Cet article a pour sujet le pouvoir de Satan, le prince de ce monde qui a subi la défaite aux mains du Christ. Jésus exerce sa seigneurie actuelle, en attendant sa victoire finale sur le diable et le mal.

Source: Espérer contre toute espérance. 8 pages.

La fin de Satan

  1. Satan le tentateur
  2. La seigneurie actuelle du Christ
  3. Tout est accompli
  4. Le monde

1. Satan le tentateur🔗

La foi chrétienne s’édifie et se consolide par la connaissance de la victoire décisive que le Seigneur a remportée sur le « prince de ce monde ».

Nous n’avons pas l’intention de développer dans le présent chapitre une satanologie biblique complète et systématique. Nous nous proposons d’examiner à la lumière de la victoire effective du Christ et de son autorité actuelle les données relatives à la fin du pouvoir de l’Ange des ténèbres. Faut-il rappeler qu’en ce domaine, peut-être encore plus qu’ailleurs, nous devons exercer une extrême vigilance à l’encontre de toute curiosité malsaine? À cet égard, toute idée se voulant originale risque d’exciter une curiosité sans lien avec les données bibliques et, sous prétexte de faire de la satanologie biblique (au détriment des sains enseignements de la Bible), on risque plutôt de donner naissance à une dangereuse hérésie de plus…

Les épisodes bibliques où on voit apparaître Satan sont de nature à la fois historique et théologique. Il entre en scène pour tenter, pour posséder et pour opprimer (Ève, Job, Zacharie, Jésus).

Une certaine théologie moderne estime que la démonologie ou la satanologie biblique aurait subi une forte influence de la part de la religion dualiste perse. À notre avis, la satanologie perse est à la fois dualiste et anhistorique (au sens de mythique). Celle de la Bible est invariablement historique et théiste. La différence entre elles n’est donc pas de degré, mais de nature. Elles sont par conséquent irréconciliables. Les deux tentations fondamentales de l’histoire, celle d’Adam et Ève et celle de Jésus, mettent à jour la tentative satanique de manipuler la Parole de Dieu dans le dessein de la substituer par le discours de la créature. La première est présentée comme étant obscure, mystérieuse, inintelligible. La seconde comme claire, intelligible flamboyante… Satan offre à l’homme la possibilité inouïe de « devenir dieu » ou de se considérer comme tel. L’homme déterminera de lui-même, de manière autonome, ce qui est bon ou mauvais. Au lieu du décret éternel de Dieu, il devient la source de sa propre prédestination…

Destinée autonome par rapport à Dieu, voilà une perspective largement ouverte devant l’esprit rebelle de l’homme. C’est cette religion de la tentation — et toute philosophie-théologie se fondant sur elle — qui constitue la base et les composantes d’une démonologie non biblique. D’ailleurs, une telle religion fournit l’essence même de tout relativisme, qu’il soit théologique ou éthique : celui du pragmatisme, du positivisme, de l’existentialisme, du marxisme et de tous les systèmes de pensée humanistes athées apostats, prissent-ils la forme d’une théologie « chrétienne » libérale.

Depuis son origine, l’Église fidèle a refusé toutes les formes populaires ou théoriques d’une croyance aux démons recélant l’influence païenne des éléments dualistes, totalement étrangère à la révélation. L’antidote en a toujours été une foi orthodoxe fondée et nourrie sur et par l’Écriture sainte.

2. La seigneurie actuelle du Christ🔗

La confession de foi de l’Église primitive dans le Christ comme Seigneur (Kurios Christos) s’opposait à la fois à l’empereur romain avec ses prétentions de César universel et à Satan, l’usurpateur par excellence, actuellement détrôné, et ce pour toujours. Effectivement, la seigneurie de Jésus-Christ met fin au pouvoir « délégué » que détenait le Prince de ce monde. Il nous faut prendre garde à ne pas reléguer cette autorité totale et effective de Jésus à une ère future, à un millénium eschatologique sans lien avec notre époque et nos propres expériences actuelles dans la foi. Elle est déjà maintenant et ici une réalité.

Le Nouveau Testament se fait l’écho de l’Ancien prenant à son compte la célèbre affirmation du Psaume messianique 110 (cité dans Ac 2.34-36; 5.31; 7.55; Rm 8.34; 1 Co 15.25; Ép 1.20-23; Col 3.1).

