La foi inscrite dans le temps
La foi inscrite dans le temps
Psaume 73
Jacques 5.7-11
Matthieu 5.4
Heureusement qu’on ne sait pas ce qui nous arrivera plus tard, n’est-ce pas?
Que ce soit dans une heure, trois jours ou dix ans. Tous ceux qui sont morts ne pensaient pas nécessairement qu’ils mourraient le matin en se levant… Heureusement qu’on ne sait pas l’heure ni les circonstances de notre mort… ou même d’autres choses qui peuvent arriver.
Ils sont fous ceux qui pensent trouver une consolation en cherchant à connaître ce qui arrivera. Comment, en effet, porter en même temps la peine du jour présent et celle des temps à venir? C’est pour cela que Jésus a dit (c’est lui qui l’a dit) : « À chaque jour suffit sa peine » (Mt 6.34).
Remarquez que Jésus ne dit pas si cette peine (de travail ou de tristesse) sera petite ou grande…; mais il dit que si on attache son cœur à répondre à la volonté de Dieu, le secours, le soutien, la force, la consolation seront donnés au jour le jour, sans qu’il en manque rien. Il ne dit pas que la peine — petite ou grande — sera ôtée; il dit que la force et le secours correspondront exactement. Il y aura la peine et la force donnée, la force reçue, afin que nous puissions la supporter et demeurer dans la foi.
Il est vrai qu’il peut arriver — assez souvent même — que nous ayons l’impression que ce n’est pas le cas, comme dans le Psaume 73 où le psalmiste (qui est un croyant) ne comprend pas. Il semble que c’est « n’importe quoi », le contraire de ce qui devrait arriver… Oui, il peut bien sembler ainsi, et même pendant assez longtemps parfois. Et cela constitue une épreuve redoutable. Eh bien, même pendant ce temps-là, la force est donnée, exactement, dès lors qu’on demeure attaché au Seigneur, acceptant de ne pas tout comprendre, acceptant qu’un travail s’opère mystérieusement, pour un fruit qui paraîtra un jour, comme un signe du Royaume de Dieu.
Est-ce que nous pouvons dire ceci : Par la grâce de Dieu, les joies nous rapprochent de Dieu et les peines aussi. On ne peut pas le dire légèrement, n’est-ce pas? Mais est-ce qu’on peut le dire?
Je voudrais poursuivre notre écoute de la Parole de Dieu avec cette béatitude prononcée par Jésus : « Heureux les affligés, heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés » (Mt 5.4).
Comme toujours ou presque dans la Bible, c’est une parole qui s’adresse aux croyants. Le contexte nous invite à comprendre ainsi : Heureux ceux qui pleurent et qui se confient en Dieu… (voir le verset 11). Ainsi, cette parole de Jésus nous dit déjà deux choses :
- ceux qui se confient en Dieu pourront pleurer eux aussi; ils sont sur la terre comme les autres;
- le mot « heureux » n’est pas « inconditionnel » (comme on dit aujourd’hui); il s’applique aux chrétiens.
Le mot « heureux » signifie quelque chose comme : « Courage! » Le sens de cette parole est celui-ci : chrétiens et non-chrétiens sont soumis aux mêmes épreuves, bien souvent. Ils vont pleurer de la même manière, avec les mêmes peines — et pourtant, leur situation présente et future est toute différente, à tel point qu’on peut dire des chrétiens qu’ils sont (et ils peuvent se considérer eux-mêmes) heureux, même s’ils pleurent. En effet, Jésus dit bien : « Heureux dès maintenant, ceux qui pleurent! » Et il nous dit pourquoi : « Car ils seront consolés. »
Je trouve bouleversant que le mot « consolation » se trouve dans la Bible. Il nous dit que nos peines, nos combats ne sont pas ignorés. Ils sont connus de Dieu. Ils sont pris en compte. Dieu sait! (Mt 6.32). Quel mot nous rejoint mieux que le mot consolation! Nous savons que le péché irrite Dieu, nous savons qu’il y a de la colère en Dieu contre les pécheurs. Mais il y a aussi de la consolation : le Saint-Esprit est appelé Consolateur. Je vous enverrai un autre Consolateur, nous dit Jésus, qui sera toujours avec vous (Jn 14.26).
