Cet article a pour sujet la nécessité de la théologie réformée pour l'évangélisation, en lien avec la proclamation de l'Évangile, l'adoration, la fidélité de l'Église, le renouveau de sa vie par l'Esprit, la responsabilité des pasteurs (prédication) et la conviction du péché.

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Théologie réformée et évangélisation

  1. Les facteurs
  2. L’évangélisation, dans quel esprit?
  3. La place de l’adoration
  4. Les principes
  5. La vie spirituelle de l’Église
  6. Quel réveil?
  7. Les ministres de la Parole
  8. La conviction du péché

L’une des questions les plus aiguës actuellement soulevées en Grande-Bretagne concerne le rôle de la théologie réformée dans l’évangélisation moderne.

En général, on suppose que la théologie calviniste présente un certain intérêt pour « l’intellectuel chrétien », et que les classiques de cette théologie font honneur aux bibliothèques des érudits.

Mais de quel intérêt pourraient être ces classiques pour un monde « perdu » avec un si urgent besoin de salut? Offrir à celui-ci du calvinisme c’est lui faire un cadeau dont il ne saurait que faire. En d’autres termes, quelle que soit l’importance de la théologie calviniste, elle n’aurait, pense-t-on, rien à faire avec « l’ordre missionnaire d’évangéliser toutes les créatures » (Mt 28.18-20).

Si un tel raisonnement était prouvé valable, nous, qui souscrivons à l’enseignement du Catéchisme de Heidelberg, des Canons de Dordrecht ou de la Confession de foi de La Rochelle ou de Westminster, n’aurions que très peu à dire au sujet de l’évangélisation, si ce n’est que nous n’avions rien compris à la nature même de la foi chrétienne.

Si, d’autre part, la théologie calviniste est essentiellement l’expression fidèle de l’Évangile, et si nous avons un témoignage essentiel à lui rendre, il est urgent de faire entendre notre voix sur ce sujet.

Or, nous affirmons que c’est là un problème crucial. On se pose actuellement la question de savoir si l’intérêt renouvelé pour la doctrine et la théologie réformées n’est pas le signe d’un intérêt pour un pur exercice intellectuel. Quant à nous, nous pensons qu’il est un signe sûr et précurseur d’une évangélisation qui se veut rigoureusement fidèle au Nouveau Testament. La théologie calviniste n’est pas un système d’idées dont on débattrait dans certains cercles ecclésiastiques, sans aucun rapport avec des convictions conduisant au renouveau et au réveil du monde qui, actuellement, semble indifférent, sinon hostile, à l’égard de notre foi.

À plusieurs égards, vos propres débats ici, aux États-Unis, au sujet de l’évangélisation, me paraissent plus avancés et plus approfondis que les nôtres dans les îles Britanniques.

Assurément, votre situation est différente de la nôtre. Je crois même qu’il y eut une époque où la force de l’évangélisation des Églises britanniques dépassait de loin la vôtre, mais je puis affirmer que ce temps est révolu. Si l’on venait actuellement à la qualifier la réussite de l’évangélisation, je suis certain que nous serions tout à fait disqualifiés. Il convient donc de parler davantage de nos faiblesses que de notre force dans ce domaine.

Durant l’année 1850, l’un de vos pasteurs presbytériens de New York, le Dr James Alexander, visita à deux reprises le Royaume-Uni. Il fut profondément impressionné par les preuves tangibles du progrès qu’enregistrait sur notre sol le Royaume de Dieu. À Londres, il se trouvait parmi les milliers de fidèles venus entendre prêcher C.H. Spurgeon à Édimbourg, il se trouva parmi les 500 personnes restées au dehors d’une Église comble. Il fut notamment impressionné par la manière dont non seulement les prédicateurs, mais encore les simples fidèles étaient saisis par l’Esprit de l’Évangile.

À présent, nous n’assistons plus à de telles scènes. La plupart de nos lieux de culte sont ou bien à moitié vides ou bien vendus. On peut dire que nous subissons le châtiment de Dieu. Nous ne connaissons que stérilité et échec. Nous sommes davantage accoutumés aux filets retirés vides qu’à ceux qui risquent de craquer sous l’abondance de la pêche. Cette situation nous invite à nous humilier devant Dieu et elle devrait nous ramener à l’Écriture.

C’est ainsi que, dans mes exposés, je choisirai des textes bibliques vers lesquels sera attirée votre attention. Je crois cependant que je me ferai mieux comprendre si, au préalable, je disais quelques mots sur les facteurs qui, au Royaume-Uni, ont engendré la situation que nous déplorons.

1. Les facteurs🔗

1. Durant notre siècle, l’évangélisation a été fréquemment détachée de la vie normale de l’Église institution. Au lieu de faire de l’Église la force missionnaire qu’elle doit être, l’évangélisation est apparue comme un élément surimposé et différent de la vie et du culte ecclésial. Actuellement, on s’attend à rencontrer « l’évangélisation à succès » plutôt à la périphérie qu’au centre de la vie de l’Église institution.

Diverses raisons expliquent le développement de cette tendance. L’une d’entre elles estime que l’Évangile doit être entendu par le plus grand nombre et que la prédication devrait se faire en dehors d’un édifice religieux.

C’est ainsi qu’on a eu recours à de « grandes salles » pour y organiser des rassemblements. Peu à peu, l’évangélisation est devenue le fait d’organisations spéciales, fondées dans ce but, et, au lieu de considérer chaque ministre comme évangéliste, l’œuvre d’évangélisation s’est identifiée aux organismes non ecclésiastiques ayant leur propre personnel et exerçant un contrôle extraecclésiastique.

Cependant, leur apparition n’est pas la raison principale expliquant le détachement de l’évangélisation dans les Églises instituées. Avant la fin du siècle dernier, toutes les grandes confessions protestantes subissaient la violente attaque de la haute critique biblique. À divers degrés, elles avaient toutes ou presque capitulé devant elle. On débattait du caractère de Dieu, de la nature de l’expiation, de l’autorité des saintes Écritures, etc.

Un vaste changement s’est inévitablement produit dans les rangs des pasteurs eux-mêmes. Certains renièrent et rejetèrent la théologie orthodoxe, d’autres doutèrent de tel ou tel article, et ce doute entraîna la mort de l’évangélisation autant que l’arrêt de la croissance des Églises.

Un historien néerlandais, S.D. Van Veen, a décrit les effets que le rationalisme a exercés sur certaines Églises des Pays-Bas durant les années 1840. Ses mots décrivent avec exactitude ce qui se produisit de manière encore plus permanente en Grande-Bretagne. Peu de crédit a été attaché aux doctrines caractéristiques de l’Église, et celles qui étaient encore enseignées étaient passablement diluées.

Certes, on a continué à assister aux cultes, à célébrer les sacrements, à élire des hommes pour les fonctions d’anciens et de diacres, mais pour le reste, la religion était devenue une affaire du dimanche sans pouvoir exercer d’influence sur le cœur et sur la vie des membres des Églises. Le mot conversion faisait partie d’un vocabulaire archaïque. On pensait que la foi n’était rien d’autre qu’un acquiescement cérébral à quelques vérités religieuses. Le Saint-Esprit était remplacé par « l’esprit des temps » et la plus grande tolérance manifestée envers les idées les plus étranges. Les hommes des institutions académiques se vantaient de leur « largeur de vue »1.

À cause de cet état de choses, des chrétiens zélés pour l’évangélisation commençaient, en dehors même de leur confession ecclésiastique, à entreprendre et à soutenir un effort d’évangélisation. Ce qui ne tarda pas à donner naissance au terme d’« évangélique ».

Dans notre terminologie actuelle, « évangélique » ne signifie pas exactement la même chose que « fondamentaliste ». Malgré quelques traits communs, l’évangélique n’appartient pas à une Église donnée et ne tend pas à devenir séparatiste dans sa propre Église. Son intérêt principal ne se trouve pas dans son appartenance ecclésiastique, mais dans la communion et dans l’action commune avec d’autres associations non confessionnelles et les organismes dont le but est d’évangéliser.

L’un des pires résultats de cet état de choses fut, chez nous, la dissociation entre l’étude de la théologie et l’évangélisation proprement dite. Avant l’avènement de la haute critique, l’idée que le pasteur devait avoir une forte formation théologique était répandue dans toutes les Églises. La prédication de l’Évangile ne se confondait pas avec une collection d’anecdotes, couronnée invariablement par un appel vibrant. Au contraire, elle exigeait toutes les énergies de l’homme, celle de son intelligence sous l’influence de l’Esprit.

Dans des Églises réformées en France, en Suisse, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, en Nouvelle-Angleterre, la discipline théologique n’était jamais une fin en soi, mais elle visait à instruire et à former des hommes du plus haut niveau, afin de préparer des « ministres de l’Évangile », serviteurs de la Parole.

Tout cela a été radicalement changé par l’avènement et l’infiltration de la haute critique dans nos universités et dans nos collèges de théologie. Ce que la Bible enseignait au sujet du péché, de la justification et de la régénération a cessé de devenir le centre des séminaires et des classes de théologie.

Le programme des études théologiques n’était plus fonction de la Parole de Dieu ni dominé par elle, mais soumis à de nombreuses questions, perpétuellement changeantes, que l’on disait nécessaires pour le ministère.

Lorsque Archibald Alexander fut le premier professeur de théologie systématique à Princeton, on disait que ses étudiants n’avaient pas à faire un très grand effort pour découvrir que l’homme derrière le pupitre de la chaire de théologie n’était autre que celui qui prêchait chaque dimanche dans différentes Églises des alentours. Les sujets enseignés en classe restaient les mêmes que ceux qu’il exposait dans l’Église. L’évangélisation était vue comme la foi chrétienne mise en jeu du haut de la chaire.

2. Lorsque ce climat disparut, ce fut, pour le monde anglophone, un véritable désastre. Depuis l’âge apostolique, les plus grandes périodes pour l’évangélisation dynamique ont toujours été celles où l’Église a reconnu la primauté de la doctrine ou d’une théologie digne de ce nom.

Tandis que les collèges de théologie sombraient dans le libéralisme, la tendance pour l’évangélisation avec un minimum de théologie commençait à prendre corps et gagnait du terrain. Lorsque les évangélistes disaient prêcher le simple Évangile, ils entendaient par là une présentation de la vérité qui était réduite à un rudiment qualifié d’essentiel.

Tout ce qui, dans la Bible, n’était pas considéré comme cet « essentiel » devait l’être comme un enseignement théologique, sans doute bon pour le croyant, mais non indispensable pour l’homme perdu de la rue. C’est ainsi qu’on a établi une distinction entre l’Évangile et l’enseignement théologique. Il était même courant d’entendre dire d’un évangéliste qu’il prêchait, lui, l’Évangile, mais que si l’on cherchait un enseignement théologique, on devrait s’adresser ailleurs!

