Cet article a pour sujet les problèmes éthiques reliés à la fécondation in vitro et aux techniques de procréation assistée impliquant la destruction d'embryons, c'est-à-dire la mort d'êtres humains.

5 pages. Traduit par Paulin Bédard

Embryons, fécondation in vitro et confusion entre la fin et les moyens

  1. Infertilité et techniques de reproduction assistée
  2. Des mensonges qui font du mal à « ces plus petits »
« En vérité, je vous le dis, dans la mesure où vous avez fait cela à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Parole de Jésus en Mt 25.40).

Un récent arrêt de la Cour suprême d’un État américain [du 23 février 2024] a suscité l’indignation, l’éloge et la confusion. La Haute Cour de l’Alabama s’est prononcée sur la question de savoir si sa loi sur la mort injustifiée s’appliquait aux embryons humains congelés1; en d’autres termes, les parents de ces enfants à naître pouvaient-ils porter plainte si ces embryons étaient détruits (= morts) par la négligence ou l’action intentionnelle d’une autre personne? Les embryons détruits ont été créés par fécondation in vitro (FIV). L’arrêt n’a cependant pas évalué, et encore moins interdit, cette technique, malgré les insinuations irresponsables de la presse et des experts politiques2.

Le tollé quasi hystérique a néanmoins été immédiat, comme si le ciel nous était tombé sur la tête. Et naturellement, les experts politiques, même du côté supposé conservateur, se sont empressés de prendre leurs distances avec la décision, soutenant avec force la technique de la FIV. La justification exprimée par l’ancien président Trump est typique et confond les moyens et les fins :

« Sous ma direction, le Parti républicain soutiendra toujours la création de familles américaines fortes, prospères et en bonne santé. Nous voulons faciliter la tâche des mères et des pères qui veulent avoir des enfants, et non la compliquer!3 »

La création de familles américaines fortes, prospères et en bonne santé est admirable et nécessaire compte tenu de la baisse du taux de natalité aux États-Unis4, mais cela n’a rien à voir avec la question. La question, fondée sur notre vision du monde, est de savoir quel mécanisme doit être utilisé, ou COMMENT il doit être utilisé, pour créer ces familles. Tout est-il vraiment permis tant que le résultat produit des « familles américaines fortes, prospères et en bonne santé »? En conclure ainsi, c’est vivre dans le mensonge. Venons-en à l’essentiel.

1. Infertilité et techniques de reproduction assistée🔗

L’infertilité est une douleur qui brise le cœur et nombreux sont ceux qui souffrent en silence. En outre, la technologie médicale peut, dans de nombreux cas, aider à lutter contre l’infertilité, ce qui est une bonne chose. La technologie déraille lorsqu’elle adopte « l’impératif technologique » : si quelque chose peut être fait, il faut le faire5, ce qui, si l’on n’y prend garde, peut entraîner les gens et la société dans des eaux morales troubles. L’eugénisme en est un excellent exemple. Si les sentiments racistes ont alimenté l’eugénisme6, certains efforts étaient bien intentionnés et visaient à améliorer les malformations congénitales et d’autres anomalies. Pourtant, en croyant à des mensonges, la Cour suprême des États-Unis a confirmé un programme de stérilisation obligatoire parce que « trois générations d’imbéciles suffisent7 », un bon résultat généré par de mauvais moyens. De même, le syndrome de Downs a été pratiquement « éliminé » en Islande, non pas en raison d’une guérison génétique, mais plutôt parce que les enfants atteints de ce syndrome ont tous été avortés8. Le même type de problème se pose lorsqu’il s’agit de technologies de reproduction assistée (TRA).

