Vieillir avec espérance
Vieillir avec espérance
- Le déni ne peut pas durer
- Des adolescents perpétuels
- Pour toujours sur terre?
- L’impatience au lieu de l’honneur
- Une alternative chrétienne
- Vieillir dans l’Ancien Testament
- Une bénédiction également dans le Nouveau Testament
- Jamais trop vieux pour servir le Seigneur
- L’espérance en Jésus-Christ
J’ai 68 ans et je me trouve à la retraite, je suppose donc qu’on me considère comme vieux. À notre époque du politiquement correct, on m’appelle « personne âgée », « aîné » ou encore quelqu’un ayant atteint « l’âge d’or ».
Qu’est-ce que le vieillissement? Comment y réagissons-nous? Ces questions ne se posent plus dans un contexte académique. Lorsque j’étais adolescent, je pensais que les quinquagénaires étaient vieux. À ce stade de ma vie, un quinquagénaire me semble relativement jeune. Le vieillissement s’avère donc ambigu. Bernard Nash décrit le vieillissement comme un paradoxe : « Ne trouvez-vous pas frappant que nous voulions tous vivre plus longtemps, mais qu’aucun d’entre nous ne veuille vieillir? »
Tout au long de notre vie, nous pensons que d’autres personnes vieillissent jusqu’à ce que nous réalisions progressivement que nous avons nous-mêmes vieilli. Certains disent que le vieillissement peut être comparé à la saison automnale lorsque les fruits mûrissent et que les feuilles tombent; d’autres affirment que le moment du vieillissement est arrivé lorsque la somme des souvenirs est devenue plus importante que nos attentes. Le vieillissement, selon l’expert en gérontologie américain Howel, « n’est pas une simple pente sur laquelle tout le monde glisse à la même vitesse. C’est un escalier irrégulier que certains descendent plus vite que d’autres ».
Vieillir, c’est aussi perdre des connaissances et des amis de longue date à cause de la distance, de la maladie et de la mort. Les notices nécrologiques témoignent que la vie est un processus de vieillissement, et que le vieillissement témoigne de la progression constante de la mort en nous. Chaque instant de notre vie, nous vieillissons. La vie et la mort sont intimement liées. Le jour vient où tous nos biens terrestres s’envoleront, y compris notre capacité à en profiter. Je ne décris pas une vision morbide de la vie, c’est simplement la réalité. Comme l’a écrit le poète Robert Herrick au 17e siècle :
Cueillez les roses de la vie tant que vous le pouvez,
Car le temps jamais ne finit de s’envoler.
Et cette même fleur, qui s’épanouit aujourd’hui,
Demain, elle sera flétrie.
Alors, comment faire face au vieillissement? Nous vivons dans une société qui fait preuve de peu de compréhension à l’égard de la vieillesse et qui la valorise encore moins. La documentation chrétienne sur le vieillissement semble peu abondante, l’attention se portant bien plus sur l’éducation des enfants. On n’a pas accordé assez d’attention à la prise en charge des parents âgés.
1. Le déni ne peut pas durer⤒🔗
La peur du vieillissement a peut-être contribué à un déni de la réalité : si nous n’en parlons pas, peut-être que cela ne nous arrivera pas, n’est-ce pas?
C’est ce genre de déni qui explique pourquoi certaines personnes considèrent les visites en maison de retraite comme un fardeau. Ils ne peuvent pas s’imaginer y être un jour. Ils ne veulent pas qu’on leur rappelle leur propre mortalité.
Notre société considère la franchise sur la mort comme une déviance, un sujet qui ne doit pas être abordé en bonne compagnie. Pour beaucoup, la mort constitue le dernier tabou de la culture occidentale; pour d’autres, elle est devenue un sentimentalisme exploité : les gens n’assistent plus à des funérailles, mais plutôt à des « célébrations d’une vie vécue ».
