Cet article a pour sujet l'apologétique de la prière face à l'incroyance qui s'imagine un univers clos et impersonnel, basé sur le principe d'uniformité de la science. Le chrétien doit répondre aux arguments du naturalisme et offrir une défense intelligible de la prière chrétienne.

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La prière dans un "univers clos"

  1. Justification de la prière
  2. L’incroyance moderne à l’égard du surnaturel
  3. Le sens de désolation moderne
  4. La conception d’un univers impersonnel
  5. Le silence de Dieu
  6. Dieu parle, l’homme écoute
  7. La prière dans un univers clos
  8. Le Dieu des miracles
  9. Situation donnée à la révélation
  10. Il n’y a pas de mystères pour Dieu
  11. La prière est compatible avec l’univers

« Offre de nos désirs à Dieu, pour ce qui est agréable à sa volonté, faite au nom du Christ, accompagnée de la confession des péchés, dans la gratitude pour toutes ses bontés »; c’est ainsi que le Petit Catéchisme de Westminster définit la prière.

La prière est une institution divine, c’est une doctrine biblique, au même titre et jouissant des mêmes statuts que toutes les autres « doctrines » bibliques… La prière, élément essentiel à la vie de l’Église, ne pourra tenir qu’à condition que la foi de l’Église ne défaille pas.

1. Justification de la prière🔗

Néanmoins, nous ne nous proposons pas de suivre un modèle dogmatique pour traiter de la prière. Notre Seigneur, qui engagea des débats avec des adversaires « dogmatiques », nous a laissé un certain nombre d’enseignements au sujet même du type ou du style de ses engagements. Sa rencontre bien connue avec les sadducéens — matérialistes de l’époque — autour de la résurrection des morts, et des conséquences hypothétiques pour le mariage dit de lévirat, en est un des plus caractéristiques. Notons-en les points suivants :

a. Dans ce débat intellectuel et doctrinal authentique, il a effectivement défendu la doctrine de la résurrection des morts. Il n’a pas fait que parler avec autorité. Il s’engagea dans une discussion, et ce faisant, il nous a laissé un modèle, qui fut suivi de près par les apôtres et qui nous lie tous dans l’Église de la même façon.

Malheureusement, l’importance capitale de traiter sérieusement le défi intellectuel lancé par l’incroyance n’est pas actuellement et n’a jamais été très claire pour des chrétiens. Nombre d’entre eux estiment que le devoir de l’Église, quand elle parle, consiste à annoncer, de manière directe et positive, la vérité chrétienne. D’après eux, ce serait une entreprise insensée que de vouloir traiter de l’incroyance sur son propre terrain. Le seul vrai problème que devrait envisager l’Église serait la corruption du cœur humain. La seule réponse serait alors la proclamation de l’Évangile, du type qui ne va ni à droite ni à gauche. Discerner et saisir les difficultés intellectuelles de l’auditoire non chrétien ne serait donc pas une affaire préoccupante pour l’Église. La réussite de sa mission ne pourrait dépendre que de l’opération de l’Esprit de Dieu, lequel se trouve en rapport immédiat avec l’esprit de l’homme. N’est-il pas vrai, ajoute-t-on encore à ces arguments, que quand tout a été dit et fait, le monde par sa sagesse n’aura pas connu Dieu?

Ce point de vue, s’il pouvait s’harmoniser avec ce que dit l’Écriture, pourrait décider du sort de la question dans sa totalité. Le fait est qu’il ne cadre pas, et ne peut pas se trouver en accord avec le cadre de la pensée biblique. Ce qui ne devrait nullement nous surprendre, si nous prenions la peine de nous rappeler qu’il n’existe pas qu’une opposition totale et irrémédiable à l’Écriture. Certes, nous connaissons une résistance fondamentale d’un certain type anti-biblique. Résistance telle qu’en langage biblique cela nécessite une régénération totale. Il n’en reste pas moins vrai que des gens qui s’opposent, ou qui sont réfractaires à l’Écriture sainte, se sentent obligés d’exprimer leur refus de manière sensée. Que ce soit de gré ou non, ils se trouvent en face d’une « théorie » qui se présente à eux comme un discours intelligible, et par conséquent, ils sont contraints de s’éprouver eux-mêmes d’après un critère donné de la vérité.

Les apôtres, conduits par l’Esprit, se consacraient à Jérusalem à un enseignement de type apologétique d’une extrême solidité. Ils n’abordaient pas leur auditoire avec une vérité biblique complètement isolée de l’expérience de celui-ci. Nous affirmons que la nécessité d’un discours rendu humainement intelligible de la part de l’Église chrétienne est aussi pressante de nos jours qu’elle le fut jadis. Avec une fidélité ferme, sans orgueil, elle doit envisager la réalité des difficultés intellectuelles qui surgissent à propos de la Bible.

b. Nous constatons cependant que le Christ n’a fait aucune concession par rapport au contenu de la vérité chrétienne. « Vous vous trompez grandement », répondit-il aux sadducéens, à propos de leur question (Mt 22.29). Il ne se trouve aucun éclectisme — cher aux chrétiens modernes — et surtout pas de syncrétisme dans ses propos. Pour lui, ses adversaires sadducéens se trouvaient dans la plus grande erreur.

c. Enfin, Christ commence par identifier le point de vue de ses interlocuteurs sadducéens. Il leur montre leur mauvaise information, dans l’intention de leur fournir un traitement qui corrigera leur grossière erreur. « Vous vous trompez, vous ne connaissez ni les Écritures ni la puissance de Dieu » (Mt 22.29). Il apparaît à ses yeux, et aux nôtres, que sur ce point on est en présence de l’incompréhension d’une vérité élémentaire, spécifiquement religieuse.