La pensée du Psaume 110 et l’interprétation qu’en donne le Nouveau Testament s’appliquent parfaitement à l’autorité présente du Messie. Celle-ci persistera jusqu’à ce que tous ses ennemis lui soient assujettis. Au jour de sa colère, il frappera les rois, sera juge des nations et son peuple se réjouira enfin de ses triomphes.

Quel est cet événement ultime et quand se produira-t-il? Pour le Nouveau Testament, il n’y a pas l’ombre d’un doute; il atteste la réalité présente de cette autorité. Isolé de son contexte et du reste du Nouveau Testament, 1 Corinthiens 15.25 pourrait laisser entendre qu’il s’agit d’un règne futur. Mais si nous le relions à Actes 2.34-36, il apparaît clairement qu’il est envisagé, ici comme ailleurs, à un règne déjà actuel et effectif. En sa qualité de Messie exalté, le Christ détient déjà une souveraineté totale. Aussi est-il en droit d’exiger de tout homme la foi en lui et la repentance des péchés. Ce fut précisément sur ce point-là que Pierre insista le jour de la Pentecôte.

Il annonçait le fait de l’établissement du Christ comme Seigneur. Il lui appliquait le titre de Kurios, qui est lourd de sens, à la fois politique et religieux. Le terme traduit en grec est l’Adonai de l’Ancien Testament hébreu (Ph 2.9-11 et És 45.23; 1 Pi 3.14 et És 8.13; Rm 10.13 et Jl 3.5). Ainsi, nous apprenons ce qui constituait le noyau même de la confession de foi primitive : Christ est Kurios. Du fait que Dieu seul est Seigneur, il délègue son pouvoir à Jésus, et celui-ci est déjà maintenant en train d’exercer son pouvoir royal. Son ascension et son exaltation établissent aux yeux de la foi son autorité universelle (ce qui devrait être clairement aperçu par tout le monde).

Commentant cette désignation du Christ comme Seigneur, qui sera par la suite l’essentiel de la confession primitive de la foi, O. Cullmann écrit :

« Pour les premiers chrétiens, cela signifie que Christ n’est pas seulement le véritable souverain des hommes à la manière d’un empereur romain, mais celui de la création tout entière, visible et invisible.1 »

Dans Hébreux 10.12-13, nous lisons la prédiction de l’assujettissement des ennemis du Christ. Il fera d’eux ses marchepieds. Selon Westcott, il ne lui reste à présent qu’à cueillir tout simplement les fruits de sa victoire.

D’autres textes du Nouveau Testament (Ép 1.20-23; 1 Pi 3.22; Ap 3.21) attestent cette seigneurie universelle actuelle. Toutes les principautés, puissances, dominations, noms, quels qu’ils soient, lui sont soumis. Dans les limites de ce chapitre, nous ne pouvons pas entrer dans une longue explication de ces termes; contentons-nous de rappeler qu’ils désignent à leur manière Satan (n’en déplaise à ceux qui n’y voient qu’une simple autorité politique). Certes, l’aspect actuel du règne du Christ n’épuise pas toute la signification prophétique du Psaume 110. Dans celui-ci, les deux aspects de son avènement, présent et futur, semblent étroitement entremêlés, difficilement distingués l’un de l’autre. Pourtant, une chose demeure claire et indiscutable : la royauté du Christ et sa seigneurie universelle sont des faits établis et attestés aussi bien par la foi et l’espérance de l’Ancien Testament que par celles du Nouveau Testament.

Pour la Bible, il n’existe pas de dualisme métaphysique. Elle révèle un dualisme éthique, une opposition entre la Parole de Dieu et une volonté rebelle à celle-ci. Le premier est de nature intemporelle, mythique; le second est théologique et historique. Jamais les forces du mal et du malin n’égaleront la puissance de Dieu. Satan a cherché à troubler, à nuire, à défaire et à s’opposer à l’établissement du règne de Dieu. Il cherche à fonder et à établir son régime sur le mensonge, sur l’iniquité et sur la mort. Depuis le commencement, les forces des ténèbres, avec Satan en tête, se sont opposées à la souveraineté de Dieu et au bien-être de ses élus (Mt 12.24-26; Lc 4.5-6; Ép 2.3). Si à première vue leur pouvoir semble égaler celui de Dieu, en réalité il n’en est rien. Elles n’ont ni assises solides ni une durée indéfinie.

