Cet article a pour sujet l'utopie de l'égalitarisme qui veut détruire toute structure d'autorité, celle des parents et du père de famille, et qui cherche l'uniformité et rejette la notion de genre et la sexualité selon la Bible.

5 pages. Traduit par RC

La fin de la famille?

En tant que chrétiens observant les énormes changements de comportement dans la culture occidentale, nous devons évaluer ce que notre témoignage public signifiera dans les jours à venir, que ce soit pour nous individuellement, pour l’Église dans son ensemble ou pour nos enfants. Nous ne pouvons pas faire comme si de rien n’était. Quelqu’un a récemment observé : « Si l’on considère le christianisme américain comme un pendule, nous sommes actuellement à l’extrême opposé du Premier Grand Réveil.1 »

Le principe « progressiste » que j’ai évoqué dans un article précédent croit que l’histoire est toujours « en progression ». Il n’existe pas de choix intemporel entre le monisme et le dualisme. Les progressistes n’ont pas confiance en un Dieu souverain, ils doivent donc essayer constamment de créer leurs propres versions toujours nouvelles de l’utopie. Ils deviennent des rédempteurs autoproclamés qui créent des récits de malheur convaincants et urgents et proposent ensuite un nirvana culturel pour l’espérance du monde. La vision utopique est généralement une forme d’égalitarisme radical ou de similitude, exprimée à son mieux dans la notion marxiste : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins. »

Pour réaliser une utopie égalitaire, il faut détruire l’autorité sous toutes ses formes. La structure d’autorité humaine la plus rudimentaire et la plus cruciale est l’autorité des parents sur leurs enfants. Le marxisme à l’ancienne a essayé de s’emparer de la culture par la destruction de la famille. La version marxiste la plus récente fait de même. Afin de saper la famille, il faut rejeter les récits de la Genèse. Jordan Peterson, un psychologue très populaire, ne sait pas trop quoi faire de la Bible, sauf la garder, l’étudier et essayer de l’honorer. Récemment, la faculté de théologie de Cambridge (au Royaume-Uni) ne lui a pas permis d’y enseigner. Peterson veut s’en tenir à certaines « histoires anciennes » :

« Il importe que les gens du monde entier comprennent ces histoires anciennes. C’est très important. Nous avons perdu nos amarres, parce que nous ne partageons plus la structure que ces histoires garantissent. C’est psychologiquement déstabilisant. Cela produit un nihilisme pathologique et désespéré de plus en plus courant et, en même temps, une propension prononcée à la certitude idéologique qui imite, mais ne peut remplacer la vraie croyance religieuse. Ces deux conséquences seront, comme l’indiquent certainement les preuves, source de division et vraiment dangereuses.2 »

Le 6 mars 2019, Jihan McDonald a publié un article intitulé « Beyond Patriarchy: An Unexpected Encounter » [Au-delà du patriarcat : une rencontre inattendue], dans lequel elle cherche à « habiliter les gens et les organisations à créer des solutions culturelles axées sur la valeur, enracinées dans la diversité, l’équité, l’inclusion et la guérison3 ». L’article est publié dans Tikkun Magazine, créé par Rabbi Michael Lerner, un homme de la gauche radicale des années 1960. Mme McDonald est une lesbienne féministe noire et une directrice spirituelle. Le titre du magazine en hébreu signifie « Réparation/Rectification » et donc « réparer le monde ». L’article de McDonald représente le fruit mûr de l’utopisme révolutionnaire des années 1960.

Les premiers égalitaristes se battaient pour le « fair-play » dans la culture et dans l’Église, mais peu voyaient ce qui se profilait à l’horizon. Cet article développe une nouvelle définition du patriarcat. Nous devons maintenant embrasser toutes les formes « de diversité, d’équité, d’inclusion et de guérison ». L’uniformité est l’objectif. En d’autres termes, la destruction du patriarcat est justifiée parce qu’il est perçu comme un opposant néfaste à l’égalitarisme totalitaire, qui doit faire éclater toute distinction sexuelle et de genre.

