Cet article a pour sujet la théologie des pères apologètes des premiers siècles, qui ont défendu l'Ancien Testament et la foi chrétienne, mais chez qui la philosophie a influencé la théologie (stoïcisme, néo-platonisme).

Source: Les débats christologiques anciens. 3 pages.

Les débats christologiques anciens (3) - La christologie des Pères apologètes

En Orient : Quadratus, Aristide, Ariston, Méliton de Sardes, Claudius Apolinaris de Hiérapolis, Miltiade, le philosophe grec Justin Martyr, Tatien, Athénagoras, Théophile d’Antioche, Hermias et finalement Origène. En Occident : Tertullien, Minucius Felix, Irénée.

1. Nous assistons avec les apologètes à l’emprise de la philosophie sur la théologie. Les apologètes orientaux sont en général des érudits et des philosophes rompus à la pensée abstraite, tandis que leurs homologues occidentaux ont l’esprit plus pratique et plus juridique. Tandis que les premiers s’efforcent de prouver la vérité du christianisme et de montrer que la religion chrétienne est apte à combler les désirs intellectuels de l’homme, les seconds plaident, dans un climat de persécution, pour le droit à l’existence du christianisme, démontrant l’excellence de sa morale et rendant attentif aux effets salutaires de cette religion sur la société.

2. Face aux païens de l’époque, les apologètes prennent la défense de l’Ancien Testament, de son histoire, de ses lois, de ses doctrines et de ses prophéties. Face aux Juifs et aux païens, ils démontrent l’excellence du christianisme, sa supériorité sur toutes les autres religions, maltraitant souvent les textes par une interprétation allégorique et typologique. La doctrine chrétienne est conçue comme une philosophie utile et salutaire, parce que certains du fait qu’elle se fonde sur une révélation divine. Même les apologètes qui, comme Tertullien, renoncent à une justification philosophique du christianisme, parce qu’ils se méfient de la philosophie, ne peuvent s’empêcher d’établir un lien psychologique entre la nature et la religion chrétienne et de démontrer la vérité de cette dernière à partir de ses effets moraux. Les miracles racontés par la Bible, l’expansion de l’Évangile malgré les persécutions, l’accomplissement des prophéties et d’autres données encore constituent autant de preuves par lesquelles ils s’efforcent de démontrer l’origine divine du christianisme. On fait même appel aux oracles sibyllins pour montrer aussi la parenté du christianisme pour cette dernière.

Dans son apologie dédiée à l’empereur Adrien, redécouverte au siècle dernier, Aristide prouve l’existence de Dieu à partir du monde et de l’ordre qui y règne. Ce Dieu est connu et adoré par des hommes de toutes conditions, y compris les païens, mais seuls les chrétiens en ont une idée juste et rendent un culte digne de lui, comme le montre la supériorité morale de leur vie. Il faut donc cesser de les persécuter et se convertir à leur doctrine.

Nous connaissons de Justin Martyr essentiellement deux Apologies et le Dialogue avec Tryphon. Dans ce dernier ouvrage, Justin dialogue avec un juif, Tryphon, et lui démontre tour à tour la caducité de l’Ancienne Alliance, la préexistence du Christ que les prophètes proclament comme le Fils de Dieu, et la vocation des païens au salut. La première Apologie est dédiée à l’empereur romain. Elle vise à disculper les chrétiens des crimes dont on les accuse et à démontrer l’infinie supériorité du christianisme sur toutes les formes de paganisme. Après avoir noté que les païens sont appelés à la foi chrétienne par les prophètes, il soutient que le paganisme et les philosophes païens en particulier, même le grand Platon, ont emprunté à la Bible et surtout aux prophètes ce qu’ils ont de meilleur. Il n’y a donc pas d’incompatibilité entre christianisme et paganisme, mais le christianisme est la forme la plus élevée du paganisme. Tout doit inciter un païen à l’adopter. Justin Martyr était un philosophe et ne s’en cachait pas. Il a utilisé les données de sa philosophie profane dans son exposé de la religion chrétienne. Il est l’initiateur de la doctrine du « logos spermatikos ». Si Platon a cru en l’existence d’un Dieu suprême, panthéistes et stoïciens n’admettaient aucun principe transcendant au monde. Celui-ci se suffit parfaitement à lui-même; il trouve en lui-même la force qui le meut et la loi qui le conduit. Ce principe immanent d’ordre et de vie est l’âme du monde, le « logos spermatikos », le « germe » d’où sort le monde, et la force vitale qui l’anime. Cette doctrine fut acceptée par la suite par les disciples de Platon et combinée avec la foi en un Dieu suprême. Dieu a déposé dans les êtres particuliers, et surtout en l’homme, des « logoi », des « germes » divins.

Philon, philosophe néo-platonicien juif et monothéiste résolu, avait de Dieu une conception tellement transcendante, une idée si haute, qu’il en faisait pratiquement une abstraction, et du « logos » un intermédiaire nécessaire entre ce Dieu et le monde. Il est clair que ce « logos » ne peut être identifié au « Logos » de Jean, au Fils de Dieu incarné.

Justin Martyr reprit cette philosophie pour tendre la main aux païens élevés dans l’hellénisme. Dieu, qui est le Logos parfait, a donné aux hommes le « logos spermatikos », en d’autres termes la raison et l’intelligence qui leur permettent de s’élever à une connaissance partielle et imparfaite, mais très haute et utile du Logos parfait. C’est ce que montre l’activité des grands philosophes (Socrate, Platon, etc.). Cette connaissance imparfaite et incomplète demande à être complétée par la connaissance de Dieu que possèdent les chrétiens et qu’ils doivent à la révélation. Le logos spermatikos permet donc une connaissance surnaturelle et parfaite. Telle est la doctrine que Justin développe dans sa deuxième Apologie. Elle permet à Justin de faire appel au témoignage de la raison sur les vérités essentielles du christianisme (existence de Dieu, immortalité de l’âme, distinction entre le bien et le mal, jugement final, etc.). Ce faisant, Justin fraya la voie à Clément d’ Alexandrie et à Origène et créa l’embryon d’une conception philosophique du christianisme.

Tatien dans son discours aux Grecs, Athénagore dans son Apologie et Théophile d’ Antioche dans ses trois discours apologétiques à Autolycus se livrèrent à des efforts semblables. Face aux attaques et aux railleries des païens, ces hommes ont voulu démontrer la vérité du christianisme, affirmant tous que Dieu peut être au moins partiellement connu par la raison et que cette connaissance partielle demande à être complétée par celle que procure la révélation scripturaire.

Il est donc clair que la conception de Dieu propre aux apologètes constitue un compromis entre la doctrine de Dieu de l’Ancien Testament et la notion de Dieu qui prévalait dans la philosophie stoïcienne et néo-platonicienne. Dieu ne pouvant entrer dans le temps et dans l’espace de ce monde, il fait émaner de lui le Logos qui donc, tout en étant Dieu, lui est considéré comme subordonné. Cela dit, la christologie des apologètes est néotestamentaire dans ses grandes lignes, avec une plus grande insistance sur la mission de Prophète du Christ que sur son ministère de Rédempteur.

Irénée et Tertullien sont parfois considérés comme les derniers apologètes. Ils méritent cependant davantage le titre de controversistes, car ils s’en sont pris davantage aux erreurs et hérésies qui pénétraient l’Église chrétienne qu’au paganisme environnant.