Cet article sur les questions d'introduction au livre des Proverbes traite de ses auteurs, de son contenu, de son message (la sagesse, la crainte du Seigneur, comment acquérir la sagesse?) et de thèmes à étudier.

Source: Introduction à l'Ancien Testament. 12 pages.

Introduction au livre des Proverbes

  1. Généralités
  2. Auteurs
  3. Contenu
  4. Message
    a. Qu’est-ce que la sagesse?
    b. Qu’est-ce que la crainte du Seigneur?
    c. Comment acquérir la sagesse?
  5. Thèmes à étudier

1. Généralités🔗

Le livre des Proverbes se trouve parmi les « Écrits », qu’il faut distinguer de la Loi et des Prophètes, et dans la version grecque dite des Septante (LXX), il est placé parmi les écrits dits sapientiaux.

Le mot hébreu « mashal », légitimement traduit par proverbe, « paroimia » en grec, peut signifier sentence, allégorie ou même parabole; il évoque également l’idée d’une similitude ou d’une comparaison. Le « mashal » classique use d’un procédé habituel aux poètes d’Orient : le parallélisme, soit synonymique, soit plus souvent antithétique, dans un distique bien frappé.

Il s’agit d’une anthologie, d’une collection de plusieurs groupes de Proverbes rédigés par des personnes dont on connaît les noms (Salomon) et par des auteurs anonymes (les sages, Agur, Lemuel).

Le mot hébreu de Proverbes désigne un procédé littéraire consistant essentiellement en une « comparaison », ou en une sentence construite de façon à mettre en évidence le balancement de deux idées, de deux images antithétiques ou complémentaires. Il s’agit des pensées des sages exprimées dans la plus grande partie du livre en phrases comportant deux stiques, ce qui caractérise encore nos Proverbes.

Il appartient au genre littéraire florissant depuis longtemps dans le Croissant fertile et en Égypte, appelé littérature sapientiale ou de sagesse. L’attribution de deux petites collections à de sages étrangers témoigne de l’existence d’une vie littéraire internationale à laquelle Israël ne se refusait pas.

2. Auteurs🔗

Il ne faudrait pas en conclure qu’il s’agit, en ce qui concerne notre livre, d’une littérature cosmopolite, à cause de ces emprunts directs ou indirects.

La collection est placée tout entière sous le patronage de Salomon, fils de David, roi d’Israël. Le titre du livre dit que les Proverbes sont de Salomon, et la tradition rabbinique basée sur Proverbe 25.1 laisse entendre que le roi Ézéchias et ses hommes furent ses rédacteurs finaux. Salomon est connu pour avoir eu des dons littéraires, des dons de gouvernement et d’avoir été l’auteur de nombreuses sentences. Présentant le recueil, le collecteur a jugé essentiel de souligner que Salomon était un « fils de David », en précisant encore « roi d’Israël ». Il se référait ainsi à une conception communément admise dans tout l’Orient ancien, celle de l’origine royale de la sagesse. Pour l’Israélite, cela signifiait encore davantage. Le roi d’Israël par excellence n’était-il pas le Seigneur lui-même? Le roi pouvait ainsi passer pour un oracle de Dieu. Évidemment, il peut y avoir de mauvais rois qui trahissent leur fonction prophétique, et les Proverbes le savent bien.

En spécifiant « fils de David », il sacralisait aussi un livre que son contenu risquait de confiner dans la sphère du profane. David, l’oint du Seigneur, ne portait-il pas l’alliance et les promesses? Cela signifie que les 31 chapitres qui suivent font partie intégrante de la révélation divine qui s’exprime à travers l’histoire du peuple d’Israël.

Le livre des Proverbes nous révèle l’existence en Israël d’un corps de métier distinct de la caste sacerdotale ou prophétique : nous voulons parler du corps des maîtres de sagesse. Les gens qui l’assumaient étaient avant tout des spécialistes de l’écriture, des scribes. Très peu d’hommes, dans l’antiquité, connaissaient en effet l’art d’écrire; la plupart des rois eux-mêmes l’ignoraient. Les scribes donc étaient d’importants fonctionnaires officiels. En même temps, ils instruisaient leurs propres fils. Ils tenaient toute une jeunesse sous leur influence. À côté de l’art d’écrire, ces maîtres de sagesse enseignaient à leurs élèves des règles générales de conduite, car ces derniers étaient appelés tôt ou tard à aller dans le vaste monde, à voyager et à savoir se conformer aux usages des cours étrangères.

