Cette fiche de formation a pour sujet le passage de la doctrine à l'application pastorale. Notre position en Christ a des implications pratiques pour la marche du chrétien. Les pasteurs et les anciens doivent poser de bonnes questions en lien avec les doctrines et les situations.

Source: L'implication pastorale des doctrines. 11 pages.

L'implication pastorale des doctrines (3) - De la doctrine au travail pastoral

  1. Une démarche inhérente à la foi chrétienne
    a. Demeurer en Christ, marcher comme lui
    b. La doctrine a des implications pratiques
  2. Poser les bonnes questions
    a. Faudrait-il plutôt partir des doctrines ou des situations rencontrées?
    b. Dans cette situation, le problème est-il dû à un manque d’enseignement ou à un manque d’obéissance?
    c. Maintenant que j’ai observé et écouté, quelle doctrine de l’Écriture se trouve concernée par cette situation? Y en a-t-il une ou plusieurs?
    d. Quelle est l’application pour la vie personnelle? La vie familiale? L’Église locale? La cité?
    e. Cela est-il porteur de consolation, de protection, de repos? Porteur d’appel à prendre courage, à servir, à persévérer?
    f. La prière : repentance et consécration
  3. Annexe – Poser les bonnes questions – Abrégé

1. Une démarche inhérente à la foi chrétienne🔗

a. Demeurer en Christ, marcher comme lui🔗

Nous allons nous pencher quelques instants sur le lien qui existe entre la position et la marche du chrétien. Puis nous chercherons les questions qui devraient être posées pour articuler correctement ces deux niveaux incontournables.

Je rappelle ici l’attitude des Frères de la vie commune qui, au 15siècle, recommandaient de ne jamais étudier la Bible si ce n’était pour la mettre en pratique. La Bible elle-même indique clairement ce chemin : « la connaissance enfle, mais l’amour édifie » (1 Co 8.1); l’amour ne consiste « pas en paroles seulement, mais en action et en vérité » (1 Jn 3.18; voir Mt 7.21, 24; Jc 1.22). « Celui qui dit qu’il demeure en Jésus-Christ doit marcher aussi comme il a marché lui-même » (1 Jn 2.6).

Nous avons vu que les doctrines et le travail pastoral ne peuvent pas être davantage séparés dans la vie de l’Église que la position et la marche pourraient l’être dans la vie du chrétien. Le principe clé est celui-ci : pas de doctrine sans implications de nature pastorale; pas d’engagement pastoral indépendamment des doctrines.

Dans les lettres apostoliques, une grande place est consacrée à des questions tout à fait pratiques liées justement à « la marche avec le Seigneur », au niveau individuel, familial, communautaire et même social1.

Nous pouvons voir des questions aussi concrètes que le vêtement ou la place des femmes (1 Co 11; 1 Tm 2), la manière d’accueillir les personnalités dans les assemblées (Jc 2.1-4), les querelles internes dans l’Église (1 Co 3.3) ou la soumission des serviteurs à leurs maîtres (1 Pi 2.18-25) être reliées à des affirmations théologiques tout à fait primordiales comme la création, la chute, la Trinité, la prédestination ou le Royaume de Dieu (1 Co 11; 1 Tm 2; Jc 2).

Dans le développement sur les viandes sacrifiées aux idoles, par exemple, nous voyons l’apôtre Paul commencer par le rappel d’un principe théologique : il y a un seul Dieu et les idoles ne sont que néant (1 Co 8.4-6). Puis, il se réfère à sa propre expérience : savoir renoncer à ses droits et se faire tout à tous, mettant en avant la dimension du service (1 Co 9). Enfin, il tire les leçons de l’expérience biblique du peuple d’Israël au désert (1 Co 10.1-13) et donne des recommandations pour la pratique de la cène (1 Co 10.23-33).