Et lorsqu’ils parlent de la mort, c’est pour la tourner en dérision, avec des pierres tombales en polystyrène sur le parvis de la maison la veille de la Toussaint. Cependant, leur naturalisme athée les rend incapables de faire face à la finalité brutale de la mort. Et parce que la nouvelle génération n’est pas disposée à revenir à une perspective biblique, elle place sa foi dans les récits d’expériences extracorporelles et dans le mysticisme du Nouvel Âge.
Pourtant, malgré tous ses efforts, le monde ne peut pas garder la mort hors de vue et loin de l’esprit. Dès notre naissance, nous commençons à mourir.
2. Des adolescents perpétuels←⤒🔗
Le déni de la mort dans le monde se manifeste également par le fait que les personnes âgées ont désormais pour objectif commun de rester jeunes. Ou plutôt, non seulement de rester jeune, mais de rester immatures. Alors qu’autrefois l’idéal consistait à devenir adulte, aujourd’hui la génération plus âgée veut paraître aussi jeune que possible, certains essayant même de camoufler leur âge en s’habillant comme des adolescents.
À sa manière inimitable et peu flatteuse, le journaliste britannique Malcolm Muggeridge a raconté un mois passé dans un centre de villégiature en Floride. Selon lui, tout était mis en place pour que les seniors aient l’impression de ne pas avoir vieilli, mais de déborder toujours d’entrain et d’espoirs, sinon des adolescents, du moins des jeunes en pleine forme. Ces personnes âgées, disait-il, avaient des corps flétris vêtus de tenues d’été éblouissantes, des yeux creux qui brillaient sous des casquettes voyantes, des crânes enduits de cosmétiques, des jarrets maigres bronzés d’un brun riche, des fesses osseuses encastrées dans des pantalons écarlates. La description de Muggeridge est peut-être exagérée, mais elle en dit long sur l’impact de la culture de la jeunesse contemporaine sur notre société. Elle donne une vision négative et morbide du vieillissement.
3. Pour toujours sur terre?←⤒🔗
L’industrie de la publicité contribue à cet état d’esprit. Où que nous regardions, on nous présente des publicités pour des crèmes anti-âge, des exercices de yoga, des programmes de nutrition et des interventions médicales. Vieillir n’est pas tant considéré comme faisant partie de la condition humaine que comme un problème médical et scientifique que l’on peut résoudre. C’est pourquoi les médecins et les scientifiques cherchent une solution au « problème de la vieillesse »1.
Quelles sont les chances que les progrès scientifiques permettent de prolonger la vie indéfiniment? Un certain nombre d’investisseurs ont payé des sommes importantes pour que leur corps soit congelé à leur mort grâce à la cryogénie, qu’on utilise pour congeler le bœuf et les légumes, ainsi que les personnes. Toutefois, comme le souligne le Dr Russell dans son ouvrage non chrétien Good News About Aging [Bonnes nouvelles sur le vieillissement], ceux qui caressent le rêve d’être décongelés et de vivre éternellement dans quelque temps caressent probablement un rêve invraisemblable, car la congélation détruit les cellules du corps humain. Il ajoute :
« … Même si nous parvenons à surmonter ce problème et d’autres de ce genre, aucune preuve scientifique ne suggère que nous pouvons espérer éliminer la mort aujourd’hui ou à l’avenir, car toutes les choses se dégradent avec le temps. »
Et si nous pouvions vivre éternellement? Dans notre monde déchu, voudrions-nous vraiment une telle chose? Dans sa pièce de 1922 Le secret de Makropulos, Karel Capek aborde cette question avec le personnage d’Emilia, âgée de 337 ans, qui constate :
« … Personne ne peut aimer pendant trois cents ans — cela ne peut pas durer. Et puis tout nous fatigue. On se fatigue d’être bon, on se fatigue d’être mauvais. La terre entière nous fatigue. Et puis on découvre qu’il n’y a rien du tout : pas de péché, pas de douleur, pas de terre, tout est vide. »
Quel avenir hideux! Recevoir une longévité éternelle que le Saint-Esprit nous régénère, sans espoir de vivre avec le Seigneur dans les nouveaux cieux et sur la nouvelle terre, c’est une perspective désolante. C’est vivre sous la malédiction.
