Cet article a pour sujet la fiabilité des Évangiles du Nouveau Testament à présenter Jésus, et le message commun de Matthieu, Marc, Luc et Jean et leurs différences de style et d'approche.

Première partie audio:

Deuxième partie audio:

Troisième partie audio:

9 pages.

Le Christ des Évangiles

  1. La fiabilité des Évangiles
  2. Le message commun des quatre Évangiles et leurs différences de style et d’approche

Dans un autre article1, je posais la question suivante, volontairement provocatrice : Jésus-Christ a-t-il vraiment existé? À la lumière de documents provenant du premier et du second siècle de notre ère, nous établissions qu’il est impossible de nier l’existence d’un nommé Jésus-Christ, ayant vécu sous le règne, entre autres, de l’empereur romain Tibère, et ayant été mis à mort par crucifixion pendant qu’un certain Ponce Pilate était le procurateur romain de la province de Judée.

1. La fiabilité des Évangiles🔗

Je vous propose de continuer notre enquête sur les traces de Jésus-Christ et de vous parler du Christ des Évangiles, celui qui apparaît sur les pages de quatre documents d’époque essentiels pour connaître et comprendre sa personne et son œuvre. Mais je souhaite d’abord rappeler ce que je disais à leur propos : Ces Évangiles sont les textes les plus complets qui nous parlent de Jésus-Christ. Ce ne sont pas à proprement parler des biographies de Jésus, car ils laissent dans l’obscurité beaucoup de détails (concernant par exemple sa jeunesse ou sa description physique). De plus, les Évangiles sont des textes engagés, qui ont une portée théologique et qui maintiennent et cherchent à propager un point de vue de croyant sur la personne de Jésus-Christ.

Leur témoignage peut-il être accepté comme tel? Ces documents uniques dans leur style et dans leur genre littéraire sont-ils des preuves historiques fiables de l’existence de Jésus? De nos jours, beaucoup d’historiens sont sceptiques à ce sujet. Cela fait environ 150 ans qu’on cherche à reconstituer la vie de Jésus en prenant des éléments des Évangiles et en en laissant d’autres, et qu’on s’efforce de remodeler le tout à l’aide de méthodes diverses, jamais dépourvues d’a priori. Certains s’attachent à retenir les discours de Jésus en laissant de côté le récit des miracles, jugés peu crédibles. D’autres rejettent les affirmations centrales des Évangiles concernant Jésus, sur la base de ce qu’ils pensent être des contradictions entre ces témoignages. Pour de nombreux théologiens encore, il nous faut nous attacher au Jésus proclamé par l’Église, et ne pas nous attarder sur les détails historiques de son existence tels qu’ils nous sont rapportés par les quatre Évangiles en question, car on ne saurait s’y fier. Ainsi crée-t-on un vide entre le Jésus proclamé, celui en qui on nous demande de croire, et le Jésus des Évangiles.

Il y a plusieurs décennies, un théologien allemand déclarait qu’au siècle de la maîtrise de l’électricité, on ne pouvait de toute façon plus croire aux miracles; selon lui, la mentalité moderne ne peut plus se satisfaire de tels récits, qui appartiennent au monde prémoderne, préscientifique. Ce monde-là se nourrissait de mythes pour structurer sa vision du monde et pour trouver un sens à l’existence. C’était justifiable à l’époque, mais ne le serait plus aujourd’hui. Un tel point de vue appelle quelques remarques. Quelles que soient nos connaissances scientifiques actuelles, lesquelles nous permettent de comprendre certains phénomènes naturels, et, quelle que soit notre maîtrise de tels phénomènes, avec toutes les applications technologiques qu’on leur trouve journellement, cela fait-il d’eux des phénomènes moins miraculeux, d’origine moins divine? Notre connaissance d’une partie de ces phénomènes — partie infime du reste — implique-t-elle l’exclusion du Créateur qui a institué les lois de la nature?

