Cet article sur Apocalypse 3.1-6 a pour sujet la lettre à l'Église de Sardes dans laquelle le Seigneur l'appelle à se repentir de sa léthargie, de sa superficialité et de son formalisme pour être revivifiée par l'Esprit du Christ.

Source: Le Dieu invincible - Méditations sur l'Apocalypse. 5 pages.

Apocalypse 3 - Sardes ou la morte vivante

« Écris à l’ange de l’Église de Sardes : Voici ce que dit celui qui a les sept esprits de Dieu et les sept étoiles : Je connais tes œuvres : tu as le renom d’être vivant, mais tu es mort. Sois vigilant et affermis le reste qui allait mourir, car je n’ai pas trouvé tes œuvres parfaites devant mon Dieu. Rappelle-toi donc comment tu as reçu et entendu (la parole), garde-la et repens-toi. Si tu ne veilles pas, je viendrai comme un voleur et tu ne sauras point à quelle heure je viendrai te surprendre. Cependant, tu as à Sardes quelques hommes qui n’ont pas souillé leurs vêtements; ils marcheront avec moi en vêtements blancs, parce qu’ils en sont dignes. Ainsi le vainqueur se vêtira de vêtements blancs, je n’effacerai pas son nom du livre de vie et je confesserai son nom devant mon Père et devant ses anges. Que celui qui a des oreilles écoute ce que l’Esprit dit aux Églises. »

Apocalypse 3.1-6

Sardes est une ville prestigieuse de l’antiquité et son nom est associé à des personnages aussi illustres que ses rois Alyatte, Gyges, et Crésus, ainsi qu’aux plus célèbres conquérants, Cyrus le Mède, Alexandre le Grand, Antiochus III. Fondée vers l’an 1200 avant notre ère, elle est chantée par Homère dans l’Illiade (1.55). Elle est la capitale de la Lydie, province dont elle partagera toutes les vicissitudes politiques au cours de sa longue histoire. Citadelle imprenable située sur un site accidenté à l’intersection de cinq routes commandant la vallée d’Hermus, elle surplombe de 500 mètres la plaine sur un éperon de Tmolus.

Sa prospérité est légendaire. On dit que le petit cours d’eau qui traverse l’Agora et mouille les bas du temple de Cybèle charrie de la poudre d’or. Elle est le grand entrepôt des teintureries de laine que lui fournissent en abondance les célèbres troupeaux de moutons de la Phrygie. L’art de la 
teinturerie n’y est pas seulement largement pratiqué et prospère, mais il y a été inventé. Des tapis multicolores couvrent les parois des résidences bourgeoises. Le métal connu sous le nom d’électrum, une variété de bronze, y est extrait en abondance. Des monnaies frappées avec un alliage d’or et d’argent apparaissent pour la première fois sur les marchés. La richesse de la ville dans la période perse peut s’évaluer en partie par les joyaux découverts dans les tombes autour de la rivière Pactole. Les plaques d’or, les colliers, les pendentifs, les bracelets et les pierres précieuses sont d’excellents spécimens de l’art achéménide (dynastie perse). Notons aussi que la sardoine, pierre précieuse citée dans la Bible (Ex 28.17; 39.10; Éz 28.13; Ap 4.3; 21.20), tire son nom de Sardes.

Son histoire politique présente également un grand intérêt et jettera une vive lumière sur le message adressé à l’Église. Grâce aux conquêtes de Crésus, la ville s’est énormément enrichie. Mais celui-ci, ébloui par un oracle ambigu de Delphes (« si tu traverses l’Halys, tu détruiras un grand royaume »), s’attaqua à Cyrus qui lui infligea une cuisante débâcle. Retranché dans Sardes, Crésus se laissa surprendre par une attaque nocturne après une vertigineuse escalade des assaillants. En 334 avant J.-C., la ville est prise par Alexandre le Grand qui laisse une garnison sur l’Acropole. Sous la dynastie des Séleucides, Sardes resta capitale administrative. Durant le conflit qui opposait l’usurpateur Achaeus à Antiochus le Grand, la ville fut brûlée. Le monarque séleucide pénétra en ville par le même chemin que Cyrus avait emprunté trois siècles avant lui, grâce à l’absence de vigilance de ses défenseurs!