Ce problème survient lorsque les gens oublient que les moyens comptent. Même une bonne fin, comme avoir des familles saines et prospères, ne peut être réalisée moralement par des moyens contraires à l’éthique. C’est le problème de nombreux types de techniques de procréation assistée. La fécondation in vitro est l’une des méthodes de procréation assistée qui pose le plus de problèmes éthiques. En effet, la FIV combine un ovule et un spermatozoïde en dehors de l’utérus de la mère et de l’étreinte intime et aimante d’un mari et d’une femme; une fois que cela s’est produit, un nouvel être humain existe. L’étape suivante consiste à transférer cette personne de la boîte de Petri dans l’utérus d’une femme, qui peut être ou non la « donneuse d’ovules »9. Pourquoi tout cela pose-t-il un problème? Pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, pour maximiser les chances de réussite d’une naissance vivante, la pratique habituelle exige un « prélèvement d’ovules » afin d’obtenir des ovules utilisables. Il s’agit d’un processus ardu pour les femmes, car il accélère artificiellement l’ovulation, ce qui a souvent pour effet d’empêcher toute fécondité future. Ensuite, plusieurs ovules sont exposés aux spermatozoïdes, dans l’espoir d’une fécondation et donc d’un embryon. Là encore, dès qu’un embryon existe, une personne humaine existe, en dépit des mensonges que les gens se racontent à eux-mêmes. Cela signifie qu’au départ, on produit beaucoup plus d’êtres humains qui ne peuvent pas être immédiatement placés dans des utérus. Ils sont donc placés en animation suspendue dans des congélateurs, peut-être pour ne jamais être utilisés, ou pour être utilisés dans des expériences médicales ultérieures10. Ces êtres humains sont donc traités comme des objets au lieu d’être ce qu’ils sont en réalité : des sujets.

Ensuite, les embryons sont « évalués » et séparés, en fonction de la façon dont leurs cellules se divisent (méiose) et si des anomalies génétiques peuvent être détectées. Les embryons vivants « déficients » sont ensuite détruits.

Troisièmement, plusieurs embryons sont généralement implantés dans l’utérus de la femme. Pourquoi? Pour augmenter les chances qu’au moins certains « prennent » — tous ne le font pas et ces embryons meurent; mais si plusieurs embryons sont implantés et prennent, une procédure connue sous le nom de « réduction sélective » a lieu. La réduction sélective est un euphémisme qui consiste à tuer certains embryons vivants implantés et à les retirer de l’utérus afin d’éviter une autre « Octo-Maman11 » — le motif peut être qualitatif ou simplement quantitatif. Dans tous les cas, le résultat final est qu’un plus grand nombre d’êtres humains innocents meurent12.

Quatrièmement, le taux de réussite de la FIV est considérablement inférieur à celui des grossesses naturelles13, ce qui signifie qu’en implantant un embryon, on augmente automatiquement le risque de blessure ou de mort du petit être humain. D’un point de vue chrétien, s’engager dans des activités qui présentent un risque accru de préjudice à un moment ou à un autre viole le sixième commandement. Comme l’ont enseigné les théologiens de Westminster :

« Les devoirs requis par le sixième commandement sont les suivants : toutes les études soigneuses et les efforts légitimes pour préserver notre vie et celle des autres en résistant à toutes les pensées et à tous les projets, en maîtrisant toutes les passions et en évitant toutes les occasions, les tentations et les pratiques qui tendent à enlever injustement la vie de quelqu’un. » (Grand Catéchisme de Westminster, Q&R 135).

Les péchés interdits par le sixième commandement sont tous ceux qui consistent à ôter la vie à soi-même ou à autrui.

Cinquièmement, ce mensonge repose sur un mensonge implicite selon lequel les embryons n’ont pas vraiment d’importance s’ils ne sont pas désirés14. Les personnes deviennent des marchandises qui sont convoitées si elles sont désirées, mais qui peuvent être annulées si elles ne le sont pas.

En résumé, les mensonges véhiculés prétendent que la FIV « résout » les problèmes; ce n’est pas le cas. Au contraire, comme un calmar effrayé, la FIV expulse une encre noirâtre qui camoufle la mort qu’elle engendre inévitablement.

2. Des mensonges qui font du mal à « ces plus petits »🔗

L’une des raisons pour lesquelles les gens — par ailleurs pro-vie — esquivent la réalité morale de ce que signifie la destruction d’êtres humains au stade embryonnaire est qu’ils se sont imprégnés de mensonges implicites concernant la personne à naître. Ces mensonges se répartissent généralement en quatre catégories et chacune d’entre elles, si elle est crue, peut conduire à la mort d’une vie humaine innocente. La personne qui justifie la prétendue innocence morale de la destruction des embryons avance généralement quatre arguments de base, concernant l’embryon. Les embryons peuvent être éliminés (= tués) parce que :

  • ils sont plus petits;
  • ils sont moins développés;
  • ils ont un environnement différent, ou
  • ils ont un degré de dépendance différent15.