Prenons un exemple : la connaissance que nous avons de la conception humaine, depuis la rencontre d’un spermatozoïde et d’un ovule, avec la mise en commun de deux patrimoines génétiques, la connaissance du développement de l’embryon puis du fœtus dans l’utérus maternel, jusqu’à la naissance, cette connaissance réduit-elle tout ce processus à un phénomène banal? N’avons-nous plus affaire à un miracle, le miracle de la vie? Où est la logique qui déclare que l’action toute puissante de Dieu se trouve soudain anéantie parce que j’en découvre petit à petit de nouveaux aspects, toujours plus étonnants d’ailleurs? La réponse est simple : ce n’est nullement une question de logique rationnelle, c’est purement une question de foi ou de refus de la foi. Pour revenir à ce théologien allemand, on pourrait lui rétorquer : par quelle logique peut-on soutenir que le Créateur des forces et des champs magnétiques, de l’électricité, de la vie organique, des espèces animales et des humains serait incapable de faire accomplir des miracles à son Fils incarné? Cela fait des lustres que j’attends la réponse à cette question, et si vous pensez l’avoir, n’hésitez pas à me la transmettre par écrit…

Mais revenons à Jésus-Christ et à la manière dont certains filtrent les Évangiles pour les remodeler de façon acceptable à leurs yeux. En 1985, un spécialiste américain du Nouveau Testament fondait le « séminaire Jésus » (« Jesus Seminar ») pour collecter tout le matériel tiré de la Bible ou d’autres sources, et qui fait mention de Jésus, ceci afin de l’étudier et l’analyser en détail afin de déterminer si ce matériel est historiquement fiable, crédible. Faisant appel à une équipe de chercheurs, il leur proposait de voter pour chaque récit contenu dans les Évangiles. Les membres de cette équipe devaient entourer à l’aide d’une couleur particulière tous les actes, paroles ou paraboles de Jésus. La couleur rouge entourant par exemple une parole donnée signifiait que selon l’opinion du chercheur, cette parole avait indubitablement été prononcée par Jésus-Christ. La couleur rose indiquait qu’il avait pu prononcer cette parole; la couleur grise qu’il n’avait certainement pas prononcé telle ou telle parole, mais que son contenu était très proche de ce qu’il aurait pu dire. Quant à la couleur noire, elle indiquait que Jésus n’avait certainement pas prononcé ces mots. Les textes sélectionnés comprenaient aussi des Évangiles écrits bien plus tardivement, comme l’Évangile selon Thomas, qui ne se trouve pas dans le Nouveau Testament. À la fin de ce processus, nos chercheurs concluaient que seulement dix-huit pour cent des paroles de Jésus avaient effectivement été prononcées par lui, et seulement seize pour cent des faits et actions attribués à Jésus étaient authentiques. Ils récrivaient alors une nouvelle version de l’Évangile en se fondant sur leurs conclusions. Cette version reposait d’ailleurs beaucoup plus sur des écrits tels que l’Évangile selon Thomas ou l’Évangile des Hébreux, que sur les quatre Évangiles contenus dans le Nouveau Testament. Or ces derniers sont sans nul doute possible les plus anciens textes concernant Jésus, donc les plus proches de sa vie et de sa personne. Ils contiennent les témoignages directs de ceux qui l’ont approché ou qui ont vécu dans son intimité. Quoi qu’il en soit, on reste assez étonné et extrêmement sceptique devant des conclusions dites scientifiques qui se basent sur l’opinion subjective des chercheurs, et se manifestent par un vote au moyen de couleurs…

Quant à l’utilisation d’autres textes que les quatre Évangiles du Nouveau Testament, vous savez peut-être qu’il existe une foule d’écrits datant du second ou du troisième siècle et qui prétendent rapporter les faits et paroles de Jésus, notamment de son enfance. Ces Évangiles, qu’on appelle apocryphes, et qui ont été rejetés comme n’ayant aucune autorité par les premiers docteurs de l’Église chrétienne, ne sont en réalité que des inventions tardives servant le plus souvent à justifier les doctrines de sectes ou de groupes dissidents chrétiens, par exemple les groupes gnostiques. De nombreuses légendes sans fondement ont été tirées de ces écrits, qui sont certes intéressants, voire curieux, mais ne possèdent aucune garantie de témoignages historiques fiables. Sans m’étendre davantage là-dessus, je souhaite simplement citer les mots de conclusion d’une encyclopédie biblique très complète, offrant un panorama exhaustif sur les Évangiles apocryphes :

