Ésaïe 65.17-25 - Un règne millénaire sur la terre ou une vision d’un nouveau ciel et d’une nouvelle terre (l’état éternel)?
Ésaïe 65.17-25 - Un règne millénaire sur la terre ou une vision d’un nouveau ciel et d’une nouvelle terre (l’état éternel)?
« Car je crée de nouveaux cieux et une nouvelle terre; on ne se rappellera plus les événements du début. Ils ne remonteront plus à la pensée. Réjouissez-vous plutôt et soyez à toujours dans l’allégresse, à cause de ce que je crée; car je crée Jérusalem pour l’allégresse et son peuple pour la joie. Je ferai de Jérusalem mon allégresse et de mon peuple ma joie; on n’y entendra plus le bruit des pleurs et le bruit des cris. Il n’y aura plus là de nourrisson vivant quelques jours seulement, ni de vieillard qui n’accomplisse pas ses jours; car le plus jeune mourra à cent ans, et le pécheur âgé de cent ans sera considéré comme maudit. Ils bâtiront des maisons et les habiteront; ils planteront des vergers et en mangeront le fruit. Ils ne bâtiront pas des maisons pour qu’un autre les habite, ils ne planteront pas pour la nourriture d’un autre; car les jours de mon peuple seront comme les jours des arbres, et mes élus jouiront de l’œuvre de leurs mains. Ils ne peineront pas en vain et n’auront pas des enfants pour l’épouvante. Car ils formeront la descendance des bénis de l’Éternel, et leur progéniture sera avec eux. Et alors, avant qu’ils m’invoquent, moi je répondrai; ils parleront encore, que moi j’exaucerai. Le loup et l’agneau auront un même pâturage, le lion, comme le bœuf, mangera de la paille, et le serpent aura la poussière pour nourriture. Il ne se fera ni tort ni dommage sur toute ma montagne sainte, dit l’Éternel. »
Ésaïe 65.17-25
La vision d’Ésaïe de nouveaux cieux et d’une nouvelle terre (És 65.17-25) est l’une des scènes prophétiques les plus remarquables de toute la Bible. La vision d’Ésaïe parle de l’ordre créé qui sera renouvelé et transformé à tel point que l’on ne se souviendra plus des choses passées. Jérusalem aussi sera renouvelée, et ses années de deuil se transformeront en joie. La scène que nous présente Ésaïe parle d’une longue vie, de l’abondance de la terre, de carnivores (lions et loups) mangeant de la paille avec les agneaux et les bœufs, et de serpents venimeux qui ne seront plus à craindre. Bien que la vision d’Ésaïe ait été donnée au huitième siècle avant J.-C., elle est orientée vers un avenir lointain, tant vers l’ère messianique à venir (le premier avènement du Christ) que vers la consommation finale à la fin des siècles (le second avènement du Christ).
La nature de la prophétie d’Ésaïe soulève des questions sur le moment et la manière dont la scène se réalisera. Lorsque le prophète parle de longue vie, parle-t-il littéralement, annonçant que la durée de vie actuelle de l’homme sera prolongée au-delà de cent ans, et que les carnivores deviendront des herbivores? Prévoit-il que la ville terrestre de Jérusalem sera le centre de la piété et du culte de l’Éternel? Ou bien Ésaïe parle-t-il de choses qui sont éternelles (un nouveau ciel et une nouvelle terre après la consommation) en utilisant des images terrestres temporelles (que les gens peuvent comprendre) pour désigner des choses éternelles qui, du point de vue d’Ésaïe, seraient impossibles à comprendre avant la résurrection du Christ?
Plusieurs interprétations de ce passage sont familières à ceux qui s’intéressent à l’eschatologie : (1) le point de vue dispensationaliste, (2) le point de vue postmillénariste, et (3) le point de vue amillénariste. Nous les aborderons dans l’ordre.
