Cet article sur Ecclésiaste 7 a pour sujet la sagesse qui consiste à tenir compte des aspects négatifs de l'existence, incluant le péché et la mort, qu'il faut regarder avec courage, dans la perspective de la rédemption en Jésus-Christ.

Source: Vanité et sagesse - Méditations sur le livre de l'Ecclésiaste. 5 pages.

Ecclésiaste 7 - Création, chute, rédemption

« Bonne renommée vaut mieux que l’huile parfumée, et le jour de la mort que le jour de la naissance. Mieux vaut aller dans une maison de deuil que d’aller dans une maison de festin, dans celle-là se trouve la fin de tout homme, et le vivant en prend conscience. Mieux vaut le chagrin que le rire. Car malgré un visage triste le cœur peut être heureux. Le cœur des sages est dans la maison de deuil, et le cœur des insensés dans la maison de joie. Mieux vaut écouter le reproche du sage qu’être homme à écouter la chanson des insensés. Comme les sarments crépitent sous la marmite, ainsi est le rire des insensés. C’est encore là une vanité. L’oppression affole le sage, et les cadeaux font perdre le sens. Mieux vaut l’aboutissement d’une affaire que son commencement; mieux vaut un esprit patient qu’un esprit hautain. Ne te presse pas d’être mécontent dans ton esprit, car le mécontentement repose dans le sein des insensés. Ne dis pas : D’où vient que les jours d’autrefois étaient meilleurs que ceux-ci? Car ta question ne proviendrait pas de la sagesse. La sagesse vaut mieux qu’un héritage, et même davantage pour ceux qui voient le soleil. Car à l’ombre de la sagesse on est comme à l’ombre de l’argent; l’avantage de la connaissance c’est que la sagesse fait vivre ceux qui la possèdent. Regarde l’œuvre de Dieu : qui pourra redresser ce qu’il a courbé? Au jour du bonheur, jouis du bonheur, et au jour du malheur, réfléchis : Dieu a fait l’un exactement comme l’autre, de telle sorte que l’homme ne découvre rien de son avenir. J’ai vu tout cela pendant ma vaine existence. Il y a tel juste qui périt dans sa justice, et tel méchant qui prolonge son existence dans sa méchanceté. Ne deviens pas juste à l’excès et ne te montre pas trop sage : pourquoi te ruinerais-tu? Ne sois pas méchant à l’excès, et ne deviens pas insensé : pourquoi mourrais-tu avant ton temps? Il est bon que tu retiennes ceci sans laisser échapper cela; car celui qui craint Dieu trouve une issue en toutes situations. La sagesse rend le sage plus fort que dix gouverneurs qui sont dans une ville. Certes, il n’y a sur la terre point d’homme juste qui fasse le bien et qui ne pèche pas. Ne prends donc pas à cœur toutes les paroles qu’on dit, de peur que tu n’entendes ton serviteur te maudire; car ton cœur reconnaît que tu as toi-même bien des fois maudit les autres. J’ai éprouvé tout cela par la sagesse. J’ai dit : J’aurai de la sagesse. Mais elle reste loin de moi. Ce qui existe est loin, profond, profond, qui peut l’atteindre? J’en suis venu de tout mon cœur à connaître, à explorer et à chercher la sagesse et la raison, à connaître aussi la méchanceté, l’insanité, la folie et la démence. Or j’ai trouvé plus amère que la mort la femme qui est un piège, dont le cœur est un filet et dont les mains sont des liens; celui qui est agréable à Dieu lui échappe, mais le pécheur deviendra sa capture. Voici ce que j’ai trouvé, dit l’Ecclésiaste, en examinant les choses une à une pour en trouver la raison; voici ce que mon âme cherche encore, et que je n’ai pas trouvé. J’ai trouvé un homme entre mille; mais une femme entre elles toutes, je ne l’ai pas trouvée. Seulement, voici ce que j’ai trouvé, c’est que Dieu a fait les hommes droits; mais ils ont cherché bien des subtilités. »

Ecclésiaste 7

Il est presque impossible de trouver un fil conducteur unique dans le septième chapitre du livre de l’Ecclésiaste. Il y a plutôt une sorte de vue kaléidoscopique dans laquelle s’entremêlent plusieurs réalités qui attirent notre attention. Il serait presque tentant de ne pas les commenter. Nous y trouvons des aphorismes surprenants, tels que par exemple « ne deviens pas juste à l’excès » (Ec 7.16), ou l’affirmation suivante qui fera sans doute bondir plus d’une adepte des mouvements de libération féminine, en leur fournissant un nouveau prétexte d’accuser non seulement l’Ecclésiaste d’être farouchement antiféministe, mais encore la Bible tout entière; celle-ci contient, à leurs yeux, toute la misogynie que l’on peut trouver sous le vaste ciel, et symbolise l’oppression de la femme par l’homme masculin, le patriarche, le mâle… Écoutez cette phrase : « J’ai trouvé un homme entre mille; mais une femme entre elles toutes, je ne l’ai pas trouvée » (Ec 7.28).