« Les Évangiles apocryphes, même les plus anciens et les plus sobres, peuvent à peine être comparés aux Évangiles canoniques (c’est-à-dire à ceux qui sont contenus dans le Nouveau Testament). Ils sont tous clairement de seconde source, légendaires et nettement tendancieux. […] Commentant les Évangiles de l’enfance, un savant conclut : Leur effet est de nous renvoyer vers les Évangiles canoniques avec une approbation renouvelée pour leur sobre retenue qui n’essaie pas de gloser sur les années cachées de la vie de Jésus (c’est-à-dire les années de son enfance et de sa jeunesse). »

Deux chercheurs anglo-saxons qui ont publié un grand nombre de textes du début de l’ère chrétienne écrivent ce qui suit :

« Les Évangiles apocryphes nous offrent de curieux aperçus sur l’état de la conscience chrétienne et sur les modes de pensée durant les premiers siècles de notre ère. L’impression dominante qu’ils laissent sur nos esprits est un sens profond de l’infinie supériorité, de la majesté et de la simplicité sans pareille des Évangiles canoniques. »

J’ajoute à ces mots de spécialistes compétents qu’il n’est peut-être pas impossible que quelques autres paroles authentiques de Jésus-Christ aient été compilées en dehors du Nouveau Testament. Mais comme il est extrêmement difficile de distinguer, dans la masse des paroles et faits compilés dans les Évangiles apocryphes, quels sont ceux qui pourraient être attribués au Christ sans l’ombre d’un doute, la règle de sagesse est de s’en tenir aux Évangiles canoniques, c’est-à-dire à ceux qui ont été reconnus par la tradition chrétienne la plus ancienne comme émanant de sources fiables.

2. Le message commun des quatre Évangiles
et leurs différences de style et d’approche🔗

Penchons-nous maintenant sur ces quatre Évangiles canoniques qui sont contenus dans le Nouveau Testament, celui selon Matthieu, celui selon Marc, selon Luc et selon Jean. Nous verrons quel est le message et témoignage commun de ces quatre Évangiles, et aussi comment comprendre les différences de style ou d’approche des auteurs de ces Évangiles vis-à-vis de la personne de Jésus-Christ.

Matthieu, Marc, Luc et Jean : on pourrait dire, avec un spécialiste du Nouveau Testament, que nous avons avec ces quatre Évangiles quatre portraits de Jésus : l’un étant une peinture à l’huile, l’autre une aquarelle, le troisième un dessin au crayon, le quatrième une esquisse au charbon. Quatre portraits uniques et d’une finesse remarquable. Mais dans ces quatre portraits, nous reconnaissons sans l’ombre d’un doute le même sujet, le Jésus de l’histoire, même si le matériau de l’artiste n’est pas le même. Les trois premiers Évangiles, Matthieu, Marc et Luc, possèdent beaucoup de traits en commun. On les appelle de ce fait les Évangiles « synoptiques ». Le mot « synoptique » vient du grec et signifie « voir ensemble ». Quant au quatrième Évangile, celui selon Jean, il possède des traits si uniques qu’il peut être interprété différemment, même si lui aussi s’attache à nous parler du Jésus de l’histoire.