Jusqu’à il y a peu, la science critique divisait le livre en deux parties : en primitive, Proverbes 10.1 à 22.16, et ultérieure Proverbes 1.8 à 9.18. Ces parties étaient identifiées par le langage, l’imagerie, l’organisation et la sophistication des pensées. De nos jours, d’une manière générale, la tendance est plus conservatrice concernant l’authenticité salomonienne; elle admet, en général, que Salomon était personnellement responsable de la collection autant que l’auteur de certaines parties. Il n’est certes pas l’auteur de tous les Proverbes au sens de leur auteur original, mais comme celui qui les a compilés et édités.

Les ressemblances frappantes avec d’autres textes sapientiaux contemporains sont en partie dues au fait que la situation humaine est pareille dans le monde tout entier. Ce livre put aussi refléter un corps international de littérature sapientiale où puisèrent Salomon et des membres de sa cour durant la période culminante de la monarchie hébraïque.

Le livre a été sans doute compilé par sections. À l’origine, sous Salomon et son influence, la croissance de la littérature sapientiale israélite (Pr 1.1 à 22.16) était combinée en une seule œuvre. La collection appelée « les paroles des sages » (Pr 22.17 à 24.34) a pu aussi être compilée par Salomon, mais avec moins de contributions personnelles. La deuxième partie des Proverbes de Salomon (Pr 25.1 à 29.27) éditée et ajoutée par des hommes d’Ézéchias est de deux siècles ultérieure. Les deux brèves collections à la fin du livre par Agur et la mère de Lemuel (Pr 30 et 31) ont probablement été ajoutées au temps de l’édition définitive du recueil par des hommes du roi Ézéchias, lorsqu’ils y ajoutèrent le deuxième groupe de Proverbes.

3. Contenu🔗

La totalité des Proverbes a été écrite en forme de poésie.

Chaque Proverbe repose sur une expérience souvent plusieurs fois séculaire. Une expérience universelle enseignait, par exemple, que le mal entraîne des conséquences fâcheuses pour celui qui le pratique, tandis que le bien est au contraire suivi d’heureux effets. Le bien est utile et le mal nuisible. La piété d’un homme favorise souvent son activité et ses projets, d’où la maxime : « Recommande à l’Éternel tes œuvres, et tes projets se réaliseront » (Pr 16.3).

Les Proverbes appliquent la sagesse aux domaines les plus variés. Ils mettent très souvent en garde contre la paresse. Ils dénoncent la légèreté d’esprit et la tendance à donner des cautions irréfléchies. Ils font l’éloge de la femme vertueuse et trouvent des mots cinglants pour désigner le malheur qu’une mauvaise femme fait peser sur toute la maisonnée. Ils mettent en garde contre l’adultère, non pas seulement à cause de la loi divine, mais en raison des conséquences redoutables qu’il entraîne. Ils rappellent l’importance d’une conduite honnête et d’une bonne éducation. Ils indiquent les fondements de la morale civique. Leur intérêt reste centré sur l’homme. Ils mettent en garde contre l’orgueil et exhortent à la paix.

Mais cette sagesse dépasse infiniment la simple vertu de prudence. Dans le climat de l’alliance, seule l’obéissance envers Dieu confère la vraie maîtrise de soi. Le message des Proverbes nous enseigne que même en temps normal, la sagesse des vieux maîtres d’Israël ne s’inspirait pas seulement de la prudence humaine, mais se savait de plus en plus déterminée par la crainte authentique du Dieu d’Israël.

Ce qui frappe tout d’abord dans ces sentences, c’est leur caractère extrêmement concret en même même temps qu’universel. Il nous est donné un ensemble de constatations, de conseils, d’exhortations, de mises en garde, d’encouragements, qui n’ont apparemment rien à voir avec une foi quelconque, mais sont tout simplement l’expression de l’expérience humaine.

Citons, sans références des passages quelques exemples :

  • Importance des relations que l’on cultive.
  • Honneur et obéissance dus aux parents.
  • Prudence dans les décisions à prendre.
  • Valeur de la patience et de la domination de soi.
  • Heureuse influence de la gaieté sur la santé.
  • De très nombreuses sentences se rapportent à la vie en société.
  • Véracité, honnêteté.
  • Gentillesse, noblesse, générosité.
  • Esprit pacifique, discrétion.
  • Importance de la bonne réputation.
  • Bon usage de la parole et de la repartie.
  • Danger de l’orgueil, de la colère, de la fausseté, de la calomnie.
  • Bénédiction que représente la femme.
  • Bénédiction que représente la famille.
  • La nécessité d’une éducation ferme.
  • Appréciation positive de la richesse.
  • Précarité de la richesse.
  • Honnêteté dans les affaires.
  • Valeur du travail et danger de la paresse.
  • Précautions à prendre dans ses rapports avec autrui.
  • Fidélité au roi.
  • Devoirs des juges et des témoins.
  • Devoirs du roi.