Cependant, il n’y a pas que des sentences obscures et que des phrases déroutantes dans le chapitre que nous examinons à présent, car il transmet aussi un message tout à fait explicite. La sagesse véritable, affirme-t-il, consiste à tenir compte des aspects négatifs de l’existence. Aussi songe-t-il à l’hostilité qu’on peut subir, à la peine qui peut nous submerger, à la mort qui, tôt ou tard, ne manquera pas de nous atteindre. Si donc l’on a décidé de vivre selon les règles d’une sagesse réaliste, celle qu’il décrit et qu’il propose, il convient d’intégrer sans tarder dans sa philosophie ces points ou ces aspects négatifs que nous venons de mentionner. Et, suprême conseil déjà prodigué, la vraie philosophie de l’existence comporte invariablement une méditation sur la mort.

Il est certain que les modernes, comme les contemporains de l’Ecclésiaste, ont oublié cette sagesse qui consiste à tenir lucidement compte de l’omniprésence de la mort. À moins qu’ils fassent semblant de l’oublier… En effet, dans certaines sociétés, occidentales tout au moins, tout semble organisé pour éviter d’y faire allusion dans le cadre de la vie quotidienne. Ce serait de mauvais goût. D’ailleurs, les conquêtes du savoir médical permettent de prolonger l’existence au-delà de la soixantaine d’années, espérance de vie d’il y a un demi-siècle à peine. La mort ne sera pas le sujet de prédilection dans une conversation de salon, entre gens bien élevés; ce serait tellement macabre! N’est-elle pas la brute irrationnelle qui vient tout chambarder, semant au milieu de nous non seulement le désordre, mais encore la panique et l’effroi? Elle interrompt toute activité, coupe court à toute aspiration, laisse toute œuvre humaine inachevée… Que d’ingéniosité est déployée pour retarder l’heure de son approche!

Peut-être y a-t-il ceux qui, présomptueux et acharnés de la vie, se prenant pour des dieux, rêvent de l’éliminer définitivement de la scène de leur existence. L’Ecclésiaste, quant à lui, la regarde avec courage. Il déclare que le deuil à son tour tient une place importante dans nos vies. Même lorsqu’il s’agit de la perte d’un être cher, nous devrions l’accepter autrement que dans une morne résignation ou dans un désarroi total.

Notons que son courage et sa lucidité ne s’expliquent pas par une attitude de résignation fataliste, car il n’est pas un stoïque insensible à la douleur de l’âme. Ce courage lui est dicté par une vision claire des réalités essentielles et vitales; il résulte de sa découverte qu’au-delà de l’horizon borné qui a pour nom « mort » s’étend une autre dimension de l’existence, une dimension toute en profondeur. Il ne sert à rien de gémir devant le caractère inévitable de la mort; il faut la regarder en face, telle qu’elle est, car elle sert même d’indispensable poteau indicateur, dont on ne saurait se passer, pointant au-delà d’elle-même vers l’autre face cachée de la vie.

Vivre avec une telle sagesse est une chose excellente, laisse-t-il entendre, mais point très commode. Et alors, il nous rappelle, il nous montre du doigt le cas de ceux qui ont fait de leur raison pratique, de leur bon sens, de leur morale humaniste, le primat de toutes choses. Il leur crie au nez : « Si vous n’organisez votre vie que d’après votre propre système de principes moraux, elle aboutira fatalement à des anomalies et à des situations chaotiques dont vous ne soupçonnez même pas l’existence. » Par exemple, faire de la morale et de la vertu, ou encore de la piété religieuse, les unes et l’autre sans référence à Dieu, l’unique absolu, cela risque de provoquer une expérience décevante et de combler, à sa manière, les gouffres de vanité humaine.

