éloignerait du sujet proposé et alourdirait passablement cette étude. Nous nous proposons plus simplement et de manière analytique seulement, de lier l’espérance à la Parole. Nous espérons que, au moins implicitement, le rapport particulier entre Esprit et Parole sera aperçu.

Nous présentions ailleurs l’essentiel de la théologie réformée de la Parole et de la prédication2. Nous n’y reviendrons pas. Qu’il nous suffise de rappeler que la proclamation de la Parole constitue l’essentiel de la mission de l’Église.

La proclamation de l’Évangile est le signe par excellence de la présence du Royaume. Comme telle, elle constitue un facteur supplémentaire qui engendre l’espérance. Par essence donc la proclamation de l’Évangile est de nature eschatologique. Évangéliser c’est annoncer la bonne nouvelle. Par son moyen, nous orientons les regards vers le grand jour du salut, ou bien, de manière négative, vers celui du jugement. Tel était déjà la nature de la prédication de Jésus.

Mais passons aussitôt au dernier livre du Nouveau Testament; il possède un pouvoir de consolation extraordinaire.

Sur l’une de ses pages apparaissent quatre cavaliers. Le premier représente la guerre; le deuxième la famine, le troisième la persécution et la mort.

Quant au quatrième, qui est monté sur un cheval blanc il est différent des trois autres; il n’a pas une figure sinistre. Au contraire, il porte une couronne, symbole de sa victoire et de son pouvoir. Il avance et va de conquête en conquête. Il réapparaîtra quelques pages plus loin. On apprend son nom : il est le Fidèle et le Véritable. Il est la Parole de Dieu. En lui, la proclamation de l’Évangile devient un signe eschatologique, le quatrième signe eschatologique accordé aux hommes. « De sa bouche sort une épée acérée qui va frapper les nations » (Ap 19.15). C’est une parole de salut. Mais à ceux qui lui résistent, elle devient parole de jugement. C’est avec justice qu’il juge et qu’il fait la guerre.

La proclamation de l’Évangile apparaît dès lors comme la mission fondamentale de l’Église durant tous les âges. Ce lieu commun a pris récemment une résonnance particulière. Dans divers milieux, il revêt de nouveau un intérêt particulier. Il semble que l’Église prenne une conscience aiguë de sa mission urgente.

Du côté des Églises orientales, on a surtout reproché aux Églises d’obédience réformée de trop se préoccuper de cette mission au détriment de l’adoration. Nous n’examinerons pas si ce reproche est bien fondé. Contentons-nous d’analyser les implications pratiques de cette redécouverte de la mission proclamatrice de l’Église.

Auparavant, il ne sera pas inutile de rappeler que l’Église elle-même est née de la proclamation de l’Évangile. Sa simple existence dans le monde devrait servir de témoignage à l’Évangile.

Cette mission s’accomplit-elle conformément à la nature d’une proclamation authentique de l’Évangile, celle qui engendre l’espérance, et non de manière à donner naissance à des calculs futurologiques baptisés à grand fracas « accomplissement des prophéties bibliques »?

Dans nombre de secteurs de l’Église, même du côté de celles issues de la Réforme protestante du 16siècle, la prédication de l’Évangile n’est plus qu’une pâle et anémique figure de la proclamation de la Parole, et par moments une flagrante contrefaçon incapable d’offrir le Pain de vie et de soutenir l’espérance. Quand on a quitté le ronron des patois de Canaan, on risque de tomber sur le pain rassis à la Gabaonite des prédicateurs prétendus évangéliques.

Il ne suffit pas de faire preuve de zèle ou d’avoir de bonnes intentions évangélisatrices. Il faut encore proclamer la Parole selon l’Évangile!

3. Le message c’est la mission🔗

Le message de l’Évangile, et lui seul, formulera, orientera et régira toute notre entreprise moderne de la proclamation. Celle-ci se rapportera à celui-là sans exception aucune.

La première page du livre des Actes nous offre l’une des clés de la proclamation biblique, normale et même normative.

À l’heure où Jésus s’apprête à monter vers le Père, une question brûlante revient sur les lèvres des disciples : « Seigneur, est-ce maintenant que tu établiras ton Royaume? » (Ac 1.6). La réponse est inattendue; elle dut surprendre les disciples. Ici, nous lirons la version lucanienne de l’ordre missionnaire. Le Seigneur déclare : « Il ne vous est pas donné de connaître l’heure […], mais vous serez mes témoins » (Ac 1.7-8). Toute l’affaire du Royaume eschatologique est confiée à des hommes et à leur proclamation-témoignage (kerygma et martyria).

