Cet article sur Marc 15.20-39 a pour sujet la crucifixion du Christ qui a subi la torture à cause de la méchanceté humaine, mais aussi à cause du jugement de Dieu contre nos péchés, afin de donner sa vie en rançon pour beaucoup.

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Marc 15 - La crucifixion selon l'Évangile de Marc

« Après s’être moqués de lui, ils lui ôtèrent la pourpre, lui remirent ses vêtements et l’emmenèrent pour le crucifier. Ils forcèrent, à porter la croix de Jésus, un passant qui revenait des champs, Simon de Cyrène, père d’Alexandre et de Rufus; et ils conduisirent Jésus au lieu nommé Golgotha, ce qui se traduit : lieu du Crâne. Ils lui donnèrent à boire un vin mêlé de myrrhe, mais il ne le prit pas. Ils le crucifièrent et se partagèrent ses vêtements en tirant au sort ce que chacun emporterait. C’était la troisième heure quand ils le crucifièrent. L’inscription indiquant le motif de sa condamnation portait ces mots : Le roi des Juifs. Ils crucifièrent avec lui deux brigands, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche. Ainsi fut accompli ce que dit l’Écriture : Il a été mis au nombre des malfaiteurs. Les passants blasphémaient contre lui et secouaient la tête en disant : Hé! toi qui détruis le temple et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même et descends de ta croix! Les principaux sacrificateurs aussi, avec les scribes, se moquaient entre eux et disaient : Il a sauvé les autres, il ne peut se sauver lui-même. Que le Christ, le roi d’Israël, descende maintenant de la croix, afin que nous voyions et que nous croyions! Ceux qui étaient crucifiés avec lui l’insultaient aussi. À la sixième heure, il y eut des ténèbres sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure. Et à la neuvième heure, Jésus s’écria d’une voix forte : Éloï, Éloï, lama sabachtani? Ce qui se traduit : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? Quelques-uns de ceux qui étaient là l’entendirent et disaient : Voyez, il appelle Élie. Et l’un d’eux courut remplir de vinaigre une éponge, la fixa à un roseau et lui donna à boire en disant : Laissez, voyons si Élie viendra le descendre. Mais Jésus jeta un grand cri, puis il expira. Le voile du Temple se déchira en deux de haut en bas. Le centurion, qui se tenait en face de Jésus, voyant qu’il avait expiré de la sorte, dit : Cet homme était vraiment le Fils de Dieu. »

Marc 15.20-39

Le récit que Marc fait de la crucifixion de Jésus est le plus court et peut-être pour cette raison, sans doute aussi le plus émouvant. Il n’offre aucune trace de la stylisation cultuelle qui nous trompe si facilement sur l’inexorable gravité et la réalisation épouvantable de l’événement du Golgotha. Écoutons Leonhard Ragaz :
« Nous sommes habitués à voir la passion et la mort de Jésus à la lumière d’une certaine transfiguration artistique. Nous l’accompagnons à Golgotha avec Raphaël ou Holbein, nous regardons l’homme pendu à la croix avec les yeux de Dürer, de Rembrandt, de Rubens… Aussi, quelque émouvant que demeure ce spectacle, il devient une sorte de jouissance esthétique. »

Ragaz fait également remarquer que nous supportons d’écouter une œuvre musicale sur la passion dans une salle pompeusement illuminée, où un chanteur en habit et en plastron empesé reproduit pour nous, par ses sons bien modulés, les cris de souffrance d’un homme supplicié qui se tord de douleur. La passion, nous la voyons ainsi :

« Jésus est devant nous comme le Prince de la gloire… Il est environné de la lumière de la transfiguration, qu’il a conquise par ses souffrances; entouré de l’amour, de la dévotion d’innombrables fidèles, qui ne connaissent rien de plus sublime que lui. Et lorsque nous considérons sa passion, il nous semble que déjà autrefois, lorsqu’il vivait, toutes les générations chrétiennes le regardaient de loin, pleurant, priant, rendant grâces, et que lui-même en avait conscience. »

Mais qu’on relise le récit de Marc. Aucune interprétation artistique qui lui convient; ni Dürer ni Rubens, pas même Rembrandt… Seul peut-être Matthias Grünewald. Impossible de transférer l’impression produite par sa crucifixion dans des catégories esthétiques. Devant la figure de ce condamné abîmé dans l’opprobre et l’ignominie, on ne peut que se voiler la face, troublé jusqu’au tréfonds de l’être par le jugement prononcé ici sur l’homme et son péché. Mais alors une porte s’ouvre à la foi.

