Cet article a pour sujet les rapports entre les ministères institués dans l'Église (pasteur, docteur, ancien, diacre) et l'administration fidèle des sacrements d'après Jean Calvin, qui est une des marques de la vraie Église.

Source: Études calvinistes. 5 pages.

La doctrine de Calvin sur les ministères ecclésiastiques dans ses rapports avec l’administration des sacrements

Nous nous proposons d’exposer la notion du ministère ecclésiastique dans ses rapports avec la pratique sacramentelle, chez Calvin. Nous étudierons ensuite les possibilités que la théorie du réformateur apporte à la solution des problèmes actuels touchant la reconnaissance interconfessionnelle de la validité des ordres et des actes sacramentels.

La doctrine de Calvin sur les « docteurs et ministres de l’Église » et sur « leur élection et office » est exposée systématiquement au chapitre III du IVlivre de la dernière édition de l’Institution chrétienne. C’est à cette « somme » que nous nous référons principalement sans nous interdire d’ailleurs de recourir à l’occasion à d’autres ouvrages de notre auteur.

Pour bien comprendre la théorie de Calvin sur le ministère des fonctionnaires de l’Église, il est nécessaire d’avoir présente à l’esprit sa conception de l’Église elle-même. D’après lui :

« l’Écriture sainte parle de l’Église en deux sortes : car quelquefois en usant de ce nom elle entend l’Église qui est telle à la vérité, et en laquelle nuls ne sont compris sinon ceux qui par la grâce d’adoption sont enfants de Dieu et par la sanctification de son Esprit sont vrais membres de Jésus-Christ. Et lors, non seulement elle parle des saints qui habitent en terre, mais de tous les élus qui ont été depuis le commencement du monde. »

Souvent, par le nom de l’Église :

« elle signifie toute la multitude des hommes, laquelle étant éparse en diverses régions du monde, fait une même profession d’honorer Dieu et Jésus-Christ; a le baptême pour témoignage de sa foi; en participant à la cène proteste d’avoir unité en doctrine et en charité; est consentante à la Parole de Dieu et de laquelle elle veut garder la prédication suivant le commandement de Jésus-Christ. En cette Église, il y a plusieurs hypocrites mêlés avec les bons qui n’ont rien de Jésus-Christ, fors que le titre et l’apparence » (Inst. Chrét. IV, I, 7).

C’est la célèbre distinction entre l’Église visible et l’Église invisible. L’Église est invisible dans le sens que Dieu seul connaît avec une certitude infaillible ceux qui sont siens, ceux qui sont « les membres du corps du Christ ». L’Église est visible par la profession que font les hommes qui se disent chrétiens de suivre la parole de Dieu et de pratiquer les sacrements selon l’institution du Christ.

Comme nous ne pouvons juger de la sincérité de cette profession que par un jugement faillible de charité, nous ne savons pas avec la certitude de foi si une Église visible locale quelconque coïncide dans sa totalité avec « l’Église qui est telle en vérité ». Une Église locale peut contenir dans son sein des réprouvés qui se déçoivent et déçoivent les autres hypocritement par une profession sans consistance réelle (lV, I, 8).

Mais comme c’est en tant qu’institution visible que l’Église est mère des fidèles (4), tous ceux qui veulent être sauvés doivent y demeurer ou s’y joindre, s’ils n’en font pas partie par leur naissance, « d’autant qu’il n’y a nulle entrée en la vie permanente, sinon que nous soyons conçus au ventre de cette mère, qu’elle nous enfante, qu’elle nous allaite de ses mamelles, finalement qu’elle nous tienne et garde sous sa conduite et son gouvernement, jusques à ce qu’étant dépouillés de cette chair mortelle nous soyons semblables aux anges ».

Les marques de la vraie Église visible sont la dispensation fidèle de la Parole de Dieu et les sacrements. C’est cette dispensation qui constitue le « régime » ou « vrai état » de l’Église (II, 12).

L’Église est indéfectible. L’« état » de l’Église est sujet à des phases de décadence. Mais cette décadence ne peut jamais être totale.

L’Église — l’Église visible — est indéfectible; « il n’y a nul âge depuis le commencement du monde auquel le Seigneur n’ait eu son Église et jamais il n’adviendra qu’il n’en ait toujours » (IV, I, 717).

La ruine et la décadence de « l’état de l’Église » (IV, II, 9) peuvent être extrêmement avancées. Mais, même dans l’Église romaine, Dieu a voulu maintenir le baptême et « d’autres reliques » afin que « l’Église ne périt point du tout » (II, 12).

