Vengeance ou pardon
Vengeance ou pardon
L’expression « œil pour œil dent pour dent » est devenue proverbiale. Elle est connue sous le nom de « loi du talion ». Peu nombreux sans doute sont ceux qui savent qu’elle provient de la Bible, plus spécifiquement du livre de l’Exode (Ex 21.24). Ce passage fait partie des lois sur les coups et blessures, lois par lesquelles sentences, jugements, dommages et intérêts sont prescrits en fonction de la nature ou de la gravité de l’acte commis. Voici le passage en question :
« Lorsque des hommes se querelleront, heurteront une femme enceinte et la feront accoucher, sans autre accident, ils seront punis d’une amende imposée par le mari de la femme; on la paiera sur l’avis d’arbitres. Mais s’il y a un accident, tu donneras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure » (Ex 21.22-25).
Remarquons tout d’abord que la victime que cette loi cherche à dédommager est la femme enceinte et l’enfant, ou les enfants, qu’elle porte en elle. La Bible prend donc au sérieux la protection des femmes dans la société, contrairement à ce qu’on allègue généralement. On ne peut impunément blesser une femme enceinte. La loi en question prescrit la peine qu’encourt le coupable, et ce faisant elle fait aussi office de parole dissuasive. S’il y a blessure, le coupable doit s’attendre à recevoir la même blessure que celle qu’il a infligée à cette femme. Il peut sembler a priori étrange qu’une loi de l’Ancien Testament s’intéresse à un cas comme celui-ci, à savoir un coup porté — peut-être même involontairement — à une femme enceinte pendant une dispute violente entre hommes. On comprendra mieux la nécessité d’une telle loi si l’on tient compte de la possibilité que la femme a pu vouloir de s’interposer entre les deux hommes qui se querellent, voire les séparer.
Mais s’agit-il là d’une vengeance prescrite par la Bible et par celui qui en a inspiré les mots? Pas du tout. Au chapitre 19 du livre du Lévitique, qui suit celui de l’Exode dans l’Ancien Testament, nous lisons :
« Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur; tu auras soin de reprendre ton compatriote, mais tu ne te chargeras pas d’un péché à cause de lui. Tu ne te vengeras pas, et tu ne garderas pas de rancune envers les fils de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis l’Éternel » (Lv 19.17-18).
Les lois de l’Ancien Testament sur les coups et blessures, voire les meurtres, ont été instituées pour que justice soit rendue, sans que la gravité des faits soit couverte ou amoindrie, mais aussi sans qu’aucun débordement de haine ou de vengeance ne remplace une justice équitable. On ne pouvait prendre un bras ou bien la vie même du coupable si celui-ci avait fait perdre un œil ou une dent. Un principe d’équité ou d’équivalence dans la peine encourue devait prévaloir sur toute émotion, tout sentiment de haine. Il visait aussi à empêcher toute rancune de se maintenir.
À cet égard, la loi et son respect témoignaient de la présence de Dieu au milieu de son peuple. C’est lui qui, ayant donné sa loi par Moïse, avait prescrit la norme de ce qui est juste et équitable afin d’éviter tout débordement. Comme nous l’avons dit, ce principe d’équité dans la peine était aussi suffisamment dissuasif. Notez également que, dans le cas d’une amende infligée à l’auteur d’un coup à la femme enceinte, lequel coup aurait provoqué un accouchement prématuré, sans autre dommage, le montant de cette amende était proposé par le mari de la femme; mais un tiers parti indépendant, constitué de juges ou d’arbitres, intervenait pour évaluer si ce montant était équitable. En effet, dans sa colère ou son émotion, peut-être même par convoitise d’un gain inattendu, le mari aurait pu réclamer une somme beaucoup trop élevée. Ainsi donc, le principe d’équité cherchait à éviter aussi bien une punition disproportionnée, qu’une pitié qui oublierait la victime et s’occuperait avant tout d’épargner au coupable tout désagrément.