Je n’affirme pas qu’une telle distinction ne soit pas légitime. Il existe des vérités essentielles qui nécessitent la prééminence, suivant qu’on les expose à un chrétien ou à un non-chrétien. Un pécheur non converti ne peut comprendre du premier coup tout le conseil de Dieu avant de venir au Christ.

Cependant, cette distinction s’est faite de telle manière qu’elle a fini par devenir tout à fait nocive. Ce qu’on appelait la prédication de l’Évangile avait peu ou pas de contenu didactique.

Cette idée a tellement prévalu qu’on a même commencé à critiquer l’apôtre Paul qui, sur l’Aréopage, plaçait l’accent sur Dieu comme Créateur et comme Juge, Seigneur du ciel et de la terre. En prêchant de la sorte, Paul se serait trompé. Je ne veux pas insister davantage sur cette inadmissible distinction entre évangélisation et théologie. Je tiens plus simplement à observer combien elle est étrangère à la pensée de la Réforme.

Lors de la Réforme, ce furent les meilleurs esprits théologiques qui s’engagèrent dans l’évangélisation.

À ce sujet, John Macleod écrit :

« La théologie de la Réforme, avec son renseignement solide concernant la grâce souveraine, fut un très puissant outil pour briser le pouvoir de l’homme orgueilleux et pour amener toute pensée captive à l’obéissance du Seigneur Jésus. La prédication de nos “pieux” pères dans la foi (17siècle) possédait un solide fondement. Pendant qu’ils luttaient dans la prière pour que le pouvoir de Dieu couronne de succès leurs efforts, ils rendaient aussi un puissant témoignage à la vérité. Ils avertissaient du danger. Ils suppliaient, ils exhortaient, ils raisonnaient, ils enseignaient. Ils appelaient et ils invitaient. Leur ministère ne fut pas laissé sans le sceau de la puissance de l’Évangile. Une communauté qui recevait le bien d’un tel bon message s’ancrait dans la doctrine de l’Évangile et s’orientait théologiquement de ma­nière claire et précise.2 »

3. Dans ces remarques introductives au sujet des traits dominants de la situation du Royaume-Uni, nous devons en ajouter une autre qui explique la raison de la rupture entre l’évangélisation et la vie même de l’Église.

On admet d’ordinaire que l’évangélisation indépendante de l’Église a plus de chance d’atteindre celui qui a rompu avec l’Église. Actuellement, un doute plane sur cette idée, doute général qui enveloppe ce qu’on appelle « l’évangélisation de masse ». La majorité de nos contemporains se trouve encore davantage éloignée de la foi chrétienne que les gens de jadis. Autrefois, un certain respect du christianisme était de nature à amener les gens et à les faire participer à des campagnes d’évangélisation.

À présent, on estime que l’Église doit redevenir responsable de l’évangélisation. Il est également clair que l’évangélisation ne réussira pas indépendamment de l’état spirituel de l’Église. Nous nous trouvons au milieu d’un déclin moral qui découle d’une source religieuse, à savoir l’incroyance qui a pénétré l’Église elle-même.

Le monde juge la foi chrétienne à travers l’Église. Si les conducteurs de cette dernière affirment que Jésus-Christ n’est pas Dieu ou que les athées se retrouveront au ciel, ou encore que la Bible est faite en partie d’erreur et en partie de vérité, le monde se rendra vite compte que les débats autour de l’évangélisation ne sont d’aucune actualité. Il avait fallu plus d’une centaine d’années pour que les résultats de la haute critique soient popularisés ou vulgarisés, mais ses effets sont actuellement devenus le pain quotidien des masses dont on se nourrit dans l’Église.

Ainsi, la crédibilité de celle-ci est largement entamée. Il n’existe, bien entendu, rien de nouveau dans cette situation. Une position similaire existait en Europe avant la Réforme et elle a existé au cours du 18siècle. Mais l’existence de ces conditions rend absolument impossible de traiter l’évangélisation comme quelque chose que l’on peut ajouter à la vie de l’Église. Nous retournons à l’une de ces époques où l’Église elle-même a besoin d’être évangélisée et où les pasteurs doivent entendre parler de la doctrine de la régénération.

2. L’évangélisation, dans quel esprit?🔗

Abordant à présent le sujet qui nous occupe plus particulièrement, je voudrais commencer par souligner l’esprit dans lequel nous devons conduire l’entreprise d’évangélisation.

À cet égard, le principe biblique se trouve énoncé dans 1 Corinthiens 2, où saint Paul traite de la manière dont l’Évangile doit être proclamé. Ce passage dit clairement que le contenu et le caractère de l’Évangile présideront exclusivement l’esprit dans lequel l’évangélisation se fera. Christ et Christ crucifié, écrivait Paul, doit exercer le contrôle décisif sur notre approche de l’homme irrégénéré. Certains caractères en sont exclus. D’où la série négative : non par l’excellence de la parole ou du discours de sagesse, ni avec l’assurance de soi, mais plutôt dans la crainte et le tremblement, etc.

Les adversaires de l’apôtre s’imaginaient que son évangélisation aurait pu être plus attrayante si Paul n’avait pas exclu de sa prédication cet élément, la rhétorique brillante, qui, selon la pensée grecque, faisait la force même de toute communication.

Mais du point de vue de Paul, « l’homme naturel » doit entendre l’Évangile parce que son intelligence est obscurcie pour connaître Dieu. Elle ne peut le guider dans la voie sur laquelle il peut se placer pour bénéficier du salut. Ainsi, le succès de l’Évangile ne dépend pas de notre capacité d’adaptation à l’esprit du monde ou aux idées qui lui sont propres; au contraire, nous aurons à rendre un témoignage du fait qu’en dehors de l’intervention puissante et divine du Saint-Esprit, l’Évangile sera considéré partout et toujours comme une folie.

Bien entendu, nous n’avons pas à ignorer les situations diverses particulières dans lesquelles se trouvent les auditeurs de l’Évangile, avec leurs préjugés ou leurs idées erronées. L’apôtre nous rend attentifs à cette préoccupation dans 1 Corinthiens 9.

Pourtant, quand tout sera dit sur cette réalité, il restera l’autre réalité fondamentale, à savoir l’inimitié foncière de l’homme envers Dieu (Rm 8.7). L’homme naturel ne reçoit pas les choses de l’Esprit de Dieu, car elles sont folie pour lui. Il ne peut même pas les connaître, parce qu’elles ne sont discernées que par les yeux de l’Esprit (1 Co 2.14). Le principe veut que l’Esprit qui dirige notre effort ne soit pas dominé par l’esprit de celui que nous cherchons à amener au salut.

Certes, la véritable évangélisation cherche le bien de l’homme, mais l’esprit dans lequel nous la conduisons ne sera pas centré sur lui. Or, précisément, c’est l’anthropocentrisme excessif de l’homme qui explique sa ruine, et il est la preuve irréfutable de sa corruption totale. Au lieu d’adorer le Créateur, l’homme n’adore et ne sert que la créature.

Pourtant, la conversion de tout homme vise en tout premier lieu la gloire de Dieu qui, elle, est la condition lui permettant de découvrir le sens véritable de son existence. Et ce sens n’est rien d’autre que la gloire de Dieu, en qui seul l’homme trouve son bonheur.

La repentance et la foi sont prêchées à tout homme, non pas pour lui plaire ou pour flatter son orgueil, mais afin qu’il cesse de se glorifier et qu’il cherche la gloire de Dieu.

Le zèle qui caractérise la prédication paulinienne s’explique par l’Esprit de Dieu, « afin que nulle chair ne se glorifie en la présence de Dieu ».

Selon l’Écriture, le zèle pour toute évangélisation moderne doit être la recherche de cette même gloire. Le péché cherche à ôter la gloire de Dieu et à la priver de l’honneur qui est dû à son nom.

Ainsi, David Brainard, l’un des meilleurs esprits des temps modernes, écrivait dans son journal en 1743 :

« Mon âme se préoccupait, non pas tant pour les âmes comme telles, mais plutôt pour le Royaume du Christ, afin qu’il apparaisse dans le monde et que Dieu puisse être connu pour ce qu’il est sur la terre tout entière. Et puis mon âme abhorrait l’idée même d’une petite partie seulement de la religion. La vérité de Dieu doit apparaître pleinement et il doit toujours recevoir la seule gloire. »

3. La place de l’adoration🔗

L’une des affirmations les plus émouvantes que je connaisse sur l’esprit du culte se trouve dans un sermon de James Henley Thornwill, intitulé : « Le sacrifice du Christ, type et modèle de l’œuvre missionnaire ».

Dans leur zèle pour la diffusion de l’Évangile, les chrétiens doivent ressembler à leur Sauveur, ce qui, selon Thornwill, veut dire qu’ils doivent être animés par l’esprit du culte.

Cette recherche de la gloire de Dieu a poussé Jésus à ne pas accorder à sa vie un grand prix, mais à chercher surtout l’honneur du Père et, par là, nous laisser le principe premier de toute œuvre chrétienne. À nos yeux, Dieu doit apparaître comme saint. Le zèle du prophète Élie pour Dieu, le Seigneur des armées, était le même que celui de l’apôtre, traduit devant l’Aréopage, en présence de nombreux Athéniens dévoués à leurs superstitions.

Ce zèle n’est pas une humeur ou un sentiment passager, mais un principe constant et ordonné, pénétrant toute vie chrétienne. Être chrétien, c’est aimer Dieu.

L’aimer signifie le respecter. Dans la mesure où ce principe est fortement ancré en nous, tous nos efforts tendront à réclamer l’honneur de Dieu. Nous haïrons le péché non seulement à cause de ses mauvaises conséquences, mais parce qu’il est principalement un déshonneur pour Dieu et une souillure de son nom. Les abominations du monde païen ne sont pas des rites de sauvages d’une humanité en évolution, ainsi que nombre de philosophes voudraient nous le faire croire, et qui, selon la phénoménologie de la religion, seraient adaptées aux âges mentaux de l’humanité. Elles ne sont pas une inclination maladroite à adorer la divinité ni le résultat d’une ignorance involontaire des primitifs. Elles sont des étapes de la dégradation que les hommes ont franchies dans leur apostasie religieuse et le discours de leurs cœurs aliénés.

La vraie difficulté pour les païens consiste dans leur refus conscient de glorifier le seul nom de Dieu. Aussi sont-ils devenus vains dans leur imagination et ils suppriment la lumière de la nature, et leur cœur insensé en est obscurci. C’est l’histoire naturelle du paganisme.