Après l’existence terrestre de Jésus, tous les témoignages le concernant ont été recueillis et retransmis, avec la fidélité qui caractérise la tradition orale dans les pays du Proche et du Moyen-Orient. Il ne s’agissait pas, dans cette tradition orale, de construire des idées ou de bâtir des théories, mais de rappeler le souvenir des gestes et paroles de Jésus de Nazareth. On peut prendre comme point de comparaison la manière dont les rabbis juifs enseignaient leurs élèves à tout mémoriser avec une incroyable fidélité. Une telle tradition concernant Jésus était fiable seulement si elle provenait d’un disciple même de Jésus ou de quelqu’un qui avait été le témoin oculaire des faits et paroles rapportés. Le début de l’Évangile selon Luc est à cet égard très significatif. Luc adresse son écrit à un certain Théophile, qui avait déjà reçu des enseignements au sujet de Jésus. Luc souhaite l’assurer que les enseignements qu’il a reçus reposent sur une base véridique. Voici comment débute le troisième Évangile :

« Puisque plusieurs ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, tels que nous les ont transmis ceux qui, dès le commencement en ont été les témoins oculaires et qui sont devenus serviteurs de la parole, il m’a semblé bon à moi aussi, après avoir tout recherché exactement depuis les origines, de te l’exposer par écrit d’une manière suivie, excellent Théophile, afin que tu reconnaisses la certitude des enseignements que tu as reçus » (Lc 1.1-4).

Ce court prologue nous offre une vue très claire sur la méthode et les buts poursuivis par l’auteur du troisième Évangile. Il a d’abord pris connaissance du travail de recherche effectué par d’autres (« plusieurs », dit-il). Il insiste sur la transmission fidèle provenant de témoins oculaires. Il déclare avoir à son tour effectué une recherche personnelle marquée par l’exactitude et la collection d’un aussi grand nombre de faits que possible. Très importante également, la mention de « l’exposition suivie » des faits en question : Luc ne jette pas pêle-mêle des idées, des faits, des perceptions, il construit son récit, et il a un but bien précis : confirmer Théophile dans la foi qu’il a reçue, lui permettre de comprendre plus profondément encore la vérité de ce qui lui a été enseigné. Notez aussi que les « témoins oculaires » dont parle Luc ne sont pas des gens neutres qui se sont contentés de rapporter des faits avec exactitude : ils sont devenus « serviteurs de la Parole ».

C’est là que réside l’incroyable force des Évangiles : ceux qui ont vu et entendu tous les faits liés à la personne de Jésus-Christ n’en sont pas restés là; ils ne pouvaient que devenir des « serviteurs de la Parole », des personnes désormais motivées pour une proclamation qui avait radicalement transformé leur propre vie et pouvait de même transformer la vie de tous ceux qui l’entendraient. Il n’y avait pas de différence ni de séparation entre la transmission exacte des faits concernant Jésus et la proclamation d’une parole de salut destinée à tous les hommes.

Or, comme nous l’avons déjà vu, c’est bien une telle séparation que l’on cherche à introduire par tous les moyens de nos jours. Il y aurait d’une part le Jésus historique (qu’on pourrait à la rigueur reconstruire partiellement) et le Jésus de la proclamation, c’est-à-dire deux Jésus totalement différents : le premier étant un sujet intéressant pour la recherche scientifique et historiographique moderne, pouvant être analysé par la raison humaine, et le second étant l’objet d’une foi construite progressivement, mais ne reposant sur aucun fait exact. Dès le début du christianisme, l’Évangile selon Luc nous met en garde contre une telle séparation, tout aussi artificielle que mensongère.

Reprenons nos quatre Évangiles un à un, en commençant par Matthieu. Matthieu nous parle avant tout de Jésus de Nazareth qui est le Messie, c’est-à-dire l’oint de Dieu. Le Jésus historique est celui que les prophètes de l’Ancien Testament attendaient. Matthieu s’accorde avec la pensée et les attentes juives de son temps. Une expression typique que l’on trouve dans cet Évangile est : « Tout cela est arrivé afin que s’accomplisse la parole que le Seigneur avait prononcée par son prophète. » Jésus est l’agent attendu qui est venu établir le but de Dieu pour le monde et les hommes. Il est le fondateur du nouvel et vrai Israël du futur, c’est-à-dire l’Église chrétienne. La composition de l’Évangile selon Matthieu est remarquable : aux chapitres 1 et 2, la venue du Messie nous est rapportée, tandis que les chapitres 26 à 28 nous parlent de la souffrance, de la mort et de la résurrection du Messie. Entre ce début et cette fin, nous trouvons une division axée sur cinq discours de Jésus, précédés et suivis de commentaires qui leur sont reliés. Le premier de ces discours, connu sous le nom de « sermon sur la montagne », constitue la charte de l’enseignement du Christ. Prononcé sur une colline, il est en quelque sorte l’équivalent de la loi donnée à Moïse sur le mont Horeb, au livre de l’Exode. Dans l’Évangile selon Matthieu, la généalogie de Jésus remonte jusqu’à Abraham, le père du peuple d’Israël. Il demeure le maître et enseignant de son Église jusqu’à ce qu’il revienne.