L’ancienne Sardes sur l’éperon fut bientôt désertée au profit de la ville nouvelle, bâtie sur les coteaux de la colline. En 188 avant notre ère, elle sera conquise par les Romains et, durant une longue période, jusqu’au règne de l’empereur Dioclétien, vers la fin du 4siècle de notre ère, Sardes sera toujours capitale administrative. Elle est également chef-lieu juridique, avec un tribunal central pour tout le district de la Lydie. À l’époque des Romains, la ville passe au second plan. En l’an 17 après J.-C., elle est ravagée par un vaste séisme. Mais la générosité de Tibère la relève et la rebâtit, ce qui motive les Sardiens à célébrer le culte impérial et à ériger un nouveau temple en l’honneur de l’empereur et de Livie, sa mère. Mais elle somnolera et ne vivra plus désormais que du souvenir de ses gloires passées.

Au point de vue religieux, Cybèle est la patronne de la ville, dont le temple se dresse aux bords du Pactole. Zeus le Lydien y possède aussi son sanctuaire, de même que Proserpine, laquelle est souvent confondue avec sa mère, la déesse Demeter. Cybèle est réputée pour être la restauratrice et la guérisseuse des malades, également génératrice de vie pour les morts. Mais, comme partout ailleurs, son culte, ainsi que celui de Bacchus, engendre une immoralité abjecte.

Au moment où est rédigée l’Apocalypse, Sardes vit sa phase de décadence, lente, mais sûre. L’arrogance de ses habitants est notoire. En outre, les Sardiens sont réputés pour leur insouciance, ce qui explique qu’à deux reprises leur ville, pourtant située sur une colline dite inaccessible, fut prise par d’habiles escaladeurs par un point faible, non gardé. Les Sardiens étaient convaincus que personne ne pourrait escalader la colline aux côtés perpendiculaires. Un seul accès l’aurait permis, mais il pouvait facilement être renforcé pour repousser un éventuel assaut. Une chance sur mille, mais, par une attaque nocturne, des conquérants eurent raison de la fière, mais indolente citadelle.

Jadis puissance militaire, Sardes perdit de sa prééminence et de sa dignité, en même temps que son empire, pour gagner en médiocrité jusqu’à subir l’adjectif méprisant de « ville efféminée ». Sardes est devenue la ville dont la paix est celle des cimetières. Si, durant sa période de prospérité, elle passait aux yeux des Grecs pour la ville au régime despotique par excellence, elle n’est actuellement plus qu’un lieu de richesses et de luxure, totalement dégénéré, une véritable morte vivante.

Le nom de l’un de ses évêques nous a été conservé, celui de Méliton de Sardes, qui écrivit vers la deuxième moitié du 2siècle de nombreux sermons et traités et adressa à l’empereur Marc-Aurèle une apologie du christianisme. La ville est également mentionnée dans l’Ancien Testament, dans Abdias 20, sous le nom de Sepharad, l’endroit où des exilés de Jérusalem vécurent au 5siècle.

Il ne faudrait pas s’étonner de ce que l’état léthargique de la ville ait déteint sur l’Église. Dans les lettres précédentes, nous relevions des traces de résistance courageuse et une lutte pour la fidélité. Rien de tel à Sardes. La vie y coule paisiblement et l’Église baigne dans la tranquillité. Ni les Juifs ni les Grecs ne l’importunent. Pourquoi la déranger, du moment que la communauté chrétienne s’est parfaitement adaptée à l’environnement et ne présente aucune menace pour le paganisme jaloux de sa supériorité? L’Église n’a pas à rougir d’une hérésie quelconque; mais elle n’a pas le moindre enthousiasme non plus pour combattre si jamais une hérésie surgissait.