Si nous pouvions continuer à vivre dans ce monde avec toutes ses douleurs et tous ses conflits, sans résoudre les immenses problèmes humains, une vie médicalement prolongée ne ferait que préparer le terrain pour davantage de conflits humains et d’injustices sociales.
4. L’impatience au lieu de l’honneur←⤒🔗
Le déni de la mort se manifeste également dans la façon dont nos jeunes traitent les personnes âgées. Le vieillissement frustre les jeunes d’aujourd’hui — il interfère avec leur désir de « faire avancer les choses ». Avez-vous déjà remarqué l’impatience manifestée dans une file d’attente à la banque lorsqu’une personne âgée tente d’effectuer une transaction? Leur lenteur exaspère souvent l’employé et les jeunes clients qui attendent leur tour. Ces derniers n’imaginent pas se retrouver un jour dans la même situation. Bien sûr, d’autres personnes vieillissent… mais pas eux.
Le conflit entre les générations fait l’objet de nombreuses discussions. Beaucoup semblent considérer le vieillissement comme un processus à endurer et à subir, plutôt que comme un don de Dieu contingent dans le temps, qu’il convient d’aborder avec gratitude. Le philosophe canadien George Grant a observé que la société perçoit de plus en plus la vieillesse comme une catastrophe inéluctable, non seulement pour ceux qui n’en font pas partie, mais aussi pour les personnes âgées elles-mêmes. Il a également noté que nous ne considérons pas l’âge comme le moment où l’éternel peut être réalisé, et que nous plaignons donc les personnes âgées comme arrivant à la fin de leur existence historique.
Les sociologues parlent même d’âgisme, que l’on peut définir comme un dégoût général pour les personnes âgées dans notre culture — elles ressemblent aux préjugés raciaux, mais, dans ce cas, on émet des généralisations injustes sur tout le monde vieillissant :
« Toutes les personnes âgées ont tendance à oublier. »
« Toutes les personnes âgées ont mauvaise humeur. »
« Toutes les personnes âgées souffrent de dépression. »
« La déficience mentale se répand chez les personnes âgées. »
Contrairement au mythe du vieillissement, les personnes âgées ne perdent pas nécessairement leur intelligence ou leur capacité à prendre des décisions. L’histoire nous donne d’innombrables exemples de personnes âgées créatives, actives et productives.
- À 71 ans, Michel-Ange (1475-1564) a été nommé architecte en chef de la cathédrale Saint-Pierre de Rome.
- À 63 ans, Joost Van den Vondel (1587-1679), le plus grand poète hollandais, a écrit Jephta, Lucifer et Adam in ballingschap [Adam en exil].
- George Bernhard Shaw (1856-1679), auteur et dramaturge irlandais, a écrit Farfetched Fables [Fables farfelues] à 93 ans.
- Arthur Rubinstein (1888-1982), d’origine polonaise, a donné une performance époustouflante au Carnegie Hall à l’âge de 90 ans.
À l’instar de ces personnes célèbres, des millions de personnes âgées sont encore productives et actives à leur manière et souhaitent le rester. L’âgisme semble s’étendre du fait que les gens savent peu de choses sur la vieillesse et que ce qu’ils savent est basé sur des mythes et des peurs.
On parle même de guerre des générations. Ces dernières années, le conflit entre les générations s’est surtout manifesté en raison de la diminution de la capacité des pouvoirs publics à financer les prestations de santé et de retraite. Ce pincement provoque déjà un conflit générationnel dans les ambitieux États-providence d’Europe du Nord, où les taux de natalité et d’immigration se situent sous ceux des États-Unis et où les personnes âgées représentent un poids politique considérable. Les jeunes Européens se plaignent du coût élevé des soins de santé pour les personnes âgées et ils déplorent les frais d’inscription qui érodent la tradition de gratuité de l’enseignement universitaire. Un jeune dirigeant allemand s’est fait connaître en suggérant que les personnes âgées devraient utiliser des béquilles plutôt que de subir des pose de prothèses de hanche coûteuses2.