L’Évangile selon Marc, quant à lui, est considéré par beaucoup de spécialistes comme le plus ancien des quatre Évangiles. Il aurait été écrit entre l’an 60 et l’an 70 de notre ère. Beaucoup sont d’avis que les deux autres Évangiles synoptiques, ceux de Matthieu et de Luc, dépendent de Marc, dont ils reprennent un grand nombre d’éléments, tout en ajoutant d’autres informations. D’après les plus anciennes traditions, Marc aurait directement recueilli le témoignage du disciple Pierre, dont il était un intime. Il aurait rédigé son Évangile à Rome, capitale de l’Empire romain, où se trouvait une jeune communauté chrétienne exposée à la persécution de la part des autorités romaines. L’Évangile selon Marc est aussi le plus court des quatre Évangiles. Il possède un rythme rapide, comme si son auteur nous présentait Jésus au pas de course, attaché à remplir sa mission au plus vite, concentrant toute son énergie sur le but ultime de sa venue sur terre : à savoir sa mort sur la croix et sa résurrection. Marc décrit avec précision les souffrances de Jésus lors de sa passion. L’annonce de la résurrection, quant à elle, est faite assez abruptement. On a en fait dit que la plus grande partie de l’Évangile selon Marc est une introduction à ces événements. Au long de son récit, Marc se concentre sur les actes de Jésus, comme les guérisons miraculeuses, davantage que sur ses discours.

Marc soutient sur chaque page de son Évangile que Jésus est le Fils de Dieu. À la vérité, la toute première phrase de son ouvrage commence de la manière suivante : « Commencement de l’Évangile de Jésus-Christ, le Fils de Dieu » (Mc 1.1). Au moment précis de la mort de Jésus sur la croix, l’officier romain qui se tenait sur place s’écrie : « Cet homme était vraiment le Fils de Dieu » (Mc 15.39). Pourtant, dans l’Évangile selon Marc, Jésus se présente aussi comme « le Fils de l’homme », en particulier lorsqu’il annonce son retour et le jugement final. Nous lisons par exemple au chapitre 8 :

« Si quelqu’un a honte de moi et de mes paroles au milieu des hommes de ce temps, qui sont infidèles à Dieu et qui transgressent sa loi, le Fils de l’homme, à son tour, aura honte de lui quand il viendra dans la gloire de son Père avec les saints anges » (Mc 8.38).

En contraste, Jésus ne veut pas être couronné comme Roi ou Messie par les foules qui cherchent à s’emparer de sa personne pour qu’il chasse les occupants romains de leur terre. Il se dérobe régulièrement à eux, et lorsque l’un de ceux qu’il a guéris cherche à confesser son nom et le proclamer comme Messie, Jésus lui intime de ne rien dire de tel en public. La raison en est que ceux qui veulent le proclamer Messie ne comprennent pas sa mission et veulent surtout le récupérer pour des buts politiques purement humains. Or, la mission de Jésus-Christ, selon Marc, doit avant tout être comprise à la lumière de la relation filiale unique qu’il entretient avec Dieu.

