2 Chroniques 26 - L'orgueil du pouvoir
2 Chroniques 26 - L'orgueil du pouvoir
2 Chroniques 26
Nous vous proposons une méditation sur 2 Chroniques 26, dans l’Ancien Testament, c’est-à-dire le récit du règne du roi de Juda Ozias, qui vécut au 8e siècle avant Jésus-Christ, il y a donc quelque 2800 ans. Comme nous allons le voir, ce récit reste aujourd’hui d’une actualité frappante. Notre article s’intitule « l’orgueil du pouvoir » et nous amènera à réfléchir sérieusement sur la nature du pouvoir politique, considéré à la lumière de l’enseignement général de la Bible. Nous serons aussi amenés à nous pencher sur la question de la relation entre l’Église et l’État, et sur l’attitude que les autorités gouvernantes devraient avoir vis-à-vis du Dieu qui leur confie une tâche très spéciale.
Commençons donc par lire ce chapitre 26 de 2 Chroniques qui nous parle d’un roi de Juda ayant régné quelque 800 ans avant Jésus-Christ dans un petit état du Proche-Orient :
« Tout le peuple prit Ozias, âgé de 16 ans, et l’établit roi à la place de son père Amatsia. Ce fut lui qui rebâtit Eiloth et la ramena sous la domination de Juda, après que le roi fut couché avec ses pères. Ozias avait 16 ans lorsqu’il devint roi et il régna 52 ans à Jérusalem. Le nom de sa mère était Yekolia, de Jérusalem. Il fit ce qui est droit aux yeux de l’Éternel, en tout point comme avait fait son père Amatsia. Il s’appliqua à rechercher Dieu du vivant de Zacharie, qui avait l’intelligence des visions de Dieu; et tant qu’il rechercha l’Éternel, Dieu lui donna du succès. Il sortit pour combattre les Philistins et fit des brèches dans la muraille de Gath, dans la muraille de Yabné et dans la muraille d’Asdod. Il construisit des villes dans le territoire d’Asdod et parmi les Philistins. Dieu l’aida contre les Philistins, contre les Arabes qui habitaient à Gour-Baal, et contre les Maonites. Les Ammonites faisaient des offrandes à Ozias, et sa renommée s’étendit jusqu’aux abords de l’Égypte, car sa puissance s’élevait bien haut. Ozias bâtit des tours à Jérusalem sur la porte de l’Angle, sur la porte de la Vallée et sur l’Encoignure, et il les fortifia. Il bâtit des forts dans le désert et creusa beaucoup de citernes, parce qu’il avait un nombreux cheptel dans la Chephéla et dans la plaine côtière, ainsi que des laboureurs et des vignerons dans les montagnes du Carmel, car il aimait l’agriculture. Ozias avait une armée de combattants qui sortaient au combat par troupes comptées d’après le dénombrement qu’en firent le scribe Yeïel et le commissaire Maaséyahou et placées sous les ordres de Hananiahou, l’un des ministres du roi. Le nombre total des chefs de famille, des vaillants héros, était de 2600. Ils avaient sous leurs ordres une armée de 307 500 combattants forts et vaillants qui apportait leur aide au roi contre l’ennemi. Ozias leur procura pour toute l’armée des boucliers, des lances, des casques, des cuirasses, des arcs et des pierres de fronde. Il fit faire à Jérusalem des machines conçues par un ingénieur, pour être placées sur les tours et sur les angles, afin de lancer des flèches et de grosses pierres. Sa renommée s’étendit au loin, car il fut merveilleusement aidé jusqu’à ce qu’il ait affermi son pouvoir.