Un autre exemple très explicite de ce principe nous est donné au livre du Deutéronome. Ce passage reprend le principe du talion tel que nous venons de le voir dans notre premier exemple :
« Lorsqu’un témoin à charge se dressera contre quelqu’un pour l’accuser d’un crime, les deux hommes en contestation se tiendront devant l’Éternel, devant les sacrificateurs et les juges en fonction ces jours-là. Les juges feront une enquête sérieuse. Le témoin est-il un faux témoin, a-t-il fait contre son frère une fausse déposition, alors vous le traiterez comme il avait dessein de traiter son frère. Tu extirperas ainsi le mal du milieu de toi. Les autres l’apprendront et auront de la crainte et l’on ne commettra plus un acte aussi criminel au milieu de toi. Ton œil sera sans pitié : vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied » (Dt 19.16-21).
Nous retrouvons ici le principe d’équité, celui de la peine méritée par le coupable — peine non seulement prononcée, mais aussi appliquée —, la valeur dissuasive de cette peine et les effets positifs dans l’ensemble de la société : le mal s’en trouve extirpé. Notons aussi l’insistance sur le sérieux de l’enquête dont doivent faire preuve les juges en service.
Ces exemples peuvent-ils servir de norme pour la société aujourd’hui? Quelle valeur pouvons-nous leur attribuer dans un monde qui semble si différent de celui de l’Ancien Testament? Notre sensibilité ne s’accommode plus guère des châtiments corporels, d’autant plus que nous voyons certaines sociétés musulmanes appliquer de la manière la plus barbare amputation de mains et de pieds pour punir de simples larcins. Dans certaines terres d’islam, il n’est même pas rare de voir des femmes carrément lapidées parce qu’elles ont eu le malheur de dévoiler accidentellement un centimètre carré de leur peau. Ici, ce n’est pas la protection de la femme, mais son oppression sous les formes les plus extrêmes, qui est de mise. Mais pour revenir à l’Ancien Testament, un chrétien qui lit la Bible sérieusement sait qu’en définitive il ne peut comprendre et interpréter correctement cet Ancien Testament à moins de tenir compte de la lumière apportée par le Nouveau Testament et par la personne de Jésus-Christ, lui qui, selon son propre témoignage, est « la lumière du monde » (Jn 9.5).
Or, nous lisons dans l’Évangile selon Matthieu que Jésus-Christ déclare :
« Vous avez entendu qu’il a été dit : Œil pour œil, dent pour dent. Mais moi je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. Si quelqu’un veut te traîner en justice, et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Si quelqu’un te réquisitionne pour porter un fardeau sur un kilomètre, porte-le sur deux kilomètres avec lui. Donne à celui qui te demande, et ne te détourne pas de celui qui veut emprunter de toi » (Mt 5.38-41).
Quel nouveau principe Jésus-Christ apprend-il ici à ses disciples? Rejette-t-il directement l’enseignement de l’Ancien Testament? On pourrait le penser a priori. Pourtant, tel n’est pas le cas. D’abord parce que Jésus met l’accent sur l’attitude personnelle de la personne lésée et non sur le système judiciaire en soi et sa validité. Il est question ici de la réaction personnelle manifestée par la personne lésée vis-à-vis de la personne qui a provoqué le tort. Contre ceux qui ne voyaient que l’application stricte de la peine prescrite et s’endurcissaient dans un légalisme étroit, Jésus enseigne la magnanimité, le refus de la vengeance, le pardon des offenses. En fait, il dévoile un aspect qui, comme nous l’avons vu, est bel et bien contenu dans la loi : le refus de la vengeance, l’amour du prochain.