Si l’on parcourt l’ensemble de passages auxquels nous venons de faire allusion, on constatera que la notion même de sagesse n’y est jamais définie. Plus encore, elle ne correspond même pas à un seul vocable.

À côté de la « hokhma » qui désigne essentiellement la capacité de juger et le savoir-faire, l’on trouve bien d’autres termes voisins, parmi lesquels on notera la « tebuna » et la « bina » que l’on traduit plutôt par compréhension, entendement, prudence, la « daat » qui signifie nettement la connaissance, la « mezimma » qui équivaut à plan, pensée, habileté, et enfin, dernière mention d’une liste qui n’est nullement exhaustive, le « musar », c’est-à-dire la discipline, l’avertissement et, en conséquence, l’éducation. Formés à la pensée abstraite occidentale, nous devons faire un effort pour comprendre cette apparente imprécision. Mais l’esprit hébraïque vit au concret.

La sécularisation des Proverbes n’aboutit nullement à un rationalisme déterministe et à une sagesse essentiellement autonome. Au contraire, la sagesse apparemment immanente au monde, si l’on s’en tient aux citations isolées du type des sentences que nous avons rappelées jusqu’ici, repose parfois explicitement, mais toujours au moins implicitement, sur la foi d’Israël.

« Comme tous les autres peuples, Israël entendait par “sagesse” une connaissance toute pratique des lois de la vie et du monde fondée sur l’expérience. Le mot hébraïque que nous traduisons par “sage” et “sagesse” signifie tout d’abord la compétence, la connaissance de sa branche, celle d’un marin, d’un forgeron, d’un conseiller politique. […] À tous les degrés de civilisation, l’homme se trouve devant la tâche d’assumer la vie. […] Il s’est donc agi, comme l’a parfaitement dit Herder, de fixer, à partir de la masse complexe de l’expérience à laquelle tant d’interprétations peuvent être données, “le mobile le plus clair et le plus émouvant, le point le plus lumineux”. On ne comprendra jamais ces sentences si l’on ne suppose pas derrière elles une spiritualité capable de poser des questions tout à fait vitales au monde qui l’entoure. Et, en fait, c’est surtout la question d’une certaine ordonnance secrète des choses qui devra être détectée dans la confusion de circonstances entourant la vie humaine. Ainsi, cette sagesse est sans aucun doute une forme très élémentaire de maîtrise de l’existence. […] On pourrait plutôt parler d’un art de vivre ou, en tout cas, d’une certaine technique de vie que ces sentences veulent favoriser.1 »
« Il apparaît difficile de donner de ces sentences une classification satisfaisante. […] Une éthique dynamique s’efforce de traduire les grandes certitudes de la foi dans un style de vie, à la mesure d’un temps et d’une situation donnés. Mais il y a aussi dans les Proverbes un incontestable élément de jeu, beaucoup d’humour à l’égard de cet homme qui se donne tellement de mal pour vivre bien et qui y réussit si rarement; la comédie humaine, la mascarade des conventions sociales, les jeux de l’amour et du hasard, le refus d’être dupe des grands et de leurs grands airs, le sentiment de la relativité de l’existence humaine au milieu des tempêtes de la nature et de l’histoire, tout cela y trouve place dans un désordre apparent qui n’est peut-être pas autre chose que le visage du monde dans sa prodigieuse exubérance. Des analogies sont décelées, de secrètes convergences, des symétries et des concordances dans le divers, des dissonances dans le semblable; des coupes en profondeur sont effectuées, des lectures originales proposées, des éclairages inattendus projetés sur toute la réalité. Le monde dans son foisonnement est conçu comme une harmonie secrète, à l’intérieur de laquelle tout se tient, se complète et s’enchaîne. Il s’agit de savoir qu’un ordre préside au fondement des choses et qu’il agit silencieusement, souvent imperceptiblement, dans le sens d’un équilibre. Cet ordre existe et doit être respecté en toutes circonstances, et pourtant il est caché et insaisissable à l’homme. On doit pouvoir aussi tenir compte de cet équilibre et même le voir. Cette sagesse a quelque chose d’humble; elle croit par l’attention qu’elle porte à la réalité donnée, aux limites humaines surtout. Elle donne toujours la préférence aux faits sur les théories. Être sage ne signifie donc pas du tout se tenir pour tel. Se croire sage, c’est la marque des sots, de ceux qui ne sont plus disponibles et s’appuient sur eux-mêmes. La sottise, la folie, c’est l’inobservation, la transgression ou la méconnaissance de cet ordre auquel le sage se soumet.2 »