2. L’incroyance moderne à l’égard du surnaturel🔗

Il n’est guère possible de dissocier l’attitude sceptique du 20siècle à l’égard de la prière du scepticisme général envers toute réalité se réclamant d’une portée surnaturelle. Nous baignons dans un climat d’incroyance universelle envers le surnaturel, et en ce qui concerne la masse, plus que tout autre argument bien élaboré, le scepticisme tend à perpétuer une mentalité foncièrement incroyante. Étant donné que l’homme déchu est foncièrement réfractaire aux choses de l’Esprit, selon la Bible, l’esprit naturel de l’homme est vite satisfait d’un support extérieur qui semble soutenir sa position athée. S’il était en mesure de comparer la validité de sa position, ou quelque chose de meilleur, ou de plus spécifique que le « point de vue moderne », ou à « cette époque scientifique », ou à quelque chose de semblable, il le ferait avec la conviction qu’il a accompli un acte personnel important.

L’influence des subterfuges démoniaques à cet égard ne devrait pas être sous-estimée. La Tactique du diable de C.S. Lewis a probablement réussi mieux que tout autre livre moderne à mettre à jour l’ingéniosité du diable comme un archimanipulateur du système psychosensoriel humain à des fins athées.

La maîtrise du diable pour provoquer et cultiver les humeurs irrationnelles chez ses victimes ne devrait pas nous laisser indifférents. Lewis nous a rendus très attentifs au fait de l’exploitation opérée par le diable des choses familières, pour faire surgir dans l’esprit de chacun des pensées dangereuses. Dans son ouvrage Le miracle, le même auteur parle de ce qu’il craint le plus, à savoir l’argument positif contre la foi au miracle par ce doux retour à votre conception habituelle, lorsque vous refermez le livre; alors les quatre murs familiers de votre chambre, les voix ou les bruits venant de la rue se mettent à se réaffirmer, comme si rien d’autre n’existait. La tentation est là de dire qu’après tout, le monde réel se trouve dans votre chambre, et par conséquent le miracle rapporté par tel ou tel passage de l’Écriture ne peut pas se produire.

La pensée rationnelle de quelqu’un (dans le cas présent du côté des miracles) n’a pas de prise, de fondement, dans la simple conscience naturelle, mais seulement dans la mesure où il le conquiert et le maintient. Dès l’instant où la pensée rationnelle s’arrête, l’imagination, les habitudes mentales, le tempérament et l’esprit du monde reprennent immédiatement leurs attaques. La raison n’a alors rien d’autre à faire que « de donner un signe de la tête », et aussitôt les vigiles de la nature païenne s’infiltrent. Ce qui signifie que les arguments opposés au surnaturel doivent retenir notre attention et l’orientation de notre esprit vers son mode de pensée habituel ne doit pas être négligé non plus. La chambre familière qui se réaffirme aussitôt le livre refermé peut rendre d’autres choses encore incrédibles en dehors des miracles. Par exemple, la thèse selon laquelle on se tient sur sa chaise à cause de la pesanteur qui, selon la théorie de la relativité générale, n’est qu’une courbure de l’espace. En d’autres mots, conclut Lewis, « les sentiments de la foi sont de telle sorte qu’ils ne suivront la raison qu’après un long entraînement. Autrement, ils tendent à suivre les rainures et les ornières déjà présentes dans notre esprit… »

Sans discuter, on croira que les idées terrestres, parfois virtuellement spontanées, suggérées assez souvent par des objets familiers — mais très astucieusement dirigées par Satan — tiennent une part prépondérante dans le maintien de l’homme dans son incroyance, et lui donnent une certaine satisfaction dans sa certitude, de laquelle la prière est exclue. Simultanément, ne serait-ce que par estime pour soi, l’orgueil du moi, l’esprit non croyant fait tout son possible pour rationaliser son irrationalité. Ce qui explique que les thèses comme « les courants de la pensée moderne » ou « l’homme devenu adulte » sont sans peine et solennellement adoptées, comme si elles offraient un support rationnel à l’esprit incroyant.

On peut dire que la contribution de C.S. Lewis à l’apologétique et à la défense du surnaturel a été considérable en mettant à nu la nature précaire des divers aspects de la pensée de l’incroyance. Il y a réussi admirablement en soulignant :

  1. les habitudes irrationnelles de l’esprit comme adversaires à la formation de la foi ou à l’établissement d’une conviction ferme concernant le surnaturel;

  2. les techniques surintelligentes, et pour cette même raison non suspectées de lavage de cerveau, entre les mains de Satan;

  3. l’influence des supports pseudo-scientifiques.

C’est là une multiplicité de facteurs, opérant de manière extrêmement complexe dans la culture présente, et qui a pour effet de promouvoir un esprit d’incroyance et de considérer la prière comme inactuelle.

À cet égard, l’Église et ses théologiens sont aussi à blâmer. Très souvent, au nom du christianisme, on a déclaré que la prière, bien que telle l’eau de lavande, puisse exercer une fonction subjective, toute rafraîchissante, n’est cependant pas un acte qu’on devrait accomplir, pour savoir si l’on aura du beau temps pour le pique-nique du dimanche, s’il valait mieux fixer cette sortie au samedi, alors que le soleil est de la partie, ou consulter les prévisions météorologiques. Une prédication de ce genre n’est pas forcément le résultat du désir de s’accommoder (un accommodement dépourvu de nerfs) à l’esprit du siècle. Parfois, elle peut être le résultat d’un raisonnement « de très haut niveau ».