L’objectif de la doctrine est toujours de ramener à un repos, quand bien même il s’agit d’une doctrine « pessimiste » comme celle de la corruption totale. Si les circonstances varient (Ps 27.3; És 54.10), si l’âme vacille de-ci, de-là (Ps 42.6), la doctrine permet à la foi de se ressaisir, car la vérité qui y est contenue ne change pas, y compris quand les circonstances sont déroutantes.

b. La doctrine a des implications pratiques🔗

La lettre aux Éphésiens est tout à fait remarquable à cet égard. Elle débute par l’évocation de réalités spirituelles extrêmement profondes liées au conseil éternel de Dieu et à la célébration de sa gloire (Ép 1.3-14). Le paragraphe qui suit est introduit par la formule « C’est pourquoi » (Ép 1.15). Paul va donc aborder une implication de ce qui vient d’être dit, une application pratique et immédiate pour la vie chrétienne, pour la marche chrétienne. Pour la vie communautaire, mais aussi dans tous les domaines de la vie! Il importe donc non seulement d’entendre ce qui a été dit en premier, mais de le comprendre, de le saisir dans la foi comme une réalité, de se l’approprier comme d’une chose certaine et primordiale.

Il est probable que ce soit là ce que Paul appelle « le renouvellement de l’intelligence », à la charnière de la partie doctrinale et de la pratique de la lettre aux Romains (Rm 12.2). C’est en tout cas ce que Calvin appelle la discipline pastorale, confiée aux anciens, qui consiste à s’assurer — dans les maisons — que les fidèles ont compris ce qui a été enseigné et sont en mesure de le mettre en pratique2.

Les implications sont énoncées sans tarder (dès Ép 1.15), puis elles vont être mentionnées tout au long de la lettre, de telle sorte que l’ensemble de cette lettre semble découler directement de ce qui a été dit au début. « C’est pourquoi » (2.11); « Ainsi donc » (2.19); « À cause de cela » (3.1), « Aussi » (3.13). « Je vous exhorte donc » (4.1), « Voici donc » (4.17), « C’est pourquoi » (4.25), « Devenez donc » (5.1). Ces expressions, qui structurent la lettre, en indiquent donc le point de départ : le dessein de Dieu et ce que nous sommes devenus dans notre union (notre position) en Jésus-Christ3. L’enseignement du début de la lettre est rappelé pour introduire des considérations pratiques dans les divers domaines de la vie. Lequel est le plus important : l’enseignement ou les implications? On ne saurait le dire4!

Ce qui apparaît comme la structure principale de la lettre aux Éphésiens est visible en bien d’autres endroits. Le mot « donc » apparaît 131 fois dans les lettres de Paul.

« Mais vous, frères, vous n’êtes pas dans les ténèbres pour que ce jour vous surprenne comme un voleur [la position]. Ne dormons donc pas comme les autres, mais veillons et soyons sobres [la marche] » (1 Th 5.4-6).

La doctrine sous-jacente est celle des temps de la fin.

L’expression « c’est pourquoi » apparaît 46 fois; l’expression « ainsi donc » 16 fois. La plupart de ces 16 utilisations introduisent une implication pratique impérative pour la vie du chrétien, portant sur une vérité spirituelle majeure. « Voici donc ce que je déclare, c’est que vous ne devez plus marcher comme les païens. […] C’est pourquoi, renoncez au mensonge, etc. » (Ép 4.17, 25). Ici, la doctrine sous-jacente est celle de l’unité et de la maturité de l’Église au bénéfice des ministères donnés par le Seigneur, vers « la stature parfaite de Christ » (Ép 4.11-16).

L’apôtre Paul n’oublie pas un seul instant que toute doctrine introduit une exhortation pastorale, que ce soit dans le registre de la consolation, de l’avertissement, de l’exhortation. « Si donc vous êtes ressuscités avec Christ [la position], cherchez les choses d’en haut [la marche] » (Col 3.1). Est-ce assez concret? Paul précise : « Renoncez à la colère, à l’animosité, à la calomnie, aux paroles déshonnêtes qui pourraient sortir de votre bouche » (Col 3.8). La doctrine sous-jacente est celle de l’union du croyant avec Christ, dans sa mort et sa résurrection.

Cela signifie que l’enseignant ne dit pas seulement ce qu’il faudrait faire ou ne pas faire (ce qui ferait de lui un moraliste) : il montre le paysage complet et explique pourquoi il est maintenant nécessaire de passer par ce chemin précis et non par tel autre. Il s’agit que les chrétiens comprennent au mieux les raisons et les enjeux : ce ne sont pas des raisons secondaires, ce ne sont pas des enjeux dérisoires. La conscience des chrétiens doit être saisie de telle sorte que leur volonté soit entièrement acquise et qu’ils comprennent l’importance de marcher de telle et telle manière, quel que soit le prix à payer; de telle sorte aussi qu’ils soient en mesure d’expliquer à d’autres « les raisons de l’espérance qui est en eux, ayant une bonne conscience… » (1 Pi 3.5-6).