À plus d’un signe, il apparaît que la sagesse n’est pas purement de l’ordre privé, à usage personnel ou domestique : c’est le roi, les fonctionnaires, tous ceux qui ont autorité qui sont invités à se conformer à la voix de la sagesse, et celle-ci a une tonalité éminemment sociale et politique. Le Dieu vivant trouve son plaisir à ce que, dans la rencontre avec le Seigneur, toute vie trouve son équilibre, son poids et sa place; de la sorte, malgré leur péché, la vie des hommes les uns avec les autres devient non seulement possible, mais encore bonne à vivre et féconde. Là où cela se produit, c’est lui qui est à l’œuvre, lui qui, avec la liberté et l’espérance, donne aux hommes le pain quotidien de la vie de chaque jour, dans ses grandes aventures comme dans ses moindres détails. Aussi bien les sages se gardent-ils avant toute chose de se vanter; ils reconnaissent leurs incapacités et leurs limites et savent que les bonnes choses dont ils ont la jouissance ne sont ni leur propriété ni la récompense de leurs vertus : c’est Dieu dans sa grâce qui permet à l’homme de savoir, par son expérience quotidienne, que la vie vaut décidément la peine d’être vécue.

Que la vraie sagesse ne soit pas n’importe quelle philosophie naturelle, pas plus qu’un art de vivre répandu parmi les nations, mais qu’elle soit, au contraire, une œuvre et un don de Dieu, nous est montré dans le chapitre 8, où la sagesse est présentée comme préexistante à l’œuvre créatrice.

Bien plus, elle a collaboré à la formation de tout comme le maître d’œuvre et l’architecte, principe souverain d’organisation de l’univers. Génial artiste, Dieu, accompagné et éclairé par sa sagesse, crée ce monde infiniment divers que décrivait déjà la fin du livre de Job. Il y a ici plus qu’une description poétique du caractère transcendant de l’inspiration et de l’intelligence créatrices de Dieu, personnifiées dans ce texte; la sagesse divine y apparaît comme étant le génie précosmique, existant de toute éternité et grâce à qui, dans l’œuvre de la création, la joie et la technique y sont parfaites. Certes, ce texte est encore loin de l’élaboration future du dogme trinitaire, et cependant on trouve ici déjà, comme dans d’autres passages de l’Écriture (voir Gn 18), l’intuition à la fois obscure et joyeuse que le Dieu vivant, le Seigneur d’Israël et du monde, n’est pas seul.

La sagesse est ce témoin associé à la vie divine, cette figure intimement unie à Dieu et pourtant autonome, ce vis-à-vis divin depuis toujours intéressé à la vie des hommes au point d’avoir un rôle à proprement parler universel. (Voir les passages faisant allusion au Christ « Sagesse de Dieu »).

Cette sagesse n’est pas séparable pour eux de la foi en Yahvé, bien plus, elle en est l’aboutissement normal et nécessaire. Ils ne vont pas s’en glorifier, mais la rapporter constamment à celui qui en est l’origine et la mesure. Le chapitre 8 décrit les lettres de noblesse de la sagesse : dans les moindres recoins de la vie, si précieuse et fragile, la Parole du Dieu vivant pénètre, éclaire et transforme.

On a regardé la sagesse comme ce qu’il y a de plus près de Dieu et des hommes à la fois : ainsi philosophie de l’existence, pédagogie et métier politique sont-ils, dans l’histoire des hommes, le reflet des desseins éternels du Créateur.

4. Message🔗

Soyons reconnaissants que l’Écriture sainte ne se réduise pas au seul livre des Proverbes; autrement, elle n’aurait pas été pour des générations de croyants le livre fascinant qu’il est!

Nous constatons que chaque verset, ou couple de versets, reconnaît le rôle décisif de la connaissance, qui sur les pages de ce livre prend valeur de sagesse, connaissance qui touche la totalité de l’existence humaine. Lorsque, page après page, nous parcourons les sentences relatives à cette sagesse et progressons en cette connaissance salutaire, nous risquons fort de vaciller sous son impact! Le livre des Proverbes est un livre bien troublant…

Dieu a fait en sorte qu’au moins une partie de sa Parole contienne ces Proverbes. C’est pourquoi il est d’une importance capitale de les lire et de les méditer, si nous voulons connaître Dieu et nous soumettre à son commandement gracieux.

Nous y trouverons le commentaire incisif sur notre vie et sur la condition du monde. Chaque section nous révélera la sagesse qui émane de Dieu. Mis à nu par elle, nous découvrirons que Dieu connaît le moindre détail de nos expériences, même les plus intimes, qu’elles soient heureuses ou dramatiques. Les ruses de notre cœur, la manière maladroite de lui cacher ce que nous sommes en réalité, seront démasquées sans faux-fuyants ni complaisance, mais avec la grâce qui cherche à nous corriger, voire entreprend à nous transformer.