Ou bien, si l’on veut une interprétation littéraire, il faut lire la description faite par Jens Jacobsen dans sa Peste à Bergame; la situation y est exposée avec une précision impitoyable :

« Comme vous le savez, c’est un vendredi qu’ils le poussèrent dehors par une de leurs portes, qu’ils mirent sur ses épaules l’extrémité la plus lourde d’une croix et la lui firent porter jusqu’à une colline argileuse stérile et chauve, en dehors de la ville. Ils accoururent en foule et soulevèrent la poussière avec leurs pieds, si bien qu’il y avait comme un nuage rouge au-dessus de cet endroit. Ils lui arrachèrent ses vêtements et mirent son corps à nu devant les yeux de tous; afin que tous puissent voir la chair qui doit être livrée à la torture; ils le jetèrent à terre et le couchèrent sur la croix, ils l’y étendirent et plantèrent un clou de fer dans chacune de ses mains, dont la chair résistait, et un clou dans ses pieds mis en croix; ils enfoncèrent les clous avec des marteaux, jusqu’à la tête. »

Le récit de Marc décrit, avec l’impassibilité d’un chroniqueur, comment les flots de la méchanceté humaine se déchaînent sur le Fils de Dieu et comment il succombe sous leurs coups. Toutefois, cette description n’est pas le fait d’un homme qui ne serait pas mêlé à l’affaire. Ce n’est pas un historien qui nous dépeint ces événements, mais un croyant; il est dans l’Église et, tout en lui racontant l’événement atroce, il veut faire comprendre qu’il s’agit d’un « il faut », que cela est conforme à la volonté de Dieu. Pas un instant Marc n’oublie qu’il s’agit d’une mort très particulière et ordonnée par Dieu : celle du Fils de l’homme qui, d’après l’Écriture, « donne sa vie en rançon pour beaucoup ».

C’est pourquoi tout ce récit est parsemé de réminiscences de l’Ancien Testament. Cela doit rappeler toujours à nouveau à l’Église que telle est la volonté de Dieu, car l’Écriture l’a déjà prédit. Les vêtements partagés par tirage au sort, les passants qui hochent la tête (hocher la tête était un signe de mépris), la parole de Jésus, tirée du Psaume 22, les ténèbres qui s’abattent sur le pays, le vinaigre qu’on lui offre à boire, tout cela a déjà été prédit dans l’Écriture sainte (toutefois, Marc ne fait pas de citation). On ne peut naturellement pas en conclure que tout le récit de la crucifixion a été élaboré après coup, au profit d’une preuve scripturaire désirée par l’Église. C’est impossible, parce que tous les détails rapportés sont l’effet normal des circonstances et que rien n’autorise à mettre en doute leur historicité. De plus, il est certain qu’il y a eu des témoins oculaires de la crucifixion, entre autres Simon de Cyrène et les femmes mentionnées au verset 40.

Un acte arbitraire, tel que seuls peuvent en accomplir des soldats en pays conquis, prélude à l’exécution de cette victime d’une justice sans scrupules, était l’habitude barbare de faire porter sa croix au criminel lui-même, tandis qu’on le menait au lieu du supplice (il s’agissait de la poutre transversale). En aucun cas un soldat n’aurait accepté de prendre lui-même le gibet du condamné sur le dos. Comme Jésus n’est pas capable de porter cette charge, en raison sans doute de la flagellation qu’il vient de subir, on oblige Simon de Cyrène, de toute évidence un juif de la diaspora, à remplacer le condamné; pour un citoyen respectable, c’était une offense ignominieuse, voire un déshonneur.