Cette dernière citation donne l’occasion de préciser que ce ne sont pas seulement les doctrines touchant notre position acquise qui importent, mais aussi celles qui touchent à notre espérance. L’espérance, en effet, n’est jamais une invitation à fuir le temps présent : si elle est une « ancre de l’âme » (Hé 6.19), c’est qu’elle revêt une grande importance pour la vie présente. L’espérance conditionne la manière de marcher en tant que chrétien, ici et maintenant. Là encore, la doctrine sous-tend des implications très concrètes.

« Nous ne voulons pas, frères, que vous soyez dans l’ignorance au sujet de ceux qui dorment. […] Consolez-vous donc les uns les autres par ces paroles » (1 Th 4.13, 18). « Car Dieu ne nous a pas destinés à la colère, mais à l’acquisition du salut par notre Seigneur Jésus-Christ qui est mort pour nous afin que, soit que nous veillions, soit que nous dormions, nous vivions ensemble avec lui. C’est pourquoi, exhortez-vous et édifiez-vous les uns les autres, comme en réalité vous le faites » (1 Th 5.9-11).

Le chapitre 12 de la lettre aux Hébreux commence en rappelant la vie dans la foi de ceux qui nous ont précédés : « Nous donc aussi, puisque nous sommes environnés d’une si grande nuée de témoins, rejetons tout fardeau, et le péché qui nous enveloppe si facilement » (Hé 12.1). Puis, c’est la vie du Seigneur Jésus qui est mentionnée, avec cette précision : « en vue de la joie qui lui était réservée, il a souffert la croix et méprisé l’ignominie et s’est assis à la droite de Dieu » (Hé 12.2). Là, c’est l’espérance qui est désignée comme le moyen de recevoir un solide équipement en vue de résister aux pires épreuves. « C’est pourquoi, recevant un royaume inébranlable, montrons notre reconnaissance en rendant à Dieu un culte qui lui soit agréable, avec piété et avec crainte » (12.28-29).

Plus ces réalités seront considérées avec assurance, plus les implications s’imposeront d’elles-mêmes, de telle sorte que les exhortations de la Parole de Dieu n’apparaîtront pas comme une loi menaçante, mais comme une grâce éclairante, quelque chose de désirable (1 Th 4.9). C’est ce qu’écrit l’apôtre Jean : « Ses commandements ne sont pas pénibles, parce que ce qui est né de Dieu triomphe du monde; et la victoire qui triomphe du monde, c’est notre foi » (1 Jn 5.3-4). En d’autres termes, la foi qui met le peuple de Dieu en marche, ce n’est pas d’obéir aveuglément à un prédicateur; c’est de contempler la réalité révélée dans la Parole, d’entendre la voix du Berger et de le suivre (Jn 10.27). Ce qui caractérise la brebis, ce n’est pas d’abord la marche (même si elle est importante), c’est la position, c’est-à-dire l’appartenance (Ps 23.1; Jn 10.3-5, 14-16, 26-28).

2. Poser les bonnes questions🔗

Dans toute cette partie, les situations évoquées se situent dans le cadre personnel (visite à la maison ou entretien personnel à l’église) ou dans le cadre communautaire (message pour un groupe ou pour l’assemblée réunie). Je propose six questions.

a. Faudrait-il plutôt partir des doctrines ou des situations rencontrées?🔗

En un sens, la doctrine devrait précéder. Sans doctrine, y a-t-il la foi? Ce que Dieu a dit, ce que Dieu a fait ne vient-il pas en premier, chronologiquement? C’est rappeler que Dieu est venu dans notre situation, pour la visiter, et non le contraire. C’est rappeler que Dieu est en premier et que tout devient juste quand on lui redonne cette place, sans discuter. Il semble que ce soit l’attitude que Jésus a adoptée dans le désert, alors qu’il était tenté par le diable. Il a immédiatement cité l’Écriture, avec autorité. C’est ce qu’il répond aussi, concernant le mariage : « Au commencement, il n’en était pas ainsi… » (Mt 19.4, 8). Voir le début du Notre Père.