Aucune de ces considérations ne justifie la destruction d’une vie humaine innocente, car chacune impose un relativisme moral à une personne humaine. Comment devrions-nous donc répondre à ce genre de prétendues justifications?

Considérons et évaluons les mensonges relatifs à l’embryon à naître. Chaque justification courante sera abordée, mais d’une manière qui permettra aux lecteurs d’en parler « à l’homme de la rue ».

La taille : « Comment quelque chose d’aussi petit peut-il être considéré comme une personne humaine? Il ressemble à un amas de cellules. »

Réponse : Êtes-vous en train de dire que ceux qui sont plus grands et plus forts devraient contrôler et déterminer comment doivent vivre les plus petits et les plus faibles et même décider s’ils peuvent vivre? La disqualification d’une personne sur la seule base de sa taille est une discrimination irrationnelle qui n’a aucune justification morale. La dignité dépend-elle de la taille? Dans quel univers moral est-il juste que le plus fort domine sur le plus petit? Les plus petits et les plus vulnérables ne devraient-ils pas avoir droit à une plus grande protection, et non à une moindre?

Le niveau de développement : « L’enfant à naître ne peut ni penser, ni ressentir la douleur, ni savoir qu’il existe. »

Réponse : L’erreur ici repose sur l’idée que la valeur découle de l’aptitude et de la capacité. Cette idée est trompeuse. Il existe des personnes qui ne peuvent pas ressentir la douleur; d’autres existent mais ne sont pas conscientes de leur existence, comme les personnes endormies ou comateuses. Sont-elles donc jetables elles aussi?

L’environnement : « Il n’est pas encore dans le monde; il ne respire même pas d’air. »

Réponse : Tout d’abord, un embryon est bel et bien dans le monde, que ce soit dans un utérus ou dans une boîte de Pétri. Deuxièmement, l’embryon échange de l’oxygène, consomme des nutriments et grandit, comme n’importe quel autre être humain. Cette justification est tout simplement spécieuse et ne repose sur aucun principe.

Le degré de dépendance : « L’enfant à naître est totalement dépendant d’une seule personne. »

Réponse : La dépendance n’a rien à voir avec la dignité ou l’ontologie; si vous rencontrez un nourrisson en train de se noyer dans une piscine, ce nourrisson ne dépend que de vous — ce fait le disqualifie-t-il de l’appartance à l’humanité et donc du sauvetage? En outre, chaque nourrisson est totalement dépendant d’une autre personne; limiter cette prétendue logique de dépendance aux enfants à naître est arbitraire et manque donc de logique philosophique.

Pour que le Royaume s’étende, l’Évangile doit être proclamé. Dans la culture actuelle, cela signifie qu’il faut être informé et préparé pour comprendre et dissiper les mensonges qui résonnent en nous et dans notre culture16.

Notes

1. Pour un traitement médiatique, voir Brendan Pierson, « Explainer: Alabama’s highest court ruled frozen embryos are people. What is next? » [Explication : La plus haute juridiction de l’Alabama a statué que les embryons congelés étaient des personnes. Quelle est la prochaine étape?], Reuters, 23 février 2024.

2. NGregory Krieg et Kit Maher, « Nikki Haley says she believes embryos are children but disagrees with Alabama Supreme Court ruling » [Nikki Haley estime que les embryons sont des enfants, mais n’est pas d’accord avec la décision de la Cour suprême de l’Alabama], CNN, 22 février 2024. James Pollard, Michelle Price, Meg Kinnard et Bill Barrow, « Ahead of South Carolina primary, Trump says he strongly supports IVF after Alabama court ruling » [À l’approche des primaires de Caroline du Sud, Donald Trump affirme qu’il soutient fermement la fécondation in vitro après la décision d’un tribunal de l’Alabama], AP, 24 février 2024.