Jésus dévoile cet aspect parce que, jusqu’à ce qu’il en parle aussi clairement et avec son autorité divine, la plénitude de ce principe était encore voilée aux hommes pécheurs. En effet, l’application stricte du principe d’équité selon la loi mosaïque ne signifie pas en soi qu’on vive une relation harmonieuse avec le Dieu de grâce. Ce principe d’équité est bien édicté par Dieu, mais il n’implique nullement la pureté automatique du cœur et des intentions de ceux qui l’appliquent. Or, il importe de souligner ici que Jésus-Christ ne peut prononcer les paroles que nous avons citées dans l’Évangile selon Matthieu que parce qu’il est lui-même la manifestation de la grâce divine par excellence, l’expression de la magnanimité de Dieu qui a pardonné au pécheur et n’a pas tenu compte de ses péchés. Selon la Bible en effet, tout homme ou toute femme se trouve en état de désobéissance vis-à-vis de Dieu, et de ce fait mérite la mort.
Pour rendre bien clair cet enseignement fondamental de la Bible, voici un passage crucial dans la lettre de l’apôtre Paul aux Romains :
« Tous ont péché, en effet, et sont privés de la glorieuse présence de Dieu, et ils sont déclarés justes par sa grâce; c’est un don que Dieu leur fait par le moyen de la délivrance apportée par Jésus-Christ. C’est lui que Dieu a offert comme une victime destinée à expier les péchés pour ceux qui croient en son sacrifice. Ce sacrifice montre la justice de Dieu qui a pu laisser impunis les péchés commis autrefois, au temps de sa patience. Ce sacrifice montre aussi la justice de Dieu dans le temps présent, car il lui permet d’être juste, tout en déclarant juste celui qui croit en Jésus » (Rm 3.23-26).
Notez-le bien, cette magnanimité de Dieu s’est principalement manifestée dans le sacrifice de Jésus-Christ sur la croix, selon le principe d’équité. Rappelez-vous des paroles du Deutéronome : « Vie pour vie. » C’est uniquement parce que Christ donne sa vie pour ceux que Dieu a rachetés que ceux-ci sont exemptés de cette peine. Mais quelqu’un a bien payé la rançon, quelqu’un a bien subi la peine, « vie pour vie ». Et ce quelqu’un, c’est Dieu lui-même, en la personne de son Fils Jésus-Christ. Voilà donc l’expression la plus parfaite de la magnanimité, de la miséricorde divine.
C’est en tant que porteur de cette miséricorde divine dans sa personne même que Jésus-Christ détient l’autorité pour parler comme il le fait dans l’Évangile selon Matthieu. Il appelle ceux qui veulent devenir ses disciples à exercer une magnanimité semblable à celle dont il fera preuve tout au long de son ministère, et plus particulièrement au moment du don total de sa personne, sur la croix de Golgotha. Car sur la croix, Dieu a pardonné en la personne de Jésus-Christ, lui dont les ennemis se sont partagé la tunique; lui qui auparavant n’avait pas répondu aux injures, aux gifles, aux coups; lui qui jamais n’a désobéi à la loi qui commande d’aimer Dieu et son prochain. Il a donc accompli cette loi dans ses actes tout au long de sa vie. Mais en offrant cette même vie sur la croix, il a accompli la loi d’une manière supplémentaire. Celle-ci exigeait la vie de chaque pécheur, et exprimait cette exigence en demandant des sacrifices rituels d’animaux, symboles de la vie redemandée en rançon du péché. Christ paye une fois pour toutes la rançon exigée, non pas de manière symbolique, mais de manière réelle, totale et définitive.
Nous pouvons alors comprendre avec la plus grande clarté les paroles de Jésus rapportées par l’évangéliste Matthieu dans ce même chapitre 5 dont nous avons déjà cité quelques phrases : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la loi ou les prophètes. Je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir » (Mt 5.17). En dévoilant ainsi son amour pour son peuple, Dieu révèle l’étendue de sa magnanimité et enseigne à ses enfants rachetés à lui ressembler. Il leur enseigne à comprendre une dimension qu’aucun humain n’aurait pu saisir autrement : amour et justice, équité et pardon, miséricorde et châtiment sont possibles dans le plan divin sans s’exclure mutuellement. Ils ont trouvé leur expression parfaite dans la personne et l’œuvre de Jésus-Christ.