Mais lorsqu’il eut affermi son pouvoir, son cœur s’enhardit jusqu’à entraîner sa perte. Il fut infidèle à l’Éternel son Dieu : il entra dans le temple de l’Éternel pour brûler des parfums sur l’autel des parfums. Le sacrificateur Azaryahou entra derrière lui, avec 80 sacrificateurs de l’Éternel, vaillants hommes, qui s’opposèrent au roi Ozias et lui dirent : Ce n’est pas à toi Ozias de brûler des parfums à l’Éternel, mais aux sacrificateurs, fils d’Aaron, qui ont été consacrés pour les brûler. Sors du sanctuaire, car tu es infidèle, et cela ne tournera pas à ta gloire devant l’Éternel Dieu. La colère s’empara d’Ozias, qui tenait un encensoir à la main. Comme il se mettait en colère contre les sacrificateurs, la lèpre éclata sur son front, en présence des sacrificateurs, dans la maison de l’Éternel, près de l’autel des parfums. Le souverain sacrificateur Azaryahou et tous les sacrificateurs se tournèrent vers lui, et voici qu’il avait la lèpre au front. Ils le mirent précipitamment dehors, et lui-même se hâta de sortir, parce que l’Éternel l’avait frappé. Le roi Ozias demeura lépreux jusqu’au jour de sa mort et il habita dans une maison isolée comme lépreux, car il était exclu de la maison de l’Éternel. Son fils Yotam était régent de la maison du roi et gouvernait le peuple du pays. Le reste des actes d’Ozias, les premiers et les derniers ont été écrits par le prophète Ésaïe, fils d’Amots. Ozias se coucha avec ses pères, et on l’ensevelit avec ses pères dans le champ de la sépulture des rois, car on disait : Il est lépreux. Son fils Yotam régna à sa place » (1 Ch 26).
Le récit de la vie du roi Ozias pourrait porter comme sous-titre : « grandeur et décadence d’un roi orgueilleux », ou encore : « splendeur et misère d’un monarque antique ». Le chapitre 26 du deuxième livre des Chroniques est en effet constitué de deux parties, l’une ascendante, jusqu’au verset 15, et l’autre descendante, du verset 16 à la fin du chapitre, sorte d’arche culminant autour des versets 15 et 16 où un mot revient deux fois : le mot « pouvoir », ou, plus exactement, l’expression « devenir fort, affermir son pouvoir ». Relisons ensemble ces deux phrases :
« Sa renommée s’étendit au loin, car il fut merveilleusement aidé jusqu’à ce qu’il ait affermi son pouvoir. Mais lorsqu’il eut affermi son pouvoir, son cœur s’enhardit jusqu’à entraîner sa perte » (2 Ch 26.15-16).
Quel fut exactement le péché d’Ozias, quelle fut la raison qui fit basculer vers la pente descendante la vie personnelle de celui dont le nom, en hébreu, signifie « ma force est Yahweh »? C’est ce que nous verrons, après avoir décrit la première partie du règne d’Ozias.
Le jeune Ozias, âgé d’à peine 16 ans, hérite d’une situation nationale très difficile. Son père le roi Amatsia s’est lancé dans une aventure militaire stupide contre son voisin du nord, le royaume d’Israël, et s’est retrouvé prisonnier, tandis qu’une bonne partie des murs de Jérusalem étaient mis à bas, et le trésor royal comme celui du temple, pillés par les vainqueurs. De plus, un certain nombre d’otages sont emmenés captifs à Samarie, qui est la capitale du royaume d’Israël à l’époque. Ozias devient alors régent du royaume de Juda pendant la captivité de son père.
Malgré ce début de règne si critique, le jeune roi va peu à peu, et avec une efficacité remarquable, redresser la situation nationale, par les mesures économiques et militaires qu’il prendra. Et de fait, Ozias pourrait servir de modèle à bien des gouvernants contemporains si l’on tient compte de la manière dont il favorise le développement économique de son pays. Avec sagesse, il ne se lance pas dans une entreprise de reconquête des biens perdus lors de la défaite de son père Amatsia. Au contraire, il laisse le voisin du nord tranquille, mais consolide les frontières de Juda au sud, à l’est et à l’ouest, soumettant des voisins moins puissants, mais qui avaient tiré avantage de la défaite de Juda contre Israël. Ozias profite de ce que les grandes puissances de son temps, l’Assyrie et Babylone, sont occupées ailleurs pour rebâtir des forts aux endroits stratégiques du royaume. Des fouilles archéologiques menées au cours du 20e siècle ont mis en évidence dans la partie sud de la Palestine une activité intense sur le plan de la construction et de l’urbanisme, activité datée du 8e siècle avant notre ère, c’est-à-dire de l’époque du règne d’Ozias.