Ce fait fondamental explique parfaitement le titre du deuxième livre de Luc : livre des Actes des apôtres. Bien entendu, on pourrait également parler à son sujet de livre du Royaume proclamé. En effet, nous remarquons que si le livre débute par une interrogation au sujet du Royaume, il se termine par une indication à son sujet (voir la fin du chapitre 28).

La proclamation devient ainsi un événement décisif pour le temps de la fin. Jusqu’à ce qu’il revienne, le Seigneur lui confie une mission et l’assure de son assistance. D’ailleurs, sa présence est réelle à travers son Esprit et sa Parole. Nous pouvons par conséquent affirmer que, lorsque la Parole est proclamée, c’est le Christ en personne qui s’adresse à l’auditeur.

À cette conviction s’en ajoute une autre; la théologie réformée a le mérite de souligner que la parole proclamée accomplit une œuvre spécifique, à savoir le salut des personnes, et c’est ici la spécificité de la théologie réformée, de l’élection gracieuse de Dieu, qui, depuis toute l’éternité, a prédestiné à être sauvés tous ceux qui au moyen de la foi au Fils répondent actuellement à son appel miséricordieux et forment ainsi l’Église, le corps du Christ.

Cette doctrine biblique de la prédestination devient en outre la grande source de consolation et de certitude pour la foi, un facteur et un puissant stimulant pour l’évangélisation des hommes. Elle est le soutien véritable et tout-puissant de notre mission et non pas « perdition de millions d’âmes », telle qu’elle est présentée par un certain nombre de chrétiens bien intentionnés, mais hélas mal informés des fondements de la mission évangélisatrice.

C’est la raison pour laquelle c’est avec sérieux que nous devrions examiner à la fois le mode de l’évangélisation et le contenu de notre proclamation. Annonce-t-elle tout le conseil de Dieu? Ou bien est-elle rapetissée à quelques « lois spirituelles » enfermées dans un vade mecum évangélique prétendant résumer l’œuvre rédemptrice du Dieu trinitaire?

De nos jours, l’expression « salut en Jésus-Christ et libération des hommes » prend un sens véritable si nous savons la dégager de toute enveloppe mythico-idéologique, celle qu’emploient les théologies modernes de la violence et de la libération.

Cette expression témoigne de notre conviction que nous devons amener toute pensée captive à l’obéissance de Jésus-Christ. Sa croix domine aussi bien les pages de la Bible que les chemins de l’histoire. Elle a été dressée au milieu de celle-ci, pour dominer aussi bien les vies individuelles que les structures sociales. En elle, le pardon est obtenu et la réconciliation achevée. Si nous esquivions la croix, le jugement nous attendrait non seulement dans l’au-delà, mais déjà ici et maintenant. Ceci serait l’échec eschatologique le plus complet. La parole prêchée est une odeur de vie ou de mort. La bonne nouvelle s’adresse à celui qui est perdu. Mais le Fils de Dieu est venu pour chercher et sauver cet homme-là, l’homme apostat.

L’universalité de l’Évangile est un autre élément de la proclamation chrétienne. Tous les murs de séparation sont tombés. Un peuple nouveau fait son apparition, il est sans distinction de race, de classe, de langue ou de culture. Cette universalité balaie du coup toute tentative pour « particulariser » le contenu de l’Évangile, c’est-à-dire, pour l’adapter aux besoins particuliers d’une race, d’une culture ou d’une langue spéciale. On ne peut en même temps confesser le caractère universel de l’Évangile du salut et préconiser la nécessaire contextualisation de la mission chrétienne. (Notons en passant combien le terme de contextualisation sonne mal à ce propos; on peut parler de la contextualisation d’un texte, mais pas de la mission). L’acculturation, puisque telle est l’idée contenue derrière le terme impropre de contextualisation, ne rend pas justice au caractère universel de la Parole que Dieu adresse indistinctement avec la même force et avec le même contenu à tout homme. L’Évangile reste universel et de ce fait il atteint l’homme, tout homme, quelle que soit sa culture, parce qu’il est créé à l’image de Dieu. Il est créé afin de répondre à l’appel de Dieu et il est capable de le faire. Toute approche culturelle ou linguistique qui ne tiendrait pas compte de ce fait fondamental à la condition de l’homme compromettrait la proclamation de l’Évangile et créerait de manière inattendue un racisme théologique d’un type nouveau.