En ce qui concerne l’Évangile selon Luc, nous avons déjà évoqué l’introduction de ce livre, qui est en fait une dédicace à un certain Théophile, un chrétien converti qui avait été catéchisé, c’est-à-dire instruit en ce qui concerne la foi en Jésus-Christ comme Fils de Dieu et Sauveur du monde. Luc souhaitait faire à Théophile un récit complet des événements historiques survenus en Palestine, et qui concernaient la naissance, le ministère, la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Un second volume, lui aussi dédié à Théophile, sera ajouté par Luc à cet Évangile : il s’agit du livre des Actes des apôtres, qui commence par relater comment Jésus, peu avant son ascension, envoie ses disciples dans le monde entier pour proclamer la Bonne Nouvelle du salut à toutes les nations. Le livre des Actes nous retrace comment cet ordre prend forme dans le ministère des disciples, en particulier celui de l’apôtre Paul, le tout sous la conduite du Saint-Esprit de Dieu.

Luc est un historien remarquable. Dès le début de son Évangile, il s’attache à faire le lien entre l’histoire de Jésus, puis celle de l’Église, avec l’histoire générale de l’époque. C’est à bon droit qu’il est considéré comme le premier historien chrétien. Le récit de la tempête et du naufrage du navire sur lequel Paul et Luc se trouvent, et qui se situe au chapitre 27 du livre des Actes est considéré par les spécialistes comme le récit le plus détaillé de son genre pour toute l’Antiquité. Les écrits de Luc sont aussi remplis de détails concernant la géographie physique ou politique de l’époque. Tout porte à croire qu’il était médecin. Sans qu’on trouve des termes médicaux spécialisés sous sa plume, il donne davantage de précisions que les autres évangélistes sur la condition physique des hommes ou des femmes guéris par Jésus. Luc accorde une place plus importante aux femmes et aux enfants que les autres Évangiles. Cela concerne en particulier Marie, la mère de Jésus, auquel un ange apparaît pour lui annoncer qu’elle donnera naissance d’une manière absolument unique dans l’histoire de l’humanité à celui qu’on appellera « Fils du Très-Haut ». Au moment de la crucifixion, Luc mentionne par deux fois la présence des femmes qui ont suivi Jésus depuis la Galilée, c’est-à-dire depuis le début de son ministère au nord de la Palestine.

Luc insiste à la fois sur Jésus comme serviteur du Seigneur, et sur le caractère universel de l’Évangile, destiné à atteindre les régions les plus lointaines. Il insiste également sur la naissance virginale de Jésus et sur sa résurrection physique. Il le fait probablement pour contrer des enseignements erronés sur la personne de Jésus qui commençaient à circuler dans certains cercles chrétiens. Bien que tout semble indiquer que Luc ait été un Grec converti au christianisme, et non un Juif d’origine, il est très sensible également à l’accomplissement des prophéties de l’Ancien Testament en Jésus-Christ. Au début de son ministère, Jésus se rend dans la ville de Nazareth, où il a grandi, et entre dans la synagogue juive où il lit un passage du prophète Ésaïe. Après la lecture, il explique le texte lu comme étant désormais accompli en sa personne. Jésus situe donc sa personne et son ministère dans la perspective de toute la révélation reçue par Israël jusqu’à présent. Il en est de même après la résurrection. Apparaissant à deux de ses disciples qui cheminent vers le village d’Emmaüs et qui sont complètement abattus après la crucifixion, Jésus se met à leur expliquer dans toutes les Écritures ce qui le concerne.

Un autre détail frappant dans l’Évangile selon Luc est le fait que celui-ci commence dans le temple de Jérusalem et se termine dans le même lieu. Cela souligne le rôle de la prêtrise suprême exercée par le « Fils du Très-Haut », qui est le personnage central de l’Évangile. En effet, le Temple était le lieu où les prêtres offraient les sacrifices à Dieu. Jésus-Christ a offert le sacrifice définitif à Dieu, celui de sa propre personne, rendant caducs les sacrifices institués dans la loi de Moïse. Ici aussi, la loi et les prophètes, c’est-à-dire tout l’Ancien Testament, ont été accomplis.