Ozias est un roi qui pense et planifie à long terme. Sous son règne, l’activité minière, qui avait eu lieu du temps du roi Salomon, reprend et fleurit : près de la mer Morte, les mines de cuivre et de fer retrouvent leur activité d’antan, favorisant non seulement l’accroissement de la richesse nationale, mais aussi la production d’outillage spécialisé pour les artisans. Au sud, l’occupation du désert du Néguev ouvre des routes commerciales privilégiées avec l’Arabie, le long de la côte. Tout le commerce du Proche-Orient prenant cette direction doit désormais passer par cette route. Quant aux agriculteurs, aux fermiers, ils ont de quoi être satisfaits.
On ne recense durant cette époque aucune sécheresse dévastatrice ni inondation catastrophique, bien qu’un tremblement de terre notable soit mentionné deux fois dans les écrits prophétiques de l’Ancien Testament, tremblement de terre qui eut lieu durant le règne du roi Ozias. En revanche, l’irrigation des terres arables est grandement favorisée par le forage de puits et de citernes, permettant aux cultures de ne pas souffrir d’un climat souvent sec. Mais si les agriculteurs ont de quoi être satisfaits, c’est parce que le gouvernement central s’intéresse particulièrement à eux. Le roi lui-même est leur patron, car il aime l’agriculture et prend à son service un grand nombre d’éleveurs, de vignerons et de paysans.
Sur le plan militaire, Ozias aussi prend des mesures à long terme. Parallèlement à la reconstruction des murs de Jérusalem et à l’édification de forteresses, il écarte le danger que constituent les nations voisines en opérant à son tour des destructions dans les murs de plusieurs de leurs citadelles. Il organise avec efficacité l’armée de Juda, dont la loyauté lui est assurée, et pourvoit abondamment à l’équipement des soldats. Mais Ozias ne se contente pas d’avoir une armée nombreuse à son service. Il regarde encore plus loin, et s’intéresse aux nouvelles technologies militaires. Ce roi qui aime l’agriculture sait aussi s’entourer d’ingénieurs compétents qui vont remarquablement contribuer à la défense de la capitale Jérusalem. Des machines de guerre jusqu’à présent inconnues des autres nations vont équiper les murs de la ville, étant capables de lancer des projectiles à distance.
Nous ne sommes pas surpris de lire au chapitre 26 du second livre des Chroniques que la renommée d’Ozias s’étendit au loin. Dans toutes ses entreprises, rapporte le chroniqueur, celui dont le nom signifie « ma force est Yahweh » fut merveilleusement aidé. Il le fut tant qu’il rechercha l’Éternel, et il rechercha l’Éternel, nous est-il rapporté, du vivant du prophète Zacharie qui avait l’intelligence des visions de Dieu, c’est-à-dire qui savait recevoir et transmettre fidèlement les oracles de l’Éternel.
Quel fut donc le péché du roi Ozias, lui qui avait si bien commencé son règne et dont le nom signifie « ma force est Yahweh »? Le chroniqueur parle d’orgueil; le cœur d’Ozias s’enhardit jusqu’à entraîner sa perte. Ozias fut infidèle à l’Éternel, qui lui avait pourtant accordé beaucoup de succès. Vers l’an 750 avant Jésus-Christ, Ozias prit l’initiative d’aller brûler lui-même des parfums sur l’autel dans le Temple de l’Éternel; ce faisant, il usurpait une prérogative qui avait été expressément confiée par l’Éternel aux Lévites, comme le sacrificateur Azariahou le lui dit sans ambages.
Un lecteur superficiel dirait : « Mais qu’y avait-il de mal à vouloir brûler personnellement des parfums dans le Temple? Ozias ne faisait-il pas au contraire preuve d’une reconnaissance personnelle sincère envers l’Éternel? » Ce n’est pas ce que la Bible nous rapporte. La désobéissance d’Ozias à l’ordre de l’Éternel a bien l’orgueil du pouvoir comme cause. Ozias entre dans le Temple paré de tous ses succès terrestres, entiché de lui-même, épris de son propre pouvoir, alors que le service du Temple est un service d’humilité et de sacrifice d’expiation.