1. L’optique dispensationaliste⤒🔗
Selon les dispensationalistes traditionnels (tels que J. Dwight Pentecost), Ésaïe fait référence à un royaume millénaire sur terre (le règne de mille ans du Christ), qui commencera après son retour. Les dispensationalistes, qui s’efforcent d’interpréter la prophétie d’Ésaïe « littéralement » (un présupposé de base dispensationaliste), concluent qu’Ésaïe prévoit ce qui suit : la reproduction humaine ordinaire, la levée de la malédiction, la fin de la maladie et des déformations corporelles, ainsi que la paix universelle et la prospérité économique. Pentecost conclut sa liste de bénédictions millénaires par la déclaration suivante concernant « la perpétuité du royaume millénaire ». Il écrit que « ce qui caractérise l’ère millénaire [vraisemblablement les choses que Pentecost a énumérées] n’est pas considéré comme temporaire mais comme éternel1 ». Certains changements dans l’ordre naturel se produiront durant l’ère millénaire après le retour du Christ, mais la transformation finale de la terre ne se produira pas avant la création des nouveaux cieux et de la nouvelle terre après le jugement dernier à la fin des mille ans. L’ère millénaire est donc une sorte d’étape à mi-chemin vers la consommation finale.
Les dispensationalistes contemporains ont quelque peu modifié la vision traditionnelle, un auteur décrivant le passage comme faisant référence au « royaume intermédiaire2 ». Matt Waymeyer interprète la scène décrite par Ésaïe comme un mélange de « royaume intermédiaire » et d’état éternel. Selon lui, cela constitue un sérieux défi pour la vision amillénariste qui comprend l’accomplissement du passage en termes éternels : de nouveaux cieux et une nouvelle terre3. Si les gens meurent pendant cette période, alors Ésaïe ne peut pas faire référence à l’état éternel, et la vision amilléniste (discutée plus loin) devient intenable. Le dispensationaliste progressiste Craig Blaising soutient que « Ésaïe 65.17-25 décrit le nouveau monde du royaume eschatologique, une condition où prévaudront la joie et des bénédictions réelles. Mais curieusement, la mort restera encore une caractéristique de cet ordre mondial (És 65.20)4 ». Si la vision d’Ésaïe du « nouveau monde » inclut la mort physique (bien que la durée de la vie humaine soit substantiellement allongée) et une qualité de vie naturelle grandement transformée, sans pour autant atteindre la vie éternelle, alors la vision d’Ésaïe doit indiquer un futur règne millénaire qui sera établi par Jésus à son retour, qui, à bien des égards, anticipera l’état éternel.
L’interprétation prémillénariste de la vision se trompe à cause d’un certain nombre de raisons. Premièrement, la principale erreur des dispensationalistes et des prémillénaristes tels que Blaising est d’ordre herméneutique. Ces auteurs ne tirent les conclusions qu’ils font qu’en négligeant une règle d’interprétation fondamentale : le Nouveau Testament interprète l’Ancien. Insister sur le fait qu’une lecture « littérale » de l’Ancien Testament prédétermine ce que des prophéties telles qu’Ésaïe 65 doivent signifier dans le Nouveau Testament, c’est ignorer comment Jésus et les apôtres traitent et réinterprètent divers textes de l’Ancien Testament (comme Ésaïe 65), à la lumière de la victoire du Christ sur la mort et sur la tombe, et de sa promesse de retour à la fin des temps. Avant la mort et la résurrection de notre Seigneur, l’idée de vivre dans des corps humains ressuscités semblables à la nature humaine glorifiée du Christ était incompréhensible pour l’auditoire du temps d’Ésaïe (Israël, 8e siècle av. J.-C.). Pourtant, après la mort et la résurrection du Christ, il devient clair qu’Ésaïe utilisait des images de prospérité et de longue vie humaine pour décrire quelque chose d’associé à une ère messianique de consommation éternelle, et non à un royaume millénaire temporel et terrestre. Lorsqu’on lit Ésaïe 65 avec le recul du Nouveau Testament, on constate que, dans deux textes (2 Pi 3.13 et Ap 21.1), Pierre et Jean nous disent que la vision d’Ésaïe se réfère à « la demeure éternelle du peuple de Dieu, qui est la Nouvelle Jérusalem5 ». Paul parle d’une « nouvelle création » dans Galates 6.15 et 2 Corinthiens 5.17, les deux fois en relation avec l’entrée dans la vie éternelle (au moyen de la régénération par la puissance du Saint-Esprit) associée à l’union avec le Christ. Selon Paul, la nouvelle création est inaugurée par la résurrection du Christ; celle-ci inaugure l’ère à venir (provisoirement) et annonce la consommation finale lorsque la mort elle-même sera engloutie dans la victoire lors du retour du Christ (1 Co 15.50-56). Paul fait appel au langage de la « nouvelle création » d’Ésaïe telle qu’elle s’accomplit en Jésus-Christ et il l’associe à la plénitude du siècle à venir.
