Cet article a pour sujet certains traits de caractère que le chrétien doit posséder à la ressemblance de Jésus: faire preuve de compassion sans chercher à plaire ni à être approuvé, mais être avisé, intègre, irréprochable, cherchant à plaire à Dieu.

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Le chrétien doit-il être sympathique?

Le chrétien doit-il être sympathique? Curieuse question. Posons-nous aussi celle-ci : Jésus était-il sympathique? On a envie spontanément de répondre oui… avant de réfléchir. Comment le savoir? Et puis, est-ce important? D’un point de vue doctrinal, je ne suis pas certain que cette interrogation soit capitale. Encore que… Mais d’un point de vue pratique, je crois que cela a du sens. Jean écrit en effet que le chrétien « doit marcher aussi comme [Jésus] lui-même a marché » (1 Jn 2.6). Paul dit que nous devons avoir l’attitude, la disposition d’esprit qui étaient celles de Jésus (Ph 2.5). On pourrait donc demander : Le chrétien doit-il être sympathique? Je pense que c’est une question qui mérite d’être posée, et que la réponse — qui ne sera sans doute pas en oui ou en non — ne va pas de soi.

Le mot « sympathique » a assurément une consonance positive. Pour certains, cela suffira pour répondre d’emblée oui à notre question : Jésus était sans aucun doute un homme éminemment sympathique, et le chrétien devrait l’être aussi. Soyons-le donc! Je pense que c’est là le mot d’ordre conscient ou inconscient qu’ont adopté beaucoup de chrétiens.

Cependant, avons-nous tracé une ligne claire en ayant dit cela? Pas vraiment, car le mot « sympathique » a une multitude de sens selon la personne qui l’utilise et selon le contexte.

1. Jésus était-il compatissant?🔗

Tout le monde sait que ce mot a la même étymologie que « compatissant » qui signifie : disposé à souffrir avec celui qui souffre. Ce sens convient parfaitement à la personne de Jésus qui, à maintes reprises, a été ému de compassion : devant la foule, devant les personnes malades, infirmes, en deuil… Si « sympathique » signifie : qui se laisse toucher, Jésus l’était, c’est certain. Le père du fils prodigue a également été ému de compassion, le Samaritain de la parabole aussi. Le chrétien peut l’être, doit l’être, lui dont le cœur a été touché par l’amour immense et totalement immérité de Dieu, révélé en Jésus-Christ. Normalement, cet amour a (au moins) fissuré les protections qui nous isolent et nous a rendus accessibles à la peine des autres. Cet amour nous a (faut-il dire : normalement?) rendus capables de « pleurer avec ceux qui pleurent » — notamment dans le cadre de la communauté chrétienne (Rm 12.15; 1 Co 12.26), mais pas seulement. Quand ai-je pleuré pour la dernière fois, et pour qui était-ce?

Le mot sympathique a aussi d’autres sens dans le langage courant. Regardons le dictionnaire des synonymes.

2. Chercher à plaire?🔗

Il signifie agréable, attirant, séduisant. Jésus l’était-il? Il est plutôt décrit comme quelqu’un qui n’avait « ni beauté ni éclat pour attirer les regards, et son aspect n’avait rien pour nous plaire »; il était même « semblable à celui dont on détourne le visage » (És 53.2-3). Dans ce sens-là, Jésus n’était donc pas particulièrement sympathique. Il faudrait donc chercher ailleurs les raisons qui ont conduit de nombreuses personnes (des foules, parfois) à aller vers lui pour l’écouter.

« Sympathique » signifie aussi exquis, chaleureux, convivial. Jésus l’a-t-il été? Parfois, sans aucun doute. Mais était-ce un trait marquant de sa personnalité? Était-ce ce que l’on retenait de lui? Rien n’est moins sûr. En tout cas, ce n’est pas ce qui ressort des récits des Évangiles. Certes, de nombreuses personnes ont été bouleversées de l’avoir rencontré, comme la femme samaritaine, le lépreux guéri et bien d’autres. Mais ce ne fut pas le cas de tous. Souvent, l’attitude de Jésus, ses paroles, ont plutôt suscité l’étonnement, l’incompréhension et parfois l’irritation.