Lorsque le chrétien considère ce spectacle, qu’il monte sur un sommet et passe en revue toutes les générations païennes de la terre, il n’entend qu’une voix proférant des blasphèmes contre le nom que les anges prononcent avec un infini et saint respect. N’y a-t-il pas chez nous un sentiment d’Indignation et de zèle pour le nom du Seigneur des armées que l’on profane? Est-il possible d’écouter ce nom vilipendé et de continuer à conserver notre tranquillité d’esprit? Est-il possible de rendre témoignage à son caractère saint sans prendre aussi sa défense? Pourrions-nous prétendre être aimés du même esprit de notre Seigneur et divin Maître au zèle dévorant, tandis que nous considérons sans broncher les abominations d’un monde enfoui dans l’iniquité, introduite et propagée par l’adversaire de Dieu qui l’insulte? Est-ce là le signe d’un esprit chrétien, ce même esprit qui a conduit Jésus depuis les « lieux célestes » jusque sur la croix? Est-ce le signe de l’amour que nous portons au nom de notre Père?

Nos âmes devraient être troublées profondément en regardant un monde qui, sans cesse, conspire, obscurcit et altère la gloire de Dieu. Lorsque nous devons parler en son honneur, le feu devrait brûler au fond de nous-mêmes.

Avant de conclure ce paragraphe consacré à l’Esprit qui doit présider notre évangélisation, tirons quelques conclusions pratiques de ce principe.

1. Il faut nous opposer à ce que les modes de pensée contemporaine et l’opinion sécularisée influencent notre évangélisation. Il existe pour l’Église le danger permanent d’accepter que son idée en tête soit partiellement aux mains du monde non chrétien.

Ce danger est évident dans celle tendance chez les pasteurs qui soulignent le temporel au détriment des bénédictions spirituelles qui découlent de l’Évangile.

Celle tendance pourra en partie s’expliquer par l’opposition contre la dichotomie anti-biblique qui sépare le corps de l’âme et qui a longtemps caractérisé les cercles « orthodoxes ».

Je crois cependant qu’il trahit encore plus un accommodement avec la pensée profane. Comme nous le savons, les intellectuels occidentaux sont très sensibles à un certain nombre de maux qui menacent les droits de l’homme, le bonheur humain, l’oppression raciale, la famine, la privation de l’éducation, l’injustice sociale, etc.

La tentation existe alors de penser que nous aurions plus d’influence que le monde contemporain et que nous gagnerions la sympathie des gens si nous mettions l’accent majeur sur la vie présente de l’homme.

Je ne tiens pas à me faire mal comprendre. Les besoins temporels ne doivent pas être négligés ni ignorés. Dieu en personne en prend soin. Le véritable christianisme ne peut exister en vase clos, coupé de la vie sociale, mais le fait est que l’homme souffre dans ce monde à cause de la chute initiale. II est né pour être et pour souffrir (Jb 5.7). La colère de Dieu se révèle du ciel et le premier besoin de tout homme est un changement de ses rapports avec Dieu. Autrement, en une brève période, il se trouvera là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint point. Christ en personne nous enseigne que ce qui peut survenir au corps temporel est moins important que l’importance que doit revêtir à nos yeux une destinée éternelle.

L’amour immense de Dieu manifesté sur le Calvaire vise le salut. Mais l’Évangile, selon le Nouveau Testament, n’est pas un message qui concernerait en premier des avantages temporels.

Au contraire, il va jusqu’à nous avertir que la foi en Christ pourrait augmenter les afflictions temporelles. Mais, « si ce n’est que pour cette vie seulement que nous avons cru, nous sommes les plus misérables entre tous les hommes » (1 Co 15.19). Les bénédictions suprêmes de l’Évangile appartiennent à l’éternité. Jésus nous a libérés de la colère à venir (1 Th 1.10).

C’est l’attente joyeuse de l’avenir qui soutient le chrétien dans le présent. Nous n’espérons que ce que nous n’avons pas encore vu. Selon ses promesses, regardons et attendons les nouveaux cieux et la nouvelle terre (Rm 8.21,25; 2 Pi 3.13). Nous regardons le Sauveur et le Seigneur Jésus-Christ (Ph 3.20).

Sur ce point, B.B. Warfield nous avertissait déjà au début du siècle.

« Pourquoi le feu brûlant de la colère de Dieu contre le péché? Parce que le salut est non pour des biens temporels, mais pour des biens éternels en vue de la gloire à venir. »

Un autre aspect de la pensée contemporaine peut menacer la présentation de l’Évangile. Notre époque se caractérise par des discussions concernant l’angoisse intérieure de l’homme, l’absence d’harmonie, ses désordres psychiques. Des auteurs non chrétiens parlent de l’accomplissement de l’homme, de son besoin de trouver des satisfactions et des objectifs. Une partie de ceci est vraie et utile. Nul ne devrait mépriser les connaissances médico-psychologiques modernes.

Mais l’Évangile nous vient comme la réponse de Dieu aux problèmes décrits en ces termes, et c’est là un point avec lequel nous ne sommes pas d’accord. Selon le Nouveau Testament, l’homme a besoin de bien plus que d’un changement subjectif. Il lui faut un changement juridique, car son statut est mauvais. Aux yeux de Dieu, il reste condamné. Il ne peut vivre, à moins que Dieu ne le déclare juste.

La réponse de Dieu est que la justice du Christ est une grâce qui nous a été imputée par la foi. Hélas, cet aspect de la vérité biblique n’occupe pas la place qui lui est due dans l’évangélisation moderne. Celle-ci nourrit quelques idées superficielles concernant le péché. Si la perdition de l’homme doit être décrite dans les termes populaires de la psychologie moderne, non chrétienne, omettant la vérité fondamentale de la situation légale d’Adam, il est probable que la présentation du remède doive subir une adaptation. Quelque chose d’essentiel sera obscurci. Paul tire sa gloire non pas de ce qu’il offre à son auditeur ou à un lecteur un but, serait-ce celui du pardon des offenses, mais parce qu’en l’Évangile est révélée la justice de Dieu, L’Évangile garantissait l’esprit de l’évangélisation de Paul, ce qui le préserva de subir l’influence de modes qui lui sont totalement étrangères.

2. Un autre domaine dans lequel l’esprit d’évangélisation devra être en accord avec l’Évangile est celui d’où un esprit trop pragmatique prend son départ dans la situation humaine et s’interroge sur la façon d’agir pour mieux réussir.

Une telle approche est franchement étrangère à l’Évangile et à la tradition réformée… Le pasteur A. Earl Kernahan s’était spécialisé dans des évangélisations des centres urbains durant les années 1920. Des laïcs recevaient un cours de formation de x heures, afin, décrit un auteur, « de vendre du christianisme de porte en porte ».

Selon lui, les gens s’intéressaient à la question de savoir en quoi la foi chrétienne était bonne et utile et à quoi elle leur servirait dans leur vie.

Toujours selon cet évangéliste, les gens ne s’intéressent plus au dogmatisme. Un autre partisan de cette même méthode d’évangélisation écrivait : « Nous ne devons pas inviter les gens à se convertir, mais à devenir chrétien. »

Il estimait qu’entre 1923 et 1928 quelque 185 867 individus avaient été gagnés pour Christ, à travers lui (!). Durant les soixante dernières années, cette évangélisation a connu un énorme succès populaire et son influence s’exerça sur tout le témoignage chrétien. Il y a quelques années déjà, le Bookstore Journal contenait un article consacré à la publicité et à la promotion de ce type d’évangélisation. Les principes suivants y étaient recommandés :

« Les gens ne sont pas intéressés par la réflexion. La plupart des décisions doivent se faire sur la base des trois points suivants qu’il faut rappeler : (a) Tout le monde a des préoccupations; (b) pour atteindre votre auditoire, vous n’avez qu’à utiliser la bonne technique qui brise leurs inquiétudes; (c) découvrir l’émotion juste pour atteindre, notamment celle d’autodéfense, de l’argent, du romantisme, de l’amour, se faire reconnaître et se faire accepter. L’une de ces émotions-clés sera celle de votre auditeur qui vous écoutera alors que vous cherchez à lui communiquer l’Évangile. »

3. L’une des leçons que nous apprenons de l’évangélisation est la suivante : le succès de la mission de l’Église a été sujet à des variations et à des fluctuations considérables. Peut-être nous serions-nous attendus à ce qu’il en fût autrement? De notre connaissance de la manière dont l’Église apostolique a commencé à répondre au grand ordre missionnaire durant les trente premières années de son existence, nous aurions supposé qu’il y eut une très rapide croissance et un grand nombre d’adhésions, et que cela fut, par la suite, la norme établie.

L’Évangile paraissait remporter la victoire sur toute opposition, de telle sorte que, cinquante ans après la mort du dernier apôtre, un apologiste chrétien pouvait écrire à l’empereur de Rome :

« Nous ne sommes que d’hier, et nous avons rempli tout ce qui vous appartient : les villes, les forteresses, les champs, le palais, le sénat, le forum; nous ne vous laissons que les temples. »

Mais ce degré de croissance dans l’Église primitive n’est pas devenu la norme. Au début, c’était extraordinaire, comme un courant emportant tout sur son passage, et à partir de ce moment-là, il y eut des variations. Parfois, la croissance fut lente, graduelle, progressive. Quelquefois, il n’y eut presque rien; on ne constatait que les fluctuations d’une marée.

La cause du Christ semblait parfois régresser. De nouveau, il y eut des périodes où l’Église fit l’expérience du renouveau, presque du succès apostolique, lorsqu’un grand nombre entra dans le Royaume de Dieu. Le monde fut contraint de reconnaître alors la puissance de l’Évangile.

L’histoire de l’Église est remplie de tels exemples. Abraham Kuyper a écrit, au sujet de ce qu’il appelle un réveil remarquable aux Pays-Bas dans les années 1720 : « Celui-ci commença dans le petit village de Woubrugge, près de Leyde. »

Dans ce village, écrit-il, durant de longues années, il n’y avait rien que des signes formels de la religion; il y avait une orthodoxie et même de la connaissance pouvant mener à la vraie foi traditionnelle, mais la puissance du Seigneur en était absente. Le Saint-Esprit n’opérait pas.

L’instrument humain du changement fut un homme pieux, un ouvrier du nom de Klaas Jansse Poldervaert qui, durant huit ans, avait rendu un témoignage et pria, sans voir le moindre indice de renouveau, mais sans se laisser désemparer. Alors, pendant la neuvième année, un changement se produisit, aussi bien dans sa propre communauté que dans les environs.

C’était totalement inattendu. Plusieurs personnes vinrent à Poldervaert pour recevoir une assistance spirituelle, à tel point qu’il ne pouvait répondre à toutes les demandes. Au début, le ministre de la paroisse, le pasteur B. s’y opposa, mais le réveil se montra tellement général et persistant, donnant des signes d’un caractère si élevé, que, finalement, le pasteur de l’endroit changea d’attitude et participa à la bénédiction au bénéfice même de sa propre personne. Jusqu’à sa mort en 1734, il rendit un témoignage public et vibrant depuis la chaire à la grande œuvre que le Seigneur avait déclenchée.