3. Le sens de désolation moderne🔗

L’un des aspects particuliers du caractère culturel à être noté, qui sans doute milite fortement contre la pratique de la prière, est le sentiment de désolation de l’homme moderne. Celui-ci se trouve sans défense aucune. La prospérité qui caractérise notre époque n’encourage pas davantage la pratique de la prière. Or, le sentiment de désolation est l’une des conditions élémentaires d’une attitude de supplication envers Dieu. Or, l’apparition des puissants organismes syndicaux, la possibilité de jouir de pensions et de retraites, les avantages de la sécurité sociale, depuis le berceau jusqu’à la tombe, les progrès spectaculaires de la science, de la technologie et de la médecine, l’assurance des citoyens de la providence paternaliste de l’État, la conviction, devenue axiomatique que, si on pouvait disposer d’outils adéquats, l’homme pourrait se passer de travailler; l’exploration et la connaissance des origines et des causes de la plupart de nos angoisses ont contribué ensemble à développer un nouvel esprit de suffisance chez l’homme. Les bénéfices acquis sont considérables et n’ont rien de mauvais en eux-mêmes. Mais certaines conclusions auxquelles l’on a abouti sont très souvent de valeur équivoque. Le sentiment de dépendance envers Dieu, au sens de piété personnelle, en dépit de certaines difficultés, souffrira nécessairement d’une érosion supplémentaire, dans la mesure où les facteurs secondaires de prévision des besoins vitaux prennent de l’ampleur et impressionnent l’homme. Le modèle déiste de la conception de Dieu, à savoir l’activité de Dieu, intervenant depuis l’extérieur sur un large front, est certainement l’un des plus importants.

On ne peut davantage affirmer que les nouvelles théories de l’immanence divine ont réussi à rendre Dieu plus proche de l’homme. Une grande partie du dégonflement de l’apologétique est due aux théories mathématiques modernes de l’univers. Mais à cause de cela, la réaffirmation positive, dans le cadre biblique, de l’immanence et de la transcendance de Dieu, est d’une urgente nécessité. Ce sera le premier pas raisonnable pour réhabiliter le sens de la complète dépendance envers les multiples bienfaits du Créateur. À partir de là, la prière peut atteindre un meilleur degré de compréhension.

En même temps, il convient de noter que, si le matérialisme pratique n’a pas développé de liens intellectuels avec le matérialisme philosophique, néanmoins il apparaît comme l’extension réelle de la mentalité formée dans le système fermé, conçu par ce dernier. Nous ne devons pas ignorer ce fait, en nous engageant dans la défense de la prière chrétienne.

4. La conception d’un univers impersonnel🔗

Il ne peut y avoir de doute : notre civilisation occidentale, singulièrement privée de l’apport de la pensée chrétienne, est spécialement vulnérable à l’impact des conceptions d’un univers impersonnel. Paradoxalement, les facteurs mêmes auxquels nous faisions allusion, dans le paragraphe précédent, par exemple les progrès de la technologie, qui, dans une certaine mesure, ont amoindri le sentiment de l’homme d’être sans défense dans son univers, ont, en un autre sens, largement contribué à créer et à accroître ce même sentiment d’insécurité. Par exemple, la seule perte de la liberté sociale de l’homme, qui se voit comme un tout petit être, composante infime d’un système hypercomplexe.

Depuis Francis Bacon, le cadre mental humaniste a admis que la méthode scientifique, contrôlant tant l’environnement social que naturel de l’homme, doit seule conduire l’homme sur les chemins merveilleux de la prospérité. Dans son étude L’Homme de l’organisation d’une brillante précision, William H. White a étudié les effets dépersonnalisants sur la société des influences techniques et bureaucratiques. Il parle de la philosophie de l’humanisme comme de l’éthique sociale, selon laquelle le groupe social est source de créativité, d’appartenance et l’absolue exigence de l’individu; et conclut que seules les méthodes scientifiques sont les moyens pour y parvenir. Le produit fini en est l’homme-organisation, lequel, dans toutes ses activités, pense à la coopération avec le système, en tant qu’être total et fin totale de l’existence. Une planification rigoureuse et centralisée semble être indispensable pour garantir le succès, de telle sorte qu’on peut à peine éviter le totalitarisme comme l’aboutissement ultime de l’humanisme athée.

Selon Hendrik van Riessen, la planification économique amène l’inflexibilité, étrangle l’initiative privée, renverse la relation entre autorité et liberté, liquide l’influence réelle des gens sur le gouvernement et tend vers une concentration plus grande de pouvoir et une liberté réduite des citoyens. Ainsi que le démontrait H.L. Hebden Taylor, dans le cadre de la société humaniste, il est indispensable qu’il existe un contrôle centralisé décisif pour l’éducation et les moyens de communication, en vue du conditionnement psychologique des gens. Tout ceci fait que le système est accepté. Il met également la touche finale sur l’un des plus efficaces moyens de dépersonnalisation de la nature humaine, jamais encore atteinte. On peut en prévoir aisément les résultats. Si l’individu ne possède pas l’avantage d’une conception authentiquement chrétienne, les impressions qui lui seront imposées sont celles d’un monde impersonnel… Une machinerie géante, opérant à une échelle géante, ne peut se préoccuper de trivialité telle que l’être humain individuel! Arthur Koestler l’explique parfaitement en une seule phrase : « La nature nous a abandonnés, Dieu semble avoir décroché le récepteur, et le temps court. »

5. Le silence de Dieu🔗

La notion prédominante du silence de Dieu est bien plus influente encore à présent que ne le laissent entendre les idées non sophistiquées de l’homme de la société de masse. Kant a fortement insisté pour démontrer que seul le domaine phénoménal — ce qui appartient au monde perceptible — est connaissable, et sa pensée a influencé Ludwig Wittgenstein, qui dit que l’on ne peut parler de manière intelligible que de ce qui est phénoménal. On pourrait en conclure que Wittgenstein défend des positions athées, ce qui n’est pas le cas, puisqu’il s’agit pour lui du silence mystique de Dieu et non du silence dont parle l’athéisme. L’échec de pouvoir parler de Dieu sera attribué au langage, et non à Dieu, lequel appartient au nouménal, domaine de l’esprit, non pas au phénoménal, au domaine connaissable de la réalité. Prenant son point de départ chez Wittgenstein, la philosophie occidentale aurait pu se proposer de ne plus poursuivre le silence mystique, supposé par Wittgenstein. La direction qu’elle a prise, telle que nous la connaissons, via le positivisme logique, a abouti au silence virtuel des conceptions athées.