C’est pour la réveiller que le Christ l’approche avec la plénitude de ses sept esprits. D’après Apocalypse 1.16, il tient entre ses mains les sept étoiles, qui, ainsi que nous le signalions, représentent les Églises. Il est le Christ, l’Oint de Dieu, en qui l’Esprit divin habite dans sa plénitude et avec perfection.

Notons cependant une différence avec le passage précédent. Là, le Christ tenait les sept étoiles entre ses mains. Il nous est dit ici qu’il possède les sept esprits. Le Christ qui possède l’Esprit est le seul qui peut faire briller, telle une étoile, l’ange de l’Église. Le Saint-Esprit est le Christ en personne (Rm 8.9-11). N’est-ce pas lui qui promettait : « J’enverrai le Consolateur » (Jn 15.26)? Il possède tout pouvoir dans les cieux et sur la terre. Il est en mesure d’accorder les dons pour la vie et la vivification, de même que le ministère en vue duquel il accorde ses dons. Mais si ceux qui ont été appelés au ministère ne possèdent pas ce don, la raison n’en est-elle pas qu’ils ne l’ont point demandé?

Tel est précisément le cas de l’ange de Sardes. Sa foi est plongée dans les profondeurs d’une ahurissante superficialité. Sans doute ne manque-t-on pas d’apparences et les occasions d’exercer une habileté ostentatoire sont-elles fréquentes, ce qui impressionne et frappe à première vue. Sardes jouit d’une réputation de respectabilité. Sans doute ses assemblées ne sont-elles pas désertées et sa situation économique est-elle aisée. Elle a un nom (remarquons que le mot « nom » revient à quatre reprises dans cette lettre), mais hélas! il n’y a rien derrière ce nom. Tout semble parfaitement organisé. L’administration y est admirablement huilée. La pyramide de sa bureaucratie cléricaliste superbement élevée. Sans doute organise-t-elle des fêtes et des cérémonies à grande pompe. Elle a aussi raison de se vanter de la notoriété de certains de ses conducteurs, dont la renommée dépasse de loin le cadre étroit de la cité. Pour faire aussi bonne presse, elle se donne comme tâche d’élargir son répertoire liturgique qu’elle tient pour la preuve par excellence du renouveau en profondeur; ses animateurs sociaux s’ingénient à rivaliser en zèle activiste.

Mais celui qui sonde tout et vient secouer la torpeur, éparpiller aux quatre vents les rapports triomphalistes entend presque le râle de l’agonie spirituelle. L’apparence de vie n’est qu’une mince couche de légalisme recouvrant ce vide de la foi active. Vivre de piété feinte, dans la grisaille de l’autosatisfaction, s’infatuer de ses propres œuvres conduit l’Église de Sardes à boucher les canaux par lesquels la grâce et la vie pourraient irriguer sa vie. Elle se conforme aux habitudes en cours et adopte l’environnement socioculturel et politique. De la hauteur où l’avait placée son Seigneur et où il l’aurait maintenue, il ne reste que des apparences. Tout chez elle annonce le sursis.

À Sardes, les fidèles ne sont pas fortifiés dans la foi et les âmes ne sont pas gagnées au Christ. Le culte y est formel, insignifiant; la vie des membres entachée de péché. La situation de l’Église est grave, plus encore qu’à Thyatire. Cérémonies vides de foi, formalité nue de toute espérance, pratique religieuse divorcée de piété authentique, on pourrait appliquer à Sardes la remarque profonde de Jaroslav Pelican : « La tradition est la foi vivante des morts; le traditionalisme est la foi morte des vivants. »