Tandis que tous les ministères pastoraux s’égaraient durant près d’un demi-siècle dans toutes sortes d’hérésies, cette partie de l’Église néerlandaise conserva un pouvoir de résistance suffisamment fort pour survivre à toute opposition… Un amour tel pour la Bible avait saisi les hommes qu’une pétition adressée au roi, demandant l’enseignement biblique dans les écoles élémentaires, a été signée par au moins 300 000 personnes.

« Les conversions sont devenues rares », écrivait en 1721 le Dr I.M.B. Au siècle dernier, presque tout sermon prêché produisait une conversion et parfois même des centaines…

Qui d’entre nous oserait affirmer qu’il en voit de semblables de nos jours? Les conversions sûres et solides ne sont pas fréquentes dans nos communautés ecclésiastiques.

Ainsi que l’on sait, ces conditions n’ont pas duré. En 1740, les Églises des treize colonies (Amérique du Nord) ont marqué un très grand progrès avec un nombre estimé de 300 000 nouveaux membres ajoutés aux Églises. Nous savons qu’avant 1802, il n’y avait que quatre membres de l’Église parmi les étudiants de Yale; après cette date, le nombre s’éleva de 900 à 920 à plus de 2000, tandis que le nombre de membres passait de moins de 40 000 à 122 000, soit un accroissement de l’ordre de 300 %.

De 1825 à 1835, la croissance des membres de l’Église dans l’Église presbytérienne atteignait 50 %. D’autres Églises de confessions orthodoxes accusaient une croissance identique et, à certains endroits, le nombre de conversions excédait même celui de la population locale.

Nous traitons ici des principes bibliques pour l‘évangélisation et non de l’histoire de l’Église, mais je mentionne ces faits afin d’introduire mon thème. Dieu reste souverain dans tout ce qu’il entreprend, et, si nos principes bibliques sont corrects, je suis convaincu qu’ils jetteront une lumière sur les variations tellement courantes.

Dans son ouvrage L’œuvre du Saint-Esprit, Abraham Kuyper écrivait :

« L’histoire de l’Église […] démontre qu’une condition satisfaisante de l’Église est très exceptionnelle et de très courte durée, que, pendant huit siècles sur dix, son état était triste et déplorable, cause de honte et de grief de la part du peuple de Dieu. »

Si c’est le cas, comment expliquer le phénomène? Dans quelle mesure l’échec de l’évangélisation est-il dû à l’échec de l’Église à bien appliquer des principes bibliques?

Il y a trois principes auxquels j’attirerai votre attention à la lumière de telles questions.

4. Les principes🔗

Dans le Nouveau Testament, l’évangélisation n’est pas un sujet que l’Église doit apprendre. Elle y apparaît comme le résultat de l’Église restée fidèle à sa vocation. L’Église est la communion de ceux que Dieu a renouvelés et en qui Jésus-Christ vit par son Saint-Esprit. Le témoignage le plus efficace de l’Église, rendu devant le monde, est par conséquent l’effet de la vie qu’elle mène, et plus elle fait l’expérience profonde de cette vie nouvelle, plus profonde sera l’impression qu’elle laissera sur le monde.

Le Nouveau Testament ne place pas l’accent sur le besoin d’une plus vaste évangélisation, mais sur la fidélité de l’Église aux grands privilèges et à sa vocation céleste.

Parmi toutes les instructions que nous avons reçues dans les épîtres, il y eut peu d’exhortations adressées aux chrétiens à s’occuper d’évangélisation.

Dans l’ordre des devoirs chrétiens, la priorité apostolique ne s’appesantit pas sur « davantage de témoignages » ou sur « plus d’âmes à gagner ». Les priorités concernent la connaissance de Dieu, la communion plus intime avec Jésus-Christ, la croissance dans l’obéissance, une plus grande assurance du salut.

Ces mêmes priorités s’aperçoivent dans le livre des Actes. Le très puissant témoignage de l’Église de Jérusalem dans les chapitres 4 et 5 est tracé par Luc, non pour organiser une campagne d’évangélisation, mais pour prier. Il en donne le résumé dans Actes 9.31, sur le progrès enregistré par l’Église (remarquez l’ordre suivi…).

L’accent du Nouveau Testament ne tombe pas sur le « plus d’évangélisation », mais sur le besoin de l’Église de rester fidèle à sa vocation céleste. Reconnaître cela ne revient pas à réduire l‘importance de l’évangélisation. Il s’agit plutôt de reconnaître que la véritable évangélisation est une affaire spontanée, résultat naturel de la santé spirituelle. Ceux dont les cœurs ont été remplis par l’amour de Dieu vont nécessairement agir, mus par un très profond intérêt pour leur prochain (1 Jn 3.16-17).

L’évangélisation effective est alors la conséquence d’une réelle expérience spirituelle. Là où il existe un christianisme vivant, là il y aura toujours une évangélisation vivante. Dans Matthieu 5, Jésus décrit les gens qui sont de vrais évangélisateurs. Il les appelle le sel de la terre et la lumière du monde. Notez pourtant les traits caractéristiques de ces gens : ce sont les pauvres en esprit, ceux qui pleurent, qui ont faim et soif de justice, qui sont miséricordieux, au cœur pur. Ces hommes-là vont irrésistiblement exercer une profonde influence dans le monde (Mt 5.14).

De même, lorsque l’apôtre Paul parle du témoignage à rendre au monde de la part de l’Église de Corinthe, il ne le fait pas avec le terme de ce qu’ils dirent ou firent, mais de ce qu’ils étaient, à savoir des épîtres du Christ, connues et lues de tous.

Paul n’avait pas besoin de lettres de recommandation pour soutenir son ministère à la manière de faux apôtres. La raison en était que Christ avait écrit sur le cœur des chrétiens de Corinthe avec l’Esprit du Dieu vivant. Leurs vies proclamaient la réalité de l’Évangile.

Autre exemple : « Votre foi en Dieu s’est fait connaître en tout lieu, à tel point que nous n’avons pas besoin d’en parler » (1 Th 1.8). Le témoignage de ce dernier fut comme une trompette qui sonne, mais remarquez que ce texte montre clairement que la diffusion du message était due, non pas au génie que ces chrétiens avaient acquis dans l’évangélisation ou le gain des âmes, mais à la qualité de leurs vies. Les païens les observaient et disaient que leur foi montrait leur Dieu et comment ils s’étaient détournés des idoles vers le vrai Dieu.

Le théologien du 19siècle Robert L. Dabney a écrit que « la lumière d’un saint exemple est le plus grand argument en faveur de l’Évangile », et cette vérité a été confirmée durant la longue histoire de l’Église.

Certainement, il serait faux d’affirmer que la sainteté de la vie doit nécessairement amener des conversions. Néanmoins, il existe assez de teneur biblique pour nous permettre de conclure qu’il faut attendre que l’Évangile soit répandu suivant la qualité et la vitalité de la vie de l’Église. Même Gibbon, l’historien non chrétien de l’Empire romain, était forcé d’admettre que la vie irréprochable des chrétiens avait été la cause principale de ce que leur message avait été largement répandu.

D’autres auteurs ont fait la même observation concernant la Réforme calviniste et les Églises issues de cette Réforme. Combien de chrétiens, français, néerlandais, britanniques ou d’autres, perdirent leurs vies à cause de leur attachement à l’Évangile; ils ont bravé les persécutions!

Pourtant, si peu nombreux sont les auteurs du 16siècle à avoir écrit sur l’évangélisation. Des quatre-vingts chapitres de l’Institution de la religion chrétienne de Calvin, aucun n’est consacré à l’évangélisation. Mais Calvin savait pourtant qu’en traitant de la vie du chrétien, dans l’union avec Christ, de la sanctification, du renoncement de soi, de la prière, etc., il traitait avec les sources véritables du témoignage de l’Église.

Les étudiants qui s’assirent à ses pieds pour écouter ses cours après 1555 appartenaient à l’académie, mais ils n’avaient pas de manuel d’évangélisation, pas de séminaires consacrés à la croissance de l’Église, pas de statistiques de ceux qui avaient accepté Jésus-Christ. Venant de Paris, de Prague, de Rotterdam ou d’Édimbourg, il est un fait universellement reconnu que Genève a donné plus d’évangélistes qu’aucun autre centre réformé du monde.

« Si le communisme est révolutionnaire, écrit Herbert Butterfield, il dépasse à peine le calvinisme du 16siècle dans son énergie missionnaire militante et l’enseignement chrétien. » John T. McNeil met son doigt sur le point de la source de ce témoignage en parlant du type de piété familière dans le vieux calvinisme.

L’histoire de la Réforme montre ce principe selon lequel, dans l’évangélisation, la condition première est qu’une Église reste fidèle à ce qu’elle est.

Abordons à présent le second principe, étroitement lié au premier.

Nous savons qu’une évangélisation dynamique est le fruit d’une foi vivante. L’évangélisation et son progrès dépendent de l’état spirituel des chrétiens plus que du travail de ceux qui en sont chargés. L’exercice des dons spirituels lors des rencontres ecclésiastiques n’est pas le principal facteur contribuant à la propagation de l’Évangile.

Cet exercice est limité à la fois par le temps et par le lieu, tandis que le témoignage de fidélité ne l’est nullement. Certes, je n’oublie pas que dans de très nombreuses Églises réformées l’idée du ministère de la Parole a été tellement rabaissée qu’il est difficile de trouver derrière ce ministère encore quelque autorité biblique.

Contre cette tendance, nous persistons à maintenir une idée haute de la prédication comme celle d’un acte non ordinaire. L’homme qui en est chargé doit être appelé de manière précise et mis à part à cet effet. Néanmoins, tout en soulignant la nature particulière du ministère, nous devons rester lucides sur le danger d’un cléricalisme professionnel.

Le respect véritable envers le ministère de la prédication risque de dégénérer en une attitude qui exagère aussi bien l’office du ministre et qui suppose que rien d’effectif ne saurait se faire sans la présence du pasteur.

Dans notre tradition réformée, les gens se sont accoutumés à penser que l’évangélisation est principalement une activité conduite depuis le haut de la chaire et confinée dans des édifices ecclésiastiques.

Mais nous savons que ce n’est pas là la définition que nous en découvrons dans le Nouveau Testament. L’Église du Nouveau Testament n’a pas grandi parce qu’il y avait des bâtiments ouverts et des sermons prêchés deux ou trois fois par semaine. Elle croissait sans avoir ni de bâtiment ni même de ministres consacrés.

L’ordre que nous trouvons dans le Nouveau Testament n’est pas d’abord celui des anciens ou des diacres, et ensuite celui des Églises ou des communautés locales, mais plutôt l’inverse. Tout chrétien était responsable de l‘évangélisation; lorsqu’une nouvelle communauté s’établissait, des anciens étaient désignés pour enseigner et pour diriger l’Église nouvellement fondée.

Je ne pense pas qu’on puisse faire des objections à cela en rappelant l’existence du ministère apostolique. Le livre des Actes des apôtres montre que l’évangélisation n’était pas limitée au seul rôle apostolique.