Comme dans le livre des Psaumes, dans celui des Proverbes il n’existe pas d’histoire de rédemption à proprement parler, parce que le livre n’est pas un livre historique. Cependant, il y existe une implication théologique très nette. La première en est que les Proverbes touchent la totalité de la vie, et par conséquent, ils témoignent de l’intérêt de Dieu à son égard. Quoique les idées d’élection, de rédemption, d’alliance et de sacrifice cultuel soient absentes de ces pages, on ne manquera pas de reconnaître les fruits de ces réalités spirituelles. Or, la crainte de l’Éternel est le commencement de la sagesse. Une sagesse de cette qualité ne peut qu’être surnaturelle, elle procède de Dieu lui-même, elle fait comprendre la justice et le jugement de Dieu, elle produit l’humilité.

Le livre des Proverbes nous révélera toutes les conclusions de l’enseignement et de l’œuvre de Jésus-Christ. Jésus-Christ le domine, bien que son nom n’y soit nullement mentionné, car, après tout, il nous parle de la sagesse de Dieu; il contient la grande invitation à marcher selon elle. Jésus-Christ n’est-il pas la sagesse incarnée de Dieu? N’a-t-il pas vécu parmi les humains comme le seul homme sage et parfait? Le livre des Proverbes, quoiqu’enfermé dans les coins les moins explorés de l’Ancien Testament reste pourtant un grand appel en vue de nous aligner sur Jésus-Christ, le Sauveur.

De nos jours, plus qu’autrefois, chacun d’entre nous doit s’interroger au sujet de sa propre personne et au sujet du monde dans lequel il vit. Il est tellement facile d’être un insensé! L’arrogance de l’homme moderne, qui atteint les étoiles alors qu’il nie Dieu comme Créateur, et qui refuse le Christ comme le Fils unique de Dieu, est une arrogance infiniment plus menaçante pour le genre humain que la destruction par des armes thermonucléaires. C’est l’un des aspects du destin fatal de la race endurcie et aveuglée, qui se laisse conduire vers le désespoir et le nihilisme. C’est pourquoi la manière de mettre de l’ordre dans nos pensées est plus que jamais essentielle à notre sauvegarde et à notre salut éternel.

Le Nouveau Testament n’hésite pas à affirmer, implicitement ou explicitement, que « l’Auteur de la création de Dieu » (Ap 3.14), la « Sagesse de Dieu mystérieuse et cachée » (1 Co 2.7), le « Premier-né de toute la création, celui en qui tout a été créé dans les cieux et sur la terre » (Col 1.15-16), « la Parole qui était avec Dieu, qui était Dieu… par qui tout a été fait et sans qui rien n’a été fait » (Jn 1.1-2), c’est Jésus de Nazareth, celui qui, vivant en Dieu, est entré dans la chair et dans l’histoire des hommes, pénétrant et transformant toutes choses et les portant désormais vers leur accomplissement.

La réalité cosmique de la rédemption, de la nouvelle création, par l’intervention de la sagesse faite homme, est donc déjà en germe dans les textes sur la portée universellement pratique et sur l’origine céleste de la compétence existentielle des sages d’Israël. Cette extension illimitée de la présence et de l’action du Christ souffrant et triomphant est affirmée par les lettres aux Éphésiens et aux Colossiens, ce qui a été souvent négligé par la théologie. Une théologie qui réduit l’incarnation à la sotériologie (salut) sans en souligner la portée cosmique, néglige, en le mutilant, le message biblique de la sagesse.

a. Qu’est-ce que la sagesse?🔗

Au temps du roi Salomon, le terme était compris au sens de « savoir vivre ». Il décrit l’art pratique de vivre dans la communauté du peuple de Dieu, du peuple de l’alliance. Il se réfère à une morale pratique. Il comporte la nuance de bon sens et de jugement solide fondés sur une approche réfléchie de la vie, avec tous les problèmes et situations. « La sagesse de l’homme prudent c’est de comprendre sa voie; la stupidité des insensés, c’est la ruse » (Pr 14.8). Cette sagesse consiste à être capable de considérer non seulement les événements au jour le jour ainsi que les questions de la vie quotidienne, mais aussi les problèmes profonds de la destinée, de notre destinée éternelle.

L’intention du livre est de changer notre vie en nous faisant comprendre la connaissance-sagesse. Chaque Proverbe et chaque sentence doivent être lus en gardant à l’esprit cette intention essentielle. La vraie sagesse est nécessairement liée à la vraie connaissance du Dieu vivant. L’idée y est centrale.