Malheureusement, ce conflit générationnel se retrouve également dans les Églises d’aujourd’hui. Les personnes âgées n’aiment pas appeler leur pasteur par leur prénom et n’apprécient certainement pas son apparence décontractée lorsqu’il vient leur rendre visite. Cependant, lorsqu’une Église sans pasteur envisage d’appeler un pasteur, elle met fortement l’accent sur la jeunesse. Apparemment, certains comités d’appel recherchent un homme de vingt-cinq ans avec trente ans d’expérience.
5. Une alternative chrétienne←⤒🔗
Les différences entre les générations ne doivent pas nécessairement conduire à des conflits. Les chrétiens peuvent proposer d’autres conceptions du vieillissement. La Bible considère le conflit entre les générations comme anormal. Oui, la jeunesse est une chose merveilleuse, mais ce n’est pas la seule. Elle est une bénédiction à bien des égards, mais elle peut aussi, dans certains cas, être une malédiction. Lorsqu’Ésaïe a prononcé le jugement sur Jérusalem et Juda, il a dit : « Je leur donnerai des jeunes gens pour chefs, et des gamins domineront sur eux » (És 3.4).
Jeunes et vieux peuvent arriver à se comprendre et à s’apprécier mutuellement. Dans le royaume de Dieu, il est dit : « Les petits-fils sont la couronne des vieillards, et les pères sont la parure de leurs fils » (Pr 17.6). Les vieillards font des rêves et les jeunes gens ont des visions (Joël 2.28; voir Ac 2.17). Dieu promet qu’il restera auprès de son peuple, peu importe la tranche d’âge. « Jusqu’à votre vieillesse je serai le même, jusqu’à votre âge avancé je vous soutiendrai » (És 46.4).
Alors, comment faisons-nous face au crépuscule de la vie? Avec des sentiments de crainte… ou d’espoir? Approfondissons la Parole de Dieu et voyons ce qu’elle nous dit.
6. Vieillir dans l’Ancien Testament←⤒🔗
Dans l’Ancien Testament, nous constatons que Dieu considère le grand âge comme la récompense suprême de la vertu. On respectait et on honorait les personnes âgées. La vieillesse est une bénédiction et non une malédiction. L’Écriture dit :
« Tu te lèvera devant les cheveux blancs et tu honoreras la personne du vieillard. Tu craindras ton Dieu. Je suis l’Éternel » (Lv 19.32).
Le psalmiste témoigne de la vieillesse dans l’espérance. Il dit :
« Les justes fleurissent comme le palmier, ils croissent comme le cèdre du Liban. Plantés dans la maison de l’Éternel, ils fleurissent dans les parvis de notre Dieu; ils sont encore féconds dans la vieillesse, ils sont pleins de sève et verdoyants, pour annoncer que l’Éternel est droit. Il est mon rocher, et il n’y a pas d’injustice en lui » (Ps 92.13-16).
La vieillesse est devenue un symbole de bénédiction, de sagesse et de droiture — un processus honorable par lequel Dieu a récompensé les personnes obéissantes, par exemple en honorant leurs propres parents : « Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur la terre que l’Éternel, ton Dieu, te donne » (Ex 20.12).
Dans les Proverbes, les lecteurs se voient essentiellement promettre une longue vie si leur cœur veut bien « garder mes commandements, car ils augmenteront la durée de tes jours longs, les années de ta vie et ta paix » (Pr 3.1-2). L’apparition même des cheveux gris, signe certain de la vieillesse au cours des siècles, devient dans l’Écriture « une magnifique couronne; c’est sur la voie de la justice qu’on la trouve » (Pr 16.31).
En repoussant les personnes âgées en marge de la société, nous les abaissons et nous rendons notre société plus pauvre par la perte de leur expérience et de leur maturité. C’est à l’âge de 80 ans que Dieu a appelé Moïse à conduire son peuple vers la terre promise. À cet âge très avancé, Moïse est devenu l’historien, le chef et l’homme d’État d’Israël. À l’âge de 85 ans environ, Josué a reçu la mission divine de succéder à Moïse. À sa mort, à l’âge de 110 ans, on a profondément pleuré sa perte et ses éminents services furent largement reconnus (Jos 24.29-31).
