Les dix commandements (10) - Le huitième commandement
Les dix commandements (10) - Le huitième commandement
« Tu ne commettras pas de vol. »
Exode 20.15
Nous en arrivons au huitième commandement du Décalogue : « Tu ne commettras pas de vol. » À ce sujet, le Catéchisme de Heidelberg demande à la question 110 : « Que Dieu défend-il dans le huitième commandement? » Il y répond de la manière suivante :
« Dieu défend non seulement le vol et le pillage que punit le magistrat, mais aussi tous les mauvais moyens et desseins par lesquels nous essayons de nous emparer du bien de notre prochain, que ce soit par violence ou tricherie (comme par de faux poids, de fausses mesures, de faux métrages, de fausses marchandises, de fausses monnaies, par usure) ou par tout autre moyen défendu par Dieu; il nous interdit aussi toute avarice et tout gaspillage de ses dons. »
Le huitième commandement, si l’on cherche à bien en saisir la portée, défend bien plus que le simple vol à l’étalage, les cambriolages ou les larcins des pickpockets. Il a trait à toutes sortes de pratiques courantes dans la société, dans le monde du travail, du commerce et de la finance publique ou privée. À la racine de toutes ces pratiques malhonnêtes se trouve une idolâtrie fondamentale : celle qui consiste à croire que le monde nous appartient et que nous pouvons en disposer comme bon nous semble. La Bible, au contraire, enseigne que le possesseur et maître de l’univers tout entier en est son Créateur, le Dieu qui déclare au Psaume 24.1-2 :
« La terre et ses richesses appartiennent à l’Éternel. L’univers est à lui avec ceux qui l’habitent. C’est lui qui a fondé la terre sur les mers, qui l’a établie fermement au-dessus des cours d’eau. »
Voyez-vous, nous autres humains, créatures passagères sur cette terre, ne sommes que les dépositaires, mandataires et gérants de cette possession qui appartient exclusivement à Dieu. Tout ce que nous possédons, dûment et légalement, est à Dieu, qui nous le confie et nous demande de le gérer au mieux. Celui qui dérobe commence par nier que Dieu est le possesseur de toutes choses et qu’il peut les donner à qui il lui plaît. Dans son for intérieur, une telle personne agit avec la pensée mensongère et orgueilleuse qu’elle a le droit et le pouvoir de disposer de toutes choses, même de ce qui ne lui appartient pas. Le huitième commandement ne vise donc pas seulement à protéger chacun contre une spoliation malfaisante opérée par quelqu’un d’autre, mais, davantage encore, à affirmer que Dieu est le propriétaire exclusif de sa création.
Notez que le Catéchisme applique aussi le huitième commandement aux actes que le magistrat (c’est-à-dire l’autorité publique) ne punit pas, ou peut-être qu’il ne voit pas. Comme pour les autres commandements, une transgression vis-à-vis de la loi de Dieu n’est pas tout acte punissable par la loi, mais tout acte, pensée ou intention qui transgresse la volonté de Dieu. Il y a là une différence de taille! Autrement, il suffirait de se dire que tant que nous ne nous faisons pas prendre ou arrêter par les autorités publiques, nous ne transgressons pas le commandement de Dieu. La loi divine juge des pensées et intentions les plus secrètes, celles qu’aucun autre être humain ne peut percevoir.
Mais revenons aux pratiques commerciales malhonnêtes que mentionne le Catéchisme : faux poids, fausses mesures, toute tromperie sur la qualité et la quantité d’une marchandise. Il faut naturellement étendre cette sorte de vol à la mauvaise qualité de services rendus contre paiement. Le Ccatéchisme parle aussi de fausses monnaies. S’agit-il seulement des fausses monnaies fabriquées secrètement par de faux-monnayeurs? Que penser de l’activation de la planche à billets par les gouvernements, lorsque cela leur permet de couvrir artificiellement les déficits publics? Cette monnaie est alors complètement dévalorisée, au détriment de ceux qui ont travaillé dur pour gagner un salaire mérité.
Le Catéchisme parle aussi de l’usure, c’est-à-dire des prêts à un taux d’intérêt extrêmement élevé, qui enfonce dans une dette insurmontable ceux qui sont réduits à faire de tels emprunts. Très souvent, il ne s’agit pas de cas isolés, d’individus soit irresponsables soit forcés par des accidents financiers à recourir à ces emprunts; il s’agit de l’ensemble des habitants d’un pays n’ayant accès à aucune autre forme de crédit que celui alloué par les banques. Celles-ci suivent le taux imposé par la banque centrale de leur pays : taux excédant souvent vingt pour cent. Les causes de ces taux d’intérêt si élevés sont diverses, et sont liées entre autres à la politique économique d’un État, ou à la spéculation financière internationale ainsi qu’à bien d’autres facteurs, souvent difficiles à déterminer avec précision. Quoi qu’il en soit, partout où un profit substantiel est effectué soit par des individus soit par des institutions financières grâce à des taux d’intérêt si élevés qu’ils asservissent littéralement ceux qui sont forcés d’y avoir recours, nous avons affaire à une violation du huitième commandement.