Aujourd’hui, la notion d’accompagnement est devenue tellement importante que la référence à l’Écriture est parfois devenue secondaire, voire proscrite. Ce qui compte surtout, c’est la situation, la personne… Cela est-il anormal?

Cependant, à la femme samaritaine, Jésus commence par demander de l’eau; puis d’appeler son mari. De même, il commence par interroger les disciples d’Emmaüs sur leur vécu… Quand nous lisons la Bible, nous voyons que souvent c’est la situation et les personnes qui sont prises en considération premièrement. On pourrait citer cent autres exemples, notamment lors des rencontres de Jésus. En un sens donc, la situation et les personnes priment.

Ainsi, pastoralement, il y a une double priorité en quelque sorte, ou un double regard à maintenir (une « double exégèse ») : Quelle est la situation présente? Que dit l’Écriture? Le mot veiller ou l’expression prendre garde (à soi-même et au troupeau) montrent l’importance de prêter attention à ce qui se trouve devant nous (Ac 3.4-5). Veiller et prendre garde supposent une attitude prolongée dans le temps : écouter quelqu’un pendant un instant ne suffit sans doute pas. Il est probable que la pensée de Dieu sera révélée (à celui qui parle ou à celui qui écoute) pendant ces échanges ou entre ces échanges s’il y en a plusieurs, ce qui est sans doute souhaitable. Dans la rencontre de Jésus avec les disciples d’Emmaüs, cela a duré assez longtemps et s’est prolongé ensuite dans un cadre différent5.

Je pourrais résumer cela ainsi : nous n’oublions jamais les doctrines majeures de l’Écriture, elles nous accompagnent constamment. Mais elles n’ont pas besoin d’être mises en avant immédiatement dans le travail pastoral. En un sens, la rencontre prime. Sinon, je vais interrompre celui que je visite dans ce qu’il a à confier. Sinon, l’épée de la Parole risque de devenir blessante inutilement.

b. Dans cette situation, le problème est-il dû à un manque d’enseignement ou à un manque d’obéissance?🔗

S’agit-il d’un problème d’ignorance ou d’un problème de résistance? Les conséquences, dans ces deux cas, peuvent être pratiquement les mêmes : dérives dans la pensée ou dans le comportement, état de délabrement moral ou spirituel, difficulté d’avancer… Mais il y a deux causes possibles qui ne sont pas identiques et le moyen d’intervenir doit en tenir compte.

Beaucoup de personnes s’égarent simplement parce qu’elles n’ont pas été enseignées correctement. En un sens, ce n’est pas leur faute! Leur égarement peut s’exprimer en paroles ou dans les choix et le comportement (ignorance ou mauvaise compréhension de ce que Dieu dit sur tel ou tel sujet). On pourrait se poser la question, par exemple, pour Nicodème, bien qu’il fut docteur de la loi. La personne dira, si elle est sincère : Je ne savais pas; on ne me l’avait jamais dit; je n’avais jamais pris conscience de cela, ou : on a toujours pensé comme cela dans ma famille…

Quel est le remède, dans ce cas? C’est de restituer, à partir de ce que la personne sait déjà, ce qu’elle ignore encore. Pas tout ce qu’elle ignore, mais ce qu’elle ignore concernant cette situation donnée. Si la personne peut lire elle-même dans l’Écriture l’enseignement dont elle a besoin, c’est bien. Puis, on s’assurera que cela a été suffisamment bien compris (lors d’une prochaine visite, peut-être). Enfin, on pourra inviter la personne à dire elle-même ce que cela doit changer dans sa manière de penser et de vivre, y compris dans des domaines très pratiques (ou traditionnels, ou coutumiers). Plus tard, on s’assurera que la personne a commencé à mettre en pratique ce qu’elle a découvert dans la Parole, et on pourra lui donner l’occasion de témoigner de ce qu’elle a appris.

Dans d’autres cas, le problème est ailleurs. La personne n’est pas ignorante, mais elle n’a pas laissé la Parole agir dans son cœur. Ce n’est pas un défaut d’enseignement, c’est un défaut d’obéissance, de soumission. Un refus de pardonner, par exemple, ou de changer telle ou telle habitude, de faire un choix qui pourtant s’impose. Cela peut concerner deux types de personnes : des personnes qui sont irrégénérées ou des chrétiens impénitents, ou du moins qui résistent sur un point ou un autre. Pastoralement parlant, chacun de ces cas est différent. Reconnaissons qu’il n’est pas toujours aisé de savoir avec exactitude ce qui convient. En un sens, Dieu seul connaît la vie et le cœur de la personne, et il peut agir malgré notre ignorance. Mais cela ne nie pas l’importance de discerner la cause de la situation rencontrée. En d’autres termes, être conduit par l’Esprit ne dispense pas de chercher à comprendre et de réfléchir pour apporter la parole qui convient, la parole juste.