3. Rien à vendre🔗

Jésus avait-il donc un tempérament changeant? Sans doute pas, mais son comportement a beaucoup varié selon les personnes qu’il avait en face de lui. Il était capable de compassion, nous l’avons dit, mais aussi de tristesse parfois, de lassitude à d’autres moments, de colère même, y compris avec ses proches. On a même l’impression qu’à certains moments, Jésus a tout fait pour dissuader qu’on le suive. Dans ce sens-là, Jésus n’était pas un « commercial » : il n’avait rien à vendre, pas plus que Jean-Baptiste qui prêchait… dans le désert.

Jean résumera cela d’une manière lapidaire : la lumière est venue dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas reçue (Jn 1.5, 11). Certes, ce n’est pas là tout l’Évangile, mais c’est ainsi que les choses se sont passées.

Cela nous concerne-t-il? Assurément. En effet, si aucun de nous n’est le Christ, tous ceux qui sont liés à lui se trouvent dans une situation semblable à la sienne. « Qui vous reçoit me reçoit et celui qui me reçoit reçoit celui qui m’a envoyé » (Mt 10.40). « S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi; s’ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre » (Jn 15.20). « Le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde » (Jn 17.14). « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20.21).

4. Avisé et vrai🔗

Comment Jésus envoie-t-il ses disciples dans le monde? « Comme des brebis au milieu des loups » (Mt 10.16). Être sympathique n’est peut-être pas l’injonction prioritaire, contrairement à ce que beaucoup semblent croire. Dans ce contexte, la recommandation de Jésus est double : « Soyez prudents comme des serpents et simples comme des colombes » (Mt 10.16). Le mot « prudent » signifie réfléchi, avisé (le contraire de naïf); le mot « simple » signifie sans mélange, intègre, vrai. Dans les versets qui suivent, Jésus parle de persécution.

Ce qui ressort de cela, c’est que la position du chrétien dans ce monde est tout à fait spécifique, comme le fut celle de Jésus-Christ. Cette position est certes caractérisée par des éléments extrêmement positifs : porteurs de lumière, de la bonne odeur du Royaume de Dieu, de l’eau fraîche d’une vie impérissable, de paroles qui nourrissent, qui bénissent. Toutefois, notre position est aussi caractérisée par d’autres éléments qui sont au contraire ardus et même périlleux. « Malheur, lorsque tous les hommes diront du bien de vous… » (Lc 6.26). Quel avertissement étonnant, paradoxal, quand on se souvient que nous devons être « irréprochables vis-à-vis de ceux du dehors » (Ph 2.15; 1 Pi 2.12)!

Irréprochables ou sympathiques? Ce n’est pas tout à fait la même chose. La pression du monde est forte pour nous convaincre d’être avant tout sympathiques. La tentation de la chair nous chante une chanson comparable, du dedans cette fois. Le désir d’être appréciés, aimés, compris, approuvés, rejoints… dessine sur nos visages et met dans nos bouches tous les atours de la sympathie. Ainsi fonctionnent les présentateurs d’émissions à la télévision. L’Évangile n’est-il pas une bonne nouvelle, dans ce monde anxieux? On n’attire pas les mouches avec du vinaigre, dit-on.

5. Plaire à Dieu🔗

Le mot « irréprochable » nous semble avoir l’odeur du vinaigre. C’est dommage. Est irréprochable celui qui cherche à plaire à Dieu (1 Th 4.1). Est-ce négatif? Par exemple, celui qui reconnaît sa faute est irréprochable. Nous devons tous l’être. Nous pouvons tous l’être. Cela nous rendra-t-il tristes? Parfois oui, comme Jésus l’a été. Mais Jésus pouvait dire aussi que sa joie était parfaite, même si son visage ne le montrait pas toujours.

On a parfois créé un Évangile au sein de l’Évangile en retenant les paroles positives, les paroles de Jésus agréables à entendre — pas toujours bien comprises, d’ailleurs. Un peu comme dans la vitrine d’une boutique dans laquelle on présenterait les articles qui vont attirer le client; un peu comme on met du sucre et de la couleur autour d’un médicament pour qu’il passe mieux. Jésus et les apôtres ont-ils agi comme cela? Ont-ils cherché à plaire aux hommes (Ga 1.10), à attirer à eux? Ont-ils usé de séduction pour toucher plus de monde? Nous ne le voyons jamais.

Plaire à Dieu a été le mot d’ordre de Jésus et celui des apôtres (Jn 8.29; Ac 4.19; 5.29). Même si certains religieux insensés en font un mauvais usage, cette devise est magnifique. Si j’étais propriétaire, je crois que je l’inscrirais sur le mur de ma maison. Elle me délivrerait sans doute de cette question finalement déplacée : Jésus était-il sympathique?