Les parfums que les sacrificateurs y offrent ont une composition spéciale qui a été dictée par l’Éternel à Moïse, et qui est exclusivement destinée au service du Temple. Au chapitre 30 du livre de l’Exode, nous lisons la prescription donnée à Moïse concernant ce parfum :
« Ce sera pour vous une chose éminemment sainte. Vous ne ferez pas de parfum de même composition pour votre usage personnel. Vous le considérerez comme une chose sainte, réservée à l’Éternel. Celui qui en fera pour jouir de son odeur sera retranché de son peuple » (Ex 30.36-38).
Durant la fête annuelle de l’expiation, l’offrande de ce parfum saint prenait une place centrale dans le culte d’Israël, comme nous le lisons au chapitre 16 du livre du Lévitique. Les seuls sacrificateurs tolérés et mandatés par l’Éternel pour ce service de l’expiation étaient Aaron et sa descendance, c’est-à-dire les Lévites. En sacrifiant un taureau devant le Tabernacle, le Lévite commis à cet office faisait l’expiation pour lui et pour sa famille. Le texte du Lévitique ajoute :
« Après cela, il prendra un plein encensoir de charbons ardents de l’autel, de devant l’Éternel, et deux pleines poignées de parfum à brûler réduit en poudre, de sorte que le nuage de fumée couvre le propitiatoire qui se trouve au-dessus de l’arche de l’alliance. Ainsi, il ne mourra pas » (Lv 16.12-13).
La sainteté de cet acte était donc entre autres scellée par l’exclusivité du sacerdoce lévitique, c’est-à-dire par le fait que seuls les Lévites étaient consacrés pour cet office d’expiation et de réconciliation.
Ce n’était donc pas une mince chose que de transgresser l’ordre établi et ordonné au peuple de l’alliance par l’Éternel lui-même. Or, voilà qu’un roi, dont la tâche et la vocation devant Dieu étaient toutes autres, usurpe une fonction qui n’est pas la sienne. Ozias entre dans le Temple avec le même esprit que Caïn, au quatrième chapitre du livre de la Genèse, apportant une offrande non pour faire l’expiation de ses péchés, mais pour montrer à Dieu ce dont il est capable. Il vient se présenter devant Dieu non pour confesser ses fautes en recourant à la médiation des sacrificateurs institués par l’Éternel pour cela, mais au contraire pour étaler son pouvoir temporel et sa puissance terrestre devant celui qui les lui a accordés dans sa grâce.
Et ce faisant, Ozias tente en fait d’instituer un nouveau type de sacerdoce : celui de l’État, qui s’autoproclame médiateur entre Dieu et les hommes, et cherche à remplacer le service de la repentance et de l’expiation, les seuls accrédités devant Dieu. Oui, l’État, le pouvoir civil, en la personne du roi Ozias, veut assumer la tâche de réconcilier ses ressortissants avec Dieu, et ce sur la base de son pouvoir terrestre. Voilà quel fut le péché d’Ozias. Voilà quelle fut la profanation du saint Temple de Dieu dans la ville de Jérusalem. Ce qui était destiné à la purification allait être employé au contraire pour un acte impur par excellence : un acte de détournement du culte au profit de la gloire terrestre d’un souverain qui oubliait d’où lui étaient venus tous ses succès, et cherchait à empiéter sur la gloire de son Dieu.