La sagesse des Proverbes est théocentrique. Dieu s’y trouve au centre. Il ne faudrait donc pas minimiser l’importance théologique du recueil. Le nom de Dieu y revient près de cent fois. Le recueil appartient au peuple de Dieu, il fait partie de ses écrits saints, qui vont devenir canoniques. Le livre nous apprend que la volonté de Dieu touche notre vie à son niveau le plus concret. Il ne peut pas y avoir de séparation absolue entre ce qu’on pourrait considérer comme sacré et ce qu’on pourrait considérer comme profane. Toutes choses tombent sous l’appréciation ou le jugement divins du Seigneur.

Il est théocentrique, parce que Dieu est la source d’où l’on puise la faculté de vivre correctement. Pour le dire de manière négative, il n’existe pas de manière sage de vivre sans reconnaître Dieu et sans confesser son nom dans l’adoration. La vie de chaque jour, y compris le domaine des affaires, du travail et de la famille, a une dimension religieuse. Chacun des détails de la vie affairée, parfois démentielle, de notre temps est gardé en perspective.

Le Seigneur est reconnu comme le Créateur de l’homme. Ceci est directement lié à la vie d’une sagesse disciplinée (Pr 14.3 et 20.12). Le Seigneur qui créa l’homme est celui qui surveille ses démarches (Pr 20.24 et 10.3). En fait, c’est parce que Dieu est ce qu’il est que nous sommes certains de l’ordre moral qui sous-tend et soutient nos existences (Pr 10.27-29). Un homme de bien obtient la faveur du Seigneur, mais le Seigneur condamne l’homme rusé (Pr 12.2). Dieu examine les cœurs des hommes (Pr 15.11; 17.3) et leurs motivations (Pr 16.2). Notre for intérieur est exposé à ses yeux (Pr 20.27). Il les juge tous parce qu’il les observe (Pr 15.9).

Il en résulte directement que nous devons personnellement avoir ce qu’on appelle « la crainte du Seigneur », le respect qui lui est dû, cette approche pleine du sentiment de dépendance et d’adoration. Cette crainte est la source et le principe premier de la piété (Pr 2.7), mais aussi de la fin, de la visée ultime de la vie (Pr 22.19). L’idée engage une piété extrême, authentique, dans la confiance envers ce Seigneur et dont la relation inspire une conduite morale correcte, conforme au commandement.

C’est sur la foi, le fondement de ce que nous savons de lui que nous sommes à même de nous engager pour lui et de vivre droitement. Sans une relation fidèle avec le Seigneur de nos destinées, il n’existe point de sagesse véritable. On peut jouir de l’éducation, de la culture, se targuer d’une civilisation brillante, atteindre les profondeurs de la réflexion philosophique, spéculative et abstraite, planer sur les sommets des réalisations artistiques, se vanter des avancées fulgurantes dans tous les domaines de la technique et de la science… À moins d’avoir et de cultiver la crainte du Seigneur, l’on est, finalement, des malheureux insensés.

b. Qu’est-ce que la crainte du Seigneur?🔗

La phrase revient à plusieurs reprises à travers des passages comme les suivants : Proverbes 1.7,29; 2.5; 8.13; 9.10; 10.27; 14.26-27; 15.16,33; 16.6; 19.23; 22.4; 23.17. Elle apparaît également sous forme verbale, c’est-à-dire comme une exhortation à craindre le Seigneur (Pr 3.7; 14.2; 24.21; 31.30).

Crainte dans ce sens-là est l’équivalent de la réponse adoratrice du Dieu que nous avons connu, qui s’est fait connaître à nous et qui commande notre soumission et notre obéissance. Il s’agit par conséquent d’une foi connaissante et d’une connaissance croyante; ou encore d’une foi obéissante et d’une obéissance croyante. Nous reflétons sa majesté infinie transcendante et son inapprochable sainteté.

Elle témoigne de notre soumission sans réserve au Dieu vivant, soumission, redisons-le, qui doit se manifester dans tous les détails de l’existence.

La crainte du Seigneur est à la fois le commencement de la sagesse (Pr 9.10) et le commencement de la connaissance (Pr 17). Elle est intimement associée à la manière de se conduire. Elle est la source de la vie (Pr 19.23) et conduit à la vie (Pr 24.14). Ces passages offrent un parallèle intéressant et important entre « la vie » et les commandements de Dieu dans sa loi révélée.

c. Comment acquérir la sagesse?🔗

La sagesse est à la fois une qualité de vie qu’il faut apprendre et un don que Dieu fait à son peuple. Nous trouvons ces deux courants de pensée en Proverbes 2.1-8, par exemple. Pour l’auteur, la sagesse doit être apprise et l’on doit la rechercher (Pr 2.15). L’accent principal tombe sur la qualité de la vie, et la sagesse est précisément cette qualité-là. Elle découle d’une saine discipline et d’une éducation d’un type très spécial.