Une grande partie de l’Église de Jérusalem remplie du Saint-Esprit proclamait avec hardiesse la Parole de Dieu (Ac 8.1), et ils ont été tous dispersés.

Cependant, l’absence des apôtres ne signifia pas la fin de l’évangélisation, bien au contraire. Ainsi, l’évangélisation ne se limite pas à la prédication de quelques-uns. Les épîtres soulignent également que tous les chrétiens sont engagés dans le progrès de l’Évangile.

Prenons par exemple la lettre adressée aux Philippiens. Au moment où l’apôtre rédigeait cette lettre, il y avait des anciens et des diacres. Cependant, la lettre ne s’adresse pas aux seuls anciens et aux seuls diacres. Elle est destinée « à tous les saints en Christ », avec les évêques et les diacres.

À plusieurs reprises, saint Paul se réfère à la propagation de l’Évangile, comme étant la préoccupation et l’œuvre de toute l’Église. Il se réjouit dans leur communion en l’Évangile (Ph 1.15). D’après le commentaire de John Eddie : « Tout ce qui fait partie de la défense et de la proclamation de l’Évangile était une affaire commune à tous, de sympathie et de coopération » (voir Ph 1.27 et 2.15).

Dans le Nouveau Testament, il n’existe pas le moindre indice laissant supposer que l’évangélisation fut une prérogative ou une responsabilité exclusive confiée à des ministres chargés d’un office. Nous devons porter le souci des âmes, non parce que nous sommes des ministres, mais parce que nous sommes des chrétiens.

Sur ce sujet, permettrez-moi de citer J.C. Ryle, l’un des dirigeants de l’Église anglicane les plus éminents du siècle dernier :

« Les laïcs de nos Églises ne se trouvent malheureusement pas à leur place. Engagés dans l’œuvre directe du Christ et dans la propagation de la foi chrétienne, une mauvaise habitude de laisser au pasteur de la paroisse le soin de s’occuper de la “religion” a envahi notre pays, et la majorité des laïcs semble penser qu’ils n’ont rien à faire, si ce n’est de recevoir les moyens de la grâce sans contribuer de manière personnelle à la vie de l’Église ni de promouvoir avec efficacité son progrès.
La plupart de ceux qui fréquentent l’Église s’imaginent qu’il suffit d’assister au culte pour accomplir leur devoir et qu’ils n’ont aucune obligation d’enseigner, d’avertir ou de promouvoir une œuvre de charité. L’idée de coopérer dans l’évangélisation, de travailler à l’avancement de la cause du Christ, ou encore de lever le doigt pour dénoncer tel ou tel mal ne s’impose pas à eux!
L’idée est exclusive de recevoir perpétuellement, mais de ne jamais rien donner. Si un membre de l’Église de Philippes ou de Thessalonique revenait parmi nous et voyait le travail infime accompli par nos laïcs, il n’en croirait pas ses yeux. »

Dans les situations où ces paroles de l’évêque Ryle pourraient s’appliquer, il est certain que l’évangélisation ne risquera pas de faire des bonds. D’autre part, il y a beaucoup d’exemples, dans l’histoire, où des laïcs décidés et spirituellement vigoureux ont aidé à l’avancement de l’Église, avec très peu, si ce n’est aucune aide de leurs pasteurs.

Deux exemples suffiront :

L’évangélisation des Highlands écossais entre 1740 et 1840. Jusqu’au milieu du 18siècle, la population de l’Écosse du Nord était, pour la plupart, un mélange de paganisme et de superstition romaine. Alors vint une grande transformation qui a abouti à l’établissement d’une des plus grandes Églises chrétiennes du monde.

Dans certaines régions, il est vrai, des pasteurs ont pris la tête du mouvement, mais ailleurs, la direction revint à des laïcs qui n’étaient que de simples forgerons, des soldats, des officiers à la retraite, des instituteurs, etc.

De ceux-ci, le Dr John Kennedy a écrit :

« Par la pureté de leurs vies, ils forcèrent l’admiration de tous ceux qui les observaient et les obligeaient à les déclarer des chrétiens authentiques. Leurs adversaires les tenaient pour des bigots, des enthousiastes ou des fanatiques, mais jamais ils ne doutèrent qu’ils fussent d’authentiques croyants… »

Le christianisme personnel était le grand objectif sur lequel ils concentraient leur attention et tout leur effort. Ils ne se contentaient pas d’une couche superficielle de religiosité, mais ils cherchaient à obtenir des mains du Seigneur des signes vivants de sa puissance et de sa grâce.

Une seconde illustration de ce phénomène se produisit au siècle dernier, nous venant du Pacifique du Sud. Les missions protestantes, dans cette partie du monde, commencèrent à Tahiti en 1797. Des tentatives antérieures avaient remporté très peu de succès. Le pasteur John Williams alla en Polynésie en 1817, et lorsqu’il se rendit compte des débuts de la première moisson spirituelle, il y introduisit un principe nouveau : il forma et prépara ses convertis indigènes au travail d’évangéliste. Lorsque, en 1839, Williams subit le martyre sur l’île de Erramonga, dans les Nouvelles-Hébrides, plus d’une centaine de chrétiens indigènes abandonnèrent volontairement leurs maisons en Samoa, Rarotonga et dans les îles de Loyauté, pour s’établir parmi les cannibales des différentes îles des Nouvelles-Hébrides.

Ces chrétiens ont vécu au sein d’un paganisme foncier et leurs souffrances ont été parfois intenses. Cinquante d’entre eux sont morts prématurément ou de mort violente. Mais, par leurs vies consacrées, ils vainquirent la mort et ils préparèrent la voie à l’Évangile.

Comme ceux de la ville païenne de Philippes, ils brillaient comme les luminaires du monde. En 1854, un bateau missionnaire s’arrêta à l’île Efate. Des chrétiens natifs de cette île, laissés plusieurs années auparavant, il ne restait qu’un seul. Celui-ci donna une lettre qui lui avait été confiée par l’un de ses frères, au nom de Tauri, qui venait de mourir quelques mois plus tôt. Cette lettre rappelait comment il avait vu sa femme et leurs fils mourir. Mais la peine qu’il ressentait n’était pas due à ce double deuil; se référant à sa femme, il écrivait :

« La mort nous a séparés, mais pour elle c’est mieux ainsi. Ma peine est pour les païens. Ils commençaient à peine à comprendre l’Évangile. Je pleure, bien que je confie ma peine au Seigneur Jésus. »

Il n’est donc pas étonnant qu’en 1860, lorsque des missionnaires ont tenu leur première rencontre annuelle dans la mission des Nouvelles-Hébrides, ils aient souligné combien la coopération avec les natifs ne saurait être négligée.

La vie spirituelle des Églises de la Polynésie se trouvait derrière les progrès enregistrés, et Williams n’avait pas vécu assez longtemps pour la voir.

Nous avons considéré deux principes. L’évangélisation suit l’Église si cette dernière est fidèle à sa vocation et lorsqu’elle se trouve dans un état spirituel satisfaisant.

5. La vie spirituelle de l’Église🔗

Ces principes, quoique bibliques, sont incomplets. Ils ne répondent pas à la question : que se passe-t-il si la vie spirituelle de l’Église est en déclin? Que se produit-il lorsque, dans une situation donnée, l’avertissement du Christ se réalise (« en raison des progrès de l’iniquité, l’amour du plus grand nombre se refroidira », Mt 24.12), et qu’au lieu du zèle, de la prière et du don de soi, il n’y a que tiédeur et insouciance spirituelle?

Quoiqu’il soit hasardeux de généraliser, il y a de solides raisons pour demander si, durant notre siècle, les Églises protestantes sont en effet spirituellement vivantes… Actuellement, à notre avis, on explique et on définit l’Église un peu trop exclusivement par des études sur sa nature et à l’aide des statistiques et des chiffres!

Dans l’Église primitive, on se rencontrait au portique de Salomon, et la conviction de la présence de Dieu était tellement grande parmi les premiers disciples que le monde, voyant le feu de ce buisson ardent, reculait, saisi de stupeur et de crainte.

Or, nul ne craint des cendres froides. De nos jours, le monde peut nous approcher autant de fois qu’il en a envie : Il n’a plus peur de notre Église.

Un autre principe reste également d’une importance capitale. Le renouveau de l’Église, grâce à l’action dynamique du Saint-Esprit, précédera l’évangélisation. Dieu peut insuffler une vie et une vigueur nouvelles, accorder la puissance à son peuple, lorsque celle-ci fait preuve d’un authentique désir de renouveau et proclame avec urgence la seigneurie totale de Jésus-Christ.

Selon les termes de Georges Smeaton, l’un des grands théologiens réformés du 19siècle, le chef éternellement vivant de l’Église sait de quelle manière il doit inaugurer des époques créatives. Lorsqu’un ancien réveil a usé sa force, lorsque les éléments de la pensée, de l’action, sont menacés de caducité, une nouvelle impulsion est communiquée par celui qui apparaît à diverses étapes de notre vie pour faire toutes choses nouvelles. Nous regardons avec crainte et émerveillement chaque fois qu’une initiative de l’Esprit, dont personne ne peut dire les lois ni estimer la force, vient du Royaume de Dieu et se répand sur la communauté tout entière.

6. Quel réveil?🔗

Indéniablement, aucun mot du vocabulaire chrétien n’est plus dévalué que celui de « réveil ». Son usage d’origine a donné naissance à toutes sortes de sens.

Toute manifestation d’émotivité religieuse, plus ou moins chrétienne, se croit « réveil ». N’importe quelle manifestation réunissant un grand nombre de personnes lors de rencontres d’évangélisation est fréquemment et abusivement appelée « réveil ».

Au début de notre siècle, il y avait un livre édité sous le titre de : Comment préparer et conduire un réveil avec succès?

Ce genre de sens a rendu populaire l’idée qu’un réveil n’était rien d’autre qu’une série d’offices ecclésiastiques spéciaux. Un prédicateur bien connu était annoncé comme un « revivaliste », et certaines activités incluaient des mesures pour produire le réveil : on avançait même un chiffre de conversions certaines.

En 1946, William Sperry, doyen de la Faculté de théologie de Harvard, écrivait : « Nous sommes las de “réveils religieux”, tels que nous les avons connus durant ce dernier demi-siècle. »

D’autres théologiens l’avaient déjà dit avant lui. Sur le sujet des « réveils religieux » contrefaits, R.L. Dabney écrivait déjà en 1887 : « Honnêtement, nous tenons les réveils falsifiés comme l’obstacle principal au progrès de l’Évangile. »

Il les tenait pour la cause principale du déclin de la vie de l’Église. Le mot réveil a été tellement confondu et surchargé de faux sens durant ces cent dernières années qu’il ne conserve plus rien de sa signification biblique. Il est plus grave encore de pouvoir perdre de vue l’idée même d’un renouveau. Dans une large mesure, il est déjà perdu dans des Églises évangéliques, et c’est sur nous, tenants de la théologie calviniste, qu’incombe la responsabilité d’en rétablir l’usage avec urgence.