C’est à cet endroit que saute aux yeux, une fois de plus, la différence d’approche et d’interprétation entre une conception millénariste, même évangélique, du règne du Christ et notre conviction biblique et réformée au sujet de l’actualité de l’autorité du Christ.

La première reconnaît une seigneurie du Christ réelle, mais future et lointaine. Elle ne serait effective que lors de l’avènement du Christ sur terre. Cette seigneurie ne s’exercerait que sur des vies individuelles. D’où l’apolitisme et l’acosmisme de nombre d’évangéliques ou encore les faibles motifs invoqués lorsqu’ils s’engagent dans le monde! Une telle conception revient à marcher contre toute espérance, voire même sans la foi en l’autorité du Seigneur dont ils veulent témoigner de la seigneurie.

Car si l’autorité du Christ ne peut être exercée que dans un futur lointain, on peut s’interroger avec raison au sujet de ce qui s’est vraiment produit sur le Calvaire. La thèse hautement fantaisiste d’Origène n’est pas, bien entendu, plus plausible. Selon le grand théologien du 3siècle, le triomphe de Jésus sur Satan fut le fait d’une ruse fabriquée par Jésus. Ainsi, en livrant le Christ à la mort, Satan s’imagina détenir entre ses mains un pouvoir absolu. Mais Christ ayant accepté de jouer le jeu de Satan, il déjoua tout simplement de manière magistrale le plan diabolique… En somme « à malin, malin et demi! »

(Est-ce cette idée bizarre qui amena Origène à penser à une apocatastase finale, c’est-à-dire au rétablissement total de toutes choses, y compris celui de Satan, et sa réhabilitation?)

3. Tout est accompli🔗

Quel est le sens de cette déclaration du Sauveur crucifié? Quel est son lien avec la résurrection et l’exaltation du Christ? Celui-ci est-il le Seigneur effectif des nations ou végète-t-il dans l’expectative d’un pouvoir à hériter? N’a-t-il pas lié l’homme fort, vu Satan tomber du ciel?

Autrement, pour quelle raison et sur quel fondement appellerions-nous les hommes à la foi en lui et à la repentance? Pourquoi chercherions-nous à amener toute pensée captive à l’obéissance du Christ? Or, l’existence de l’Église et sa foi, ainsi que sa mission évangélisatrice, ne se fondent et ne dépendent que de la conviction de l’autorité présente et effective du Seigneur Jésus-Christ.

Une satanologie biblique suppose une christologie biblique, et plus précisément encore une sotériologie biblique, à savoir la doctrine du salut, la rédemption achevée par le Fils de Dieu.

C’est sur le terrain de l’expiation que le pardon des offenses est offert. Christ est venu sauver son peuple élu, l’arracher à la malédiction, le soustraire et l’affranchir définitivement du pouvoir des ténèbres qui avaient envahi le monde. En mourant sur la croix, il a libéré l’Église du pouvoir de Satan. Notre rédemption repose sur cette réconciliation déjà opérée. Le « Tout est accompli » résonne alors à nos oreilles non pas comme le cri désespéré d’une victime sans défense, mais en tant que la déclaration du Sauveur qui sait qu’il remporte la victoire au prix de son sacrifice.

Après sa passion et sa mort, le Christ peut mener le monde vers la perfection. Par la foi en son œuvre, son peuple peut bénéficier des fruits de celle-ci (1 Jn 5.4). Si cet aspect de la sotériologie du Nouveau Testament ne soulève — apparemment au moins — aucune objection majeure chez les millénaristes, il ne semble pas en être de même en ce qui concerne l’acception et la signification théologique du terme le monde. Accordons-lui une brève attention.

4. Le monde🔗

Nous aurons à y distinguer deux faces. Le monde perdu dans le péché et soumis à Satan; le monde en tant que domaine et champ qui appartiennent effectivement, définitivement et incontestablement à Dieu, le seul Souverain. Le péché exerçant son pouvoir dévastateur sur ce monde, il y a la nécessité, voire l’urgence, d’y proclamer l’Évangile de la libération pour amener l’homme à la foi et à la repentance.