Les membres anciens de la communauté qui ont eux-mêmes appris la sagesse sont responsables de l’enseignement des membres plus jeunes. Les anciens « qui se tiennent aux portes de la ville », siège de l’administration de la justice comme aussi centre d’enseignement pratique (Pr 1.21), sont ceux qui donnent des conseils. Il est possible de les écouter et d’acquérir auprès d’eux cette sagesse vantée et désirable (Pr 13.20). Celui qui cherche à accroître la sagesse doit accepter, accumuler, tourner son regard vers, ouvrir, tendre ses oreilles, appliquer (Pr 1 et 2). Ce sont là des paroles d’action. L’on doit chercher avidement cette connaissance, s’astreindre à la comprendre, à la regarder et à la chercher comme si l’on poursuivait un trésor caché (Pr 2.4). Le résultat assuré sera son acquisition.

En second lieu, le livre parle de la sagesse comme d’un don de Dieu; ceci est explicite : « Car l’Éternel donne la sagesse; de sa bouche sortent la connaissance et la raison » (Pr 2.6). Ceux qui la possèdent peuvent s’attendre à prospérer (Pr 7 et 8). Toute la sagesse est un don du Dieu souverain, gracieux, et simultanément acquise par la recherche diligente et disciplinée du peuple de Dieu.

Cette rupture radicale avec le péché implique une adoration vraie du Seigneur (Pr 8.34). La vérité et la connaissance sont coûteuses, mais elles conduisent à la vie éternelle.

En lisant ce livre de la sagesse, rappelons-nous qu’à travers chacune de ses pages, Dieu nous commande de choisir entre la sagesse divine et la folie humaine. Seule la sagesse de Dieu révélée en Christ peut nous sauver. Que Dieu nous accorde sa grâce pour faire ce choix décisif, le choix de la vie. Et que ce saint livre nous aide à prendre la bonne direction.

La sagesse des Proverbes, comme celle de tout l’Ancien Testament, semble présenter, à première vue, une certaine opposition entre elle et la révélation d’en haut. Elle est terre à terre, soit qu’elle se contente simplement de constater (parfois même assez platement, apparemment tout au moins, bien que d’une platitude significative), l’expérience commune des hommes, dans tous les domaines de leur vie quotidienne, de la naissance à la mort; soit qu’elle se révolte contre cette expérience et qu’elle crie leur souffrance ou rumine leurs désillusions. Mais à partir de cette expérience terre à terre la voici qui monte vers le ciel, et qui, au fur et à mesure qu’elle monte, redescend sur terre pour y trouver la présence divine qui est tout à la fois toute en haut et toute en bas.

Il n’existe cependant pas d’opposition entre Proverbes et Prophètes, entre sagesse terre à terre et révélation transcendante. Si la révélation fait tomber l’histoire du salut du ciel sur la terre, la sagesse part du monde pour rejoindre l’histoire du salut et y trouver le secret de l’énigme, mais d’une énigme déjà pleine de sens caché, qu’elle avait expérimentée et constatée.

La sagesse des Proverbes implique une certitude qui est celle de la foi. Derrière l’apparent chaos du monde et des péripéties de la vie humaine, de la société, des hommes et des femmes, des parents et des enfants, des juges et du roi, il y a un ordre, qui est l’ordre de la création, un Dieu souverain et créateur qui a fait un monde ordonné, une vie bonne et l’homme, une créature destinée à être heureuse.

Par delà le rapport entre l’action humaine et ses conséquences, rien n’est automatique. Elle peut se prononcer tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. La richesse par exemple, pourra conduire au bonheur ou au malheur. Elle est une couronne pour le sage, mais celui qui s’y confie tombera. Derrière d’apparentes contradictions, il y a ceci : c’est que les situations humaines ne sont jamais les mêmes, que les circonstances sont ambivalentes et qu’il faut savoir choisir le bon moment.

Comment comprendre la tension, insupportable au premier abord, entre l’expérience humaine de la vie, avec la cohérence qu’elle suppose (l’action et ses conséquences), et cette confession de la souveraineté d’un Dieu mystérieux, entre la sagesse qui apparaît sur l’horizon de Dieu et cette même sagesse contestée par le même Dieu? Ici encore, il faut revenir au réalisme hébraïque. Ce réalisme n’oppose pas la foi à la vue, la relation et la raison, le Dieu révélé et la sagesse expérimentée; bien au contraire, il les unit. Comment?