L’impureté de son acte lui sera immédiatement imputée par le Juge suprême. Malgré les injonctions du sacrificateur Azariahou, accompagné de 80 prêtres courageux qui n’entendaient pas obéir au roi plutôt qu’à Dieu, Ozias s’entêta dans son acte sacrilège et se mit en colère, ayant un encensoir entre les mains. Or, voici qu’une sorte de lèpre, maladie symbolisant par excellence l’impureté, éclate sur son visage, rendant manifeste l’impureté de son cœur. Cette fois-ci, il est emmené dehors par la force, mais n’oppose pas de résistance, car il est tout à fait conscient de ce qui lui arrive et se hâte lui-même de sortir. Sa faute le poursuivra jusqu’à sa mort, car il ne guérira jamais de cette maladie de la peau qui lui aura été infligée par l’Éternel. Et celui qui, armé de ses succès terrestres, s’était introduit illégalement dans le Temple pour y instituer une nouvelle religion, une religion d’adoration du pouvoir temporel et non de Dieu, se verra exclu pour cause d’impureté de ce temple qu’il avait profané, et ce durant le reste de ses jours. Car la lèpre, ou toute maladie de la peau lui ressemblant, était pour celui qui en était atteint une marque d’impureté et une cause d’exclusion formelle de l’accès au Temple, selon Lévitique 13 ou encore Nombres 5.
Exclus non seulement du Temple, mais forcé de vivre en marge de la communauté, selon ces mêmes prescriptions, le roi Ozias devra confier l’exercice de ce pouvoir qui l’avait rendu si orgueilleux à son fils Yotam, lequel, en tant que régent, dirigera le palais royal et gouvernera le peuple pendant les douze dernières années de la vie de son père. Yotam, lui, ne répétera pas la faute d’Ozias, et se gardera d’entrer dans le temple de l’Éternel, comme le rapporte le verset 2 du chapitre 27. La réputation d’Ozias à l’extérieur des frontières ne s’éteindra pas, et la prospérité du royaume de Juda ne se trouvera pas affectée par cet événement, pourtant, sur le plan personnel et spirituel, quel désastre pour celui dont l’autre nom, Azariah, signifie « Yahweh a aidé ».
Quelle est pour nous la leçon de ce récit provenant de l’antiquité juive? Elle est multiple. Tout d’abord, ce récit dévoile de façon exemplaire la tentation du pouvoir politique de se glorifier lui-même, et d’organiser un culte à son endroit. À cette tentation n’échappent pas toujours les gouvernements ou États qui prétendent reconnaître la souveraineté de Dieu. Cette tentation ne peut être combattue que si l’État accepte d’écouter la voix de ceux qui parlent au nom de Dieu, non pour s’ingérer dans les affaires de l’État ou pour usurper ses prérogatives, mais pour lui rappeler les principes du bien selon Dieu. Autrement, l’État, que ce soit dans la personne d’un dictateur, d’un groupe de dirigeants ou sous la forme d’une administration bureaucratique, tendra à s’offrir des sacrifices, à réclamer une allégeance absolue. Une religion de l’État, un culte de la personnalité, une idéologie officielle remplaceront la vraie religion, celle qui adore et obéit à Dieu en toutes choses.
La vraie religion comprend que le pouvoir temporel est d’abord un service, et qu’il n’a pas seulement des comptes à rendre aux citoyens d’un pays, mais qu’il est avant tout un mandat divin. L’exercice du gouvernement n’est pas seulement une affaire terrestre, il s’inspire dans chaque situation des ordonnances de Dieu, comprises et appliquées selon qu’une situation particulière le requiert. La distinction entre ce qui est bien et ce qui est mal ne peut, en fin de compte, être proclamée par l’État de manière autonome, car celui-ci est constamment exposé à la tentation de déclarer bon ce qui lui profite, ce qui lui est avantageux, ce qui renforce son pouvoir. Et pour faire admettre à ses ressortissants que ses vues sont bonnes et correctes, l’État prétend souvent jouer le rôle de médiateur entre Dieu et les hommes, puis, tout bonnement, de Dieu lui-même. En prétendant être le pourvoyeur des biens matériels, par les mesures qu’il prend, en tâchant de devenir la source première de la prospérité, l’État se prend très vite pour Dieu, et réclame une allégeance et une reconnaissance qui ne sont dues qu’à Dieu. Il devient alors une idole, probablement la plus dangereuse de toutes les idoles.