Mais il a été acquis et racheté; à présent, il est la propriété exclusive de Dieu. Le sacrifice de la croix en a été le prix. Le Fils y règne. Cette victoire du Christ sur Satan assure à l’Évangile et à sa proclamation une porte ouverte (Ap 3.8). En dehors de son autorité, tout prétendu pouvoir n’est qu’usurpation de pouvoir, une imposture et un comportement félon.

C’est fondés sur cette autorité que nous menons notre existence dans la foi et que nous avons le privilège et la responsabilité d’être les témoins du Royaume. Le Saint-Esprit ne se limite pas à nous régénérer. Il applique la victoire du Christ à notre vie et place notre mission à son bénéfice. Sans la réalité de la seigneurie du Christ, il n’y aurait aucune possibilité de renouveau de la foi dès à présent, et le monde serait toujours soumis à Satan. L’alternative est : ou bien Christ est vainqueur ou bien Satan continue à mener la danse. Si le premier rachète et restaure, le second cherche à dévaster et à démolir. Pourtant, Colossiens 2.15 nous assure de l’éclatante victoire du premier et de l’écrasante et mortelle défaite du second.

Certes, le « déjà » ne devrait pas nous faire oublier et encore moins récuser le « pas encore ». On devra tenir compte de la tension engendrée par une hostilité persistante (Lc 10.18-19). Le moins qu’on puisse dire d’après la perspective biblique, c’est que la victoire du Christ sur Satan, sur le péché et sur la mort a produit une nouveauté de vie dans les rapports avec le Christ (Dieu est en Christ), offerte à la foi de celui qui croit. Déjà, il est établi Seigneur des nations. Inversement, Satan n’a plus de liberté et d’autorité pour tromper définitivement les nations. Il ne peut plus les tenir enveloppées dans ses ténèbres démoniaques (Ap 20.3).

L’Écriture souligne abondamment la relation intime entre le Messie et les nations (És 42.1,6; 49.6,22; 52.10,15; 55.4-5; 60.3-5; 61.6; 62.2; Ph 2.6-11). Si le Christ est intronisé comme leur Seigneur, Satan, lui, est détrôné. Si ce dernier restait le prince du monde, Christ ne pourrait prétendre au titre de Seigneur cosmique. Beaucoup de ce qui vient d’être affirmé repose sur le sens que l’on donnera au terme monde.

En un sens, ce terme désigne le monde inhabité et l’ordre et l’harmonie qui y sont établis; l’univers comprenant à la fois les cieux et la terre ainsi que l’humanité en général. Ce monde-là est opposé à Dieu. Le quatrième Évangile nous offre une variété de sens rattachés à ce terme. Mais l’essentiel de ce qu’on peut dégager de ces pages est que la force rédemptrice du Logos incarné a délogé et a limité le champ d’activité de Satan. Ceci est déclaré dans la ligne de la théologie de l’incarnation et de la rédemption johannique (Jn 12.31; 14.30; 16.11). Cependant non seulement l’Accusateur est chassé du « ciel », mais encore du cosmos visible (1 Jn 2.13-14).

Dans ce sens-là, le cosmos désigne le monde transitoire. Il souligne la durée circonscrite de l’activité satanique dans le monde. Celui-ci est en train de se précipiter vers sa perte.

Aussi bien chez Jean que chez Paul apparaît une nouvelle conception du monde. Le cosmos est devenu le théâtre de l’activité salvatrice de Dieu par Christ en tant que le lieu de la révélation du Christ. Il ne faut pas oublier son caractère d’opposant, d’antithèse. Le conflit entre le prince de ce monde (archon tou cosmou…) et l’histoire du salut non seulement persiste, mais l’opposition devient plus farouche de la part de l’adversaire. Dans ce monde le poneros, le rusé Malin reste actif. Mais Christ put déclarer : « J’ai vaincu le monde » (Jn 16.33). Pas de doute à ce sujet, même si ici et là des poches de résistance — bien qu’en déroute et vouées à l’échec — sont encore éparpillées sur le territoire en menant un combat d’arrière-garde.