Que faut-il pour la réveiller? Les feux d’artifice sont inutiles, et les grands élans de revivalisme d’apparat pas davantage efficaces. Ce qu’il faut c’est le rappel à la fidélité, l’appel à retourner à la Parole. « Rappelle-toi », lui dit le Christ (« mnemoneué »). C’est un impératif présent, avec le sens de « garde à l’esprit » plutôt que de « souviens-toi ». « Garde à l’esprit la manière dont tu as reçu la parole et entendu l’Évangile »; « tiens ferme » (présent d’activité continu); « repens-toi » (aoriste d’urgence). Ce « rappelle-toi » peut aussi être une allusion aux invasions du passé. Le Christ viendra tel un voleur dans la nuit (Mt 24.43; 1 Th 5.3-4; 2 Pi 3.10). L’avènement du Christ est certes source de joie pour ceux qui l’attendent, mais pour celui qui somnole ou qui y est indifférent, quelle menace redoutable!

Réveille-toi, lui crie le Christ. Tu es sur le point de mourir. Je n’ai pas trouvé auprès de toi les œuvres dignes de Dieu, celles pour lesquelles je t’avais suscitée, celles aussi que j’avais préparées d’avance pour que tu les mettes en pratique (voir Ép 2.10). La venue du Christ pour juger son Église sera inattendue. Ses pas seront silencieux et il surprendra.

Celui qui possède les sept esprits voit aussi les fidèles, ses fidèles. Tous n’ont pas souillé leurs vêtements. Ils n’ont pas succombé à la tentation sociale. Ils ne se sont pas laissé polluer. Dans la léthargie générale où chacun s’offre un satisfecit, des hommes et des femmes n’ont pas oublié que leur allégeance allait directement et sans concession au Christ Sauveur. Parmi les spirituellement morts, ils se sont gardés de la contamination du paganisme. Sans doute sont-ils considérés comme démodés et intolérants, comme des retardés sociaux. Pourtant, ils sont restés, eux, vigilants. Ceux-là marcheront avec des vêtements blancs.

L’allusion au vêtement blanc a un double sens. Selon la loi mosaïque, les vêtements sont souillés de plusieurs façons : par la maladie (Lv 13.47), pour avoir été fabriqués de matériaux disparates (Lv 19.19 et Dt 22.11), ou parce qu’appartenant au sexe opposé (Dt 22.5). Or, « ceux qui ont gardé leurs vêtements » sont ceux qui ne sont pas pollués par le péché. Ils avaient obéi à l’impératif de se séparer du « monde ». Ils marcheront donc en compagnie du Christ (Ec 9.8; Za 3.3-5; Jude 1.23). Ils marcheront dans la festivité authentique, spirituelle, dans la victoire aussi. Les noms des vainqueurs se trouveront dans le livre de vie, ils seront inscrits dans les registres des citoyens du Royaume (Ex 32.32; Ps 69.29; 139.16; Ml 3.16; Dn 12.1; l’expression se trouve dans l’Apocalypse aux passages suivants : 13.8; 17.8; 20.12,15; 21.27; consulter également Ph 4.3; Lc 10.20 parle d’une inscription des noms dans les cieux; voir aussi Hé 12.23).

Comme toujours, un mot d’encouragement ou une promesse suit avertissement. À celui qui vaincra, je donnerai le pouvoir de surmonter la léthargie. Il pourra se garder des souillures du monde. Lorsque le citoyen d’une cité terrestre disparaît, son nom est aussitôt effacé des registres de la ville. Ici, les noms ne seront point effacés, affirme le Seigneur, et sa parole est emphatique. Il reconnaîtra les siens. Il les confessera devant Dieu son Père et devant les anges (Mt 10.32; Mc 8.38; Lc 12.8; 2 Tm 2.12).

En effet, le Seigneur royal a jeté ses regards sur leur solitude et il les a acceptés comme membres de sa suite. Aussi feront-ils une blanche escorte en recevant toujours des vêtements blancs de pureté et de louange.