Voyons maintenant, toujours en nous inspirant du chapitre 26 du second livre des Chroniques, quel doit être le rôle de l’Église dans sa relation avec l’État, pour que celui-ci se garde de tomber dans une telle tentation, sans que celle-ci n’essaie à son tour d’usurper une fonction dans la société qui n’est pas la sienne. Nous devons réfléchir ensemble au rôle de l’Église et à sa mission vis-à-vis de l’État. Notre texte nous y invite en nous présentant deux figures : d’abord celle du prophète Zacharie, personnage mentionné uniquement dans ce passage de l’Ancien Testament (et qui ne doit pas être confondu avec le prophète du même nom, auteur d’un livre prophétique dans l’Ancien Testament). Puis celle du prêtre Azariahou, qui, avec 80 autres prêtres, s’opposa courageusement au roi venu illégalement faire l’offrande des parfums dans le Temple.
L’office de Zacharie était d’expliquer au roi Ozias la parole de l’Éternel, en particulier lorsqu’elle se présentait sous forme d’oracles. Mais en exposant aussi le contenu de la loi au roi, Zacharie lui permettait d’adopter une conduite conforme aux prescriptions de l’Éternel, prescriptions concernant la conduite du peuple et des affaires du royaume. Cet exemple nous montre que la voix des chrétiens, et en particulier des Églises, devrait être aujourd’hui entendue par les autorités publiques, dans la mesure où cette voix expose fidèlement le contenu de la Parole de Dieu et proclame ce qui est juste, droit et bon aux yeux de Dieu. Si l’Église tente de devenir un contre-pouvoir, de s’ingérer dans la tâche du gouvernement, alors elle commet en quelque sorte le péché inverse de celui du roi Ozias, péché non moins dangereux. La relation entre l’Église et l’État ne devrait pas être une relation de rivalité (l’Église tâchant d’exercer un pouvoir temporel, et l’État prétendant jouer un rôle de sauveur ou de pourvoyeur divin des biens terrestres), mais une relation de collaboration dans la reconnaissance commune que Dieu règne et gouverne chaque sphère de l’existence.
Le rôle prophétique de l’Église vis-à-vis de l’État s’exerce tout simplement lorsque la Parole de Dieu est exposée clairement et fidèlement, et aussi lorsqu’elle est appliquée avec discernement spirituel aux situations concrètes vécues par les personnes et les nations. Si l’Église ne proclame pas cette Parole dans le contexte de la vie nationale, elle faillit à sa mission prophétique. Si elle ne s’intéresse qu’à sa vie et à ses activités internes, elle perd sa saveur et ressemble alors à ce sel inutile dont nous parle Jésus-Christ dans le Sermon sur la montagne. La perspective du Royaume de Dieu, qui doit demeurer au centre de la prédication de l’Église, va bien au-delà de la sphère des activités ecclésiales, ou de l’évangélisation. Le Royaume de Dieu a trait à l’obéissance due au Seigneur dans toutes les parties de l’existence.
En ce sens, le prophète Zacharie apportait une contribution vitale au royaume de Juda, car il ne limitait pas sa prédication ou ses conseils aux activités qui se déroulaient dans le Temple de Jérusalem. Il conseillait le roi dans les affaires du Royaume, mais exclusivement comme porteur, transmetteur de la Parole divine, et non pas pour favoriser des intérêts personnels, familiaux ou d’un groupe quelconque. Nous lisons au verset 5 du chapitre 26 qu’Ozias s’appliqua à rechercher Dieu du vivant de Zacharie, qui avait l’intelligence des visions de Dieu; et tant qu’il rechercha l’Éternel, Dieu lui accorda du succès. Ceci nous confirme le rôle vital joué par Zacharie, en tant que porte-parole fidèle de Dieu, à l’égard de la prospérité du royaume de Juda. C’est après sa mort, semble-t-il, qu’Ozias commença, peu à peu, à oublier la Parole de Dieu. Mais ce verset nous indique aussi que, durant une partie de son règne, certes sous l’influence de Zacharie, Ozias lui-même rechercha l’Éternel. Et il fut couronné de succès dans ses entreprises. Les États modernes feraient bien de méditer sur un tel exemple, car une prospérité bâtie sur l’injustice ou l’oppression ne dure guère, comme tant d’exemples contemporains nous le montrent.