Pour échapper au chaos, l’homme doit s’instruire par l’expérience. Mais cette instruction n’est jamais achevée, elle est en perpétuel devenir. L’homme tente de vivre, il ne tient pas le succès de son jeu dans sa main. Mais il sait que quelqu’un d’autre, Dieu, qu’il connaît et que par ailleurs il confesse, l’instruira par le bon succès ou par le mauvais succès qu’il donnera à ses entreprises. Il a confiance en ce Dieu, c’est pourquoi il accepte de s’instruire et de modifier ainsi la sagesse produite par son expérience, faite constamment à nouveau. À cet égard, le sommet de la sagesse est la sentence en Proverbes 15.23 : « Combien est bonne une parole dite à propos! »

La révélation de Dieu dans l’histoire du salut se trouve dès lors identifiée à l’ordre cosmique et, réciproquement, au mystère du monde, d’un monde dépouillé de toute force mauvaise souveraine; il devient intelligible à la lumière du Dieu révélé.

Car le Dieu révélé est un Dieu vivant, garant de sa création, et non une tromperie. Simplement, cette révélation est trop grande pour qu’on puisse la saisir d’un seul coup, la ramener à un seul principe pour y construire son existence; ce principe n’est pas détaché de l’œuvre constante de Dieu dans sa création, qui est vivante, comme son Créateur est vivant.

La caractéristique de l’esprit dit moderne par rapport à l’esprit biblique, c’est de ne pas vouloir laisser Dieu gagner le pari qu’il a fait et qu’il continue de faire sur l’homme. C’est de s’attacher au savoir et non à la sagesse; à la raison raisonnante et non à l’expérience réfléchie; à l’acquisition d’un pouvoir sur le monde et non à la volonté de l’homme de se laisser instruire par sa rencontre avec la création. Et ceci à tous les niveaux de l’expérience qu’il fait de la connaissance, depuis les choses les plus hautes aux circonstances les plus quotidiennes de la vie. C’est d’adopter vis-à-vis de la réalité ambivalente qu’il rencontre une attitude fondamentale de soupçon et de méfiance, inspirée par une volonté de puissance et de conquête méthodiques, qui fait de lui non pas l’habitant confiant de la création de Dieu, mais le jockey du globe.

C’est chercher le sens de sa vie dans l’amour du monde, et chercher le sens du monde dans le repliement sur sa propre existence. C’est d’avoir oublié le grand, l’immense « oui » de Dieu à sa création.

Ces deux éléments, révélation de la gloire de Dieu et du péché humain, sagesse de Dieu qui insère l’homme dans un cosmos entièrement bon, se retrouvent dans le Christ, le Logos divin devenu chair. Dieu devenu lui-même créature dans son Fils. Non seulement il porte et emporte le péché et la sottise des hommes par sa croix, mais encore et surtout il manifeste la bonté, le caractère positif de la création par sa résurrection, entraînant le monde après lui dans la victoire de l’être sur le néant.

Et c’est pourquoi l’apôtre peut le nommer « Sagesse de Dieu » (1 Co 1.24; 2.7). Et c’est pourquoi il peut ajouter ailleurs que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu (Rm 8.28).

Le secret du monde et de la vie, c’est la sagesse, cette sagesse-là. Sans s’abandonner à Dieu, source de sagesse, par la croix, folie aux yeux des hommes, il ne peut y avoir que plongée dans le désespoir, dans l’ennui et dans l’insignifiance, abandon au néant, jusqu’à tomber dans le comble de l’absurde. Toute la question est donc de savoir s’il est de l’intérêt de l’homme libre de faire perdre à Dieu le pari qu’il a fait sur nous, ou plutôt, lorsqu’il le gagne, si ce n’est pas nous qui le gagnons avec lui.

5. Thèmes à étudier🔗

1. Dieu et l’homme
2. La sagesse
    a. Faces multiples de la sagesse
    b. Atteindre la sagesse
    c. La prééminence de la sagesse
3. L’insensé
    a. Le simple
    b. L’insensé
    c. Le moqueur
4. Le paresseux
5. L’ami
    a. Amis et voisins
    b. Le bon voisin
    c. Le bon ami
    d. La vulnérabilité-fragilité de l’amitié
6. Les paroles
    a. La puissance des paroles
    b. La faiblesse des paroles
    c. Les paroles meilleures
7. La famille
    a. Maris et femmes
    b. Parents et enfants
    c. Les frères
    d. La famille en général
8. La vie et la mort
    a. La vie
    b. La mort

Notes

1. Gerhard Von Rad, Théologie de l’Ancien Testament, p. 361ss.

2. Von Rad, p. 370.