Selon le Nouveau Testament, Satan est en rapport particulier avec le désordre qui s’appelle le mal, qui est son œuvre (2 Co 4.3-4; Ép 2.2; 6.12). Les pharisiens avaient une idée à peu près proche de celle de Paul. À leurs yeux, Satan exerçait son pouvoir démoniaque (Mt 9.34; 12.24; Mc 3.24; Lc 11.14-15). Pour saint Paul, son influence s’étend notamment sur les esprits des non-croyants. Ceux-ci lui restent perméables (même conviction chez les Israélites pour qui Satan est le prince des goiim, des nations).

Mais même ainsi, nous ne saurions ignorer ou sous-estimer la victoire du Christ, son investiture royale après l’offrande de sa personne suivie de sa résurrection et de son ascension. « Toute autorité m’est accordée, » dira-t-il à ses disciples réunis pour la dernière fois (Mt 28.18). Déjà avant, envoyant les 70 pour une mission temporaire, il leur annonçait qu’il avait lié l’homme fort. Il avait vu Satan tomber du ciel (Lc 10.18). Celui-ci était déjà démasqué et mis en déroute. Il ne peut plus réclamer pour lui-même une seule parcelle de terrain.

Le conflit entre le Christ et Satan apparut lors de la tentation au désert, qui posa la question essentielle de savoir à qui appartenait, en dernier ressort, le pouvoir. Sous cet angle-là, Satan posa également de façon perfide la question des rapports entre le Père et le Fils. Si ce dernier était véritablement l’envoyé du Père, il ne devait envisager aucune souffrance. La fidélité de celui qui l’avait envoyé devait être prouvée de manière très concrète, voire spectaculaire…

Plus tard, durant son ministère public, Jésus déclara agir contre les esprits mauvais par la puissance de l’Esprit. Selon 1 Jean 3:8, le Fils de Dieu est apparu dans le seul but de démolir l’œuvre de Satan.

Il est rassurant de constater qu’à chaque occasion, les Évangiles associent la victoire du Christ à la communauté des disciples (Lc 10.17-20). Celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde (1 Jn 4.4).

L’Esprit de Dieu opère dans le corps comme il opère dans la tête (Église de Christ). Comment cela se pourrait-il si Satan demeurait encore, même provisoirement, le prince effectif de ce monde? Pour saint Jean, le temps où la crisis, le jugement du monde a lieu est le temps présent. Nun (maintenant, en grec) le prince de ce monde est rejeté (Jn 12.31). Plus loin, en annonçant son exaltation, Jésus déclare qu’il attirera des hommes vers lui : déjà, des Grecs peuvent le voir… Or, nul ne songera à s’appuyer sur ce texte pour soutenir que le pouvoir de Satan est resté intact! S’il l’a détenu et exercé dans le passé, à présent il en est déchu. Le délégué de Dieu a limité son domaine et l’empêche de séduire définitivement les hommes. Une étape nouvelle a été franchie au cours de l’histoire du salut. Satan est perdant sur toute la ligne.

Dans Jean 14.30, il est encore question du prince de ce monde. Jésus parle de son retour vers le Père; il est clair que Satan ne peut plus rien contre Jésus. Il ne pourra donc pas éliminer son rival. Il est comme un tigre de papier. Nous pouvons lui résister, il s’enfuira loin de nous (Jc 4.7). D’après Jean 16.11, le monde est le champ de l’activité de l’Esprit Saint qui convertit, ce qui est une preuve supplémentaire de ce que le prince du monde est en pleine déroute.

Pour quelle raison Satan est-il encore désigné comme le prince de ce monde? Certains ont cru y discerner un arrière-fond de pensée sémitique, voire un élément gnostique. Pour notre part, nous constatons dans le quatrième Évangile un discours relatif au Sauveur du monde, de Dieu qui aime le monde, de la Samaritaine rencontrant le Sauveur du monde, etc. Satan ne peut pas empêcher l’œuvre et la mission de la rédemption. Nous confesserons donc avec assurance notre foi dans le Christ Seigneur. La lumière qui luit dans les ténèbres ne saurait plus être éteinte. Satan reste encore actif; mais nous avons une totale certitude en la réalité du règne, déjà établi, du Christ.