Attention : une personne peut être née de nouveau et ignorer beaucoup de choses ou vivre une situation très désordonnée, pour une raison ou une autre. Ne mettons pas son appartenance au Seigneur en cause de manière légère. Inversement, il y a probablement des personnes qui ne sont pas aidées parce que tout le monde les considère comme chrétiennes tandis qu’elles ne le sont pas. Quelle situation désolante, spirituellement et pastoralement parlant! Quand l’Écriture (comme aussi Jean Calvin) rappelle que Dieu seul connaît ceux qui lui appartiennent, cela ne signifie pas qu’il n’y aurait aucun discernement à exercer à ce sujet6. Nous pouvons affirmer ceci : Il ne nous est pas donné de connaître de manière infaillible qui appartient au Seigneur et qui ne lui appartient pas, bien qu’une différence fondamentale existe entre les uns et les autres7.

c. Maintenant que j’ai observé et écouté, quelle doctrine de l’Écriture se trouve concernée par cette situation? Y en a-t-il une ou plusieurs?🔗

Ici, nous comprenons l’importance de ce que Paul dit aux anciens d’Éphèse : « Je vous ai annoncé tout le conseil de Dieu, sans rien cacher » (Ac 20.27)8. Cela signifie-t-il que nous devons annoncer tout le conseil de Dieu lors de chaque visite ou lors de chaque enseignement? Certainement pas. Mais cela signifie que je ne viens pas avec seulement un ou deux enseignements que j’aime bien et qui seraient sensés répondre à toutes les situations, quelles qu’elles soient. Attention aux doctrines fétiches. Cela dit, Charles Spurgeon affirme qu’il y a une poignée de doctrines fondamentales qu’il convient de tenir en main constamment, car d’elles dépend tout le reste : c’est vraisemblablement à partir d’une d’entre elles qu’il sera possible de corriger une lacune ou une erreur, dans la majorité des cas9.

L’enseignement présente une vérité qui est utile en tout temps et pour tout le monde. Par exemple : « Maris, que chacun aime sa femme comme Christ a aimé l’Église » (Ép 5.25). Cette parole est inconditionnelle. Il n’y a pas de condition ni d’exception. Il n’est pas dit, par exemple : si l’épouse est chrétienne ou si elle est fidèle. Cette parole ne se discute pas. Cependant, il peut être utile d’en parler quand même! Qu’est-ce que cela signifie concrètement dans cette situation précise? Il n’y a pas de condition, mais n’y a-t-il pas cependant une limite, quelque part? Et si oui, où se situe-t-elle, et comment faire pour qu’elle ne devienne pas une excuse pour ne pas obéir? Comment respecter le commandement en l’appliquant correctement, c’est-à-dire en n’excluant pas la dimension de la grâce10? Par où commencer?

Enseigner une seule vérité ou plusieurs? Généralement, il est préférable de rappeler ou d’enseigner une seule vérité à la fois, de telle sorte que la personne puisse la retenir aisément, mais aussi la prendre au sérieux sans chercher à s’esquiver. C’est sans doute la dimension prophétique du ministère pastoral : apporter la parole qui convient pour ici et maintenant. C’est encore un enseignement, mais il est ciblé. Il ne cherche pas l’équilibre, il cherche à corriger (2 Tm 3.16). Dans ce sens, nous voyons que Paul n’écrit pas exactement la même chose dans toutes ses lettres : pour chacune, il relève ce qui est louable, ce qui doit être affermi, ce qui est critiquable. Il peut en être de même dans l’application aujourd’hui à une Église, à une famille ou à une personne. Une vérité devrait être appuyée par au moins deux lectures bibliques et illustrée de manière appropriée. Ensuite, il sera utile de chercher avec la personne les implications qui en découlent.