Deuxièmement, l’idée même que la mort survienne dans un royaume millénaire censé être établi après le retour du Christ est hautement problématique et crée une grande confusion quant à la manière dont nous devons comprendre le déroulement du drame de l’histoire de la rédemption. Lorsque Jésus reviendra, trois événements se produiront qui apporteront la consommation finale et inaugureront l’ère à venir dans toute sa plénitude. Il s’agit de la résurrection générale (Dn 12.2; Jn 5.29; Ac 24.15; 1 Co 15.22; Ap 20.12), du jugement dernier (2 Th 1.6-9; Ap 20.14-15) et de l’établissement des nouveaux cieux et de la nouvelle terre (Rm 8.21; 2 Pi 3.10), comme l’avait prédit Ésaïe (És 65.17). Lorsque le Christ reviendra, le temporel cédera la place à l’éternel. Comment pourra-t-il y avoir des gens sur la terre dans des corps naturels qui mourront, après la résurrection générale opérée par Jésus à son retour? Tous les hommes ressusciteront et seront jugés à ce moment-là, comme le montre la séparation du blé et de l’ivraie, des brebis et des boucs, des élus et des réprouvés. Un groupe entrera dans la vie éternelle, l’autre dans la perdition éternelle. L’affirmation prémillénariste selon laquelle les gens continueront de vivre après la seconde venue du Christ dans des corps naturels pour repeupler la terre est tout simplement une impossibilité biblique.
Cela nous amène à un troisième point, qui est étroitement lié au précédent. Comme nous l’avons noté précédemment, nos amis prémillénaristes sont très à l’aise pour affirmer que le royaume prévu par Ésaïe inclut aussi bien ceux qui naîtront par des moyens naturels après le retour du Christ que ceux qui coexisteront avec eux dans des corps glorifiés — c’est le mélange du temporel et de l’éternel mentionné précédemment. Pourtant, Jésus nie la possibilité même de la coexistence du temporel et de l’éternel (y compris la procréation) après son retour. En réponse à une question piège que lui posent les sadducéens (Lc 20.27-33), Jésus aborde directement cette question dans les versets 34 à 36.
« Jésus leur répondit : Les enfants de ce siècle prennent des femmes et des maris, mais ceux qui seront trouvés dignes d’avoir part au siècle à venir et à la résurrection d’entre les morts ne prendront ni femmes ni maris. Ils ne pourront pas non plus mourir, parce qu’ils seront semblables aux anges et qu’ils seront fils de Dieu, étant fils de la résurrection. »
Jésus est parfaitement clair, il n’y aura pas d’existence humaine dans des corps non ressuscités et non glorifiés après son retour.
En résumé, à plusieurs endroits, les auteurs du Nouveau Testament interprètent la prophétie d’Ésaïe comme faisant référence à l’état éternel (les nouveaux cieux et la nouvelle terre). Chacun de ces textes est très problématique pour les interprètes dispensationalistes et prémillénaristes, ainsi que pour les postmillénaristes (la deuxième option d’interprétation), auxquels nous allons maintenant nous intéresser.