Mais c’est vraiment le salut qui est sorti de cette honte. Il est dit de Simon qu’il était le père d’Alexandre et de Rufus; donc ses fils tout au moins ont fait plus tard partie de l’Église, en ont même été des membres bien connus. Dans l’épître aux Romains (Rm 16.13), l’apôtre Paul salue un certain Rufus, ainsi que sa mère, dont il dit qu’elle est aussi sa mère à lui, ce qui signifie qu’elle l’a traité comme une mère. On est en droit d’admettre qu’il s’agit dans ces deux passages du même Rufus… L’Église garde le souvenir ineffaçable de Simon de Cyrène, le premier qui eut le privilège de porter sa croix à la suite de Jésus (voir Mc 8.34), et qui le fit même au sens littéral.

La scène suivante est voilée de ténèbres; pas seulement à cause de la nuit qui tombe. Jésus a traversé cette heure douloureuse avec toute sa conscience : il a refusé le narcotique qu’on lui offrait. Ses vêtements sont tirés au sort, il est placé parmi les malfaiteurs, les hommes le méprisent et le raillent : tout cela montre que le Fils de l’homme a été entièrement livré aux mains des pécheurs. Mais le comble de la détresse, c’est qu’après avoir été abandonné des hommes, il est maintenant abandonné de Dieu. Il ne faut pas affaiblir le sens de cette parole terrible : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? », la seule des paroles de la croix que Marc rapporte. Jésus est vraiment abandonné de Dieu. Celui qui, même en cette heure, il appelle « mon Dieu », le laisse dans les ténèbres les plus complètes, il reste éloigné. Le Fils de Dieu subit les peines de l’enfer pour les péchés du monde.

Cependant, à l’heure où tous l’abandonnaient, l’agonisant a été l’objet d’un geste compatissant. Un inconnu a osé briser le cordon des soldats et lui donner à boire du vinaigre (boisson des paysans et aussi des soldats). En se joignant aux insultes qui retentissent de toutes parts, il empêche qu’on ne s’oppose à son élan de bonté. À moins qu’il ne faille interpréter son geste autrement. On pourrait penser que cet homme veut ranimer Jésus par cette boisson forte, afin de prolonger son tourment, ou bien encore pour voir si Élie ne descendra pas du ciel chercher l’agonisant. Dans ce cas, les mots « Laissez, voyons si Élie viendra » ne seraient pas ironiques, mais parfaitement sincères.

Souvent, un crucifié devait souffrir atrocement, plusieurs jours durant, avant de mourir finalement d’inanition. Jésus expira au bout de six heures. Il meurt dans les ténèbres extérieures et intérieures les plus complètes; il est fait péché pour nous, exclu de toute communion avec Dieu et avec les hommes, dans une solitude inconcevable. Il meurt en poussant un violent cri de détresse, signe d’une souffrance qui dépasse l’entendement humain.

Même sous cette forme dérisoire, l’inscription au-dessus de la croix « le roi des Juifs » prouve que les prétentions messianiques de Jésus ont été un fait historique incontestable.

La mort de Jésus s’accompagne d’un signe impressionnant : le voile du Temple se déchire. Ce que Marc a voulu exprimer en rapportant ce fait s’est réalisé : l’ancien culte du Temple a cessé, la réconciliation entre Dieu et l’homme a été accomplie une fois pour toutes, l’accès au lieu très saint, à Dieu lui-même, est libre (il s’agit ici du voile qui séparait le lieu saint du lieu très saint).

À la fin de cette journée, la plus sombre que le monde n’ait jamais vécue, luit déjà un rayon de l’accomplissement du salut : le chef des soldats qui gardaient les croix dit : « Cet homme était vraiment le Fils de Dieu! » Marc aura certainement vu en cet homme le premier pagano-chrétien, précurseur d’une foule innombrable, debout à la porte du Royaume de Dieu.