Le prêtre Azaryahou, quant à lui, exerce une fonction sacrée au sein du Temple. En tant que Lévite, il a été consacré médiateur entre Dieu et les hommes, car c’est lui qui apporte les sacrifices de réconciliation et accomplit les rites de purification pour le peuple. Les chrétiens savent que Jésus-Christ a aboli cet office dans la mesure où il a accompli de manière totale et définitive l’expiation et la purification des péchés. Nous ne chercherons donc pas à identifier le rôle du prêtre Azariahou à un quelconque office dans l’Église d’aujourd’hui, car cela serait nier le sacerdoce parfait du Christ. Mais la figure d’Azariahou nous intéresse dans la mesure où lui-même et les 80 prêtres qui le suivent font preuve d’un courage notable en opposant une résistance à un roi pourtant puissant, et ce pour maintenir l’intégrité du culte du Temple et l’honneur de l’Éternel : « Sors du sanctuaire, car tu es infidèle, et cela ne tournera pas à ta gloire devant l’Éternel Dieu », dit Azariahou au roi présomptueux.
Ce courage devrait être exemplaire pour l’Église d’aujourd’hui, car il indique que le grand-prêtre n’est pas prêt à opérer un compromis devant l’audace du roi. L’autorité de Dieu demeure pour lui au-dessus de celle de son roi, même si celui-ci peut lui faire payer cher son opposition. Au cours des vingt derniers siècles, combien de martyrs n’ont-ils pas dû payer de leur vie même leur fidélité totale à leur Seigneur et Sauveur? Cela commença sous l’Empire romain, lorsque les empereurs païens exigeaient de tous leurs sujets une adoration visible, comme on adore un dieu. Le pouvoir de Rome, l’unité de l’empire leur faisaient exiger une telle allégeance. Les chrétiens ne pouvaient s’y soumettre, non pas parce qu’ils cherchaient à renverser le pouvoir politique d’alors, mais parce que, tout en restant obéissants aux autorités qu’ils reconnaissaient être instituées par Dieu, ils n’étaient pas prêts à confondre le pouvoir temporel avec le pouvoir éternel de Dieu.
Un autre aspect devrait retenir notre attention dans le texte qui nous occupe : c’est celui de la prospérité matérielle de Juda, qui favorisa sans doute l’infidélité du roi. D’abord, un passage parallèle dans le deuxième livre des Rois, au chapitre 15, nous indique que si Ozias fut, du moins au début de son règne, fidèle à l’Éternel, il ne fit pas disparaître les hauts lieux où le peuple offrait encore des sacrifices et des parfums. Ceci indique que le peuple n’était pas prêt à obéir aux prescriptions de l’Éternel pour son culte. La prospérité matérielle croissante de Juda sous le règne d’Ozias et l’allégeance politique au roi qui semble en avoir été le corollaire influencèrent peut-être Ozias dans sa tentative d’établir une sorte de religion civile où lui-même jouerait un rôle de médiateur proéminent.
Lorsque nous lisons l’Ancien Testament, nous découvrons un autre prophète qui prophétisa aussi sous le règne d’Ozias, le prophète Amos, qui commença son ministère deux ans avant le tremblement de terre qui eut lieu sous ce règne. Amos prophétisera surtout en Israël, mais il est originaire de Tekoa, un village de Juda situé non loin de cette Chephéla où le roi possède un cheptel très important. Amos, lui-même éleveur, a vu la mentalité du peuple, et il dénonce déjà un culte nationaliste arrogant, qui ne date pas de son temps, mais qui se poursuivra pendant quelque deux siècles, et sera dénoncé par d’autres prophètes, comme Jérémie ou Ésaïe. Nous lisons au deuxième chapitre du livre d’Amos les paroles suivantes, qui concernent Juda :
« Ainsi parle l’Éternel : À cause de trois crimes de Juda, même de quatre, je ne révoque pas mon arrêt : parce qu’ils ont rejeté la loi de l’Éternel, et qu’ils n’ont pas gardé ses préceptes, parce qu’ils se sont laissé égarer par les mêmes mensonges auxquels leurs pères s’étaient ralliés, j’enverrai le feu contre Juda, et il dévorera les donjons de Jérusalem » (Am 2.4-5).