Nous venons de voir comment Jésus-Christ transfigure l’enseignement de la loi de l’Ancien Testament dans son œuvre et sa personne en lui donnant sa pleine signification. Je souhaite maintenant tirer quelques conclusions de cet enseignement, aussi bien au niveau individuel qu’au niveau de la société. Mais reprenons d’abord les paroles mêmes de Christ dans le Sermon sur la Montagne, paroles que nous lisons dans l’Évangile selon Matthieu, au chapitre 5 :
« Ne vous imaginez pas que je sois venu pour abolir ce qui est écrit dans la Loi ou les prophètes, je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir. Oui vraiment, je vous l’assure : tant que le ciel et la terre resteront en place, ni la plus petite lettre de la loi, ni même un point sur un i n’en sera supprimé jusqu’à ce que tout se réalise. Par conséquent, si quelqu’un n’obéit pas à un seul de ces commandements — même s’il s’agit du moindre d’entre eux — et s’il apprend aux autres à faire de même, il sera lui-même considéré comme “le moindre” dans le Royaume des cieux. Au contraire, celui qui obéira à ces commandements et qui les enseignera aux autres sera considéré comme grand dans le Royaume des cieux. Je vous le dis, si vous n’obéissez pas à la loi mieux que les interprètes de la loi et les pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux » (Mt 5.17-20).
Nous lisons encore dans le même chapitre :
« Vous avez appris qu’il a été dit : “œil pour œil, dent pour dent”. Eh bien, moi je vous dis : N’opposez pas de résistance à celui qui vous veut du mal; au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. Si quelqu’un veut te faire un procès pour prendre ta tunique, laisse-lui encore ton vêtement. Et si quelqu’un te réquisitionne pour porter un fardeau sur un kilomètre, porte-le sur deux kilomètres avec lui. Donne à celui qui te demande, ne tourne pas le dos à celui qui veut t’emprunter » (Mt 5.17-20).
Cette magnanimité, cet esprit de miséricorde que Jésus invite ceux qui l’écoutent à pratiquer est évidemment une meilleure obéissance à la loi que celle dont faisaient preuve les interprètes de la loi et les pharisiens de son temps. Nous l’avons aussi déjà vu, Jésus-Christ ne parle pas sans donner l’exemple de ce qu’il prêche. Sa passion et sa mort sur la croix sont l’accomplissement de la loi jusqu’à son moindre détail, selon le plan de Dieu pour la rédemption de l’humanité.
Mais les paroles de Jésus, aussi belles et magnanimes qu’elles paraissent, sont-elles praticables dans la vie quotidienne? Et si le Fils incarné de Dieu les a pratiquées, peuvent-elles l’être par tous? Reprenons les exemples qu’il nous donne. Au verset 40, il dit : « Si quelqu’un veut te traîner en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. » Au temps de Jésus la tunique était le long vêtement porté à même le corps. Au-dessus, on portait le manteau, pour se protéger du froid. Le manteau avait pu être laissé en gage par son propriétaire pour une raison ou une autre, ce qui était légal. Quoi qu’il en soit, laisser et sa tunique et son manteau à son adversaire aurait signifié rester pratiquement nu! Jésus parle ici de manière exagérée, comme c’était souvent l’usage de son temps lorsqu’on voulait démontrer un point quelconque. De cette manière, le principe d’une attitude magnanime que Jésus demande à ses disciples est fortement souligné.
Un autre exemple de cette manière de parler, pour souligner un point donné, apparaît ailleurs dans le Sermon sur la Montagne :
« Vous avez entendu qu’il a été dit : “Tu ne commettras pas d’adultère”. Eh bien, moi je vous dis : si quelqu’un jette sur une femme un regard chargé de désir, il a déjà commis, dans son cœur, l’adultère avec elle. Par conséquent si ton œil droit te fait tomber dans le péché, arrache-le et jette-le au loin, car il vaut mieux pour toi perdre un de tes organes que de voir ton corps entier précipité en enfer » (Mt 5.27).