Dans la pratique commerciale moderne, on parle même de « vendre de la dette », c’est-à-dire que les fournisseurs d’un produit, par exemple les compagnies qui vendent des voitures, développent des techniques commerciales de plus en plus raffinées pour faire en sorte que leurs clients s’endettent à plus long terme, et payent donc davantage d’intérêts sur la somme qu’ils empruntent. Dans bien des pays dits développés, chacun peut dépenser des sommes énormes qu’il n’a pas en sa possession, grâce au système du crédit. Les nations les plus riches sont aussi les plus endettées, mais bénéficient de ce crédit et continuent leur politique économique d’endettement sans se soucier de rembourser leur dette publique. On est en droit de se demander dans quelle mesure les biens matériels acquis de cette manière le sont en violation du huitième commandement.
Mais parlons maintenant de la loterie. Le Catéchisme nous dit que Dieu défend aussi tous les mauvais moyens et desseins par lesquels nous essayons de nous emparer du bien de notre prochain, que ce soit par violence ou tricherie. Le loto, ou la loterie, font-ils partie de ces mauvais moyens et desseins? Oui, à n’en pas douter, car ce jeu collectif pour acquérir de l’argent sans l’avoir gagné par son propre travail est basé sur la perte subie par les autres joueurs. Bien sûr, tous les joueurs savent qu’ils risquent de perdre leur mise, et celle-ci est souvent modeste. Chaque joueur accepte les règles du jeu. Mais un tel profit est basé sur la convoitise de biens acquis sans aucun effort, sans aucune gestion saine, sans aucune créativité. Chacun espère seulement qu’il tirera le numéro gagnant et que tous les autres joueurs perdront pour que lui seul gagne. Le fait que tous les joueurs acceptent la règle du jeu ne rend pas cette convoitise de l’argent des autres moins coupable. L’addition des convoitises individuelles ne fait pas de chacune d’entre elles une pensée moins coupable.
D’autre part, le jeu, sous forme de loterie ou sous toute autre forme, devient souvent un véritable esclavage, à la même échelle que la consommation de drogues ou la pornographie. Les plus pauvres sont aussi ceux qui, par espoir de gagner, misent et perdent la plus grande partie de leurs maigres ressources. Ils les gaspillent et privent ainsi leur famille de leur subsistance. Le jeu encourage la paresse et nourrit l’espoir d’un gain hypothétique. Qui s’enrichit vraiment dans cet infect trafic? Bien sûr les organisateurs, ceux qui ne perdent jamais, mais retirent à tous les coups un profit de la perte des autres. Que dire de l’État qui est le plus souvent le gérant des loteries? Il est le plus grand voleur. Souvent, pour justifier son engagement, il prend pour prétexte le financement d’œuvres charitables ou de projets utiles à la collectivité nationale. Quel mensonge! Comment peut-on prétendre aider une partie des pauvres en incitant d’autres pauvres à s’appauvrir davantage?
Un autre point que le Catéchisme souligne est celui du gaspillage des dons accordés par Dieu. En d’autres termes, la mauvaise gestion aboutissant à la perte de biens qui auraient pu profiter à certains. Gaspillage de la nourriture, comme il est pratiqué à grande échelle dans les pays riches, gaspillage des ressources naturelles, des deniers publics. Et, au-delà même des ressources matérielles, gaspillage des talents et dons individuels, mal appliqués ou perdus; gaspillage de l’énergie et de la créativité individuelle pour des actions ou entreprises qui ne profitent à personne.
Quant à l’avarice, également mentionnée par le Catéchisme, elle est l’expression même de l’attitude mentionnée au début de cet article et qui consiste à se croire le propriétaire de tous les biens du monde. Acquérir toujours plus de richesses, sans partager quoi que ce soit ou faire bénéficier quiconque de ces richesses, est le signe d’un égoïsme profond et d’une incapacité à aimer son prochain. Au fond, l’avare travaille à la destruction de son prochain, dont il dénie implicitement, par son comportement, le droit d’exister à côté de lui. Pour l’avare, aucune relation humaine avec les autres n’est possible. Un jour que quelqu’un lui a demandé d’intervenir pour que l’héritage de son père soit partagé justement entre lui et son frère, Jésus-Christ a averti ses auditeurs : « Gardez-vous avec soin du désir de posséder, sous toutes ses formes, car la vie d’un homme, si riche soit-il, ne dépend pas de ses biens » (Lc 12.15). Et Paul avertit également les chrétiens de Corinthe sur la même question, en leur écrivant que ni les voleurs ni les avares n’auront part au Royaume de Dieu (1 Co 6.10).
Dans un autre article, nous continuerons à réfléchir sur les implications du huitième commandement, à la lumière du Catéchisme de Heidelberg.