2. L’optique postmillénariste←⤒🔗
Selon les postmillénaristes, la vision d’Ésaïe se réfère à la gloire de l’Église sur la terre dans les derniers temps, qui précéderont le second avènement de Jésus. J. A. Alexander (1809-1860), auteur d’un commentaire influent sur Ésaïe, et qui a enseigné au séminaire de Princeton à l’époque d’Archibald Alexander et de Charles Hodge, a vu dans Ésaïe 65 une référence à un temps « naturellement lié à des changements moraux et spirituels plutôt qu’à un changement de nature matérielle », rattachant cette idée au langage de Paul sur la « nouvelle création » associée à la régénération et à la conversion6. Ésaïe ne fait pas référence à l’état éternel (un changement matériel) mais aux effets mondiaux (un changement moral et spirituel) apportés par le ministère de l’Évangile exercé par l’Église7. J. Macellus Kik est d’accord avec l’exégèse d’Alexander. « Dans son contexte, [Ésaïe 65:17-25] ne peut pas se référer au royaume consommé.8 » John Jefferson Davis est d’accord, offrant une explication plus détaillée. Il écrit ceci :
« Les bénédictions de la gloire de l’Église des derniers jours, dont il est question dans Ésaïe 11.6-9, sont réitérées et développées dans Ésaïe 65.17-25. L’intensification de la période de bénédiction spirituelle produit des conditions dans le monde que l’on appelle “de nouveaux cieux et une nouvelle terre” (v. 17). Cette expression fait référence à la rénovation morale spectaculaire de la société plutôt qu’à l’état éternel, car Ésaïe parle d’une époque où les enfants naissent encore (v. 20), où les gens construisent encore des maisons et plantent des vignes (v. 21) et s’adonnent à leurs travaux terrestres (v. 22). Paul utilise un langage similaire lorsqu’il dit que le salut en Christ est comme une “nouvelle création” (2 Co 5.17), ou encore lorsqu’il dit dans Galates 6.15 : “car ce qui compte, ce n’est ni la circoncision ni l’incirconcision, mais c’est d’être une nouvelle création”. Les conditions de santé et de paix temporelle dont parle Ésaïe en Ésaïe 65.17-25 ne sont pas l’essence de l’Évangile, mais elles sont proprement les conséquences de l’Évangile lorsque son impact est intensif et extensif dans le monde. Le message de la réconciliation avec Dieu produit aussi comme fruit la réconciliation des hommes entre eux et même avec l’ordre naturel lui-même. Il convient également de noter qu’Ésaïe 65.17-25 ne fait aucune référence à la présence physique du Messie sur la terre. Dans les derniers jours, Dieu désire créer à Jérusalem (l’Église) une réjouissance (v. 18). Mais les réalités des versets 18 à 25 ne se réfèrent ni exclusivement à l’état éternel ni au temps qui suivra le second avènement, mais plutôt à l’ère messianique où le Christ règne encore à la droite du Père dans les cieux.9 »
À la lumière des commentaires précédents, nous constatons que tant les amillénaristes que les postmillénaristes s’accordent à dire que la seconde venue de Jésus-Christ suivra l’ère millénaire, qui se terminera par la grande apostasie immédiatement avant le retour du Seigneur. Par conséquent, les différences entre les deux positions ne sont pas structurelles comme c’est le cas de l’amillénarisme contre le prémillénarisme. Cependant, deux questions et leurs réponses contradictoires distinguent le postmillénarisme de l’amillénarisme : (1) Quand commence l’ère millénaire? et (2) Quels sont la nature et le caractère de l’ère millénaire? Souvent, ce débat se concentre sur l’idée selon laquelle certains revendiquent un optimisme eschatologique (le postmillénarisme) contre d’autres qui sont enclins au pessimisme eschatologique (avec le prémillénarisme et l’amillénarisme souvent mis dans le même sac)10. Malheureusement, le paradigme optimisme/pessimisme obscurcit certaines différences exégétiques plutôt évidentes entre les différentes écoles de pensée.
La différence d’opinions cruciale entre les amillénaristes et les postmillénaristes sur la nature et le caractère de l’ère millénaire, que l’on peut observer dans les travaux des postmillénaristes Alexander, Kik et Davis que nous venons de citer, trouve un point d’exclamation dans les travaux d’un écrivain populaire qui a beaucoup fait pour provoquer une brève résurgence postmillénariste dans les années 1980 et 1990. David Chilton nous dit ceci à propos d’Ésaïe 65.17-25 :
« [Le prophète] ne peut pas parler du ciel, ou d’un temps après la fin du monde; car dans “ce nouveau ciel et cette nouvelle terre”, il y a encore la mort (qui arrive à un âge très avancé — “comme les jours des arbres”), les gens construisent, plantent, travaillent et ont des enfants. […] La seule remarque que je ferai ici est qu’il s’agit manifestement d’une déclaration concernant notre époque, avant la fin du monde.11 »
Les postmillénaristes sont donc d’accord avec les dispensationalistes et les prémillénaristes pour dire qu’Ésaïe 65.17-25 parle d’une scène terrestre, bien que les dispensationalistes et les prémillénaristes mélangent des éléments terrestres et des éléments éternels et placent l’accomplissement du passage après le retour du Christ. Cependant, les postmillénaristes sont en désaccord avec les amillénaristes, qui soutiennent qu’Ésaïe parle exclusivement de choses éternelles, même s’il utilise des images terrestres pour annoncer la fin des siècles.