Un résultat plus intéressant… et c’est une autre possibilité qui se présente à la culture occidentale — dans la mesure où elle choisit de se laisser guider par les courants principaux de la pensée du 20siècle — sont le silence athée d’une part et le symbolisme du mystique d’autre part. La théologie libérale a choisi le second terme de l’alternative. Il en est résulté que la théologie a cessé d’être un discours au sujet de ce que Dieu déclare de lui-même, mais au contraire le discours que l’homme cherche à rendre intelligible en s’exprimant au sujet de Dieu. Vérité toute symbolique, « silence qualifié par des paraboles ». L’autre terme de l’alternative qui manque, parce qu’il a été estimé non digne de respect, est purement et simplement le facteur de la révélation divine. De ce fait, il est aisé de prévoir la conséquence… L’élément commun au bouddhisme et aux théologies libérales (Robinson, Tillich) est précisément de façon négative cette absence de révélation verbale accordée par Dieu, et « positivement » une certaine rencontre « mystique » avec Dieu. À la question qui lui fut posée : « Monsieur, priez-vous? » Paul Tillich (théologien libéral récemment disparu) répondit : « Non, je médite ». La théologie libérale s’occupe de façon démesurée des cogitations de l’homme au sujet de Dieu. Elle résistera cependant à la conception d’une révélation verbale, propositionnelle, donnée par Dieu. Quoique les événements aient démontré que la méditation sur Dieu était possible, la conversation-communion continue avec Dieu, elle ne l’est absolument pas!

6. Dieu parle, l’homme écoute🔗

L’idée selon laquelle Dieu et l’homme sont des partenaires qui se parlent, qui s’adressent mutuellement la parole, a été récemment développée par nombre d’auteurs et de théologiens. Pour Ferdinand Ebner, le langage humain est la preuve qu’il est en vue de la communion, certainement avec l’homme, mais principalement avec Dieu. En compagnie de Martin Buber, il a rendu célèbre sa thèse, par l’expression familière du « Je – Tu ». Il posa les fondements de la théologie personnaliste qui, plus tard, s’exprima avec une logique conséquente chez Emil Brunner. On se rappellera que le thème dominant de la théologie de Brunner s’exprime par le concept biblique de la vérité en tant que rencontre.

Selon Bernard Ramm, la faculté de parler est un pouvoir naturel de l’être humain créé à l’image de Dieu, et parce que Dieu et l’homme sont les membres d’une alliance, ils sont aussi des partenaires dans une conversation. Ramm, un évangélique, s’appuie substantiellement sur l’œuvre d’écrivains personnalistes et existentialistes. Il a réhabilité la doctrine de la rencontre personnelle avec Dieu, comme la grande condition préalable d’une connaissance possible de Dieu, bien que, soit dit en passant, nous découvrons ici la solution du problème posé par Wittgenstein, à savoir la compréhension du nouménal. « Sur ce que l’on ne peut discourir », dit Wittgenstein, « on doit garder le silence ».

La solution en question est le fait que, dans sa révélation, Dieu dit qui il est et ce qu’iI fait. L’incompréhensibilité de Dieu requiert la révélation, conclut Ramm. Les théologiens dialectiques, entre autres services, nous ont rendus attentifs aux prérogatives d’un Dieu personnel. Brunner comparait Dieu, dans la révélation de sa personne, à un homme de grande taille, s’abaissant vers un petit enfant et se mettant à genoux pour que ce dernier puisse parvenir à la hauteur de son visage; c’est là une image à la fois belle et théologiquement satisfaisante. Là où Ramm et d’autres évangéliques sont en désaccord, c’est sur le point de la nature précise de la révélation que Dieu fait de sa personne. Passer outre la faculté rationnelle humaine, ainsi que semblent le faire les théologiens de la rencontre, fait que l’on se retrouve sans le fondement et l’appui de la Bible. Le langage, véhicule invariable de communication entre deux personnes, est dans tous les cas, ou bien rationnel, ou bien il n’est que pure « glossolalie ». Pourtant la glossolalie du Nouveau Testament, quoique moyen véritable de communication de la révélation, fut accompagnée par le don supplémentaire du pouvoir d’interprétation. Selon Ramm, la modalité de la révélation divine est d’être langage prophétique et apostolique. Il insiste sur le fait que le côté conceptuel de la Parole de Dieu est en soi déjà une révélation. La révélation ne peut se confiner à une rencontre, à un événement ou à une illumination. S’il n’y a pas d’information dans la révélation, cette rencontre ne serait-elle pas aussi privée d’information? Il n’y a là qu’alchimie, dit Ramm avec raison, lorsque les vérités de la révélation émergent d’une révélation sans vérité!

Pour atteindre l’homme dans une forme tangible ou concrète, la révélation doit se communiquer par le langage et porter avec elle un riche bagage conceptuel. Ses vérités doivent être susceptibles de se répéter dans la prédication, l’enseignement et les écrits. C’est de la qualité répétitive de la révélation que la théologie tire son propre souffle.

Il n’était pas superflu de traverser ce terrain particulier avant d’aborder le thème de la prière. Rien d’autre assurément ne sera un obstacle plus grand à la prière que les influences des conceptions impersonnalistes de l’univers, telles que nous les évoquons ici. Les mesures correctives doivent descendre au niveau le plus profond. La reconnaissance de la révélation en forme de rencontre entre Dieu et l’homme est donc très en retard.