Calvin reconnaît expressément que quand il dénie aux assemblées de la papauté le titre d’Église, c’est l’état normal du régime de l’Église qu’il déclare corrompu. Mais il reconnaît « que ce sont Églises en tant que Dieu y conserve miraculeusement les reliques de son peuple… secondement en tant qu’il y reste quelques marques de l’Église, principalement celles desquelles la vertu ne peut être abolie, ni par l’astuce du diable, ni par la malice des hommes ».

Il résulte du fait que l’Église visible est la mère des fidèles que « ceux qui refusent d’être empastelés par l’Église, ou rejettent la viande spirituelle qu’elle leur offre sont dignes de mourir de faim » (I, 4).

Les « offices » (fonctions, ordres) perpétuels que Calvin reconnaît dans l’Église sont ceux de pasteurs et de docteurs (III, 5), d’anciens et de diacres (8 et 9).

La fonction des pasteurs et docteurs est de prêcher la parole de Dieu, d’administrer les sacrements et d’exercer la discipline (§ 4). Il peut y avoir des hommes doués pour l’enseignement scientifique de la théologie, mais qui ne se sentent pas appelés à la prédication proprement parénétique. Dans ce cas, ils doivent se renfermer dans leur fonction doctorale. Ils ne peuvent ni administrer les sacrements, ni dispenser la parole de Dieu dans les assemblées de l’Église, ni exercer la discipline (§ 4). Tous les pasteurs ont même autorité et égale puissance dans les conseils de l’Église. On peut les nommer indifféremment, suivant l’Écriture, évêques, pasteurs, prêtres (anciens) (IV, III, 8). Calvin ne voit pas d’inconvénients à ce qu’on donne au président le titre d’évêque (IV, IV, 2). Il résulte même d’une lettre à Sigismond 1er, roi de Pologne (déc. 1554, op. Baum, Cunitz et Reuss, XV, 33, 209), que le réformateur n’aurait pas eu d’objection de principe à l’institution d’un primat national, pourvu que ce prélat n’eût qu’une autorité de président. Mais le principe de l’égalité de tous les pasteurs sous la seule autorité de Jésus-Christ est intangible. Inséré dans la Confession de foi (art. 30), il est pour nous un article de foi.

Ayant traité de la charge et de la qualité des pasteurs, Calvin passe à l’examen de la vocation extérieure. Cette question comporte quatre points : le candidat, le mode de l’élection, le corps où réside l’autorité électorale, la cérémonie d’introduction à la charge pastorale (IV, IV, 11).

Calvin reconnaît naturellement que le candidat doit avoir conscience de sa vocation intérieure. Mais si celle-ci fait défaut et tant que son hypocrisie ne devient pas manifeste, le candidat dûment appelé est, pour I’Église, un pasteur légitime (§ 11).

a. Le candidat. Il doit professer la saine doctrine, mener une vie pure et être exempt de défauts qui le rendraient méprisable et être propre à l’enseignement (§ 12).

b. Le mode de l’élection. Par là, Calvin entend la « révérence et sollicitude » dont on doit user en procédant à l’élection. Il est nécessaire principalement de prier Dieu pour demander l’Esprit de « conseil et discrétion » (discernement) (Ibid.).

c. Le corps où réside l’autorité. C’est l’Église locale, le peuple chrétien, présidé par les pasteurs, qui a autorité pour élire les pasteurs (§ 15). Ainsi, c’est dans l’Église que réside la succession apostolique. Car les pasteurs sont successeurs des apôtres, « excepté que chacun a son Église limitée » (IV, III, 5).

d. La cérémonie d’introduction à la charge. Les apôtres n’en ont point eu d’autre que l’imposition des mains. Il n’est pas certain que les apôtres aient participé à cette imposition des mains par un seul officiant ou par le collège des pasteurs. Au reste, Calvin reconnaît qu’il n’y a pas, dans l’Écriture, de commandement divin exprès relativement à cette cérémonie. Mais il estime que l’exemple apostolique doit nous tenir lieu de précepte (IV, V, 16). Nous pouvons conclure de la manière dont il s’exprime que la cérémonie, « utile » en soi, ne constitue pas une condition sine qua non. L’essence de la vocation est dans l’élection. Calvin ne répugnait pas à ce qu’on appelât l’imposition des mains un sacrement, parce que cette cérémonie est scripturaire et utile comme « signe de la grâce spirituelle de Dieu ». Il juge préférable cependant de réserver ce terme à la désignation du baptême et de l’eucharistie, car elle n’est pas commune à tous les fidèles et ne représente qu’une grâce attachée à une fonction particulière (IV, XIX, 28).