Jésus dit : « Heureux maintenant ceux qui pleurent », mais le verbe consoler est employé au futur : « Ils seront consolés. » Comment comprendre cela?
Dans la Parole de Dieu, les prophéties, les promesses de Dieu ont généralement trois temps d’accomplissement.
1. Le premier temps d’accomplissement, c’est le présent. En un sens, dans la Bible, le futur commence maintenant. C’est en ce moment. C’est tout de suite. C’est pendant que je pleure. Je pleure… dans les bras de celui qui m’aime. Cela peut bien arriver, n’est-ce pas? Cela concerne ceux qui, en devenant chrétiens, ont reçu l’Esprit de Dieu dans leur cœur, l’Esprit que Jésus a appelé le Consolateur; l’Esprit qui verse en nous l’amour de Dieu (Rm 5.5); l’Esprit qui témoigne à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu (Rm 8.16).
Le récit de l’Évangile nous parle de Rachel qui a perdu ses enfants et qui n’a pas voulu être consolée (Mt 2.18). Le refus d’être consolé peut être une tentation. Une tentation pathologique ou une tentation de rébellion. Ce n’est pas que sa peine était trop grande (elle était grande, certes!), mais c’est qu’elle a refusé d’être consolée. Ne refusons pas d’être consolés tout de suite, même si la peine doit aussi se prolonger encore.
2. Le deuxième niveau d’accomplissement, c’est dans le temps. Dieu peut agir dans l’instant, mais souvent il agit dans le temps. La cicatrice guérit peu à peu, des paroles de grâce sont données, des leçons sont apprises, la maturité grandit, des joies nouvelles sont accordées. La consolation de Dieu fait son œuvre progressivement, profondément, pas après pas. Nous aimons ce qui arrive vite, mais la pédagogie de Dieu met à profit le temps qui nous est donné, pour peu que notre cœur soit sensible à la grâce, cette grâce qui peut se manifester de tant de manières.
Ici résonnent les mots patience et persévérance qui accompagnent la foi et qui finissent par porter de si beaux fruits. Ici intervient une acceptation : pendant le temps de notre pèlerinage sur cette terre, les joies et les peines vont se côtoyer, vont cohabiter, et cela n’est pas contraire à la foi ni à la grâce de Dieu. Cela est dû au fait qu’il y a tout à la fois des sujets de joie et des sujets de peine, et que nous sommes sensibles aux deux. Même si nous sommes chrétiens.
3. Le « ils seront consolés » annoncé par Jésus désigne un ultime moment de consolation : lorsque nous serons réunis au Seigneur, après la résurrection. Ce moment-là ne rend pas moins importants les deux autres dont nous avons parlé, mais il en constitue l’achèvement. La consolation reçue maintenant et la consolation reçue avec le temps qui s’écoule sont véritables, elles sont un avant-goût, des prémices qui permettent de tenir jusqu’au bout et de porter déjà des fruits de reconnaissance. C’est pourquoi Jésus dit : « Heureux [dès maintenant] ceux qui pleurent [et qui se confient en Dieu] ». Mais la pleine consolation sera apportée au dernier jour, quand « Dieu essuiera toute larme de nos yeux » (Ap 7.17).
En tant que chrétiens, nous appartenons à deux histoires qui se superposent : l’une appartient au temps et l’autre à l’éternité. Nous ne pouvons renier ni l’une ni l’autre. L’éternité commence dès maintenant en Jésus-Christ; mais elle continue à s’écouler dans ce temps qui passe et qui est bien souvent chaotique. Nous sommes comme des barques agitées sur les flots, mais nous avons une ancre pour nos âmes, une ancre solide et sûre qui s’appelle l’espérance (Hé 6.19).
Quand l’apôtre Paul parle « des légères afflictions du temps présent » (2 Co 4.17), il sait qu’en réalité elles ne sont pas légères — en tout cas pour certaines —, mais il les appelle ainsi en comparaison avec la parfaite consolation et la parfaite restauration dont nous serons l’objet. C’est ce que dit Jésus avec cette béatitude : « Heureux ceux qui pleurent et qui se confient en Dieu, car ils seront consolés. »