L’homme créé à l’image de Dieu signifie que son cerveau est tel, qu’en dépit des effets noétiques du péché, il peut par la foi répondre à l’Évangile.

Dans Communication de l’Évangile, J.-M. Chappuis a présenté quelques thèses intéressantes que nous résumerons à présent.

Le contenu de la proclamation possède une forme. L’expression suivante nous semble convenir à cela : La proclamation est un commentaire évangélique porté sur les affaires courantes du monde; ce commentaire est une proclamation, une réponse offerte même à des questions fausses ou illégitimes, soit en les négligeant, soit en les corrigeant, soit en les ignorant (Lc 13). Dans ce passage, Jésus ne se limite pas à analyser un simple fait divers; il présente l’alternative : repentez-vous ou bien périssez. Jésus renouvelle la question de manière interne. Il ne laisse pas un seul pouce de terrain se soustraire à l’exigence de la repentance. La parole de Dieu éclaire la totalité de notre existence et sa condition dans tous ses aspects. Ce commentaire se présente comme le déchiffrement ou le décodage des actes des hommes et de leur histoire, à la lumière de la Parole.

Sans doute n’est-ce pas là une tâche aisée, vu que tous les hommes sont dispersés aux quatre vents de doctrines divergentes, ou encore violemment en conflit. Il est difficile à la raison de comprendre tout et encore moins de dominer l’histoire. Même notre foi ne perçoit pas très clairement la providence au cours de l’histoire. Mais notre proclamation peut la diriger, l’orienter, car nous restons toujours responsables devant elle autant que devant Dieu. Responsables face à sa finalité et selon sa finalité. Nous avons appris qu’il n’existe pas de fatalité absurde. C’est dans ce sens-là que la proclamation de l’Évangile devient véritablement révolutionnaire, ramenant tout vers son point de départ, vers Dieu.

C’est là l’objet du dessein de Dieu et dans une certaine mesure de son amour. À la suite de Jésus, nous aurons à dire : « Hypocrites, vous savez comment interpréter l’apparence de la terre et du ciel. Comment se fait-il que vous ne sachiez pas interpréter le temps présent? » (Lc 13.56-57). Le commentateur assume par conséquent un rôle prophétique, comme Amos, Jérémie ou Daniel parmi leurs contemporains. Eux aussi décodent l’histoire de leur époque. Ils soumettent toute chose au scrutin et au contrôle de Dieu et de sa parole, au critère de l’Évangile. Nous pourrons les imiter en refusant les tabous et les mythes des temps modernes, en détruisant les idoles, en démystifiant les interdits de type social. Ceci constitue le minimum qui est attendu du commentateur-prophète. Mais il existe également un maximum, qui est celui de comprendre la condition humaine maintenant.

Négativement, nous aurons à détruire toute pensée rebelle, tout modèle de pensée et d’action, toute fausse justification et même certains actes prétendus nobles de la « fausse mauvaise conscience », lesquels ne sont pas le fruit de la foi. Positivement, la proclamation accordera un sens véritable à l’existence personnelle et à la destinée de la création. L’homme moderne connaît déjà énormément de choses; il a un énorme acquis sur sa personne ou sur les événements de son histoire. Il a suffisamment fabriqué de mythologies afin de coordonner son effort en vue d’interpréter les phénomènes incohérents de sa vie. Il a besoin de découvrir le sens, celui qui est accordé par Dieu, aussi bien à sa personne qu’à une pierre. Le danger réel dans cette situation consisterait à ne pas proclamer. Ce serait le comble de l’irresponsabilité qu’une Église qui espère ne veuille pas offrir la lumière.

Les prophètes du passé ont agi dans l’accomplissement fidèle de leur mission. Ils sont intervenus dans les divers domaines de la vie publique au nom du Seigneur. Ils ont conseillé les dirigeants de leur nation ou d’autres nations. Ils ont été au courant des événements politiques et de la situation nationale dans son ensemble. Ils ont offert par moments des solutions. À une seule exception, celle d’Amos. Techniquement parlant, on ne peut parler de lui comme d’un commentateur public. Il est quasiment incompétent. Pourtant, il annonce la même Parole. Il pénètre au cœur de la complexité de la situation et des problèmes. Quand Ésaïe dit : « je sais; je sais ce dont vous avez besoin », Amos lui dit : « je ne sais pas; je ne veux pas savoir ». Ésaïe éclaire la vie publique par sa compétence. Amos proclame la colère des tonnerres de Dieu. Le premier possède une science inspirée, le second une ignorance sacrée. Aucun prédicateur ne devrait ignorer ce double aspect de la proclamation prophétique. Tous les deux forment l’ensemble d’un Évangile de salut et de jugement. La situation présente ne requiert pas l’élaboration d’une prédication nouvelle (ainsi préconisée par Paul Ricœur), mais la nouvelle élaboration de la prédication.