Si le Temple, ainsi que la ville de Jérusalem, revêtent une telle importance chez Luc, c’est aussi par rapport aux prophéties concernant la destruction imminente de cette ville, destruction intervenue en l’an 70 de notre ère. Jésus, qui se décrit comme la pierre principale de l’angle, le fondement en quelque sorte, cite l’Ancien Testament pour signifier qu’il est rejeté par ceux-là mêmes qui devraient le reconnaître comme la pierre principale. Pourtant, cette pierre rejetée deviendra bien la principale, et Jésus-Christ ressuscité deviendra lui-même le Temple indestructible de Dieu, un temple qui n’est pas fait de mains d’hommes. Après sa résurrection, le Temple de Jérusalem n’aura plus de raison d’être. Tout comme les sacrifices qu’on y effectuait, il sera devenu caduc. Cela sera confirmé par sa destruction et celle de Jérusalem par les Romains, destruction prophétisée par Jésus lui-même. Un dernier trait marquant de l’Évangile selon Luc est l’importance accordée au Saint-Esprit, présent et actif à la conception de Jésus, durant tout son ministère, et après sa résurrection.

Venons-en maintenant au quatrième Évangile, celui selon Jean. Comme nous l’avons déjà dit, il ne fait pas partie des Évangiles synoptiques, c’est-à-dire des trois Évangiles qui contiennent un certain nombre de passages communs. À la différence des Évangiles synoptiques, celui de Jean est moins centré sur le développement progressif de l’enseignement de Jésus, et sur la montée de l’opposition à laquelle Jésus fait face, jusqu’à son arrestation, son procès et sa crucifixion. Au contraire, Jean préfère se concentrer sur la signification des événements qui se produisent ou sur ce que Jésus enseigne à un moment donné. Il est évident que l’Évangile selon Jean a été écrit plus tardivement que les autres, très vraisemblablement en toute fin du premier siècle de notre ère. Jean insiste sur la filiation de Jésus-Christ avec Dieu; il est « la Parole devenue chair », c’est-à-dire le Fils de Dieu devenu homme. Le prologue de l’Évangile de Jean est à la fois d’une profondeur et d’une simplicité sans pareilles. Je citerai les quatorze premiers versets du premier chapitre, qui ont trait à Jésus-Christ, appelé la Parole et identifié à Dieu :

« Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Tout a été fait par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas accueillie. Il y eut un homme envoyé par Dieu, du nom de Jean. Il vint comme témoin pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui. Il n’était pas la lumière, mais il vint pour rendre témoignage à la lumière. C’était la véritable lumière qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme. Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l’a pas connue. Elle est venue chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçue; mais à tous ceux qui l’ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom et qui sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. La Parole a été faite chair et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme celle du Fils unique venu du Père » (Jn 1.1-14).

Jean insiste donc tout au long de son Évangile sur l’identité de Jésus-Christ comme étant à la fois Dieu et homme. Chaque fois que Jésus dit : « Je suis… », comme dans « Je suis le pain de vie » (Jn 6.48) ou encore « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14.6), c’est Dieu qui se manifeste aux hommes, comme il s’est manifesté au début du livre de l’Exode, en disant à Moïse : « Je suis celui qui suis » (Ex 3.14). Pour Jean, il s’agit alors de croire en celui qui dit aussi : « Je suis le cep, vous êtes les sarments » (Jn 15.5). Il s’agit de croire et de croître en lui, une fois que nous sommes devenus les sarments greffés sur le cep, qui leur donne sa vie. Ceci n’apparaît nulle part plus clairement qu’au chapitre 3 de l’Évangile selon Jean, dans l’entretien que Jésus a avec Nicodème, un des docteurs de la loi, un théologien de l’époque en quelque sorte :

« Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. Dieu en effet n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Celui qui croit en lui n’est pas jugé; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu » (Jn 3.16-18).

Moi aussi je vous invite à croire en Jésus-Christ afin que vous obteniez la vie éternelle, et je souhaite terminer cet article sur le Christ des Évangiles en citant un des passages qu’on trouve vers la fin de l’Évangile selon Jean :

« Jésus a encore fait, en présence de ses disciples, beaucoup d’autres miracles qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceci est écrit afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant vous ayez la vie en son nom » (Jn 20.30-31).