7. Une bénédiction également dans le Nouveau Testament←⤒🔗
Dans le Nouveau Testament, l’attitude à l’égard du vieillissement se compare favorablement à celle de l’Ancien Testament. La communauté honorait et estimait beaucoup ceux qui atteignaient un âge avancé. Les saints âgés jouent un rôle important dans le premier chapitre de l’Évangile de Luc. Les premiers personnages à apparaître sur la scène sont le sacrificateur Zacharie et sa femme Élisabeth, tous deux « d’un âge avancé » (Lc 1.7). Ils sont les instruments des desseins de Dieu et les premiers interprètes de ses actes salvateurs.
Siméon et Anne représentent le chœur prophétique qui accueille l’enfant Jésus lors de sa purification au Temple (Lc 2.22-38). Ce qui frappe, c’est que le vieillard Siméon meurt au début du récit évangélique. Rempli d’espérance, ses yeux sont fixés sur celui qui vient de naître, car c’est par la vie, par la mort et par la résurrection du Sauveur que le monde connaîtra la paix. Siméon espérait depuis longtemps « la consolation d’Israël » et l’Esprit Saint lui a promis qu’il ne mourrait pas avant d’avoir vu le Messie du Seigneur. Anne — une prophétesse de quatre-vingt-quatre ans qui fréquente le Temple pour adorer et pour prier nuit et jour — reconnaît Jésus, rend grâce à Dieu et annonce la nouvelle « à tous ceux qui attendaient la rédemption de Jérusalem » (Lc 2.38). En tant que personnes qui se sont accrochées aux promesses de Dieu pendant de nombreuses années, elles incarnent les vertus de la patience et de la confiance dans la fidélité inébranlable de Dieu. Ce sont également des exemples de foi et d’espérance, même lorsque les circonstances semblent désespérées.
Les premiers chrétiens ne considéraient pas le vieillissement comme un « problème » auquel une solution religieuse devait s’attaquer. Dans tout le Nouveau Testament, et en particulier dans les épîtres pastorales, l’accent est mis sur le respect dû aux membres les plus âgés de la communauté. Les exhortations parlent explicitement de prendre soin des veuves, d’honorer les personnes âgées, d’imiter leur foi et leur fidélité. Par exemple : « Ne réprimande pas rudement le vieillard, mais exhorte-le comme un père » (1 Tm 5.1). Nous y trouvons également des directives spécifiques selon lesquelles la communauté doit fournir une assistance aux veuves de plus de soixante ans, et les femmes reconnues par l’Église comme veuves doivent consacrer leur énergie à la prière, à l’hospitalité et au service des affligés (1 Tm 5.3-16).
Dans notre culture obsédée par la jeunesse, les personnes âgées sont fortement tentées de se rajeunir. On attend d’elles qu’elles fassent de l’exercice pour rester en forme, qu’elles reçoivent des soins de beauté pour se rajeunir et qu’elles s’habillent à la mode des jeunes. Les personnes âgées devraient-elles aspirer à redevenir jeunes? Je ne le pense pas. Pour les chrétiens, la vieillesse ne constitue pas un cul-de-sac. En vieillissant, nous pouvons encore progresser spirituellement. L’apôtre Paul a écrit aux Corinthiens : « C’est pourquoi nous ne perdons pas courage. Et même lorsque notre homme extérieur se détruit, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour » (2 Co 4.16). Il a dit aux Éphésiens que nous pouvons progressivement réussir à nous débarrasser de l’ancien moi et à nous revêtir du nouveau, et « être renouvelés par l’Esprit dans votre intelligence » (Ép 5.23). Ce renouvellement par le Saint-Esprit a un impact sur notre attitude mentale, notre état d’esprit et notre disposition à l’égard de Dieu et de son monde tout au long de notre vie. En d’autres termes, nous continuons à développer notre marche avec Dieu (Ép 4.22-24).