Parfois, il sera utile de présenter deux doctrines ou plutôt deux aspects complémentaires (ou même en apparence paradoxaux) d’une doctrine, pour baliser correctement le chemin ou rectifier une mauvaise compréhension. Par exemple : « Enfants, obéissez à vos parents comme au Seigneur » et : « Pères, n’irritez pas vos enfants » (Ép 6.1, 4).

d. Quelle est l’application pour la vie personnelle? La vie familiale? L’Église locale? La cité?🔗

Les domaines personnels, familiaux et communautaires sont distincts, mais ne peuvent pas être dissociés. Cela devrait être rappelé souvent. Le cœur, le couple, la communauté, la cité. Beaucoup d’enseignements ont une application à ces quatre niveaux. En un sens, le niveau prioritaire est le niveau personnel, selon la logique de la poutre et de la paille. Ensuite, c’est le niveau de la maison, selon ce que dit Paul à Timothée (1 Tm 3.4-5). La maison comprend, dans le cadre d’une famille, le couple et la famille. Puis, c’est le niveau de l’Église : « pour l’utilité commune » (1 Co 12.7; 14.12). Le niveau de la cité ne devrait pas être oublié (1 Tm 3.7; 1 Pi 2.12, 17)11.

Un des principes pédagogiques de la vie de disciple, c’est qu’on ne peut pas sauter les étapes. Celui qui veut le faire devra revenir en arrière, souvent de manière coûteuse. Cette Église ou cette personne est-elle arrêtée dans son avancement, volontairement ou involontairement? Où se situe l’éventuel blocage? Qu’est-elle en train d’apprendre en ce moment? Est-elle en train de brûler les étapes et de se mettre en danger? (1 Tm 3.6).

Un autre principe est que tout ce que nous recevons pour nous-mêmes doit devenir fécond pour d’autres. « Nul de nous ne vit pour lui-même » (Rm 14.7). « Comme de bons administrateurs des diverses grâces de Dieu, que chacun mette au service des autres le don qu’il a reçu » (1 Pi 4.10). Cela est à vivre dans la maison et dans l’Église principalement. Il y a des personnes qui pensent essentiellement à elles-mêmes. Ce n’est pas bon. Mais d’autres ne pensent qu’aux autres. Ce n’est pas juste non plus. Chacun a un service dans lequel il doit être trouvé fidèle, à sa place, en fonction de « la mesure de foi » qu’il a reçue de Dieu (Rm 12.3-4; voir 2 Tm 2.2). Chacun doit bien connaître la limite de son service, s’il veut être fidèle (Ac 6.2, 4).

Une parole vraie peut être injuste si elle n’est pas dite dans la bonne situation ou de la bonne manière. Remarquons, dans ce sens, que Jésus a rarement dit deux fois la même chose lors de ses rencontres12. Chaque personne, chaque situation demande une parole appropriée. Jésus a-t-il dit à tout le monde : « Va, vends tous tes biens et suis-moi »? Non. Il l’a dit seulement au jeune homme riche (Mt 19.21). Il y a donc dans cette parole un enseignement (une vérité à entendre par tous et en tout temps, car, en un sens, tout disciple doit l’entendre) et une parole de nature prophétique (liée à un moment précis et à une personne donnée). Le ministère pastoral des pasteurs et des anciens se situe à la croisée des deux.

e. Cela est-il porteur de consolation, de protection, de repos? Porteur d’appel à prendre courage, à servir, à persévérer?🔗

L’apôtre Paul parle des forts et des faibles dans l’Église (Rm 14; 1 Co 8). Il peut sembler qu’il se trouve en effet des personnes qui ont toujours besoin d’être soutenues, tandis que d’autres sont toujours prêts à s’engager dans le service13. Nous ne sommes pas tous faits pareillement. Nos circonstances sont diverses, également. Cependant, le partage de l’Église entre ceux qui ont toujours besoin de recevoir et ceux qui ont toujours besoin de donner a quelque chose d’artificiel et de faux. Celui qui est plus fragile doit être soutenu, mais il doit aussi entendre que les autres ont aussi besoin de lui et que Dieu lui a confié quelque chose dans ce but. De même, celui qui est entreprenant doit entendre qu’il n’est pas indispensable et que, sans le vouloir, il empêche peut-être d’autres de trouver leur place, ou encore qu’il s’expose et se met en danger.