Les possibilités que nous fournit la doctrine de Calvin sur le ministère ecclésiastique et l’administration des sacrements nous paraissent être les suivantes :

Sans contrevenir à leurs principes dogmatiques, les Églises presbytériennes fidèles à l’interprétation calvinienne des Écritures pourraient s’engager à avoir dans des circonscriptions synodales suffisamment réduites des présidents portant le nom d’évêque.

Dans un esprit de charité fraternelle et en protestant solennellement et expressément que leur Église particulière considère le régime presbytérien synodal comme d’institution divine, ces évêques pourraient recevoir l’ordination épiscopale, pour la première fois, des mains d’un évêque appartenant à la partie évangélique de l’Église d’Angleterre et selon le rite de cette Église en passant par les trois degrés de diacre, de pasteur et d’évêque le même jour.

Les Églises presbytériennes pourraient s’engager à adopter un rituel de consécration contenant un formulaire où le soin des pauvres (diaconat), la prédication et l’administration des sacrements (prêtrise) et le droit à l’ordination, à la confirmation et au siège dans les synodes et conciles seraient successivement et séparément énumérés, avec les intervalles reconnus par les épiscopaux comme dogmatiquement nécessaires.

Les ordinations seraient conférées aux premiers « évêques » presbytériens par un évêque anglican protestant. Les évêques professant publiquement le dogme du Concile de Trente ne pourraient en aucun cas procéder à cette ordination. La validité de la vocation de ces derniers est douteuse en effet pour certains des nôtres.

Les Églises presbytériennes pourraient même s’engager à faire conférer l’imposition des mains individuellement par le nouvel « évêque » presbytérien ou son successeur, les autres pasteurs se joignant à lui dans cet acte. Nous aurions ainsi, aux yeux des épiscopaux, un épiscopat plural, dont les théologiens catholiques romains ont dû reconnaître l’existence, avec succession apostolique.

Nous resterions libres, bien entendu, de maintenir dans nos propres formulaires l’affirmation de notre foi en l’institution divine du régime presbytérien synodal, de pratiquer ce régime pour notre compte et d’instruire les fidèles sur la notion que nous estimons vraie de la succession apostolique.

En ce qui concerne la dispensation des sacrements par un « ancien » non autorisé à prêcher, pratiquée par les indépendants, Calvin l’eût certainement désapprouvée, la prédication de l’Évangile et l’administration des sacrements étant indissolublement liées d’après l’Écriture. Mais « l’ancien » étant non une personne privée, mais un fonctionnaire de l’Église, et l’efficace du sacrement ne dépendant pas de celui qui l’administre, Calvin eût probablement reconnu à cette cérémonie la même validité qu’au baptême administré par un prêtre de l’Église romaine. Si les indépendants ont adopté cette coutume par suite de la grande étendue des paroisses, ce qui force les épiscopaux à vivre parmi eux et à mener une vie sacramentelle réduite, ils doivent reconnaître que le même inconvénient peut se produire, dans les mêmes circonstances, au sein de leurs propres communautés. Ni eux ni nous, calvinistes presbytériens, nous n’avons le droit d’empêcher nos frères indépendants de remédier à la pénurie de leurs pasteurs par un moyen que nous jugeons illégitime ou pour le moins irrégulier, mais qu’eux estiment conforme à l’institution du Seigneur.

Il est des cas où l’intercommunion théoriquement reconnue peut n’être pas pratiquement réalisable. On peut comprendre qu’un calviniste éprouve des scrupules à recevoir la communion d’un ministre professant publiquement une doctrine aussi gravement contraire à l’Écriture que la transsubstantiation. Cela peut l’obliger à mener une vie sacramentelle très réduite; mais il ne peut pourtant s’attendre à ce que ce prêtre change de sentiment pour cette raison. Il nous semble que l’opinion des indépendants sur le droit des anciens à donner les sacrements, opinion que nous jugeons erronée, doit être mise au bénéfice du même esprit de support qu’une erreur dogmatique grave sur la sainte cène elle-même.

L’unité de l’esprit doit avoir pour lien la charité : « In necessariis, unitas; in dubiis, libertas; in omnibus, caritas. »