8. Jamais trop vieux pour servir le Seigneur←⤒🔗
Viktor E. Frankl, qui a subi des horreurs indicibles dans les camps de concentration nazis, affirme que nous ne devrions pas plaindre les personnes âgées. Il ajoute cette phrase remarquable : « Au contraire, les jeunes devraient les envier. » Pourquoi? Parce que les personnes âgées détiennent plus de choses que les jeunes. Frankl affirme que les personnes âgées possèdent des réalités dans le passé — les potentialités qu’elles ont actualisées, les valeurs qu’elles ont réalisées — et que rien ni personne ne pourra jamais retirer ces atouts du passé.
Dans le livre X de ses Confessions, Augustin (354-430) qualifie la mémoire de « vaste cour » ou de « grand réceptacle ». Les personnes âgées disposent d’un riche réservoir de souvenirs et d’un paysage intérieur à explorer : les temps perdus dans l’oisiveté, les opportunités bien utilisées, une carrière épanouissante, des enfants devenus adultes et des souffrances traversées avec dignité et courage. Quelle chance pour nos jeunes de pouvoir puiser dans les souvenirs de leurs grands-parents! Les obligations de l’alliance ne cessent jamais. La foi chrétienne se transmet d’une génération à l’autre. Elle dépend de cette transmission. C’est pourquoi on doit toujours maintenir une relation très intime entre la génération actuelle et la génération à venir si l’on veut voir une future génération de chrétiens.
L’Église ne peut pas être l’Église sans les personnes âgées. Elles représentent l’histoire de l’Église. Bien sûr, nous ne nous attendons pas à ce que toutes les personnes âgées puissent exprimer « la sagesse de leurs années ». Cependant, rien ne peut remplacer le fait que certaines personnes âgées de l’Église transmettent leur sagesse à la jeune génération.
Les jeunes ne peuvent tout simplement pas se passer de la génération plus âgée. Dans notre culture, pendant quelques années, les jeunes adultes peuvent prétendre (encouragés par les forces sociales et culturelles) qu’ils peuvent vivre éternellement comme des êtres autonomes, autosuffisants et se réalisant eux-mêmes. Cependant, cette prétention s’effondre rapidement. La présence de personnes âgées vulnérables visibles nous rappelle que nous ne sommes pas nos propres créateurs. Nous vieillirons tous; les cheveux bruns et blonds deviendront gris. Par conséquent, les jeunes chrétiens ont besoin des personnes âgées pour ne pas considérer leur vie comme acquise. Je le répète : l’Église ne peut pas être l’Église sans les personnes âgées. C’est pourquoi, tout au long de l’histoire, l’Église a désapprouvé le fait de séparer les jeunes des personnes âgées en organisant des cultes pour les jeunes. J’ai même lu l’histoire d’une Église où on n’autorisait pas les personnes âgées à assister au culte d’adoration. Cependant, d’après les Écritures, les jeunes et les vieux ont leur place ensemble. Ils font tous partie de la grande famille de Dieu.
Nos jeunes membres de l’alliance ont besoin d’entendre de la bouche de leurs grands-parents et des aînés de l’Église la signification du mot « chrétien ». Les grands-parents connaissent les traditions et les valeurs familiales. Ils peuvent raconter leurs expériences en temps de guerre, leur immigration avec ses difficultés et ses aventures, et les raisons qui les ont poussés à quitter leur pays natal. Les personnes âgées peuvent transmettre aux jeunes les leçons et les ressources spirituelles qu’elles ont récoltées tout au long de leur vie.
Notre époque déroute tellement nos jeunes qu’elle menace leur bien-être. Pourquoi ne pas leur expliquer que la foi chrétienne s’applique à toute la vie? D’où la création d’écoles chrétiennes, de collèges chrétiens et d’universités chrétiennes, d’une association syndicale chrétienne, de magazines chrétiens et d’un parti politique chrétien3. Pourquoi ne pas leur dire que faire de bonnes œuvres, c’est bien faire son travail? Pourquoi ne pas leur témoigner que la promesse du Seigneur « Je suis avec vous tous les jours » (Mt 28.20) est une réalité et non un mythe? On se souvient souvent longtemps des leçons apprises auprès de grands-parents consacrés au Seigneur et d’autres aînés chrétiens.