3. Note : TruthXchange est un ministère chrétien à but non lucratif et, en tant que tel, ne soutient ni ne s’oppose à aucun candidat à une fonction élective. Ces illustrations montrent toutefois que la vision du monde a un impact sur les choix politiques.

4. Melissa S. Kearney et Phillip Levine, « US births are down again, after the COVID baby bust and rebound » [Les naissances aux États-Unis sont de nouveau en baisse, après l’effondrement et le rebond de la natalité durant la covid], Brooking, 31 mai 2023. Voir aussi Ted Budd, et Amy Kate Budd, « The Birth Dearth: Why the Decline in Marriage and Total Fertility Is a Genuine Crisis » [La pénurie de naissances : Pourquoi la baisse du nombre de mariages et de la fécondité totale constitue une véritable crise], The Heritage Foundation, 6 mars 2024.

5. Voir Jeffery J. Ventrella, From Telos to Technos: Implications for a Christian Public Life and Ethic [De Telos à Technos : Implications pour une vie publique et une éthique chrétiennes], 2017.

6. Margaret Sanger, la fondatrice de Planned Parenthood, a adhéré à la théorie eugénique et a encouragé le contrôle des naissances afin d’éliminer ce qu’elle appelait les « mauvaises herbes humaines » du « jardin des enfants ». Voir Rasheed Walters, « Eliminating ‘human weeds’ at the root of anti-birth measures » [L’élimination des « mauvaises herbes humaines » à l’origine des mesures anti-natales], Boston Herald, 14 juillet 2022.

7. Oliver Wendall Holmes s’exprimant au nom de la Cour dans l’affaire Buck v. Bell, 274 U.S. 200, 1927.

8. Lucy Burk, « Hostile environments? Down’s syndrome and genetic screening in contemporary culture » [Des environnements hostiles? Le syndrome de Down et le dépistage génétique dans la culture contemporaine], NIH, 16 juin 2021.

9. Ces questions deviennent encore plus compliquées d’un point de vue éthique lorsqu’une mère porteuse non donneuse entre en ligne de compte, une situation qui dépasse le cadre de cette discussion.

10. Certains de ces enfants congelés sont sauvés en étant adoptés par des parents volontaires, ce qui est une option parfaitement morale. Rappelons que le Seigneur nous adopte (voir Jn 1.12). De plus, aucun enfant produit par FIV n’est moins humain, moins digne ou moins valorisé qu’un autre. Prétendre le contraire, c’est aussi vivre dans le mensonge.

12. Même si un seul ovule est utilisé et ensuite fécondé dans le cadre du processus de FIV, il subsiste un problème éthique, comme indiqué au point suivant. En outre, aucune de ces analyses n’aborde précisément la question de savoir comment on acquiert initialement des ovules et des spermatozoïdes — ce que l’on peut facilement imaginer — et si ces méthodologies franchissent les obstacles éthiques.

13. Par exemple, à 41 et 42 ans, le taux de réussite n’est que de 9,6 % et il tombe à 2,9 % après 42 ans. Voir Becca Stanek, « IVF Success Rates By Age In 2024 » [Taux de réussite de la FIV par âge en 2024], Forbes Health, 18 septembre 2023.

14. Les lecteurs perspicaces reconnaîtront qu’il s’agit d’une démarche gnostique : la valeur d’autrui dépend de son désir, une notion totalement subjective qui dépend des désirs internes et des sentiments fugaces de chacun, tout en ignorant les réalités biologiques et métaphysiques.

15. Mes illustrations sont tirées de la présentation de Steve Wagner, « The Sled Test — Four Top Arguments » [Le test « sled » — Quatre arguments majeurs], Focus on the Family, 28 octobre 2022.

16. Pour plus d’informations : Oliver O’Donovan, Begotten or Made? [Créé ou fabriqué], 2022; Stephanie Gray Connors, Conceived by Science: Thinking Carefully and Compassionately about Infertility and IVF [Conçu par la science : Réfléchir avec prudence et compassion sur l’infertilité et la FIV], 2022; « Comprehensive Report on the Risks of Assisted Reproductive Technology » [Rapport complet sur les risques des techniques de procréation assistée], Center for Bioethics & Culture Network.