Cette prédication sera délivrée dans la nouvelle agora — la place publique : arène politique, théâtre culturel, hall économique, laboratoire du scientifique et dans tout autre forum social. Elle variera selon les auditeurs et les circonstances. Elle comprendra aussi bien la critique que le jugement. Elle démythologisera toutes les idéologies qui introduisent leurs mortelles désinformations. Tout en maintenant l’expression de proclamation, on en retiendra l’ambiguïté. Aussi pouvons-nous lui accorder un sens second, dérivé, en lui reconnaissant le dynamisme et l’audace, ainsi que l’authenticité qui caractérise celle des premiers prophètes. Elle sera autre chose qu’un naïf triomphalisme pour chrétiens conservateurs dans une situation totalement nouvelle.

L’Église n’inspire pas, écrit encore J.-M. Chappuis, elle ne s’impose pas, elle n’est pas au centre. Elle ne commande point et ne donne d’ordre il personne. Elle laisse la Parole agir pleinement avec son efficacité absolue, pour faire rencontrer l’homme rebelle, qu’elle invite et exhorte, avec le divin invitant.

L’auteur suisse nous aidera, je crois, à abandonner nos discours lénifiants, nos chloroformes spiritualistes, la stagflation théologique. Au lieu d’une informatisation futurologique électronisée, ce qu’est, hélas!, devenue actuellement l’eschatologie chez nombre de chrétiens, nous pourrons transmettre avec vigueur l’espérance biblique. Jean Brun écrivait de son côté que nous aurons à faire comprendre à tout homme que toutes les sources du monde n’étancheront pas sa soif et que les lumières de la terre n’éclaireront point son chemin.

Puisse notre prédication devenir l’antidote à toute anti-communication, afin de recentrer l’homme en Dieu, ainsi que l’écrit J. Brun, pour le changer en son contraire. Pour opposer à la situation sa condition, à la révolution la rédemption, à la trêve la paix, aux sécurités la consolation, aux abris le refuge, aux sauvetages le salut. Ces termes ne sont nullement interchangeables, rappelle le penseur chrétien.

Nous pourrons poursuivre notre réflexion; la parole écrite et la parole proclamée donnent un sens à tous les actes que Dieu accomplit dans notre monde. La parole créatrice et rédemptrice tend vers la nouvelle création. La nouvelle économie du salut est en cours d’achèvement. Aussi le témoin de Dieu questionnera tout esprit, révélera toute pensée, exhortera et consolera, et en dernière analyse assurera et dirigera la confrontation de l’homme avec son Dieu et Sauveur. Dans cette marge de l’histoire dans laquelle nous vivons, l’éternité est présente; elle surplombe notre temps, le soutient et le transcende. Nous ignorons l’heure de la fin. Nous savons cependant que la figure du monde actuel s’évanouit, mais que Dieu prépare un autre monde. Nous ignorons une foule de détails. Mais lorsque la fin sonnera, lorsque le Seigneur apparaîtra, émerveillés et reconnaissants, nous lui avouerons : « Ainsi Seigneur et Sauveur ce que j’avais cru, espéré, proclamé en ton nom était donc vrai! Ta création est, comme je m’y attendais, transformée de fond en comble! »

4. Pour une espérance active🔗

L’espérance nous ramènera vers l’arrière, vers le point d’où est partie notre foi et où a pris naissance l’espérance : vers la croix. Depuis que celle-ci a été érigée, un feu a tout embrasé et le processus de transformation a été entamé. L’étincelle a mis le feu au complexe tout entier. Celui-ci brûle soit pour être purifié soit pour être consommé et disparaître.

Avant la croix, les hommes méditaient sur leur destinée. Christ a démontré la folie d’une telle analyse. Il n’est pas destiné, lui, mais voie, vérité, vie. Sa croix a porté le coup fatal à toute l’histoire humaine. À cause d’elle, nous nous sentons pris dans une rupture avec le mal intolérable. Les innombrables misères qui plongent l’univers dans une détresse immense seront rejetées non seulement parce qu’elles sont le mal, mais aussi parce qu’elles sont la survivance du monde d’avant la croix, la négation de la nouvelle création, des vestiges du passé qui devront disparaître.