Puisque les interprètes amillénaristes affirment que la vision d’Ésaïe se réfère à l’état éternel (comme dans les textes bibliques cités ci-dessus où plusieurs auteurs du Nouveau Testament associent la vision d’Ésaïe à l’état éternel — un nouveau ciel, une nouvelle terre et une Jérusalem céleste), une grande partie de ce que les amillénaristes soutiennent à propos d’Ésaïe 65.17-25 réfute l’interprétation postmillénariste du passage selon laquelle celui-ci se référerait exclusivement à ce présent siècle (temporel), et en aucun cas au siècle à venir (éternel). Tout comme les dispensationalistes et les prémillénaristes ont la fâcheuse propension à insister sur l’idée que les textes de l’Ancien Testament (dans leur sens littéral) doivent prédéterminer la signification du Nouveau Testament, il en est de même des postmillénaristes dans le cas qui nous occupe. En ne permettant pas aux auteurs du Nouveau Testament de nous dire à quoi se réfère la prophétie d’Ésaïe, les postmillénaristes doivent conclure qu’Ésaïe se réfère à une scène terrestre, qui se limite donc au succès de l’Évangile (aussi important soit-il) et à la gloire de l’Église dans les derniers jours, dans un monde caractérisé par des bénédictions matérielles telles qu’une longue vie et la prospérité économique, mais ne parle pas du caractère éternel du siècle à venir. Ici, je dois réprimander mes amis postmillénaristes : « Votre point de vue n’est-il pas un peu pessimiste? »
3. L’optique amillénariste←⤒🔗
En ce qui concerne la position amillénariste, il convient de souligner un certain nombre de points. Tout d’abord, comme le souligne J. Alec Motyer dans son commentaire sur Ésaïe, Ésaïe 65.1 à 66.21 est un chiasme12 du point de vue de sa structure littéraire. Dans un chiasme, la logique de ces deux chapitres progresse depuis les premiers versets (A1) jusqu’à la conclusion, qui vient au milieu du chiasme (E), et non à la fin (A2) comme dans un syllogisme typique — A implique B, donc C. La structure d’Ésaïe 65 et 66 ressemble à ceci :
A1 (65.1)
B1 (65.2-7)
C1 (65.8-10)
D1 (65.11-12)
E (65.13-25)
D2 (66.1-4)
C2 (66.5-14)
B2 (66.15-17)
A2 (66:18-21).
E est la conclusion du chiasme : Jérusalem est le centre de la nouvelle création pour le peuple de Dieu…13
Pourquoi cela est-il important et comment cela nous aide-t-il à comprendre le passage? Ésaïe 65.1 (A1) et les derniers versets, Ésaïe 66.18-21 (A2), traitent tous les deux de ceux qui n’ont pas entendu ni cherché le Seigneur et sont les déclarations périphériques qui préparent la conclusion d’Ésaïe. Les étapes A1-D1 et A2-D2 doivent être réalisées avant que la réalité espérée (E) ne s’accomplisse. Étant donné qu’Ésaïe 65.13-25 (E) se situe au milieu du chiasme, ces versets constituent le thème central de l’ensemble des chapitres 65 et 66 : la joie des serviteurs du Seigneur dans la nouvelle création. La partie essentielle du passage (v. 17-25) traite de la nouvelle création avec sa Sion, la cité céleste, selon Hébreux 12.18-24. Étant donné la structure de la prophétie dans son ensemble, le point culminant du passage est l’état éternel (les nouveaux cieux et la nouvelle terre), et non pas une terre à moitié rachetée dans laquelle les gens font l’expérience de la prolongation de la vie et de la prospérité, pour mourir plus tard.