La morale sans référence à Dieu peut fonctionner tel le lit de Procruste, cette figure mythologique, brigand de grand chemin qui, lorsqu’il attrapait ses victimes, les plaçait dans son lit. Étaient-elles plus petites que les dimensions de celui-ci? Qu’à cela ne tienne! Il savait pratiquer l’élongation de leurs membres pour les ajuster à son instrument de torture. Étaient-elles, au contraire, plus grandes? Il parvenait à merveille à les ajuster à son instrument de torture en réduisant leurs membres aux dimensions de son lit en écourtant leurs jambes, voire en coupant leur tête. Ainsi en est-il de la morale sans transcendance. Elle fonctionne comme le lit de Procruste. Elle deviendra, ainsi qu’on l’appelle depuis quelques décennies, « morale de situation », s’ajustant à toutes les situations imprévues et à tous les cas non répertoriés, mais sans aucun critère supérieur, sans aucune mesure transcendante, sans aucun point commun ni lien avec la transcendance du commandement divin.

En réalité, il s’agit d’une morale immorale, et, à ce propos, il me vient à l’esprit cette parole du Christ : « Si votre justice n’est pas supérieure à celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux » (Mt 5.20). Et c’est sur ce point-là que la parole de l’Ecclésiaste devient claire : Il ne faudrait pas devenir juste à l’excès, se comporter à la manière tatillonne, mais hypocrite des pharisiens et de leurs émules modernes.

Ainsi, à sa façon, l’Ecclésiaste nous apprend que le contraire du péché n’est pas le moralisme ou la vertu en tant que telle, mais la foi en Dieu. Certes, le contraire du moralisme ne consistera pas à s’adonner à la joyeuse déliquescence qui caractérise les modernes, mais à professer une foi salutaire au Dieu Sauveur. Car la morale, elle aussi, est conditionnée par notre finitude et par notre peccabilité. À son tour, elle est atteinte et envenimée par le péché et subit ses effets corrosifs. Il n’y a pas un seul juste, déclare l’Ecclésiaste (Ec 7.20), ainsi que le fera plus tard saint Paul (Rm 3.10). L’arrogance du moraliste qui ne se réfère pas à Dieu et pratique ses aunes et mesures fera de la vertu, même la plus élevée, un outil pour accomplir le mal.

En outre, l’auteur nous rappelle un autre écueil, celui de la raison pure, bien qu’il n’emploie pas l’expression kantienne. Non seulement il critique ceux qui se fient à la morale pratique, mais il vise encore ceux qui s’appuient sur la raison théorique en échafaudant des systèmes de pensée énormes et imposants. La spéculation de l’esprit humain ne peut connaître d’harmonie parfaite, elle ne possédera jamais, par sa propre vertu, la vérité. Toute tentative de résoudre les problèmes complexes de la vie à l’aide de la philosophie se brisera sur le rocher abrupt du mal radical qui s’appelle péché et chute.

La chute est un fait auquel penseurs, théoriciens, éducateurs et autres quémandeurs de sens ou marchands de signification devraient bien prêter attention. La chute existe, elle a existé, elle n’est pas le fait de Dieu qui crée toutes choses dans leur perfection initiale et l’harmonie absolue! Mais, voilà, après la création, il y eut la chute.

En resterions-nous là? L’Ecclésiaste, et la Bible tout entière avec lui, ne connaîtrait-il que ces deux grands motifs de la révélation : création et puis chute? Nullement. Car, même sur les pages de ce livre de l’Ancien Testament, nous percevons les lueurs de la rédemption. Certes, l’Ecclésiaste n’en parle pas aussi explicitement que le fera l’Évangile plus tard. Car il n’est ni prophète ni évangéliste; il est, pour l’instant, le prédicateur précurseur des apôtres. Cependant, il nous invite, à sa manière, à marcher par la foi. La foi, elle, n’est pas une vision claire, parfaite et exhaustive de la réalité. On n’est pas en mesure de tout comprendre et de tout expliquer parce qu’on a la foi, parce qu’on est en relation nouvelle et intime avec Dieu. Mais on demeure réaliste, voilà la nouveauté. Être réaliste, c’est faire preuve d’humilité, c’est accepter ses limites, c’est reconnaître ses insuffisances, c’est admettre les limites de son savoir. « J’ai dit : J’aurai de la sagesse. Mais elle reste loin de moi. Ce qui existe est loin, profond, profond, qui peut l’atteindre? » (Ec 7.23-24).