Voici deux raisons principales pour réaffirmer la véritable nature de l’œuvre du Saint-Esprit dans l’éclatement du réveil :

1. C’est dans l’histoire des Églises réformées qu’il nous faut chercher d’authentiques renouveaux spirituels et nous n’avons pas le droit de douter qu’elle puisse en faire de nouveau une expérience authentique. L’histoire de nos Églises abonde en exemples de ces périodes où les communautés locales furent transformées par une nouvelle communication de la grâce et de la puissance divines. Il existe des qualités morales et spirituelles qui ne peuvent être imitées avec succès et qui annoncent l’œuvre authentique de l’Esprit de Dieu. Sûrement, Dieu renouvelle son peuple lorsque certaines conditions se trouvent présentes, telles, par exemple, la conviction du péché, la soif de la présence de Dieu, une consécration zélée au Christ, un sens profond du culte d’adoration, une disposition prompte à souffrir même la perte de nos biens pour le bien d’autrui.

Qu’était la Réforme du 16siècle, si ce n’est la réapparition de ces qualités, même après tant de siècles de déclin? Ce n’est pas sans raison que Calvin est tenu pour le théologien par excellence du Saint-Esprit. Il a vécu dans un siècle de renouveau spirituel radical. Nous sommes étonnés d’apprendre qu’il prêchait deux fois par dimanche, à neuf heures et à quinze heures, ainsi qu’un jour sur deux toutes les deux semaines.

Ce qui est plus remarquable encore n’est pas l’étendue de l’œuvre de Calvin, quoiqu’elle soit immense, mais sa profondeur spirituelle répondant à une faim parmi les citoyens ordinaires auxquels il annonçait quotidiennement l’Évangile.

Le témoignage de l’un des réfugiés à Genève explique bien ce climat : il s’agit d’un éminent marquis italien qui, après sa conversion, avait abandonné ses terres pour aller s’installer à Genève. Lorsqu’un jésuite lui suggéra de retourner en Italie en lui promettant une récompense, l’exilé s’écria : « Périsse leur argent avec ceux qui estiment que tout l’or du monde vaudrait un seul jour en la compagnie de ceux qui vivent avec Jésus-Christ et son Saint-Esprit. »

Voilà ce dont jouissaient les chrétiens à Genève : la compagnie même de Jésus-Christ et de son Esprit.

Dans le vrai sens du terme, la Réforme était un réveil, un nouveau courant de vie communiqué à l’Église et qui coulait à partir d’elle, tel un fleuve d’eaux vives. L’histoire de certains pays européens ne serait pas la même si cela ne s’était pas produit durant le 16siècle.

J’ai déjà rappelé la description donnée par Abraham Kuyper de ce qui s’était produit à Woubrugge. Là, l’Église s’était littéralement transformée.

Avant le renouveau, écrit Kuyper, c’était le silence de la tombe. Nulle trace de la lumière éclatante qui devait caractériser une Église chrétienne. Mais après ce qu’il appelle l’effusion des bénédictions spirituelles, nous apprenons que tous les convertis ayant reçu le sceau de l’Esprit se tenaient autour du Médiateur comme autour de leur centre ordinaire, rejetant ce qui n’était pas cette assurance en personne. Peu après la date où le phénomène a été vu dans des Églises réformées, Jonathan Edwards a décrit les changements dont il est devenu ailleurs personnellement le témoin.

« Nos assemblées publiques étaient belles. La communauté était vivante, au service de Dieu, chacun cherchant à assister au culte, chaque auditeur buvant littéralement les paroles du pasteur, et souvent toute l’assemblée était en larmes à cause de la parole prêchée. Parfois des pleurs de tristesse et de peine. D’autres fois, nous étions remplis de compassion et d’intérêt vivant pour les voisins. Nos louanges étaient vivantes. Dieu était loué pour nos psaumes en toute beauté et en toute sainteté. »

On a observé qu’il y avait rarement une partie de l’office où les fidèles parmi nous ont une grâce très développée, et leurs cœurs étaient engagés dans la voie du Seigneur, par le chant. Un autre exemple typique pourra servir encore d’illustration. C’est le livre La vie et l’œuvre du pasteur Daniel Baker, presbytérien du Sud, au 1er siècle. Baker vit plusieurs réveils, mais sans doute le plus mémorable fut celui qu’il connut à Beaufort, en Caroline du Sud, en 1832. De ce même réveil, Charles Hodge écrivait dans son « Sermon de Princeton » : « D’autres témoins oculaires ont également écrit à ce sujet : Seule la conscience de l’éternité semblait impressionner chacun. »

Il est difficile de décrire exactement le sentiment qu’on y éprouvait. Les assemblées n’étaient pas bruyantes comme des torrents tumultueux, mais profondes, calmes, solennelles, telle une puissante rivière. Certainement, la présence de Dieu y était réelle. La parole prêchée l’était avec vigueur et les cœurs du peuple de Dieu, émus, prêts à intercéder. Chaque jour témoignait la joie de ceux qui échangeaient des larmes de tristesse contre le sourire du bonheur chrétien. La conviction de l’éternité impressionnait tout le monde.

Il existe d’innombrables autres exemples que l’on pourrait citer. De nos jours, les évangéliques connaissent en général peu ou presque rien de ces grandes périodes de la croissance de l’Église et de l’évangélisation dues à la prédication réformée dans les Églises calvinistes. C’est la raison pour laquelle il nous appartient de veiller, afin que personne ne les oublie.

2. Une autre raison pour laquelle nous avons une responsabilité spéciale à l’égard du réveil consiste en ce que la théologie réformée indique le fondement véritablement biblique de tout réveil chrétien.

La théologie arminienne n’en a aucun dans ce domaine. Selon une idée populaire, l’œuvre du Christ serait valable pour tout homme. Il appartiendrait alors à l’Église de conduire autant de gens que possible à Christ, afin qu’elle se mette au bénéfice du salut. À condition que l’homme croie, il sera régénéré par le Saint-Esprit.

Nous pensons qu’une telle idée laisse le Saint-Esprit plutôt dans l’ombre. L’Esprit apparaît ici plus comme l’assistant que comme le Maître et le premier moteur du réveil. Sa gloire et son action efficace sont totalement voilées. Par conséquent, une Église qui souscrit à une telle doctrine de l’Esprit perd la conscience de sa dépendance indispensable à l’égard de Dieu. Les réveils au sens réformé du mot ne sont plus vraiment nécessaires. En outre, une telle théologie n’offre pas de fondement biblique adéquat pour le réveil.

Tout en cherchant à ranimer l’intérêt pour le Saint-Esprit, elle se trompe, parce que sa théologie du salut est défectueuse. Les tenants de cette théologie s’imaginent qu’on se passe du Saint-Esprit et que l’Église pourrait exister sans lui. Le réveil ne serait rien d’autre que le retour du Saint-Esprit vers l’Église qu’il avait désertée! Les chrétiens doivent alors s’attendre à l’effusion de l’Esprit comme à la Pentecôte.

La théologie réformée s’oppose avec raison à cette conception. Elle ne rend pas justice à l’ecclésiologie biblique. Or, les croyants sont les temples du Saint-Esprit. La promesse du Christ a été réalisée (Jn 14.16). Si jamais le Saint-Esprit avait suspendu son œuvre et quitté l’Église, nous savons qu’il n’y aurait eu ni Église, ni foi, ni prière, ni sanctification. Dieu merci, ce ne fut jamais le cas.

Quelle est la doctrine réformée du réveil? Et comment expliquer ce qui s’est produit, à Genève ou ailleurs. Cette question a parfois trouvé sa réponse auprès des plus grands théologiens réformés. Bien que l’Esprit accordé à la Pentecôte réside d’une manière permanente dans l’Église, la mesure de son opération et les degrés dans lesquels la grâce et la puissance sont manifestées ne sont pas constants. Ce que la Confession de foi de Westminster appelle « l’influence réelle du Saint-Esprit » est sujet à une grande variation. Ceci apparaît clairement dans le livre des Actes. Lorsque l’Esprit fut accordé par le Christ, son effusion a, une fois pour toutes, établi la norme pour la nouvelle période inaugurée par l’Église chrétienne naissante. L’Esprit a été accordé et il ne peut plus être ôté.

Le jour de la Pentecôte, la norme a atteint son point culminant, c’est-à-dire qu’il y a eu depuis un degré insurpassable de son influence. Même la plénitude du croyant par l’Esprit n’est pas permanente. Ainsi qu’en témoigne Actes 4.31, c’est quelque chose qui s’est produit plus d’une fois. Il est évident que l’Église ne se trouve pas toujours dans les mêmes conditions que le jour de la Pentecôte. Les croyants ne sont pas constamment remplis d’un feu saint, au point qu’ils soient tenus pour des enivrés! Il n’existe pas une telle conscience de Dieu que sa crainte ne s’empare de tous. Tous ne sont pas remplis d’autorité ou de témérité, au point que même leurs ennemis reconnaissent qu’ils avaient été en compagnie de Jésus (Ac 4.13).

Au contraire, ainsi que l’écrivait A. Kuyper, l’état de l’Église peut devenir parfois déplorable. Elle peut se trouver dans une situation caractérisant l’Église de Sardes et de Laodicée. Le véritable peuple de Dieu n’est jamais réellement mort, mais sa vie spirituelle peut se trouver à un niveau si bas qu’il peut paraître mourant. La doctrine réformée du renouveau affirme qu’à certaines époques, il plaît à Dieu d’accorder de manière souveraine une plus grande communication de son Esprit qu’à d’autres époques.

Dieu aurait pu choisir de faire progresser son œuvre à tout âge à des degrés de bénédictions invariables. Il aurait pu choisir qu’il n’y ait jamais de diminution de la grâce, mais une grâce constante.

Telle n’est pas sa façon de procéder. Parfois, il permet que la cause de son Évangile s’affaiblisse. Le christianisme commence à perdre de son influence dans le monde. La puissance spirituelle de l’Église apparaît comme usée. Alors quelque chose se produit, qui change tout. Les termes utilisés par des théologiens réformés peuvent être différents, mais ils affirment tous la même chose. Selon A. Kuyper, là où la foi s’affaiblit, le Seigneur accomplit des actes extraordinaires de la foi pour ranimer d’autres fidèles. Ceci s’applique pour l’amour, car là où l’amour s’affaiblit, le Seigneur veille sur lui et le ranime de telle sorte que d’autres le voient et sont saisis par un saint zèle3.