9. L’espérance en Jésus-Christ←⤒🔗
En vieillissant, nous prenons conscience de la rapidité avec laquelle les années passent. Nous pouvons soit laisser la peur de la mort nous étouffer mentalement, soit regarder l’avenir avec espoir. Souvenons-nous que le meilleur reste à venir! Jésus-Christ, le Seigneur ressuscité et monté au ciel, constitue le fondement de notre espérance et la promesse de notre délivrance.
L’espérance de la résurrection se trouve au cœur de la façon dont les chrétiens incarnent l’art de vieillir. Nous servons un Dieu fidèle qui ne nous oubliera jamais! Nous sommes des étrangers et des pèlerins sur terre, et plus nous vieillissons, plus nous nous rapprochons de notre demeure éternelle. Cette vérité encourage même l’individu le plus âgé à chérir chaque instant de la vie tout en se préparant à y renoncer. Chaque jour est un don de Dieu. Nous nous tournons vers lui pour obtenir notre pain quotidien, tout en veillant à rechercher d’abord le royaume de Dieu plutôt que de gaspiller notre temps et notre énergie à des préoccupations secondaires. Avec la perspective d’un avenir glorieux pour tous ceux qui appartiennent à Jésus-Christ, nous pouvons nous identifier aux suggestions de Martin Luther selon lesquelles « dans le dessein de Dieu, ce monde n’est qu’une préparation et un échafaudage pour le monde à venir ». Je pense également à l’enseignement de Jean Calvin dans son Catéchisme de Genève, selon lequel nous devons « apprendre à traverser ce monde comme s’il était un pays étranger, en traitant toutes choses avec légèreté et en refusant d’y attacher notre cœur ».
Nous sommes tous confrontés un jour ou l’autre à la mort. Lorsque nous vieillissons, c’est une réalité plus proche de nous que dans notre jeunesse. Je prie pour que notre attitude face à la mort ressemble à celle du pasteur luthérien, érudit et leader de la résistance Dietrich Bonhoeffer, qui, le visage rayonnant d’une joyeuse attente, a dit aux deux gardes nazis qui devaient venir le chercher pour l’exécuter : « Pour vous, c’est la fin, pour moi, c’est le commencement. »
Notes
1. NDT : Le transhumanisme promeut également l’amélioration de l’humanité et la recherche de longévité éternelle au moyen de la technologie. Voir Yannick Imbert, Le transhumanisme : un défi anthropologique pour le 21e siècle (2015); Éric Lemaître, Le transhumanisme : homme augmenté ou homme déchu? (mai 2019); Éric Lemaître, Transhumanisme – L’homme mutant (janvier 2020); Yannick Imbert, Le transhumanisme (octobre 2021).
2. NDT : Les sociétés occidentales vont maintenant beaucoup plus loin. Depuis la rédaction de cet article en 2004, l’horrible pratique de l’euthanasie s’est considérablement étendue en Occident, en particulier au Canada, motivée en grande partie par l’âgisme, le rejet du caractère sacré de la vie et la volonté de se débarrasser des personnes « inutiles » devenues un fardeau pour la société. Voir l’article de Jonathan Griffiths, Le Canada en tête du classement mondial des décès par suicide assisté (juin 2024), et les trois articles de Jonathan Van Maren, Le retour à la fournaise de Moloch (mai 2023); L’Occident post-chrétien : Un chroniqueur du Times affirme que les malades et les personnes âgées devraient envisager l’euthanasie (avril 2024); À l’ombre de la culture de la mort (octobre 2024).
3. NDT : L’auteur évoque ici des bribes d’histoire propres aux chrétiens réformés néerlandais dont il faisait partie et qui ont immigré en Amérique du Nord aux 19e et 20e siècles.