Le patriarcat auquel Mme McDonald s’oppose n’est pas enraciné dans une simple réaction contre l’inégalité salariale ou une restriction sur les rôles que les femmes peuvent jouer dans l’armée. L’attaque contre le patriarcat à l’ancienne était dirigée contre la famille naturelle, dans laquelle les maris étaient considérés comme des pères et des protecteurs, et les femmes comme des mères déterminées à élever leurs enfants, privant ainsi les femmes de leur liberté. De cette vision « libérée », l’Église s’est scindée en deux groupes : ceux qui ont ouvert la direction de l’Église aux hommes et aux femmes, et ceux qui ont défendu le complémentarisme biblique, dans lequel les hommes occupent des postes ordonnés, mais les femmes sont respectueusement considérées comme des compléments essentiels pour le plein fonctionnement du corps du Christ.

Nous n’avons plus affaire à cette définition du patriarcat. Le 27 février 2019, un juge canadien a statué que les médecins pouvaient commencer à injecter de la testostérone à une fillette de 14 ans sans le consentement parental. Tant pis pour le rôle important des pères et des mères4!

Le patriarcat démodé a été critiqué parce qu’il considérait l’histoire comme étant son histoire à lui [à l’homme]. « L’histoire masculine de l’humanité », dit McDonald, « avec ses préjugés masculins, n’est plus toute l’histoire. » McDonald continue :

« Dans ma propre existence non binaire, ce qui est à lui ou ce qui est à elle n’arrivent pas à rendre compte entièrement de [mon histoire]. Si l’on doit parler de soi-même en se considérant comme une unité complexe, en se considérant comme un microcosme de l’histoire totale de l’univers, de ce qui vit au-delà du catégorique, alors on doit sortir de son histoire à lui et de son histoire à elle et entrer dans cette histoire : cette histoire que la terre se raconte à travers nous, cette histoire que la terre raconte à l’univers à travers nous, et vice versa. Cette histoire vit à l’intersection étrange de son histoire à lui et de son histoire à elle. Une seule histoire. Sans genre. Altersexuelle. Durable.5 »

« Au-delà du patriarcat » est une extension radicale de ce que les années 1960 ont commencé. On nous dit maintenant qu’être une femme ou un homme n’est pas quelque chose que l’on est, mais quelque chose que l’on décide de faire. Biologiquement, il n’y a pas d’« hommes » et de « femmes »6. Cette thèse est exprimée avec force dans les écrits de Judith Butler, féministe postmoderne, dans ses livres Gender Trouble : Feminism and the Subversion of Identity [Problème de genre : Le féminisme et la subversion de l’identité] (1990)7 et Undoing Gender [Mettre fin au genre] (2004)8. Elle voit le genre comme « une théorie de la performativité »9. Il n’y a pas de création divine prédéterminante. Il n’y a que l’autocréation. On se souvient de la célèbre déclaration de l’une des premières féministes, Simone de Beauvoir, qui déclarait déjà en 1949 : « On ne naît pas femme, on le devient.10 » Le genre est un statut construit radicalement indépendant de la biologie ou des traits corporels, « un artifice flottant, avec pour conséquence que l’homme et le masculin peuvent aussi bien signifier un corps féminin qu’un corps masculin, et que la femme et le féminin peuvent aussi bien signifier un corps masculin qu’un corps féminin11 ».

Cette culture sera-t-elle pratiquement invivable pour les chrétiens? Comment aimer à la fois les hommes et la vérité, si nous devons nier l’humanité essentielle? Une mère chrétienne noire, Izzy Montague, de Croydon, dans le sud de Londres, a été qualifiée « d’homophobe » après avoir affirmé en direct à la télévision qu’être gai est un choix et que personne ne naît homosexuel. Elle a été violemment critiquée par les téléspectateurs de l’émission Good Morning Britain d’ITV, qui prétendaient qu’elle était « bornée » et qu’elle venait « des années 1500 » avec des opinions « absolument dégoûtantes12 ». Un téléspectateur a écrit à l’émission : « De quel siècle avez-vous extrait cet invité?13 »

La nouvelle conception du « patriarcat » est si largement acceptée que la distinction est devenue très insultante pour les législateurs. Le ministère californien de l’Éducation, qui fait partie de cette réalité « post-patriarcale », propose de nouvelles « directives sanitaires » dans une brochure intitulée Qui êtes-vous? Avec une assurance désarmante, ces éducateurs modernes expliquent aux élèves qu’il y a au moins quinze genres et qu’il est impossible pour quiconque de déterminer si un bébé est un garçon, une fille ou autre chose14.