Ce qui est sûr, c’est que la personne « forte » a aussi des fragilités, des souffrances, même si cela n’apparaît pas… Dans tous les cas, un enseignement est tout à la fois porteur d’un repos et d’un appel. On veillera à ce que la personne (la famille, l’Église) perçoive bien l’un et l’autre. En un sens, toute parole dite de la part de Dieu est une « parole d’alliance ». En ce sens, elle ne doit pas seulement être entendue : elle doit en quelque sorte être « signée », c’est-à-dire reçue de manière explicite et si possible confessée. Cela peut se faire au bout de plusieurs rencontres14.

f. La prière : repentance et consécration🔗

Dans le cadre pastoral, ce qu’il y a à dire au cours ou à l’issue d’une rencontre se situe souvent sur le registre de la confession d’un péché (repentance) ou sur celui d’un engagement de foi (consécration).

Sans exercer de pression, il sera souhaitable d’encourager les personnes accompagnées à ne pas se contenter d’écouter ou même d’approuver, mais à s’exprimer le plus clairement possible dans un de ces deux sens. Bien des situations n’évolueront qu’à cette condition. On peut dire que vraisemblablement bien des accompagnements pastoraux s’arrêtent trop tôt.

Jean-Baptiste (Mt 3.1-6), Jésus (Mt 4.17), les apôtres (Ac 2.38; 26.19-20) ont démontré que la repentance est un passage obligé pour accueillir la dimension du Royaume de Dieu. La consécration rend à Dieu ce qui lui appartient et permet de vivre le bénéfice de l’alliance offerte en Jésus (Ac 26.18; Rm 12.1-2). C’est elle qui permet le renouvellement de l’intelligence pour le discernement de ce qui est agréable à Dieu (Rm 12.1-2).

Nous veillerons à ce que cela ne soit pas vécu d’une manière vague et générale, mais de manière aussi précise que possible, en fonction des situations vécues. Nous rappellerons que la repentance et la consécration se démontrent aussi par des gestes concrets de séparation (Ac 19.19-20), de restitution, de réparation. Ne pas le faire, c’est courir le risque d’une situation d’adultère spirituel (Jc 4.7-10).

« C’est en croyant du cœur qu’on parvient à la justice, c’est en confessant de la bouche qu’on parvient au salut, selon ce que dit l’Écriture : Quiconque croit en lui ne sera pas confus » (Rm 10.10-11). Il n’est pas exclu qu’une visite (ou un message pour une assemblée) laisse la ou les personnes plus désemparées après qu’avant. Dans le passage cité, la notion de salut peut aussi être entendue dans son sens limité : un secours dans une situation donnée. Dans ce passage, le cœur et la bouche sont liés et ce que prononce la bouche constitue un engagement déterminant. La foi comprend l’aptitude à dire ce qu’il y a à dire.

3. Annexe – Poser les bonnes questions – Abrégé🔗

Dans le travail pastoral, nous devons nous garder de prendre la place de Dieu ou la place de la personne qui est devant nous. Ce ne serait pas aider. Comme Jésus l’a souvent fait, nous pouvons inviter la personne à réfléchir elle-même à sa situation et à ce que Dieu désire lui dire. Cela se fera sans doute en lui posant des questions, de telle sorte qu’elle-même soit amenée à trouver les réponses qu’elle a besoin de recevoir, si possible. Ces questions peuvent aussi être posées dans le cadre du travail pastoral pour un groupe ou une assemblée (enseignement, prédication).

1.  Demeurer, marcher

  • Cette personne/assemblée est-elle consciente de sa position par rapport à Christ en vue de marcher avec lui?
  • Que conviendra-t-il de lui rappeler en premier?

2. Enseignement, exhortation

  • Chez cette personne/assemblée, y a-t-il plutôt un défaut de connaissance ou un défaut de soumission et d’obéissance?

3. La ou les doctrine(s) concernée(s)

  • À quelle doctrine principale cette situation me fait-elle penser?
  • Faudrait-il aussi présenter une doctrine complémentaire?

4. Une présentation adéquate

  • Dans la situation présente, comment rappeler cette doctrine de manière appropriée?
  • Quelle est l’illustration qui aidera le mieux à la saisir?

5. Protéger, soigner

  • Où se situent le ou les points faibles, la vulnérabilité, la lacune?
  • Où se situent les blessures non guéries?

6. Le cœur, le couple, la communauté, la cité

  • L’enjeu se situe principalement à un de ces niveaux. Lequel?
  • Quelles sont les implications pour les autres niveaux?