Là où l’Église échoue dans sa mission de prendre la direction d’une théologie éminemment biblique, elle abandonne aussi sa mission spécifique d’être la lumière du monde. Les résultats en seront effroyables. Selon Christ, une Église aveugle devient, de manière tout à fait inhabituelle, un instrument de destruction pour ceux-là mêmes qu’elle avait reçu mission de libérer. « Si l’aveugle conduit l’aveugle, tous deux tombent dans le fossé » (Mt 15.14). Mais le concept de la rencontre divino-humaine n’a été que la moitié de la réponse. Car le Dieu qui parle et qui invite l’homme à lui adresser la parole est celui qui a parlé définitivement, par le discours des prophètes et des apôtres, et principalement par son Fils, de manière autoritative, et sa vérité à présent a reçu la forme de l’inscripturation biblique.

7. La prière dans un univers clos🔗

L’un des courants principaux et habituels du modernisme a été sa capitulation devant la version philosophique de ce que la science entend par « uniformité de la loi naturelle ». Le principe de l’uniformité veut que, par exemple, toute substance particulière, dans le même ensemble de circonstances extérieures, ait la même consistance et pèsera toujours le même poids, demain comme aujourd’hui. Les conditions dans lesquelles l’eau du thé a bouilli ce matin seront les mêmes pour celui de demain matin.

L’expérience aura démontré que les lois opèrent toujours avec la même régularité. Pour sa part, la science accomplit son devoir avec une ferme conviction, à tel point que toute irrégularité apparente recevra de sa part un traitement identique, non point parce qu’elle représenterait une menace réelle pour les hypothèses fondamentales, mais pour l’intérêt qu’elle représente sous toutes les apparences, et on trouvera qu’en réalité elle peut être prise en compte. Ce qui est parfaitement admissible. Mais lorsque le principe est dévié de son rôle légitime, en tant que conviction opérante au sujet de la façon dont la nature devrait se comporter, et devient une affirmation au sujet de l’ensemble de la réalité et de l’expérience, nous nous trouvons sur un terrain tout à fait différent. De cette manière, on s’est servi du principe de l’uniformité pour exclure Dieu de son univers, en tous les cas pour limiter son action sans entrave et rejeter de l’expérience humaine le surnaturel. Sur cette même base, la prière aussi est attaquée, de même que toutes les réponses que Dieu accorde, celles qui impliquent une intervention divine palpable et qu’en dépit des apparences extérieures la Bible exhorte le croyant à espérer.

Comme il a déjà été noté, il existe des formes dures et des formes plus nuancées de l’argument d’uniformité. Dans sa première forme, on présuppose que l’univers est le résultat non pas du dessein de Dieu, mais de causes totalement irrationnelles. Si toutefois la réalité n’est rien d’autre que matière en mouvement, alors cette théorie ne peut pas, malgré tout son poids, se justifier d’après ses propres présupposés. Car, ainsi que l’écrit Oliver Barclay, « mes pensées ne seraient dans ce cas rien d’autre que des événements physiques se déroulant dans mon cerveau et qui sont incapables de me dire quoi que ce soit de digne de foi au sujet de la réalité ».

De son côté, C.S. Lewis dit : toute théorie qui fait de l’esprit humain le résultat de causes irrationnelles est inadmissible, car elle démontrerait qu’il n’existe pas de preuves, ce qui est totalement absurde. Dans sa forme plus nuancée, cette théorie a séduit des théologiens. Ceux-ci ne s’intéressaient pas vraiment à la question de l’être de Dieu, mais exclusivement à tracer des limites à ses actions.

De toute évidence, ils doivent raisonner de la manière suivante : si le comportement de la nature est partout uniforme, la relation avec l’univers sera comme s’il se tenait derrière celui-ci. Sans doute, il est le Créateur de la matière originale, et il l’a dotée d’un potentiel, pouvant se développer par sa propre impulsion. Mais depuis les origines, Dieu n’aurait pas fait une intervention importante dans les affaires du monde, au moins dans le domaine physique. Certainement, il n’y a pas de place pour un type quelconque d’intervention divine, qui jadis était nécessaire pour expliquer les miracles bibliques et les événements surnaturels qui y sont relatés.

Ainsi se succédèrent théorie après théorie, proposant de rendre compte de la foi aux miracles, lesquels ne se seraient pourtant pas réellement produits. Les récits de ces derniers ne seraient que des mythes, ou des légendes, ou encore des erreurs. Les théologiens de ce type n’ont jamais pensé avec une rigueur suffisante pour savoir s’il était correct d’appliquer de telles hypothèses de travail, utilisées par les sciences de la nature, pour essayer de comprendre de cette manière-là.

L’intelligence de l’enseignement biblique leur a surtout échappé, car la volonté du Dieu Créateur est active à l’intérieur et à l’extérieur de toute réalité perceptible et c’est d’elle seule que dépend la forme de tout événement. Dieu a le pouvoir et l’intention de changer selon sa volonté le cours normal des événements physiques. Un travail utile a été accompli par des savants ainsi que par les philosophies de la science, pour corriger ce qui, clairement, avait été une utilisation scientifique erronée du principe d’uniformité. L’idée qui voulait que la loi naturelle soit en soi la cause des événements, et non pas la manière selon laquelle la nature fonctionne, quelles que soient les causes, doit être considérée comme une conception naïve erronée. Malheureusement, elle avait rendu service à un slogan matérialiste, puisqu’elle tournait l’intérêt des hommes vers un univers impersonnel. Mais dans le domaine de la physique moderne, les descriptions de la réalité ne sont pas toutes exclusives. C’est le cas de la lumière : il existe des preuves irrécusables qu’elle est composée d’ondes (aspect ondulatoire), mais on peut aussi prouver qu’elle est composée de particules (aspect corpusculaire). Il nous est impossible de comprendre comment la lumière est composée en même temps d’ondes et de particules; l’évidence est là, nous ne pouvons l’ignorer. Nous ne pouvons rejeter ni l’un ni l’autre de ces aspects : ils sont complémentaires, il faut les accepter l’un et l’autre comme vrais, les deux propositions ne sont pas opposées, mais complémentaires.