Peut-on alors envisager une dernière manche devant être remportée par le Christ? L’eschatologie biblique divise d’une manière rigoureuse, presque étanche, les diverses phases de la victoire. La lecture de l’Apocalypse (progression parallèle) ne permet pas l’interprétation d’une autorité s’affirmant par petits paliers. Tout ce qui se rapporte à la fin des temps est déjà en principe, sinon visiblement, une réalité. Nous tenons à corriger ici notre propre vue, présentée dans l’édition antérieure de cette étude, qui laissait supposer une triple étape dans la fin de Satan. Nous ne voulons pas donner l’impression ni créer l’illusion que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. L’imposteur continue à s’agiter sous les apparences d’un ange de lumière.

Redoutable et rugissant comme un lion, rusé pour ourdir toutes sortes de machinations et exerçant son influence néfaste, il n’en demeure pas moins que le coup porté sur lui a été mortel. Si ses rugissements font trembler le monde, le temps dont il dispose est très court. Sa haine contre l’Église semble décupler, mais la violence de ses assauts ne saurait ébranler l’assurance de celle-ci en la victoire de son Seigneur. Même au sein de la pire tribulation, elle se sait plus que victorieuse par celui qui l’a rachetée, la soutient et la protège. Si Satan a troublé la terre dans le passé, Christ restaure à présent l’univers. S’il a déversé le poison de la malédiction, Christ purifie les siens. S’il a été l’instigateur des misères qui affligent le corps et l’esprit, Christ ressuscitera le corps mortel et le revêtira d’immortalité glorieuse. Le shalom eschatologique comporte une rédemption totale. Assurée de sa victoire, l’Église peut se revêtir de toute l’armure spirituelle mise à sa disposition. L’issue du conflit ne laisse aucun doute. La parénèse biblique a une double visée : exhortation, elle nous appelle au combat; consolation, elle nous assure de la victoire.

L’Église a été désignée comme l’instrument principal de son chef. Son action fera disparaître les vestiges du passage de Satan. Sa mission est une œuvre assurée, joyeuse et agréable. Aucun geste accompli au nom du Seigneur victorieux ne devrait être méprisé. Même le verre d’eau offert à l’assoiffé a valeur de mission. Il existe un sens d’éternité qui est accordé à notre action et à notre démarche temporelle. Dieu a préparé d’avance les bonnes œuvres que nous sommes appelés à accomplir.

Ce serait faire œuvre de défaitisme que de n’envisager que théoriquement la mission présente de l’Église conçue comme le sel de la terre et la lumière du monde. En réalité, Satan se comporte actuellement en squatter. Il ne possède aucun territoire qui lui appartienne en propre.

C’est pourquoi l’Église est-elle exhortée à ne pas vivre pour elle-même, mais pour son Seigneur. L’homme fort a été lié. Le Messie est reconnu et exalté. L’incarnation et l’exaltation du Fils de Dieu ont prouvé magistralement que le monde présent d’injustice, d’immoralité et de rébellion est un monde illégal. Dieu l’a réclamé pour lui et l’a acquis de manière souveraine. Tout chrétien est invité à rendre témoignage à cette nouvelle réalité : à confesser publiquement, par ses discours et par ses œuvres, la seigneurie actuelle et effective du Christ. Accorder à Satan ne serait-ce qu’une petite reconnaissance d’autorité, ce serait succomber à sa séduction et même faire preuve d’idolâtrie; pour la gloire de son Père, Jésus est Kurios.

Nous n’avons donc pas à sombrer dans la panique ni même dans l’angoisse. Celui qui nous a arrachés à la perdition de la mort est celui qui nous conduit de victoire en victoire. Son autorité ne se confine pas à nos vies individuelles ni même à son Église. Elle s’étend sur l’univers tout entier. Au ciel, il se trouve hors d’atteinte de l’Adversaire, et avec lui, son Église est déjà transportée dans les lieux célestes.

Chaque fois que l’Évangile est fidèlement proclamé, le pouvoir de Satan reçoit un coup dévastateur.

Bien que nous ne soyons pas de ce monde, nous ne sommes pas pour autant invités à le fuir. Notre confession de foi, ainsi que toute notre mission, donne les signes sûrs et joyeux de la seigneurie ultime du Christ. « Voici, je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21.5). Aussi, avec les disciples de tous les temps, proclamons avec allégresse et avec une conviction inébranlable : Christus est victor; Christ est vainqueur.

Note

1. Royauté du Christ et l’Église du Nouveau Testament.