L’œuvre de Dieu progresse souvent de manière calme. L’Église a raison de persévérer dans son attente et dans un témoignage fidèle. Mais s’il est exact que la santé spirituelle est généralement indispensable pour une évangélisation de grande envergure, et s’il est exact que le témoignage en incombe à toute l’Église, il doit y avoir des périodes au cours desquelles un réveil est la condition requise pour une nouvelle ère d’expansion spirituelle. Les leçons de l’histoire rendent extrêmement clair le fait que l’expansion missionnaire de l’Église a toujours été précédée par le renouveau de sa vie.

Parlant du mouvement missionnaire qui a débuté à la fin du 18siècle, Kenneth Scott Latourette a écrit : « Ce protestantisme se caractérise par une vitalité abondante et une témérité sans pareille au cours de l’histoire chrétienne. »

L’explication réside en ce que Dieu avait accompli dans des Églises d’où les missionnaires étaient partis. Nous avons déjà mentionné le cas de l’Écosse où de nombreux réveils avaient éclaté. Le résultat a été que ce pays est devenu un pays missionnaire de premier ordre.

Actuellement, on discourt beaucoup sur l’évangélisation. Certains soulignent l’importance de la communication ou de meilleures méthodes, allant même jusqu’à admettre la nécessité d’une apologétique dite de pré-évangélisation. Tout ceci peut avoir son importance. Mais il reste quelque chose de plus fondamental encore. Le renouveau est nécessaire dans l’Église elle-même. Nous avons besoin de redécouvrir le sens du surnaturel. Le monde ne sera jamais impressionné et ne tremblera pas devant une Église qui a cessé d’être une communauté sainte.

Selon Eugène Osterhaven, la piété virile a toujours caractérisé le protestantisme réformé. Elle se trouve où il y a la crainte de Dieu. Ce n’est qu’à une Église orthodoxe que Dieu accorde le réveil. Avec notre histoire et notre théologie, que nous croyons conforme à l’Écriture, nous devrions prier pour que Dieu montre son bras et vienne à notre secours. Il nous faut apprendre à nouveau que ce n’est pas par notre propre force, mais par celle du Christ que sera édifié le Royaume.

Ainsi que le reconnaissait déjà A. Kuyper, nous devons absolument dépendre du seul Saint-Esprit. Selon Kuyper, la théologie réformée ressemble à la harpe éolienne. Par elle-même, la harpe, même si elle était d’origine divine, reste sans aucun pouvoir. Mais, entrée en contact avec le vent de l’extérieur, la musique la plus divine sera jouée sur ses cordes.

La période dans laquelle nous vivons, déclarait-il, est certainement en marée basse. À moins que Dieu n’envoie son Esprit, il n’y aura pas de retour des eaux. Quelque 80 ans après Kuyper, nous assistons au même déclin. Nous avons péché contre Dieu.

Mais, selon sa promesse, il a préservé sa vérité et son temps par le souffle de son Esprit. L’Église sera ravivée et son salut proclamé sur toute la terre. J’en conclus que c’est là l’ordre divin pour que nous nous lancions dans l’évangélisation.

Premièrement, renouveau de l’Église, ensuite conversion du monde. Selon les termes du psalmiste : « Dieu nous bénira et tous les coins du monde le craindront. »

7. Les ministres de la Parole🔗

Dans la dernière partie de notre exposé, nous examinerons la responsabilité des ministres de la Parole à l’égard de l’évangélisation.

Dans les exposés précédents, j’ai tenté d’attirer votre attention sur des aspects plus larges de la vie communautaire. Il nous aurait manqué quelque chose si nous en restions là.

Si l’évangélisation est en rapport intime avec la vie spirituelle et la vitalité de l’Église, elle est aussi en rapport intime avec la prédication de la Parole. En règle générale, l’Église ne s’élèvera jamais au-dessus du niveau de ses pasteurs. S’il y a léthargie et indifférence, ce sont surtout les ministres et les pasteurs qui en sont les responsables. La prédication donnera le ton à l’Église. L’office du ministère existe en vue du perfectionnement des saints, l’œuvre du ministère en vue de l’édification du corps du Christ.

Selon le Nouveau Testament, les ministres doivent rendre compte du progrès et de l’état spirituel de ceux qui ont été confiés à leurs soins. En outre, lorsque nous considérons le besoin général de réveil, il est juste d’accorder, en tout premier lieu, l’attention à la prière.

Dans la prière, nous reconnaissons notre entière dépendance vis-à-vis de Dieu pour sa grâce qui sauve et pour l’Esprit qui sanctifie. Nous savons cependant que Dieu opère à l’aide de moyens.

L’histoire de l’Église a souvent porté témoignage au fait que le renouveau n’apparaît pas sans rapport avec la vie des ministres et des prédicateurs. Parlant de la Réforme en Europe et de la manière dont elle avait commencé dans des vies personnelles, Merle d’Aubigné la comparait au lever du soleil sur les Alpes : le soleil matinal touche d’abord certains sommets, ensuite, peu à peu, les vallées sont baignées dans sa chaleur et sa lumière.

En d’autres mots, le renouveau de l’Église commence généralement avec le ministère pastoral. Quoique nous ayons parlé de l’évangélisation dans un sens plus large que la proclamation verbale, nous devons affirmer qu’il n’y aura pas d’évangélisation sans la Parole parlée.

Sans minimiser l’importance de l’évangélisation personnelle confiée à tous les fidèles, les prédicateurs sont appelés et chargés de cette proclamation (1 Co 1.21).

L’une des caractéristiques de la vie ecclésiastique en Grande-Bretagne durant ces cent dernières années a été le déclin de la prédication. Des observateurs de ce côté-ci de l’Atlantique font la même remarque. Dans son Histoire du fondamentalisme en Amérique, George Dollar parle de la marée basse de la rhétorique en chaire.

Lorsque, durant notre décennie, on regarde vers la chaire, les Églises américaines ont raison de s’effrayer de leur indigence. Peu nombreux sont ceux qui ont toute la consécration de l’esprit et de la pensée pour atteindre par leurs discours des hauteurs. Et très peu qui ont une connaissance des règles du discours. La chaire ecclésiastique est devenue davantage lieu de rencontre publique et d’enseignement que de proclamation. Quand la prédication est en déclin, l’évangélisation est entraînée à sa suite. Après tout, c’est de la théologie et de la pratique des prédicateurs que la majorité des gens reçoivent leur impression de ce que devrait être la véritable évangélisation.

Si donc la norme en chaire est fausse, elle le sera également partout ailleurs. Là, il nous semble que nous devrions nous tourner vers la responsabilité des ministres à l’égard de l’évangélisation.

J’aimerais limiter mon propos à deux questions :

1. De quelle manière la prédication est-elle liée au grand obstacle que nous rencontrons dans son accomplissement? Bien que des obstacles de toutes sortes ne manquent pas, il y en a un qui est fondamental : celui de la conviction du péché. B.B. Warfield écrivait : « Le christianisme n’attire personne parmi ceux qui ne ressentent pas le fardeau du péché. » Dans Marc 2.17, Christ déclarait « Ce ne sont pas ceux qui sont en santé qui ont besoin de médecin, mais ce sont ceux qui se portent mal; je suis venu appeler à la repentance non les justes, mais les pécheurs. »

Par nature, les hommes ne savent pas qu’ils sont malades. Au contraire, ils ont confiance en eux-mêmes. Mais ce qui nous empêche de désespérer, c’est notre conviction que la mission du Saint-Esprit consiste à convaincre le monde du péché, de la justice et du jugement. Là où l’Esprit est à l’œuvre, le plus grand obstacle à l’évangélisation sera enlevé.

Nous entendons parler généralement d’absence de faim spirituelle et de conviction du péché. Certes, des âmes sont sauvées, car il serait insensé d’affirmer qu’il faut une conviction plus grande encore pour amener les hommes à Jésus-Christ.

Je ne suis pas partisan de certains stéréotypes au sujet de « la période précédant la conversion; tel ressentira le fardeau des âmes », etc. Les larmes et les terreurs ne sont pas forcément nécessaires pour aboutir à une authentique conversion. Le geôlier de Philippes n’est pas le modèle absolu de toute expérience de ce genre.

Les voies de Dieu sont multiples : l’un peut ressentir une très grande angoisse spirituelle et ne jamais être sauvé, alors qu’un autre ne la ressent pas et n’aura qu’une petite conviction du péché, et sera quand même converti.

César Malan raconte que, lorsque Dieu l’a réveillé, ce fut comme le doux baiser de sa mère quand elle venait l’embrasser chaque matin, alors qu’il était enfant. Une saine piété ne consiste pas à cultiver des sentiments morbides. Néanmoins, d’une façon générale, prenant les mots de la Bible pour ce qu’ils disent, je crois qu’il est vrai que l’absence de la conviction du péché reste apparemment le plus grand obstacle à l’évangélisation.

En ce cas, nous n’avons pas tort, dans notre constatation, de nous attendre à de la faiblesse concernant la prédication actuelle dans l’Église. Le Saint-Esprit convainc, mais la Parole tient le rôle d’instrument pour amener à cette conviction.

Si la Parole n’est pas correctement proclamée et appliquée à la conscience, nous ne verrons pas beaucoup de conviction du péché. Ainsi, le ministère peut devenir responsable de l’indifférence spirituelle. Nous ne pouvons nous en passer; l’histoire de l’Église en fournit maints exemples. La prière de Jérémie (Jr 6.14) reste toujours valable.

Permettez-moi de rappeler un exemple frappant de l’histoire de la ville de Genève. En 1816, Robert Haldane, un aristocrate écossais ayant reçu vocation d’évangéliste, visitait la ville de Calvin. Il y rencontra la compagnie de pasteurs ayant de bonnes traditions ecclésiastiques maintenues depuis de longues années. Cependant, quelque chose n’allait pas. Il régnait partout une sorte de tiédeur spirituelle.

Ainsi que l’a écrit Monsieur Monod, l’un des étudiants en théologie : « Nous étions tous profondément marqués par la mondanité et plongés dans les plaisirs. »

Monsieur Haldane s’est senti appelé à aider ces étudiants et il commença par organiser des études bibliques. Merle d’Aubigné a écrit de quelle manière ces rencontres changèrent sa vie :

« J’ai rencontré Monsieur Haldane dans une maison particulière avec d’autres amis et l’entendis lire dans sa Bible un chapitre de la lettre aux Romains. Il s’agissait de la corruption totale de l’homme, doctrine dont nous n’avions jamais auparavant entendu parler. Tout à fait étonné d’entendre que des hommes soient corrompus par nature, je me rappelle avoir dit à Monsieur Haldane : À présent, je comprends la doctrine biblique. Oui, m’a répondu ce bon chrétien, mais la voyez-vous aussi dans votre propre cœur? C’était une question simple, mais elle m’a frappé comme l’épée de l’Esprit, et à partir de ce moment-là, j’ai vu que mon cœur était mauvais. Mais je savais que par la grâce de Dieu j’étais sauvé. »

Certaines raisons pourraient être en rapport avec la prédication qui n’engendre pas la conviction du péché.