La science et la religion furent en fait considérées l’une et l’autre comme ne devant s’imposer que dans leurs domaines respectifs. D.M. Mackay a insisté fortement sur la nécessité de maintenir l’intégrité de chaque niveau séparément.

« Certains, dit-il, et je confesse être de ceux-là, soutiennent que si vous transférez ces critères scientifiques adaptés à l’étude d’objets physiques dans le domaine de la foi, vous ne ferez pas que découvrir des conflits entre les deux; vous en créerez un. Or, les approches scientifiques et religieuses ne sont nullement rivales, mais complémentaires, chacune bien appropriée pour un aspect de l’expérience, largement ignoré de l’autre. »

Mais sur la page suivante, Mackay ne fait que remarquer que le discours sur les descriptions complémentaires de la science et de la foi ne signifie pas que, conceptuellement parlant, elles se trouvent au même niveau… Il faut souligner qu’une description religieuse de la réalité est logiquement plus élevée que celle de la méthode scientifique. Elle présuppose l’image que cette dernière peut se donner du monde créé, mais elle le dépasse parce qu’elle révèle la signification et le pourquoi de ces mêmes événements créés. Des savants chrétiens ont refusé, par conséquent, de tenir le rôle de commentateurs de l’ensemble de la réalité créée. On a particulièrement mis en évidence le fait que le savant soustrait de la réalité totale son champ d’étude ou d’investigation. Les modèles qu’il utilise pour illustrer la réalité, ou plus précisément la parcelle qu’il étudie, ne sont reliés que de manière tout à fait indirecte à la réalité. Les atomes ne sont pas réellement comme des balles de billard, ou même des systèmes solaires en miniature, pas plus que les symboles utilisés pour indiquer la position d’une ville sur une carte géographique, quelle qu’en soit la grandeur, ne sont réellement des villes en soi. La science est une activité personnelle, qui implique aussi bien l’imagination que la recherche proprement dite. Et les opérations expérimentales utilisées tracent certaines limites à l’information qu’il est possible d’obtenir des sujets observés. On débat toujours de l’importance pour le théisme chrétien du facteur d’indétermination, mis en évidence dans la théorie moderne des quanta.

Pour un certain nombre de physiciens, dont Einstein et Planck, le caractère non prévisible des événements subatomiques doit être attribué à notre manque de connaissance actuelle. Pour d’autres, cela doit être attribué soit aux limitations conceptuelles inhérentes à l’observateur, soit à la nécessaire interférence de ses dispositifs mécaniques (ou électriques) avec les sujets de sa recherche. Cependant, même là où l’on soutient que le comportement apparemment hasardeux ou non prévisible des particules alpha reflète non pas la limitation humaine, mais une indétermination fondamentale de la nature elle-même, avec comme conséquence la faiblesse structurelle du principe physique de causalité, on admettra également que, pour un but tout à fait pratique, le comportement de la nature, sur une échelle plus grande, n’en est pas affecté. En acceptant les différentes descriptions proposées, D.M. Mackay conclut que l’imprévisibilité en question ne fait aucune différence pratique, dans ce sens que la brusque rupture d’une fibre de la corde n’en diminuerait pas la force…

À la réflexion, il n’est pas commode de voir comment et dans quelle mesure le théisme chrétien pourra profiter des nouvelles théories de la physique. Ainsi que l’écrivait E.M. Mascall, « depuis toujours il y a eu des physiciens, dont les idées philosophiques identifiaient la causalité physique avec celle de la métaphysique ». Le théisme chrétien a, principalement pour sa part, toujours maintenu tout au long, sans tenir compte des théories scientifiques spéciales, que Dieu le Créateur et des agents secondaires de causalité, mis en place par Dieu, sont actifs dans les processus de la nature. Nous serons sûrement d’accord avec T.F. Torrance (discours au Synode de l’Église d’Écosse, 1976) que « plus la recherche scientifique se révèle vraie, plus le chrétien devrait s’en réjouir. Car il s’agit de la création, qui a pris naissance par la Parole de Dieu et dans celle qui s’est incarnée en notre Seigneur Jésus-Christ ». Néanmoins, aller au-delà de ce point me semble en définitive courir le risque de confondre l’activité première de la providence divine avec ce qui n’est, après tout, rien de plus que le plus récent modèle théorique qui veut rendre compte des observations physiques.

Dans le même sens, C.S. Lewis fait remarquer de manière imagée que « dans la science, nous n’avons qu’une rime ou un vers d’un poème; et que dans la foi chrétienne nous avons le poème tout entier ».

Il existe, dans l’univers, bien des choses que non seulement la science ne connaît pas, mais du fait même de ce qu’elle est, elle sera à jamais disqualifiée pour tout connaître. Les lois, qu’on appelle naturelles ne sont pas plus que la cause et l’effet particuliers, avec lesquels la science, de son propre point de vue, est familière. La structure totale de l’univers est une chose tout à fait autre. Il convient d’ajouter sur ce point que le caractère d’ordre et de soumission à une loi de la création, lorsqu’elle est ouverte à l’investigation scientifique, est soutenue par l’Écriture tout entière. En outre, Dieu le Créateur est le garant personnel de cet état des faits. Les séquences permanentes de semailles et de moisson, du froid et du chaud, de l’été et de l’hiver, de la nuit et du jour, nous sont déjà familières. Il existe nombre de preuves selon lesquelles la conception biblique d’un univers ordonné, telle qu’elle est enseignée par l’Église, et notamment par la théologie calviniste, n’est pas étrangère au développement de la science moderne.

