Comment résoudre les conflits dans l'Église? (9) - L'exclusion de l'Église
Comment résoudre les conflits dans l'Église? (9) - L'exclusion de l'Église
L’Église est une communauté vivante d’hommes et de femmes greffés par une foi vivante en Jésus-Christ, à la fois Dieu et homme, seul Médiateur entre le Père céleste et ses enfants. Sur la base du don de sa personne effectué une fois pour toutes et de manière parfaite sur la croix de Golgotha, ces hommes et ces femmes peuvent être appelés ses enfants, et ils peuvent sans hésitation l’invoquer comme Père. Cette communauté vivante se doit d’exercer en son sein une discipline spirituelle afin que l’unité et la pureté du corps soient maintenues. Car elle n’est pas une communauté comme n’importe quelle autre, elle est le signe de la présence du Royaume de Dieu dans le monde, le Royaume prêché par Jésus-Christ lors de son ministère terrestre. En tant que telle, elle est ancrée dans l’éternité du Dieu vivant auquel elle est liée par une alliance : le corps brisé du Christ et son sang versé sur la croix en sont les sceaux.
Nous avons vu dans un article précédent qu’un membre qui, par sa conduite, ses paroles ou la doctrine qu’il professe se montre infidèle au Chef de l’Église, méprisant ainsi le don de sa personne sur la croix et qui persiste dans ses voies mauvaises en dépit de toutes les exhortations fraternelles, les admonitions, les avertissements qui lui sont prodigués, doit être suspendu de l’accès à la table du Seigneur, c’est-à-dire au sacrement de la Cène. Celui-ci manifeste de manière visible la communion spirituelle du corps avec son Chef, le Christ lui-même. Mais ce sacrement manifeste également l’unité du corps, des membres les uns avec les autres. Jésus a lui-même clairement enseigné qu’un membre qui se rend coupable de péché envers les autres membres doit être d’abord repris personnellement, puis devant plusieurs témoins, avant que l’affaire ne soit portée à la connaissance de l’Église, par ceux qui ont été appelés à servir l’autorité du Christ à toute l’Église. L’excommunication, c’est-à-dire la privation de l’accès à la table du Seigneur, représente déjà une mesure avancée de mise sous discipline et ne doit intervenir qu’après que tous les autres remèdes prescrits se sont avérés inutiles.
Mais si la personne persiste et signe, si même l’exclusion de la table du Seigneur ne fait pas revenir le pécheur sur la voie de l’obéissance à ce même Seigneur, alors il convient de retrancher complètement ce membre rebelle de la communauté. Il s’en est du reste lui-même exclu, il a rejeté le Christ, et avec lui son Église. L’Église ne fait au fond qu’en prendre acte. Une branche morte ou pourrie doit tout simplement être coupée de l’arbre afin de ne pas corrompre les autres branches. L’article 77 de l’ordre ecclésial hérité du Synode de Dordrecht l’exprime de la façon suivante :
« Ceux qui, en dépit de leur exclusion du sacrement et des avertissements répétés, ne manifestent aucun signe de repentance, mais persistent avec obstination dans leur péché doivent être finalement retranchés de la communion de l’Église au moyen de cette ultime mesure disciplinaire, selon le formulaire dressé à cet égard. »
Cette coupure finale doit être précédée de trois annonces publiques devant l’Église dans son ensemble. Au cours de ces annonces est mentionné en quoi consiste la transgression du pécheur, le fait qu’un grand travail pastoral lui a été dévoué à travers la réprobation qui lui a été signifiée, la suspension de sa participation aux sacrements et de nombreuses admonitions, mais qu’il ne s’est pas repenti et amendé. Durant ces annonces, la communauté doit être sollicitée de parler au pécheur et de prier pour lui.
- Lors de la première annonce, le nom du pécheur ne doit pas être mentionné, afin de l’épargner.
- Lors de la seconde annonce, son nom doit être mentionné, après avoir reçu l’avis des Églises voisines.
- Lors de la troisième annonce, il doit être rendu public à la communauté que le pécheur, s’il ne se repent pas, sera retranché de la communion de l’Église, afin que cette coupure s’effectue avec l’assentiment tacite de la communauté, s’il demeure obstiné.
Le conseil des anciens détermine le moment durant lequel chacune de ces trois annonces doit être faite.
Cet article 77 de l’ordre ecclésial ne fait qu’exprimer la notion du pouvoir des clés du Royaume confiées à l’Église. Rappelez-vous des paroles de Jésus à ses disciples dans Matthieu 18 :
« S’il refuse aussi d’écouter l’Église, mets-le sur le même plan que les païens et les collecteurs d’impôts. Vraiment, je vous l’assure : tous ceux que vous exclurez sur la terre auront été exclus aux yeux de Dieu et tous ceux que vous accueillerez sur la terre auront été accueillis aux yeux de Dieu » (Mt 18.17-18).