Le point que Jésus souligne est que, si la tentation survient par la vue, il faut avoir le courage et la force de détourner son regard. Jésus n’appelle pas ses auditeurs à se crever physiquement un œil, car si tel était le cas, avant la fin de la journée chacun d’entre nous serait non seulement borgne, mais carrément aveugle!
Quant au verset 41, il est le plus souvent traduit par : « Si quelqu’un te force à faire un mille, fais-en deux avec lui ». Cet exemple aussi doit être expliqué. Au temps de Jésus, la Palestine était occupée par les Romains, et les soldats de l’Empire romain pouvaient obliger n’importe quel passant à leur servir de guide ou porter à leur place des charges diverses sur une distance qu’ils imposaient. En invitant ses auditeurs à faire un second mille avec celui ou ceux qui leur imposaient une telle charge, Jésus montre qu’on peut faire davantage que de simplement se soumettre à une loi ou à une obligation en vigueur : on peut gagner un adversaire en faisant preuve d’une attitude généreuse, magnanime, à laquelle celui-ci ne s’attendait pas du tout.
Ce principe est encore plus explicitement énoncé au verset 43 : « Vous avez entendu qu’il a été dit : tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. » Nous avons déjà vu que la loi enjoignait d’aimer son prochain (Lv 19:18). Mais la loi ne dit pas qu’il faille haïr son ennemi. Ceci était une addition amenée par les docteurs de la loi de l’époque. Jésus corrige donc une interprétation abusive de la loi qui était devenue si courante qu’elle passait pour le texte même de la loi. Mais rappelons encore une fois que ce qu’il enseigne, il le pratiquera jusqu’au bout, littéralement.
Au moment de sa crucifixion, il intercédera pour ses ennemis, en priant : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23.34). Il leur laissera aussi bien sa tunique que son manteau, qu’ils se partageront au pied de la croix. Il ne répondra ni aux coups ni aux injures. Il donnera plus encore que son enseignement ou que les miracles de guérison, tant recherchés par les foules au moment de son ministère; c’est sa vie même qu’il donnera à Golgotha, en acceptant d’être tenu pour le coupable, alors qu’il est totalement innocent de ce dont on l’accuse. Jésus aura donc pratiqué son propre enseignement jusqu’à donner volontairement sa vie en rançon pour notre vie. Au moment d’expirer, il aura ces paroles : « Tout est accompli » (Jn 19.30), paroles qui se réfèrent à l’accomplissement de la loi dans sa totalité, selon ses propres paroles dans le Sermon sur la Montagne : « Ne vous imaginez pas que je sois venu pour abolir ce qui est écrit dans la Loi ou les Prophètes; je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir » (Mt 5.17).
Jésus a donc tracé la voie pour chacun de nous qui croyons en son nom, en nous donnant un exemple à suivre. Tous ceux qui, par la foi, sont greffés en lui le suivront sur cette voie. Sans magnanimité, sans pardon des offenses, sans attitude qui cherche à gagner l’ennemi autant qu’il est possible, il n’y a pas de vrai christianisme. Mais ce qui doit être vrai pour chacun de nous individuellement peut-il l’être dans la société? Un homme ou une femme d’affaires peut-il risquer de voir son entreprise couler financièrement parce que cet entrepreneur, au cours d’un procès injuste qui lui est fait par une entreprise concurrente, a préféré ne pas se défendre avec les moyens appropriés pour témoigner de sa foi chrétienne? Rappelons encore une fois les paroles de Jésus : « Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la Loi et les prophètes. Je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir. »
Des lois qui reflètent les principes du droit tels que Dieu les donne dans sa Parole sont nécessaires dans chaque société, dans chaque pays, et une justice équitable doit régner, supervisée par des magistrats droits et honnêtes, et non corrompus. Être disciple de Jésus-Christ signifie aussi contribuer à de telles institutions, et non les mépriser ou refuser sa responsabilité à cet égard. En aucun cas, les paroles de Jésus-Christ ne sauraient servir de prétexte à l’abandon des exigences du droit et de la justice, au profit d’une morale basée uniquement sur le bon vouloir des uns et des autres. Car ce serait déformer son enseignement de manière aussi grave que le faisaient vis-à-vis de la loi les pharisiens et les docteurs de la loi dont il parle. Ce serait en fait dire qu’il est venu pour abolir toute forme de loi, et ce faisant contribuer à la multiplication d’injustices de toutes sortes. Le chrétien, tout comme le non-chrétien, devrait pouvoir s’appuyer sur des lois justes et faire appel aux gouvernants et aux législateurs pour défendre le droit.