7. Nourrir en vue de grandir et servir

  • Quelle a été la dernière étape dans le cheminement?
  • Quelle devrait être la prochaine? (Cœur, couple, communauté, cité)
  • Quelle est la nourriture appropriée pour cette personne/communauté?

8. Repentance et consécration

  • Que souhaitez-vous que l’on dise à Dieu avant de nous séparer?
  • Un des points évoqués devrait-il conduire à une prière de repentance?
  • Une prière de consécration trouverait-elle sa place maintenant?
  • Que pouvons-nous aussi demander à Dieu?

9. Transmettre à son tour

  • Cette personne/assemblée sera-t-elle bientôt en mesure d’apporter elle-même cet enseignement ou cette exhortation dans le milieu où elle se trouve, en fonction des dons que Dieu lui a accordés?

10. Le prochain pas

  • Souhaitez-vous que nous nous revoyions dans quelques jours?
  • De quoi devrions-nous parler, alors?

Notes

1. Dans une prédication, l’énoncé d’un enseignement doctrinal, les illustrations concrètes et les implications pratiques devraient toujours être présents et constituer trois parties à peu près équilibrées.

2. Les opposants à Calvin, maintenant comme autrefois, n’ont pas manqué de comparer cela à une sorte d’inspection ou de contrôle autoritaire. Le risque existe bien évidemment, ce qui ne contraint pas à ne rien faire!

3. Paul écrit aux Corinthiens : « À ceux qui ont été sanctifiés en Jésus-Christ, appelés à être saints » (1 Co 1.2).

4. Par exemple : la foi et les œuvres peuvent-elles être séparées? En aucun cas! Il s’agit des œuvres de la foi, c’est-à-dire des œuvres contenues dans la foi et préparées d’avance (Ép 2.10). Ces œuvres ne sont qu’une démonstration de la foi (Jc 2.18; voir Hé 11.1).

5. Sur le rapport entre l’instant et la durée, il est intéressant de mettre en perspective l’exercice du don de guérison (donné au Seigneur quand il veut et à qui il veut, selon 1 Co 12.9-10) et la pratique pastorale de la guérison décrite en Jc 5.13-20.

6. Voir en complément mon article intitulé Les signes de la vie nouvelle.

7. Je cite Jean Calvin : « C’est pourquoi, selon la prédestination de Dieu cachée et secrète, comme dit saint Augustin, il y a beaucoup de brebis hors de l’Église et beaucoup de loups dedans » (Institution chrétienne, IV.1.8). Calvin précise que cela est, en un sens inévitable, bien que ce soit aussi la conséquence de la faiblesse des pasteurs.

8. Disons que la bonne volonté ne suffit pas. Voir 1 Tm 3.3, 7, 10.

9. On peut citer dans ce sens : les trois motifs fondamentaux que sont la création, la chute et la rédemption, avec les liens qui les unissent. On peut citer les cinq mots d’ordre de la Réforme (voir le cours 4 intitulé Application avec les cinq sola de la Réforme protestante), ou encore les cinq points du Synode de Dordrecht (cours 5 intitulé Application avec les doctrines du Synode de Dordrecht). Voir aussi mon article intitulé Liturgies, catéchismes et confessions de foi.

10. Dans les Églises occidentales, actuellement, la réflexion se porte sur l’accompagnement pastoral des situations de divorce. Le principe est là : Dieu hait la répudiation. Mais jusqu’à quand une femme battue doit-elle demeurer avec son mari? Et la repentance permet-elle d’ouvrir la voie pour un nouveau commencement?

11. Voir la leçon 5 de mon cours sur la Pastorale de la famille intitulée Le couple, la famille, l’Église.

12. Paul écrit qu’il a souvent répété les mêmes choses à ses auditeurs (Ph 3.1), mais parfois cela est nécessaire!

13. Remarquer qu’il y a des situations passagères (des temps de crise) et des situations qui sont appelées à durer (certaines solitudes, les situations de maladie chronique, de handicap, etc.).

14. Durant le Réveil de la Drôme, en France en 1923, un pasteur avait dit à la fin de son message : « J’ai placé sur la table un cahier dans lequel tous ceux qui veulent mettre le Seigneur à la première place dans leur vie pourront mettre leur nom. Et le premier qui le mettra, c’est moi! »