Les croyants chrétiens doivent faire savoir avec sollicitude et respect que la destruction du patriarcat élimine la réalité de la paternité, sans laquelle il n’y a pas de famille. C’est aussi un rejet de l’étonnante révélation enseignée par Jésus concernant Dieu, le Père aimant, qui est à la base même du message chrétien. La paternité est la base du succès de la chrétienté occidentale qui, avec toutes ses fautes, a duré des siècles, fondée sur la foi en Dieu comme Père et Créateur. Le rejet du patriarcat est une forme de gnosticisme, puisque les gnostiques ont rejeté le caractère donné de la création au profit de leur propre vision subjective de la réalité. Le philosophe Eric Voegelin (1901–1985) a noté : « Tous les mouvements gnostiques sont impliqués dans le projet d’abolir la constitution de l’être, avec son origine dans l’être divin, transcendant.15 »

En tant que chrétiens, nous devons montrer par nos vies et par nos paroles que la nécessité de faire des distinctions est l’objectif, la clé du dualisme dans le cosmos créé et la seule façon d’approcher Dieu, le saint Créateur et Rédempteur. La tentation est de « s’autocensurer » en se taisant. Toutefois, exiger le silence des croyants, c’est comme demander aux premiers chrétiens de brûler de l’encens à César comme Seigneur dans une expression active du polythéisme. Nous devons faire preuve d’amour envers les personnes « sans genre » tout en aimant d’abord notre Créateur et Père. Nous devons expliquer à nos enfants chrétiens que la « non-sexualité », dans son essence même, est une négation de Dieu, tout en leur apprenant à respecter chaque être humain, car ils sont tous faits à l’image de Dieu. L’amour du Christ est disponible pour tous. L’Église doit montrer l’amour de Jésus aux homosexuels et aux personnes « devenues sans genre », même si notre témoignage signifie perdre notre emploi ou notre réputation. En ces temps de rejet délibéré des foyers et des pères, puissions-nous faire de nos familles des lieux d’accueil pour ceux qui sont dans le besoin. Le message chrétien ne doit pas être réduit au silence, mais il doit s’accompagner d’actes courageux d’amour et d’expressions audacieuses de sollicitude. Bien que cette culture post-patriarcale soit différente de toutes celles que nous avons connues jusqu’à maintenant, c’est le lieu où Dieu nous a mis pour prêcher l’Évangile avec une grande clarté.

Cette culture utopique, conduisant à la dystopie16, ne sera qu’une utopie pour les progressistes déniant Dieu qui se sentent appelés à sauver leur monde en éliminant toute structure créatrice. Cette utopie échouera. Elle implosera. Nous devons donc prier pour que Dieu ait pitié de nous, qu’il se serve de notre courageux témoignage de sa vérité et que, dans cette culture, il suscite la faim de sa Parole, de sa volonté et de son honneur, dont dépend toute dignité humaine. Un jour, l’utopie finale viendra lors du banquet des noces de l’Agneau, où le Christ, l’Époux et le Patriarche, prendra son Épouse, l’Église, pour la faire entrer dans une réalité renouvelée qui rendra éternellement gloire à Dieu, son Créateur et Sauveur. En ce jour-là, les dernières paroles de l’Écriture seront entendues dans tout le cosmos par la bouche des membres de la famille renouvelée de Dieu : « Tu es digne, notre Seigneur et notre Dieu, de recevoir la gloire, l’honneur et la puissance, car tu as créé toutes choses, et c’est par ta volonté qu’elles existent et qu’elle furent créées » (Ap 4.11).