Ainsi, alors qu’Ozias fortifiait Jérusalem au moyen de défenses militaires remarquables et inconnues des autres nations de son temps, le prophète Amos n’hésitait pas à prophétiser la destruction des murailles de la ville, à cause de la désobéissance du peuple. Aucune aide technologique ou militaire ne saurait empêcher un désastre national, fruit du jugement de l’Éternel sur la désobéissance de son peuple. Un tel désastre allait se produire quelque 200 ans plus tard, en 587 avant Jésus-Christ, comme nous l’avons vu dans un autre article1.
La leçon pour nous aujourd’hui rejoint ce que nous avons dit précédemment : à savoir que la prospérité économique peut conduire à l’élaboration d’un culte nationaliste, orgueilleux et infidèle à Dieu : il s’agit alors d’une religion civile qui a pour centre non plus Dieu, mais le bien-être matériel du peuple et l’unité politique d’un État. Le nom de Dieu est bien invoqué, mais il est devenu entre-temps une idole fabriquée par les hommes au service de leur propre intérêt. C’est justement contre de telles dérives que l’Église fidèle devrait faire entendre sa voix sans compromission, avec le courage du prêtre Azaryahou ou du prophète Amos.
Pour nous qui lisons aujourd’hui le récit du livre des Chroniques concernant le règne du roi Ozias, nous savons que l’office de roi, de prêtre et de prophète est détenu par le Fils unique de Dieu, Jésus-Christ, dont nous sommes les membres. Il nous invite à une obéissance renouvelée, car si le Temple de Jérusalem a bien disparu, chacun de ceux qui croient en lui, et qui sont de ce fait greffés en lui par le Saint-Esprit au moyen de la foi, est devenu le temple vivant de Dieu. Vous et moi sommes le temple de Dieu, et nous avons le devoir de ne pas le laisser profaner par les idéologies que les uns et les autres essaient d’imprimer dans nos cœurs et nos pensées. Nos vies, nos actions et nos pensées doivent rester saintes, même et surtout quand les Ozias modernes tentent de s’infiltrer dans nos cœurs pour que des sacrifices d’adoration leur soient adressés, sous un prétexte ou sous un autre.
Concluons donc cette méditation consacrée au chapitre 26 du deuxième livre des Chroniques en lisant ensemble les paroles d’un autre prophète de l’Ancien Testament qui commença son ministère prophétique à la toute fin du règne d’Ozias, c’est-à-dire vers l’an 739 avant Jésus-Christ : il s’agit du prophète Ésaïe, qui rapporte comment, au cours d’une vision, il vit le Seigneur dans son Temple, ce même Temple où Ozias avait été frappé par la lèpre, devenant impur pour le reste de ses jours :
« L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône très élevé, et les pans de sa robe remplissaient le temple. Des séraphins se tenaient au-dessus de lui; ils avaient chacun six ailes : deux dont ils se couvraient la face, deux dont ils se couvraient les pieds, et deux dont ils se servaient pour voler. Ils criaient l’un à l’autre et disaient : Saint, saint, saint est l’Éternel des armées! Toute la terre est pleine de sa gloire! Les soubassements des seuils frémissaient à la voix de celui qui criait, et la Maison se remplit de fumée. Alors je dis : Malheur à moi! Je suis perdu, car je suis un homme dont les lèvres sont impures, j’habite au milieu d’un peuple dont les lèvres sont impures, et mes yeux ont vu le Roi, l’Éternel des armées. Mais l’un des séraphins vola vers moi, tenant à la main une braise qu’il avait prise sur l’autel avec des pincettes. Il en toucha ma bouche et dit : Ceci a touché tes lèvres; ta faute est enlevée, et ton péché est expié » (És 6.1-7).
1Voir mon article La chute de Jérusalem.