8. La conviction du péché🔗

Une idée superficielle et inadéquate du péché se trouve souvent associée à l’actuelle présentation de l’Évangile. Cette insuffisance prend diverses formes. Elle se montre dans des péchés actuels, mais jamais dans le péché originel. On entendra bien parler de la transgression par les hommes de la loi de Dieu, mais il est plus rare d’entendre parler de notre naissance dans le péché, à laquelle il faut rattacher l’acte de la chute. Or, selon l’Écriture, notre situation d’hommes s’explique à la lumière d’un événement historique qui s’appelle la chute (Rm 5.15-18; 1 Co 15.22).

Actuellement, des études consacrées à l’explication de la nature de l’homme ne disent absolument rien sur l’origine de la nature corrompue de celui-ci. À cause de l’attention minime accordée au témoignage biblique sur le péché originel, une autre tendance se fait sentir, qu’il faut également observer dans la prédication évangélique moderne : on définit le péché comme étant un défaut, une déficience des œuvres de l’homme qui tombent en deçà des normes de Dieu, et c’est bien ainsi.

Mais le péché est plus que l’absence du bien. Il a introduit son pouvoir maléfique dans la nature même de l’homme. Il nous dispose envers le mal. Il obscurcit nos esprits et corrompt nos cœurs. Il nous laisse sans force pour faire ce qui est bon, il nous rend hostiles à toute sainteté. Il est inimitié envers Dieu. Notre problème le plus urgent n’est pas d’avoir commis des péchés, mais que le péché soit devenu notre propre nature. Nous faisons le mal parce que nous sommes mauvais.

En outre, je crois que nous devons examiner l’opinion largement répandue au sujet de la conversion. Celle-ci est présentée en général sous une forme stéréotypée. Elle est réduite à une forme invariable. Ceci se produit parce que certains aspects du Nouveau Testament ont été soulignés, tandis que d’autres en ont été ignorés ou minimisés.

On pense, par exemple, que la conversion doit être instantanée. Elle est représentée comme un acte, la conséquence d’une seule décision. Quiconque lit le Nouveau Testament ne peut douter que cela puisse arriver. Mais le Nouveau Testament n’offre aucune raison de penser que la conversion instantanée soit la norme et la règle exclusive. En réalité, il n’existe aucune norme. Dieu opère parfois dans la conscience de manière qui semble soudaine.

Mais, le plus souvent, il s’agit d’un processus qui dure un certain temps; la personne en question ne peut se rappeler la date précise de sa rencontre avec le Christ. Mais le plus important, dans la question de savoir si la conversion est instantanée ou non, c’est l’idée qu’elle est la conséquence d’une décision personnelle. Un acte de l’esprit et de la volonté de l’homme.

Certains évangélistes comparent la foi au geste de s’asseoir sur une chaise ou de monter en avion. Le texte classique sur lequel ils se fondent en est Actes 16.31. L’élément de vérité dans cette présentation est clair : la foi en Christ pour le pardon des péchés est le devoir immédiat de tous ceux qui entendent l’Évangile.

Les non-croyants seront justifiés par la foi. Pourtant, ce n’est là qu’un seul aspect de ce que la Bible appelle conversion. Coordonné avec la foi, il y a le devoir de repentance. Selon l’Évangile de Marc, Jésus vint en Galilée, prêchant la repentance (Mc 1.15). En résumant son ministère, l’apôtre Paul déclare ce qui suit :

« Mais à ceux de Damas d’abord, ensuite à ceux de Jérusalem, puis à tous les habitants de la Judée et aux païens, j’ai prêché de se repentir, de se convertir à Dieu, de faire des œuvres dignes de la repentance » (Ac 26.20).

Il n’y a pas de place pour le pardon sans qu’il y ait d’abord repentir. Seul sera sauvé le pécheur qui se repent. Dans l’évangélisation moderne, on entend peu, si ce n’est jamais, parler de la nécessité de se repentir. Cela s’explique sans doute par le fait qu’il est difficile de présenter la repentance comme un geste facile. Or, on affirme que la foi est une affaire simple. « Christ est mort pour les pécheurs. » Comme si l’on pouvait croire que Jésus sauve les pécheurs de la même manière qu’on peut croire qu’il est possible de s’asseoir sur une chaise en pensant qu’elle est solide. Pour ôter toute difficulté à l’acte de croire, on ajoute que le sentiment n’est pas nécessaire. Tout ceci est à peine digne de la repentance selon la Bible.

Or, la repentance engage nos sentiments. Elle n’est rien de moins qu’un changement intérieur, une révolution totale de l’esprit par rapport au péché. Selon Warfield, la repentance est un changement fondamental de l’esprit par lequel on tourne le dos, non pas à un péché, mais à tout péché, afin de se trouver et de s’engager à son service. L’élément vital dans la repentance n’est pas de connaître par quoi on commence, mais d’être assuré que le changement d’attitude vis-à-vis du péché est réel et permanent. Parce que la prédication de la repentance n’entre pas facilement en harmonie avec les conceptions courantes de la conversion instantanée, on la laisse à l’arrière-plan.

L’évangélisation moderne est obsédée par l’idée de surmonter toutes les difficultés afin de rendre tout à fait facile l’acceptation du Christ par tout homme. Les difficultés peuvent demeurer sur la voie de la foi, mais il ne faut pas en parler. L’existence de cette conception dans l’évangélisation indique une sérieuse erreur sous-jacente à l’idée populaire de la conversion. Elle découle directement de l’échec d’accepter l’idée du péché originel.

La condition de l’homme est telle qu’il ne peut croire ou se repentir, à moins de connaître un changement (Rm 10.10). La foi et la repentance ne se trouvent pas dans le pouvoir que l’homme peut exercer. La foi qui sauve n’est pas une simple croyance que l’homme peut commencer par lui-même. Elle est le résultat de la grâce et de la puissance divine. L’homme doit être régénéré par Dieu et par son Esprit avant de recevoir les choses de l’Esprit de Dieu.

Selon B.B. Warfireld :

« À la racine de tout réside un acte vu par Dieu et médiatisé comme rien de moins que l’acte créateur direct de l’Esprit et qui est appelé nouvelle naissance. Elle s’introduit en l’homme par l’appel adressé par la Parole et reçoit la réponse à la suite de la conviction qu’engendre en lui l’Esprit. C’est ici la grande différence entre l’évangélisation réformée et l’évangélisation moderne. »

Nous ne nions pas que l’homme soit actif dans sa conversion, mais nous affirmons que l’appel de Dieu est la source décisive de cette activité. Par sa puissance créatrice, Dieu nous accorde la vie nouvelle. Nous devons naître d’en haut.

Lorsque cette distinction entre l’activité de Dieu et celle de l’homme est portée à la connaissance, on en parle trop souvent comme d’une affaire technique. Comme s’il s’agissait de thèmes théoriques. On se montre même agacé à l’égard de ce qu’on appelle la théologie. Mais la vérité est que la présentation de leur dépendance vis-à-vis de Dieu pour la régénération est le seul moyen divinement assigné pour les amener à la conviction de leur péché. Rien d’autre ne peut révéler le désarroi moral de l’homme qui ne viendra pas à Christ s’il reste livré à lui-même.

On dit souvent que si nous prêchons l’incapacité totale de l’homme à croire, nous ne pourrons jamais évangéliser. Comment pouvez-vous prêcher que le pécheur sans puissance peut venir au Christ? À quoi bon dire aux hommes qu’ils dépendent de Dieu pour leur régénération et que la foi et la repentance sont des dons que l’on reçoit? La réponse est que le Christ n’a pas dissimulé la vérité. Lui aussi a prêché l’incapacité naturelle dans son sermon en Galilée (Jn 6.44).

Ceux qui, dans la prédication, passent outre la régénération ne faciliteront pas la venue du pécheur à Christ. La tendance de leur discours est d’encourager une conception superficielle du péché, celle qu’ils ont déjà naturellement en eux-mêmes. Le véritable problème de l’homme est qu’il doit une obéissance totale à Dieu et qu’il ne peut la lui accorder. La Parole de Dieu l’appelle à la foi et à la repentance. Il est responsable vis-à-vis de Dieu pour sa réponse et sa responsabilité doit être engagée sur chaque auditeur. Simultanément, il n’y a que la grâce qui puisse le sauver. Dieu accorde la vie. Ce n’est que lorsque l’homme comprendra cette doctrine de la conversion qu’il pourra demander comme le disciple : « Qui peut être sauvé? » La réponse du Christ sera alors comme jadis : « Cela est impossible aux hommes, mais non à Dieu, car tout est possible à Dieu » (Mc 10.26-27).

Je ne prétends pas que dans la proclamation de l’Évangile on doive souligner invariablement l’incapacité de l’homme. Mais il faut éviter de donner l’impression que la foi est la cause du salut.

L’absence de la conviction du péché est liée à notre échec de comprendre et de prêcher le caractère de Dieu. Selon John Murray : « Notre époque a besoin de ministres qui feront trembler les hommes devant la majesté et la sainteté redoutables de Dieu. » C’est là un sujet très vaste, je pense que notre faiblesse se fonde sur notre échec de reconnaître que le péché est une offense que Dieu abhorre et que le châtiment est nécessaire, et cela pour sa seule gloire.

Des idées « inférieures » du péché sont naturelles. Nous avons tous appris à notre époque que la colère contre le péché serait indigne de Dieu. Que Dieu punisse le péché par l’enfer serait indigne de son caractère. Or, la vérité est exactement l’opposé.

L’homme ne comprend pas parce qu’il est insensible à la sainteté de Dieu. L’évangélisation réformée se trouvait dans de meilleurs jours lorsqu’elle proclamait la perfection morale de Dieu; en d’autres termes, on n’escamotait pas la loi dans la prédication. Le Catéchisme de Heidelberg, dans sa question 115, le résume admirablement :

« Pourquoi Dieu veut-il alors qu’on enseigne très exactement les dix commandements, si personne ne peut les observer en cette vie? D’abord, afin que, tout au long de la vie, nous reconnaissions toujours mieux combien notre nature est pécheresse et que nous recherchions d’autant plus le pardon des péchés et la justice qui est en Christ; ensuite, afin que nous nous appliquions sans relâche à demander à Dieu la grâce du Saint-Esprit, pour être renouvelés toujours plus à son image, jusqu’à ce qu’après cette vie nous atteignions la perfection qui est le but. »

Telle est la perfection de Dieu, qu’il doit être aimé de tout notre cœur, de toute notre âme et pensée, avec toute notre force.

Notes

1. Eene Eeyw van Worstelling, p. 484, cité dans The life of Andrew Murray, J. du Plessis, 1919, p. 57-59.

2. Scottish Theology in Relation to Church History, 1974, p. 99-100.

3. The Work of Holy Spirit, 1956, p. 188.