Notes

1. John Stonestreet and G. Shane Morris, « Why Hell Still Belongs in a Christian worldview » [Pourquoi l’enfer fait toujours partie d’une vision chrétienne du monde], Christian Post, 26 mars 2019. N.D.T. : Le Premier Grand Réveil est une série de réveils chrétiens qui ont balayé la Grande-Bretagne et ses treize colonies entre les années 1730 et 1740. Ce mouvement de renouveau a été marqué par la figure de grands prédicateurs parcourant des kilomètres pour prêcher l’Évangile et appeler à la conversion. Il a grandement contribué à la redynamisation de la vie religieuse.

2. « Jordan Peterson: I wish Cambridge’s Faculty of Divinity the obscurity it deeply deserves » [Jordan Peterson: Je souhaite à la faculté de théologie de Cambridge l’obscurité qu’elle mérite], National Post, 20 mars 2019.

3. Jihan McDonald, « Beyond Patriarchy: An Unexpected Encounter » [Au-delà du patriarcat : Une rencontre inattendue], Tikkun, 6 mars 2019.

4. John Sikkema, « Canada: Court orders father to support 14-year old daughter’s gender transition » [Canada: Le tribunal ordonne au père d’appuyer la transformation du sexe de sa fille de 14 ans], The Post Millenial, 22 mars 2019.

5. Jihan McDonald, « Beyond Patriarchy: An Unexpected Encounter » [Au-delà du patriarcat : Une rencontre inattendue], Tikkun, 6 mars 2019.

6. Benoit Denizet-Lewis, « The Scientific Quest to Prove Bisexuality Exists » [La quête scientifique pour prouver que la bisexualité existe], The New York Times Magazine, 20 mars 2014.

7. Judith Butler, Gender Trouble: Feminism and The Subversion of Identity [Problème de genre : Le féminisme et la subversion de l’identité] (New York : Routledge, 2006, 1999, 1990). Voir le compte-rendu de son travail sur Wikipédia.

8. Benoit Denizet-Lewis, « The Scientific Quest to Prove Bisexuality Exists » [La quête scientifique pour prouver que la bisexualité existe], The New York Times Magazine, 20 mars 2014.

9. N.D.T. : La performativité est le fait pour un signe linguistique (énoncé, phrase, verbe, etc.) d’être performatif, c’est-à-dire de réaliser lui-même ce qu’il énonce. Le fait de prononcer un de ces signes fait alors advenir une réalité.

10. Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe (Gallimard, 1949, 2004), cité dans Judith Butler, Gender Trouble : Feminism and The Subversion of Identity [Problème de genre : Le féminisme et la subversion de l’identité] (New York : Routledge, 1990, 1999, 2006), 1.

11. Judith Butler, Gender Trouble: Feminism and The Subversion of Identity [Problème de genre : Le féminisme et la subversion de l’identité] (New York : Routledge, 1990, 1999, 2006), 9.

12. Mark Duell, « GMB viewers brand Christian mother “homophobic” for telling gay father his sexuality is a “choice” during debate on LGBT lessons in schools » [Les téléspectateurs de GMB qualifient la mère chrétienne d’« homophobe » pour avoir dit au père gai que sa sexualité « est un choix » lors d’un débat sur les cours LGBT dans les écoles], Daily Mail, 22 mars 2019.

13. Ibid.

14. « Parents Cannot Opt Out of California’s New Transgender Cram Down » [Les parents ne peuvent pas se soustraire à la nouvelle loi californienne sur les transsexuels], The Revolutionary Act, 25 mars 2019.

15. Eric Voegelin, Science, Politics, and Gnosticism: Two Essays [Science, politique et gnosticisme : Deux essais] (Chicago : Henry Regnery, 1968), 99-100, cité dans « The New Gnosticism of the Homosexual Movement » [Le nouveau gnosticisme du mouvement homosexuel], The Catholic World Report, 12 mars 2015.

16. N.D.T. : Récit de fiction pessimiste se déroulant dans une société terrifiante (par opposition à utopie).