Deuxièmement, les versets 17-20 d’Ésaïe 65 sont composés de deux poèmes. Le premier est un poème sur la nouvelle création (v. 17-18b), tandis que l’autre est un poème sur la ville et ses habitants (v. 18c-20). Comme le fait remarquer Motyer :
« Tout au long de ce passage, Ésaïe utilise des aspects de la vie actuelle pour créer des impressions de la vie qui est encore à venir. Ce sera une vie totalement d’abondance (13), totalement heureuse (19), totalement sûre (22-23) et totalement en paix (24-25). Les choses que nous n’avons pas la capacité réelle de comprendre ne peuvent être exprimées que par des choses que nous connaissons et expérimentons. C’est ainsi que, dans l’ordre actuel des choses, la mort met fin à la vie avant qu’elle n’ait commencé ou qu’elle n’ait atteint sa pleine maturité. Mais il n’en sera pas ainsi à ce moment-là.14 »
Les images utilisées par Ésaïe (longue vie, joie de Jérusalem, suppression de la malédiction) renvoient à des choses plus grandes que ni Ésaïe ni son auditoire d’origine ne pouvaient comprendre entièrement. La structure poétique va certainement dans ce sens.
Troisièmement, comme le souligne Meredith Kline, le langage de la prophétie reflète les bénédictions de l’alliance (c’est-à-dire la vie éternelle, la glorification) qui sont magnifiées à la lumière des nouveaux cieux et de la nouvelle terre (la consommation). Les bénédictions décrites ici nous conduisent bien au-delà de l’ordre naturel, mais ne peuvent être comprises qu’à la lumière de l’ordre naturel15. J. Richard Middleton fait une remarque similaire. C’est le cas, dit-il, dans :
« … la vision d’Ésaïe d’une Jérusalem restaurée dans le contexte de “nouveaux cieux et d’une nouvelle terre…” (És 65.17). Promettant à l’origine la guérison de la vie communautaire du peuple de Dieu après l’exil, cette vision s’est ensuite universalisée pour se référer à un véritable renouveau cosmique dans le futur eschatologique.16 »
Hoekema a raison d’affirmer qu’il s’agit là de « la description la plus élevée de l’Ancien Testament concernant la vie future du peuple de Dieu17 ».
Quatrièmement, Ésaïe nous dit-il qu’en conséquence de la diffusion de l’Évangile (qui produit une « rénovation morale » selon les termes de Jefferson), les gens vivront plus longtemps, pour ensuite mourir? À quel endroit l’Évangile promet-il (ou même annonce-t-il comme conséquence de la foi en l’Évangile) une longue vie, la fin des carnivores et l’extraction des crochets des serpents tels que décrites par Ésaïe? Au contraire, l’Évangile nous promet la vie éternelle! En fait, le but de la prophétie n’est-il pas clairement énoncé au verset 17? « Car je crée de nouveaux cieux et une nouvelle terre ». Il s’agit d’une transformation si grande que l’on ne se souviendra plus des choses passées. Comme nous le rappelle Motyer, la bénédiction annoncée au verset 16 (à savoir ce que Dieu a oublié nos péchés!) se reflète dans la dernière moitié du verset 17. Dieu fera toutes choses nouvelles, de sorte que les choses anciennes seront complètement oubliées. « L’oubli divin du verset 16 sera assorti d’une amnésie générale.18 »
La vision d’Ésaïe décrit donc une époque postérieure à celle du texte sur le millénium d’Apocalypse 20.1-10, qui parle de l’enchaînement de Satan et du règne des saints au ciel après qu’ils aient souffert sur la terre, une période pendant laquelle doit se produire, selon l’avertissement de Jean, une grande apostasie à venir avant le jugement dernier au retour du Christ (Mt 25.31-46). Les prémillénaristes et les postmillénaristes doivent attribuer la prophétie d’Ésaïe à la même période de temps qu’Apocalypse 20. Mais étant donné la structure chiastique et l’utilisation par Ésaïe d’images terrestres annonçant le siècle à venir et l’état éternel, n’est-il pas de loin préférable de comprendre Ésaïe 65.17-25 comme décrivant la même période qu’Apocalypse 21.1-2 qui vient après l’ère millénaire?
