Cet article a pour sujet la notion biblique de fraternité qui n'est ni la notion républicaine (liberté, égalité, fraternité) ni la notion humaine (accueillir toute personne), qui mais se fonde sur l'union du Christ avec son Église par la foi.

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La notion biblique de fraternité

Sur la façade du temple, une banderole a été placée à la fin de l’été dernier. Trois mentions y figurent : Liberté, égalité fraternité — Exilés, l’accueil d’abord! — J’étais étranger et vous m’avez accueilli. Ces trois mentions correspondent à trois notions de fraternité : républicaine, humaine et chrétienne. Les trois sont positives et donc souhaitables bien entendu; mais se situent-elles au même niveau? Sont-elles identiques? Assurément, non.

Le thème de la fraternité était déjà celui de l’assemblée générale de la Fédération protestante de France en janvier 2015. Le président a lancé un appel à la fraternité réconciliée au sein même du protestantisme, puis entre les confessions et les religions de France. « Prenons l’initiative de jumelages intelligents entre Églises, synagogues et mosquées », dit-il, l’objectif annoncé étant de « nous préserver de ce qui advient et qui peut diviser non seulement nos communautés, mais aussi la société elle-même ». Le journal précise : « Cette quête de fraternité est la vocation de tout protestant qui s’est mis au service du Christ, pour le vivre ensemble de la société.1 » Ce type de message est habituel dans certains milieux, avec cet amalgame apparent entre communauté chrétienne et société, avec cette idée que l’Évangile pourrait se résumer avec cette belle affirmation : Tous les hommes sont frères. C’est évidemment une bonne nouvelle, mais est-ce ce que dit l’Évangile?

C’est généralement la parabole du jugement des nations qui est évoquée pour justifier cette notion XXL de la fraternité2 avec cette parole de Jésus : « Toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un des plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25.40). Que de fois n’a-t-on pas entendu cette parole pour justifier je ne sais quel salut par les œuvres, les œuvres sociales notamment. Qui sont ces frères dont Jésus parle? Les textes parallèles dans les Évangiles permettent de répondre aisément : il parlait de « ceux qui font la volonté de son Père » (Mt 12.50), c’est-à-dire de ses disciples. Dans le même Évangile, nous lisons : « Quiconque donnera ne serait-ce qu’un verre d’eau à l’un de ces petits parce qu’il est mon disciple, je vous le dis en vérité, il ne perdra pas sa récompense » (Mt 10.42). C’est sans équivoque. L’Évangile de Marc le dit autrement, mais c’est le même sens : « Quiconque vous donnera à boire un verre d’eau en mon nom, parce que vous appartenez à Christ, je vous le dis en vérité, il ne perdra pas sa récompense » (Mc 9.41). On ne peut être plus clair.

Le principe biblique qui sous-tend ces affirmations est celui de l’unité qui existe entre Dieu et son peuple racheté. Cela ne peut aucunement être transposé à l’ensemble des hommes. « Qui vous touche touche à la prunelle de mon œil », dit Dieu au sujet de son peuple (Za 2.8). Dieu est-il donc indifférent vis-à-vis du reste des hommes? Loin de là! Il sait même quand tombe un petit oiseau (Mt 10.29). Mais le principe fondateur de la fraternité chrétienne est celui de l’unité qui relie Jésus-Christ et les membres de son corps. À Saul de Tarse qui persécutait des disciples, Jésus dit : « Je suis Jésus que tu persécutes! » (Ac 9.5). Saul a appris deux choses à cet instant : ce Jésus qu’il croyait mort était bien vivant; et une unité inimaginable le relie à chacun de ses disciples!

En réalité, sont frères ceux qui ont le même père : Israël par l’affiliation à Abraham, les disciples de Jésus par adoption (Jn 1.12). Prendre conscience de cela est porteur d’innombrables conséquences. Ne pas faire de mal à ses frères et sœurs chrétiens, car ce serait faire du mal à Christ! « Pourquoi ne vous laissez-vous pas plutôt dépouiller », demande Paul aux chrétiens de Corinthe. « Mais c’est vous qui dépouillez, et c’est envers des frères que vous agissez de la sorte! » (1 Co 6.1-8). Faire du bien, autant qu’il sera possible, pour l’édification. De la société? Non, du corps de Christ! (Ép 4.29). C’est le thème central de toutes les lettres du Nouveau Testament!

Je sens que certains sont chagrinés de lire cela. C’est pourtant le sens de l’expression « les uns les autres » qui revient si souvent dans le Nouveau Testament. C’est par utopie qu’on désire l’appliquer à l’ensemble des hommes. Quand Jésus dit : « Aimez-vous les uns les autres », à qui s’adresse-t-il? À ses disciples. De plus, il ne dit pas : Faites comme moi, ce serait de la morale; mais il dit : De l’amour dont je vous ai aimés, aimez-vous maintenant les uns les autres. En d’autres termes, on ne peut aimer vraiment que de l’amour que l’on a d’abord reçu. Cet amour, on le reçoit en recevant le Christ! Dit autrement, l’amour qui existe au sein de la communauté chrétienne, c’est l’amour même de Christ! Est-ce trop dire? C’est tout simplement le principe de la grâce! Est-ce alors pour confisquer la grâce? Loin de là! C’est pour en démontrer la réalité; c’est pour que notre message soit porté par un vécu! « À cela, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples », dit Jésus (Jn 13.35). Ce n’est donc pas au détriment des autres; c’est simplement une manière de désigner le Christ comme source de cet amour. C’est une manière d’attirer les regards vers lui.

Une parole de Pierre peut nous aider à préciser notre pensée sur cette question importante. Rappelant aux chrétiens qu’ils doivent vivre comme des serviteurs de Dieu, l’apôtre précise : « Honorez tout le monde, aimez les frères, craignez Dieu, honorez le roi » (1 Pi 2.17). On a là, visiblement, une phrase-résumé de son propos. Honorer, ce n’est pas rien : c’est estimer la valeur, c’est reconnaître le prix. Comme chrétien, instruit par la Parole de Dieu, mon regard sur toute personne quelle qu’elle soit, lui dit qu’elle a beaucoup plus de valeur qu’elle peut le penser elle-même, étant créée par Dieu. C’est déjà tout un programme! Nous remarquons aussi dans ce verset que le verbe aimer est destiné aux frères dans la foi. C’est ainsi. Cet amour-là est un amour de communion. Il est spécifique, comme est spécifique l’amour conjugal. Quand j’aime mon frère ou ma sœur chrétiens, c’est Christ que j’aime à travers lui (à travers elle), et c’est Christ qui l’aime à travers moi. C’est grand!

Dans sa première lettre, Jean donne plusieurs signes qui témoignent qu’une personne est née de nouveau. Cet amour spécifique en est un, de même que l’amour pour Dieu, naturellement. Les deux sont d’ailleurs indissociables! Voici comment Jean le dit : « Que celui qui aime Dieu aime aussi son frère. Quiconque croit que Jésus est le Christ est né de Dieu. Et quiconque aime celui qui l’a engendré aime aussi celui qui est né de lui » (1 Jn 4.21-5.1). Il est difficile d’être plus clair.

Notes

1. Source : Le Cep, mensuel de l’Église protestante unie Languedoc-Roussillon, mars 2015.

2. Pour une fraternité XXL, slogan de présentation par la FPF de Protestants 2017 dans Réforme du 29 sept. 2016.