Selon Reijer Hooykaas, tandis que certains auteurs cherchent ce lien dans la doctrine calviniste de la prédestination, c’est une pratique propre à la théologie calviniste que de traiter la notion spécifique de l’ordre universel dans le chapitre de la providence. La doctrine authentique de la prédestination fut, au cours du temps, déformée et remplacée par le déisme et le nécessitarisme. Dans la doctrine calviniste de la providence, c’est un fait que la main paternelle de Dieu se trouve impliquée dans tout ce qui advient, des événements aussi bien ordinaires qu’extraordinaires; ce qui justifie notre attente pour un futur où tout devra apparaître dans l’ordre. Calvin eut de très nombreux successeurs. Il n’est pas vrai que l’Église fidèle fut prise au dépourvu par l’arrivée du principe d’uniformité de la méthode scientifique moderne.

La déformation apparut avec l’erreur du modernisme religieux, qui prit un triple caractère :

  1. Sous l’emprise de l’empirisme philosophique, il utilisa les méthodes qui, à proprement parler, appartiennent aux domaines de l’investigation scientifique, en vue de l’acquisition de la connaissance.

  2. Il confondit, par conséquent, la compréhension scientifique de l’uniformité avec la description de tous les types possibles d’événements et des séquences d’événements. L’activité surnaturelle, conçue en dehors d’une relation, vaguement ésotérique, avec Dieu, était refusée. Les miracles le furent à leur tour, puisqu’après tout le fossé avait été comblé.

  3. Enfin, ainsi que le démontre B. Ramm, il n’a pas développé une authentique théorie, qui rend compte des rapports entre le Dieu de la Bible et la création, la providence et la prière.

8. Le Dieu des miracles🔗

J’ai tenté d’expliquer ci-dessus, dans le deuxième paragraphe, que le fait que le principe d’uniformité soit posé comme une barrière, érigée devant le miracle et la prière, veut dire qu’on a pensé, quelque part, en termes de ruptures. Si le principe d’uniformité leur est apparu telle une nouvelle révélation, avec tout ce qu’il implique comme effet, cela est simplement dû, en l’absence d’une autre possibilité, à la théorie des miracles et à celle de l’uniformité… Je ne puis être d’accord avec R.E.D. Clark quand il soutient que la notion d’un Dieu des miracles n’est qu’un mythe moderne. Clark ne fait que critiquer les philosophes et théologiens modernes, qui se moquent des chrétiens de la génération précédente et de leur foi périmée en un Dieu des miracles. Ces chrétiens cherchaient à trouver par la foi une place pour l’activité divine dans les événements que la science ne parvenait pas à expliquer. Le contre-argument est le suivant : en procédant de cette façon, tôt ou tard la science vous rattrapera, avec l’explication manquante, et vous revoilà laissé pour compte, sur un terrain aussi précaire que le précédent. Pour Clark, il n’est pas certain que les chrétiens ont vraiment agi de la sorte. Ont-ils vraiment postulé le facteur miracle divin, en se trouvant sans explication devant le phénomène de la chaux vive qui s’échauffe et se met à bouillir lorsqu’on la place en contact avec l’eau? Nous répondrons à cette question que nous n’en savons rien. Peut-être certains d’entre eux l’ont ainsi expliqué!

Il est presque hors de doute que nombre de chrétiens ont envisagé, avant l’apparition de la théorie philosophique moderne de l’uniformité, une sorte de rupture, dans l’ensemble causal de l’univers, afin de pouvoir rendre compte de l’activité surnaturelle distincte de Dieu. Ils ont bien pensé en termes de rupture. Ce point de vue prit naissance, sans doute, devant l’événement qu’est le miracle biblique… Mais il ne faudrait pas conclure de leur foi aux miracles qu’ils furent tous des déistes, sans la connaissance de l’immanence divine.

9. Situation donnée à la révélation🔗

Tout bien pensé, et quelle que soit notre compréhension de la manière dont Dieu se trouve en rapport avec son univers, il apparaît que nous ne pourrons tout à fait nous disculper, au moins en pratique, de maintenir une idée de la nécessité de la théologie des miracles, ou de quelque chose qui lui ressemble, du type même prôné par Clark. Ce besoin peut s’expliquer par une capacité limitée de notre part, simples êtres humains, et de notre expérience limitée sur la personne de Dieu; ou encore, être dû à notre pauvre science, par rapport à notre foi, ou par l’absence d’une bonne information au sujet des relations de Dieu avec l’univers. Quelle que soit l’explication avancée, nous ne pourrons pas nous passer de certains points de prédilection dans la rencontre avec Dieu. On pourra se demander si l’on est plus proche de Dieu dans un jardin que nulle part ailleurs. Dieu a toujours eu recours à des circonstances particulières lors de ses révélations faites à l’homme. Parfois, ce fut dans le cadre de miracles extraordinaires, tel Moïse devant le buisson ardent, ailleurs dans les endroits familiers du culte, là où Dieu avait placé son nom, encore ailleurs dans ses confrontations-révélations dans l’univers créé. Sir James Jeans le savait grâce à son télescope, tandis que les relations personnelles de R.E.D. Clark avec les molécules d’acide nucléique ou la structure du métacarpe des ailes du vautour lui apprenaient la même chose.

Certaines situations doivent être considérées d’une plus grande portée révélationnelle dans leur fonction à nous rendre plus sensibles à la présence de Dieu, et en favorisant la communion avec lui. Le « plaisir » qu’a Dieu dans les portes de Sion, plus qu’ailleurs dans toute la Judée, illustre parfaitement ce point-là. En regardant un morceau de ferraille ordinaire, nous ne nous extasions pas pour acclamer : Quel Créateur merveilleux! En revanche, les couchers de soleil ont une capacité de nous suggérer ou de produire un tel effet. L’activité humaine suggère davantage ce sentiment qu’un tas de ferraille… C’est là ce que nous appelons une situation mieux adaptée pour nous révéler Dieu et son activité. Il est toutefois vrai que Dieu s’occupe aussi bien des couchers de soleil que des tas de ferraille, que le principe de l’érosion ou celui du développement doit être vu à la lumière de son activité, mais l’une a une portée religieuse plus grande que l’autre. Nous pouvons nommer ces expériences (localisées de Dieu), celle du Dieu des miracles, sans aucun problème. Il ne s’agit que du choix des mots. Nous devons simplement nous assurer que la signification de ces mots est claire pour les autres. L’emploi du concept Dieu des miracles, dans les cas précités se centre sur le facteur purement humain des relations avec l’univers, et le facteur humain d’impressions reçues.