La sagesse biblique, toujours pratique, nous découvre quelques vérités élémentaires. L’une d’elles consiste à nous faire comprendre, enfin, que c’est une chose insensée et inique que de se comporter en méchant. En méditant cette nouvelle page de notre livre, nous restons avec la nette conviction que l’auteur, loin d’être un pessimiste broyant du noir, est au contraire l’homme qui a découvert le secret du vrai bonheur. Sa vie est riche et pleine parce qu’elle se déroule devant Dieu, animée par la crainte du Seigneur.

Essayons aussi rapidement d’éclairer, pour rassurer les lectrices de ces pages, cette lourde sentence de l’Ecclésiaste relative aux femmes. Je laisserai ici à Walter Lüthi, qui a consacré une série de méditations à ce livre, le soin de nous guider. Je pense qu’il y dit l’essentiel :

« Nous avons évidemment quelque peine à suivre l’Ecclésiaste quand il prétend que cette culpabilité générale humaine n’est pas répartie également entre hommes et femmes, quand il nous déclare : “Or, je trouve la femme plus amère que la mort, parce qu’elle est un piège, parce que son cœur est un filet et ses bras sont des chaînes. Celui qui plaît à Dieu lui échappe, mais le pécheur devient sa proie.” Bien entendu, il ne nous parle pas ici d’une fille de joie, mais des femmes en général… Les païens disaient qu’il y a trois fléaux particulièrement graves, le feu, l’eau, les femmes. Les Juifs comptaient quatorze maux principaux. Le treizième est la mort et le quatorzième, plus terrible encore, c’est la femme. On a cherché à atténuer la dureté de la parole de l’Ecclésiaste, en disant qu’elle concerne uniquement la femme qui se libère de sa destinée propre, quitte son foyer et se laisse séduire par des activités telles que les activités politiques. Mais on peut alors à bon droit se demander : Ces activités-là ne sont-elles donc pas sans danger pour les hommes? Quand l’Ecclésiaste remarque qu’entre mille individus il n’a pas trouvé une seule femme digne de ce nom, il n’y a là évidemment rien de bien flatteur. Cependant, il ajoute : “Parmi mille hommes, je n’en ai trouvé qu’un seul qui vaille.” Est-ce beaucoup plus flatteur pour nous autres hommes, quand nous ne nous prenons pas nous-mêmes pour cette glorieuse exception? Mais les Saintes Écritures nous apprennent que, si le péché fut introduit dans le monde par une femme, c’est aussi une femme qui nous donna notre Sauveur. Bien sûr, il y a une différence entre la création de l’homme et celle de la femme, mais il n’y en a pas entre leur valeur respective, comme le prétend toujours la sagesse amère et injuste des hommes. Et devant le péché et la grâce, il n’y en a tout particulièrement pas, car l’un et l’autre ont péché, sont privés de la gloire qu’ils devraient avoir devant Dieu et sont justifiés gratuitement par sa grâce. Devant la grâce, est-il écrit, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous êtes tous un en Jésus-Christ. »

Concluons notre méditation par le rappel des circonstances dans lesquelles vivent l’Ecclésiaste et ses contemporains. Ils vivent tous sous la pression d’une culture non croyante, idolâtre, et sont aisément tentés de se détourner du culte de Dieu Créateur et Rédempteur. Ils étaient prompts à conserver les apparences du culte tout en en niant la force intérieure ou négligeant ses exigences sans compromis. Tenons-en compte, amis chrétiens qui subissons actuellement les mêmes pressions de la sécularisation. À notre tour, nous risquons de maintenir des formes extérieures tout en niant la force de l’Esprit, et même le laissant éteindre. Nous le savons à nos risques et à nos dépens; aucune des formes nouvelles du paganisme ou des formes anciennes qui en resurgissent ne nous encouragent à l’heure actuelle à servir Dieu et à vivre en réalistes sous son regard.

Pourtant, depuis des siècles, nous partageons une joyeuse conviction : Nous avons été atteints par la pleine et suffisante révélation de la sagesse divine et par la rédemption de son amour. Peuple de Dieu, nous marchons dans et grâce à la sagesse de Dieu. Celle qui prit un visage se revêtit d’un corps et porta un nom : « Le Christ a été fait sagesse pour nous », déclare saint Paul (1 Co 1.30). Il est le Chemin, la Vérité et la Vie. Disons-le et redisons-le sans cesse à un moment où les constructeurs des tours de Babel modernes tiennent à nous priver non seulement de cette divine sagesse, mais encore s’acharnent à étouffer notre foi et notre espérance.