« Je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre, car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et la mer n’était plus. Et je vis descendre du ciel, d’auprès de Dieu, la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, prête comme une épouse qui s’est parée pour son époux. »
C’est bien ce que je pense.
C’est l’état éternel qu’Ésaïe a vu au 8e siècle avant Jésus-Christ : une nouvelle Jérusalem, une nouvelle création, de nouveaux cieux et une nouvelle terre, remplis de joie et sans souvenirs de la vie qui avait précédé. Le prémillénarisme et le postmillénarisme nous offrent tous deux seulement une vision d’une longue vie et d’une plus grande prospérité sur une terre semi-améliorée, mais ce qui attend vraiment le peuple de Dieu est bien plus grand : ce sera la vie éternelle, où tout souvenir du péché (et de la chute) aura été oublié depuis longtemps.
Notes
1. J. Dwight Pentecost, Things to Come [Les choses à venir] (Grand Rapids: Zondervan, 1978), p. 487-490.
2. Matt Waymeyer, Amillennialism and the Age to Come [L’amillénarisme et le siècle à venir] (NP : Kress Biblical Resources, 2016), p. 31-45.
3. Waymeyer, Amillennialism and the Age to Come [L’amillénarisme et le siècle à venir], p. 45.
4. Craig A. Blaising, « Premillennialism » [Le prémillénarisme] in Darrell L. Bock, Three Views of the Millennium and Beyond [Trois points de vue sur le millénium et au-delà] (Grand Rapids: Zondervan Publishing House, 1999), p. 202.
5. Robert B. Strimple, « An Amillennial Response » [Une réponse amillénariste] in Bock, Three Views of the Millennium and Beyond [Trois points de vue sur le millénium et au-delà], p. 266.
6. Joseph Addison Alexander, Commentary on the Prophecies of Isaiah [Commentaire sur les prophéties d’Ésaïe], édition réimprimée (Grand Rapids: Zondervan Publishing House, 1953), p. 452.
7. Alexander, Commentary on the Prophecies of Isaiah [Commentaire sur les prophéties d’Ésaïe], p. 97.
8. J. Marcellus Kik, An Eschatology of Victory [Une eschatologie victorieuse] (Phillipsburg: Presbyterian Reformed Publishing, 1971), p. 255.
9. John Jefferson Davis, The Victory of Christ’s Kingdom: An Introduction to Postmillennialism [La victoire du royaume du Christ : Une introduction au postmillénarisme] (Moscow ID: Canon Press), p. 37-38.
10. J’aborde de manière assez détaillée l’utilisation de l’éthos pour caractériser l’eschatologie d’une personne dans mon article intitulé Eschatology by Ethos : Why the “Optimism” vs. “Pessimism” Paradigm Doesn’t Work [L’eschatologie par l’éthos – Pourquoi le paradigme « optimisme » contre « pessimisme » ne convient pas].
11. David Chilton, Paradise Restored : A Biblical Theology of Dominion [Le paradis restauré : Une théologie biblique de la domination] (Ft. Worth: Dominion Press, 1987), p. 204.
12. NDT : Un chiasme est une figure de style qui consiste en un croisement d’éléments dans une phrase ou dans un ensemble de phrases sur un modèle AB/BA et qui a pour effet de donner du rythme à une phrase ou d’établir des parallèles. Par exemple : « Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger. »
13. J. Alec Motyer, The Prophecy of Isaiah: An Introduction & Commentary [La prophétie d’Ésaïe : Introduction et commentaire] (Downers Grove: InterVarsity Press, 1993), p. 522-523.
14. Motyer, The Prophecy of Isaiah [La prophétie d’Ésaïe], p. 530.
15. Meredith G. Kline, Kingdom Prologue [Le prologue du royaume], (autopublication, 1993), p. 152-153.
16. J. Richard Middleton, A New Heaven and a New Earth [De nouveaux cieux et une nouvelle terre] (Grand Rapids: Baker Academic, 2014), p. 201.
17. Anthony Hoekema, The Bible and the Future [La Bible et le futur] (Grand Rapids: Eerdmans, 1982), p. 283.
18. Motyer, The Prophecy of Isaiah [La prophétie d’Ésaïe], p. 529.