Mais attention à un esprit excessivement juridique qui guiderait toutes les attitudes et la conduite de la vie entière, comme si ce juridisme étroit développé par des hommes pécheurs pouvait servir de justification devant Dieu. Cet esprit juridique étroit règne de manière tyrannique dans bon nombre de sociétés modernes, occidentales notamment. Il cherche délibérément à évacuer la présence de Dieu et se révèle incapable de maintenir cet équilibre entre magnanimité et équité que seul le Seigneur Jésus-Christ peut nous inculquer, par son enseignement aussi bien que par l’œuvre accomplie pour nous ici-bas. Cet esprit qui a décidé de se passer de Dieu et qui nie radicalement sa présence s’embourbe dans ses propres notions sur ce qu’est la justice. À l’équité que la justice devrait promouvoir et les pouvoirs publics garantir, il substitue souvent soit des formes de vengeance qu’il déclare légales, soit sa propre idée de la magnanimité, en exonérant les coupables d’une peine méritée.
Les chrétiens qui veulent travailler à la réforme en profondeur de la société dans laquelle Dieu les a placés devraient se garder des écueils mentionnés, dans leur contribution à la vie politique et sociale de leur pays. Les chrétiens transformés par l’Esprit du Christ devraient faire entendre leur voix contre une justice partisane qui cherche soit la vengeance sous une apparence légale, soit à dédouaner les coupables d’actes criminels. De fait, ces deux abus peuvent arriver en même temps, lorsque deux poids et deux mesures sont utilisés par le même système judiciaire. Or la loi de Dieu interdit expressément l’exercice d’une justice de ce genre.
Par exemple, elle prescrit de ne pas avoir de considération de personne lors des jugements prononcés : le fait qu’une des parties soit pauvre ou riche ne doit pas intervenir comme un facteur qui influence l’arbitrage ou le jugement rendu. Quant aux chrétiens qui ont été appelés à exercer une charge de magistrat, ils peuvent se trouver victimes de pressions organisées par des groupes aux intérêts sociaux ou ethniques particuliers. Être disciple de Jésus-Christ dans de tels cas signifie d’abord ne pas céder à de telles pressions. Un magistrat chrétien confronté à une telle situation devrait aussi pouvoir compter sur l’intercession et le soutien éclairé d’autres chrétiens, afin d’être soutenu dans sa résolution.
En conclusion, insistons sur le fait que dans la Bible, la loi et l’Évangile ne s’opposent pas, mais plutôt que Jésus-Christ donne à la première son interprétation définitive en l’accomplissant parfaitement. Puisse chacun, guidé par l’Esprit du Christ, déterminer ce qui, au sein des circonstances qui sont les siennes, témoigne de la venue du Royaume de Dieu. Puisse chacun savoir faire preuve de magnanimité et gagner même son ennemi à Jésus Christ, le seul qui puisse opérer une réconciliation durable entre humains déchirés par toutes sortes de conflits. Car Christ a opéré la réconciliation entre Dieu et les hommes et femmes qui se mettent au bénéfice de son sacrifice. Puisse chacun aussi témoigner de cette réconciliation en œuvrant dans la foi et l’obéissance pour une justice équitable au sein de nos sociétés.