10. Il n’y a pas de mystères pour Dieu🔗

Pourtant, il y a là un saut logique important, et en termes chrétiens il est illégitime de faire l’application du concept à la question des rapports de Dieu avec l’univers. Là où se trouve Dieu, il n’y a pas de ruptures. Car instant après instant, il est en rapport total avec l’univers, dans sa totalité. Entre ses mains, son univers est totalement flexible, et ce, en accord avec son propre engagement de conserver la loi, l’ordre et tout autre but bon et sage qu’il a établis. Considérés à la lumière du plan et du dessein rédempteur de Dieu, les miracles se trouvent dans un ordre parfait, soumis à la loi, en rapport avec le dessein particulier qu’il a choisi. Avant la chute, Adam n’avait pas besoin de miracle, et aucune situation ne pouvait mieux révéler Dieu que celle du jardin d’Eden pour entrer dans un rapport spirituel avec lui. Car il se trouvait encore dans la bienheureuse position où il n’avait pas besoin de rédemption, et en possession d’une faculté non corrompue pour avoir la conscience de la présence de Dieu.

Avant ou après la chute, l’univers appartient à Dieu, conçu pour son plaisir et répondant à sa Parole. Selon l’Écriture, il n’y a aucune antithèse entre les lois de la nature et la volonté divine. La loi naturelle n’est autre chose que la manière régulière dont Dieu opère, et bien que transcendant par rapport à sa création, il se trouve également actif en elle. La manière régulière de ses opérations ne trace pas de bornes aux incursions exceptionnelles de sa puissance, là où elles sont en harmonie avec ses desseins. À l’intérieur de ce cadre, nous ne rencontrons aucun problème insoluble, soit par rapport à la prière, soit par les réponses pratiques que Dieu accorde.

11. La prière est compatible avec l’univers🔗

La prière de requête, telle que nous la décrivons au premier paragraphe, celle qui change le cours des choses, en recevant des réponses palpables, et même qui transforme les réponses divines, est solidement compatible avec les événements qui se déroulent dans l’univers, ainsi que l’enseigne le chapitre sur la providence divine de l’Institution chrétienne de Calvin.

Quelques commentaires pour résumer :

  1. La prière est la suite donnée comme réponse à la Parole de Dieu adressée à l’homme. Dieu et l’homme sont des partenaires dans la conversation. Dieu parle, l’homme répond.

  2. La prière doit être employée dans le respect absolu des causes secondaires et des lois naturelles, autrement elle serait une forme d’hypocrisie. Ainsi, si un homme prie pour la moisson et qu’il néglige les semailles et la culture, ou celui qui n’étudie pas tout en cherchant à être admis à un examen, ou qui demande une bonne santé, mais ne consulte pas le médecin, ou encore en vue de la conversion de quelqu’un et ne tient pas compte des exigences préalables de l’Évangile; alors sa prière n’est rien de moins qu’une insulte faite à Dieu.

  3. La prière comporte des effets subjectifs et spirituels importants, dans l’expérience de celui qui prie. Cependant, nous devons nous attendre à des bénéfices objectifs, comme résultats de notre prière. L’exemple du pain quotidien offre une bonne illustration, ou la délivrance d’un naufrage, ou même le beau temps accordé pour le pique-nique de l’école du dimanche. Ceci en conformité avec la volonté divine : arbitre définitif pour ce que nous prions et pour ce qui est le meilleur pour nous. La prière est une cause morale et non physique de ce que nous obtenons; pourtant, elle est un authentique moyen pratique pour obtenir ce que nous cherchons, en accord et collaboration avec tous les moyens raisonnables, partout où ils sont à notre disposition (semer le grain en vue de la moisson, par exemple…).

  4. La prière n’oblitère pas les lois naturelles dans l’univers de Dieu. Les structures et les événements ont été disposés de telle sorte par Dieu, depuis l’éternité, que la prière cadre parfaitement et reçoit les réponses authentiques pour les besoins matériels et spirituels du chrétien. Dieu n’a pas seulement décidé les fins, mais aussi les moyens pour y parvenir. La prière de son peuple, en commun avec d’autres activités humaines, sont des moyens qui lui sont donnés pour parvenir à des objectifs divinement approuvés.

  5. La prière est un événement causal, comme d’autres. « C’est un mystère de savoir pourquoi il permet l’arrivée des événements réels, mais ce n’est pas plus étrange que de nous les donner par le moyen de la prière plus que par une autre méthode », écrit C.S. Lewis. Il n’y a que dans une conception erronée de l’univers clos que la prière sera éliminée de l’événement dans la structure qui est impliquée.

Ceci nous ramène à la thèse générale de notre étude : les conceptions erronées de toutes espèces envers la vraie nature de la réalité sont capables de produire des dégâts considérables, à la fois sur le plan théorique et pratique de la foi. La plus gratuite des hypothèses erronées est celle selon laquelle le point de vue correct nous sera donné, malgré la vérité révélée de Dieu et non pas comme le résultat de celle-ci, sur le point en question. Dieu nous dit : « Demandez et l’on vous donnera, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira » (Mt 7.7). Il serait sage que nous nous accordions personnellement à cet état de choses. Après tout, l’univers n’ira pas s’ajuster à nous!