Cet article sur Jude 1.14-16 a pour sujet la prophétie d'Hénoch annonçant le jugement des faux enseignants qui s'introduisent dans l'Église.

Source: La foi transmise une fois pour toutes - Méditations sur l'épître de Jude. 3 pages.

Jude 1 - La prophétie d'Hénoch

« C’est aussi pour eux qu’Hénoch, le septième depuis Adam, a prophétisé en ces termes : Voici que le Seigneur est venu avec ses saintes myriades, pour exercer le jugement contre tous et pour faire rendre compte à tous les impies de tous les actes d’impiété qu’ils ont commis, et de toutes les paroles dures qu’ont proférées contre lui les pécheurs impies. Ce sont des gens qui murmurent, des mécontents qui marchent selon leurs convoitises, dont la bouche parle avec grandiloquence et qui flattent les gens par intérêt. »

Jude 1.14-16

Dans la suite des illustrations utilisées pour avertir ses lecteurs, Jude se sert d’un nouveau paradigme historique. Hénoch, le septième après Adam, est l’une des figures les plus marquantes de la lignée des justes de la période précédant celle des patriarches.

L’explication de cette citation tirée d’un livre pseudépigraphe nécessiterait une étude spécialisée qui n’entre pas dans notre propos1. Qu’il suffise de retenir ici le fait qu’à l’époque de Jude et de Jésus ce livre était bien connu des juifs et que, sans lui accorder une autorité canonique, Jude se permet d’en tirer une vive illustration pour son propos, sachant que ses lecteurs en profiteront. Il aime ce livre et il l’utilise en sachant que son langage et son contenu frapperont l’esprit des chrétiens auxquels il s’adresse.

Dans l’Ancien Testament, les livres de Daniel, de Zacharie et d’Ézéchiel ont donné aux juifs de retour de l’exil babylonien l’amour de la prophétie et des visions. Entre le retour de l’exil et l’avènement de Jésus, Dieu n’a pas prononcé d’oracle. Les juifs ont dû avoir beaucoup de mal à endurer ce long et lourd silence, pensant que Dieu les avait totalement abandonnés. Aussi suppléèrent-ils à ce silence de la Parole prophétique par la tradition, ce qui explique que, durant les deux premiers siècles de l’ère chrétienne, certains livres apocryphes furent lus dans l’Église, sans être pourtant admis comme canoniques.

Hénoch est le septième après Adam. Cela n’est mentionné nulle part ailleurs dans la Bible, ni dans l’Ancien ni dans le Nouveau Testament. Il en est question seulement dans le livre d’Hénoch (92.4). Ce chiffre correspond à la position qu’il occupe dans liste généalogique de Genèse 5, mais désigne peut-être aussi la perfection qui le caractérisait. En tant que « septième » depuis Adam, Hénoch n’est pas seulement d’un grand âge, mais résume encore en sa personne toute la lignée des saints patriarches.

Dans la tradition judaïque, il passe pour être le symbole de l’humanité perfectionnée. Le livre ne dit rien au sujet des choses terribles que les pécheurs ont prononcées contre Dieu.

Jude cite le passage du livre d’Hénoch 1.9 pour appuyer sa propre affirmation relative à la destruction des docteurs impies. Selon l’antique prophétie, c’est le Seigneur en personne qui viendra avec ses anges pour punir les pécheurs qui ont parlé avec insolence contre lui et qui exposera au grand jour leur impiété, tandis que pour Jude il s’agit du jugement déjà prononcé lors de l’avènement de Jésus. Leur principale faute est leur arrogance et en leur esprit rebelle. Jude s’en prend aux hérétiques impies qui s’opposent à tout ordre établi.

Bo Reicke signale qu’une affaire politique sous le règne de l’empereur Domitien a pu donner lieu à cette nouvelle polémique de Jude. Les adversaires de Jude semblent être parmi ceux qui respectent des gens haut placés, avec l’arrière-pensée de soutirer des bénéfices de leurs relations sociales, et qui les soutiennent dans leur propagande. C’est une alliance d’intérêts. Il pourrait s’agir de riches citoyens romains cherchant à renverser le règne de Domitien pour revenir à un régime républicain.

Domitien avait chassé les fomentateurs de rébellion, parmi lesquels des nobles, des sénateurs et même des proches familiers, dont le consul Acillius Glabrio, Fabius Clemens et sa femme Flavia Domitilla. Jude songe peut-être à ces séditieux, écrit Bo Reicke, sans reconnaître un caractère divin à l’État. Mais, en accord avec Romains 13, il invite les chrétiens à se soumettre aux magistrats. Toute opposition à l’autorité civile normale est signe de rébellion contre celui qui confère la mission de gouverner en son nom une société composée d’hommes pécheurs.

Jude traite ses adversaires de gens qui murmurent (« gongustes » en grec, ce qui est une onomatopée) et qui se plaignent sans cesse de leur sort. Leurs murmures proviennent de leurs convoitises, incitées par leurs passions (Jc 4.1-3). On observera dans la lecture de 2 Pierre 2.18 que les trompeurs sont aussi des hautains et des fanfarons dans leurs discours. Il n’est pas absolument certain que Jude songe ici aux opposants de l’empire. Mais l’avertissement qu’il adresse contre les mécontents et les murmureurs peut être lu en même temps que Jacques 2.2-9 et 2 Pierre 2.18, textes rédigés dans un climat spirituel, et peut-être politique, semblable.

Notre passage n’ajoute pas beaucoup à la connaissance de la nature de l’hérésie, mais il n’est pas sans objectif précis. Il montre également que les hérétiques sont des antinomistes. Nous savons que l’erreur qui cause une telle préoccupation à Jude est celle de l’opposition à toute loi révélée. Il cherche par conséquent à démontrer que de tels antinomistes appartiennent à cette catégorie de pécheurs qui, depuis toujours, ont été condamnés par les Écritures. Il les identifie plus particulièrement avec les pécheurs des derniers jours, dont le jugement au moment de la parousie a été prédit d’avance. La prophétie d’Hénoch rend ce point de l’enseignement de Jude particulièrement percutant et efficace.

Note

1. Au sujet de ce livre d’Hénoch, voir mon article intitulé Les apocryphes et les pseudépigraphes.