Ce à quoi fait écho la question et réponse 85 du Catéchisme de Heidelberg :
« Comment le Royaume des cieux est-il ouvert et fermé par la discipline ecclésiale? Réponse : Selon l’ordre du Christ, ceux qui, se prétendant chrétiens, enseignent une doctrine ou mènent une vie non chrétienne reçoivent plusieurs avertissements fraternels. S’ils ne renoncent pas à leurs erreurs et à leurs vices, ils sont cités devant l’Église, ou devant ceux qui ont été établis pour cela par l’Église. Et s’ils méprisent aussi ces exhortations, ils sont exclus, par l’interdiction des sacrements, de la communauté chrétienne et, par Dieu lui-même, du Royaume du Christ. Mais ils sont reçus à nouveau comme membres du Christ et de l’Église s’ils promettent et manifestent un réel amendement. »
Dans notre article précédent, je vous ai cité les paroles de l’apôtre Paul aux chrétiens de Corinthe, dans la première lettre à cette Église :
« Maintenant, ce que je vous ai écrit c’est de ne pas avoir de relations avec quelqu’un qui, tout en se nommant frère, serait débauché, ou cupide, ou idolâtre, ou insulteur, ou ivrogne, ou accapareur, et même de ne pas manger avec un tel homme. Qu’ai-je en effet, à juger ceux du dehors? N’est-ce pas de ceux du dedans que vous êtes juges? Ceux du dehors, Dieu les jugera. Expulsez le méchant du milieu de vous » (1 Co 5.11-13).
Comme vous l’aurez constaté par vous-même, l’injonction est on ne peut plus claire.
La différence entre retrancher un membre de l’Église et le censurer fraternellement, jusqu’à l’exclure de la table du Seigneur, tient à ce que, lorsqu’on retranche un membre, cela se fait publiquement, devant la communauté tout entière. Même si des admonitions privées doivent encore avoir lieu durant ce processus, la situation d’obstination et de non-repentance est devenue notoire devant tous.
Mais notez que la personne qui tombe sous le coup de cet article de l’ordre ecclésial peut faire appel de ce jugement et demander à ce que son cas soit examiné par les conseils d’anciens des Églises voisines. Ce groupe d’Églises voisines, qu’on appelle une classe, ou classis, n’est pas une juridiction hiérarchiquement supérieure, mais simplement plus large. Un avis plus étendu est donc requis, qui protégera aussi bien le conseil des anciens que la personne qui fait appel d’un jugement.
Deux dangers se présentent en effet à une communauté lorsqu’un cas disciplinaire est en cours : le conseil des anciens de l’Église locale peut se lasser d’avoir à reprendre une personne, perdre patience et faire mauvais usage de l’article de l’ordre ecclésial pour en quelque sorte se débarrasser de ce membre difficile. D’un autre côté, la communauté peut avoir beaucoup de sympathie pour la personne en question, qui est peut-être assez populaire, et tâche de le défendre sans voir que son comportement, ses actes ou paroles font du tort à cette même communauté et déshonorent le nom du Seigneur. Par exemple, des pressions venues de la famille de ce membre peuvent se faire sentir au sein de la communauté, surtout si cette famille est influente ou contribue de manière substantielle aux finances de l’Église. Un courant de sympathie à son égard peut être activé, au détriment du véritable bien-être spirituel de l’Église.
Il faut que le conseil sache accompagner la communauté avec beaucoup de tact lorsqu’il est devenu évident que la procédure de retranchement de ce membre doit désormais être mise en route. D’où les trois annonces faites en public dont parle l’article 77.
La troisième annonce ne signifie pas encore que le membre a été retranché du corps. Il demeure encore une possibilité pour cette personne de se repentir et de revenir au sein de la communauté. On pourrait comparer cela à une personne qui se trouve sur le quai d’une gare dans une ville qui est menacée de destruction imminente. Le train va partir sous peu et le chef de gare invite la personne à monter d’urgence dans le train. Mais ce passager n’obéit pas à cette injonction, les portes se referment et le train part. Un second train le suit et le même appel est lancé, mais de nouveau le passager résiste à l’appel pressant d’embarquer sous peine de risquer sa vie. Cette fois-ci, ce n’est plus seulement le chef de gare qui l’interpelle, mais tous les passagers déjà embarqués. Après que les portes du troisième et dernier train se soient refermées et que l’appel pressant ait été exprimé en vain, le passager demeure seul sur le quai : tout a été fait pour le prévenir et l’inviter à échapper au malheur qui l’attend. Il a pris sa responsabilité et supportera le poids de son obstination.
Une repentance après exclusion de l’Église n’est cependant jamais impossible, car l’Esprit du Seigneur travaille de manière secrète dans le cœur des uns et des autres. L’article 78 de l’ordre ecclésial traite de ce cas et nous l’aborderons ensemble dans notre prochain article.