C’est à cause de la croix que notre espérance sera active. Elle nous interdit de chercher notre refuge dans ce qui est l’ineffable. Elle fait donc plus que de purifier nos âmes souillées. Elle nous appelle à une réponse globale. Par sa croix, le Christ nous a ouvert le futur. À cause d’elle, nous pourrons réhumaniser l’homme.

Y a-t-il une place pour une éthique activée par l’espérance? Quel est le fondement de l’action chrétienne?

Écoutons pour commencer l’avertissement de Jean Brun à ce sujet. À propos du service chrétien, il écrivait : L’interrogation fondamentale moderne est devenue que faire? Au lieu de comment être? Mais le faire conduit à la dispersion. Tel le désert qui croît, mais ne fleurit pas. La tragédie consiste dans le fait que l’agir a envahi l’être et l’a noyé. La question « que dois-je faire? » s’ajoute à toutes les autres questions tragiques que se pose l’homme. C’est le signe d’une impatience aveugle qui cherche toutes sortes de sécurisations. Si le service chrétien a sa raison d’être, il est celui que nous rendrons à Dieu et non à l’homme. En inversant les rôles, Dieu devient la simple projection de l’homme. S’imaginer qu’en servant l’homme on sert Dieu — notamment dans le domaine politique — fera de l’homme l’outil de ses propres convoitises. Le service chrétien est ainsi réduit à une récupération idéologique et fait de l’homme le militant fanatisé d’une cause politique.

Ce n’est pas une action avec de telles motivations qu’inspirera l’espérance. Soyons toutefois reconnaissants à Brun de nous avertir opportunément dans ce domaine comme dans d’autres. Pourtant, il est possible de lier la praxis (l’action) à la pistis (la foi).

Réformée par l’Esprit et par la Parole, notre foi saisira la puissance qui est source de vie. Si l’Esprit et la Parole transforment l’homme déchu en nouvelle créature, ils opèrent de manière certaine dans les structures sociales en les préservant de se désintégrer. Ainsi, l’espérance a des exigences qui touchent tous les aspects de la vie. Elle établit les normes d’une éthique chrétienne. Par exemple, elle interdit de sacraliser la lutte des groupes ou des classes. Elle incite le croyant à porter un jugement critique sur toute institution et sur tout mouvement qui naît spontanément et évolue selon sa propre pente. L’action chrétienne inspirée par l’espérance ne fournit pas à l’action temporelle des hommes un modèle de société et une organisation de la polis qui soient valables dans tous les climats et uniformément applicables. Elle imprime aux efforts une directive d’ensemble en leur fixant un but global, en posant des exigences communes. Eschatologie et éthique sont donc étroitement associées. La conviction de la fin « proche » entraînera un profond changement de conduite morale.

On se souvient du propos de Luther. À celui qui l’interrogeait sur ce qu’il ferait s’il savait que le retour du Christ était pour demain, le réformateur allemand répondait : « Je planterai aujourd’hui un pommier. » Parce que l’eschatologie biblique a rompu avec les attentes apocalyptiques, la foi, l’espérance et la charité se réalisent à deux niveaux, l’un historique et spatio-temporel, l’autre éternel et transhistorique.

L’action, voire la lutte chrétienne ne sera donc pas unidimensionnelle, ni dans un sens ni dans l’autre. C’est parce que l’espérance aura auparavant transformé nos consciences que nous pourrons sans perdre de temps nous mettre à construire un monde selon le modèle proposé. Nous estimons par conséquent que la sécularisation moderne n’est pas la menace la plus grave. L’offensive contre nous est lancée d’ailleurs, du côté des principautés et des pouvoirs. Ce n’est donc pas contre la chair et le sang que nous luttons, mais contre les forces obscures de l’arrière monde. Mais Dieu s’est placé à nos côtés, avec son amour tout-puissant, pour restaurer la réalité brisée. Nous aurons à témoigner de lui non seulement par nos lèvres, mais aussi dans la conjonction ou la complémentarité de la pistis et de la praxis. En dépit des lacunes ou des faiblesses, la foi, l’espérance et la charité peuvent se réjouir et se laisser constamment réformer par l’Esprit et par la Parole. Tandis qu’il fait jour, le Fils de Dieu nous appelle à sa communion et nous renouvelle afin que nos œuvres brillent devant les hommes et que les hommes qui les voient glorifient le Père qui est au ciel.

Notes

1. Dietrich Bonhoeffer, Éthique, p. 301.

2. Voir la série d’articles de plusieurs auteurs intitulée La proclamation de l’Évangile.