Cet article a pour sujet l'oecuménisme et les mouvements oecuméniques au 20e siècle, en particulier la création du Conseil oecuménique des Églises en 1948, ainsi que d'autres mouvements oecuméniques réformés.

Source: L'Église dans l'histoire. 7 pages.

L'Église dans l'histoire (55) - Les mouvements oecuméniques au 20e siècle

  1. Les divisions ecclésiastiques
  2. La naissance d’une conscience œcuménique
  3. John Mott (1865-1955)
  4. Nathan Soderblom (1866-1931)
  5. Les premières ébauches d’unité chrétienne
  6. L’assemblée d’Amsterdam (22 août 1948)
  7. D’autres mouvements œcuméniques
  8. Conclusion

1. Les divisions ecclésiastiques🔗

Au cours de l’histoire que nous avons parcourue, nous avons constaté, à différentes reprises, des séparations et des schismes entre Églises se réclamant toutes du nom de Jésus-Christ. La plus grande de ces divisions eut lieu en l’an 1054, entre l’Église orientale et l’Église occidentale. Une autre division, extrêmement radicale, a été la constitution des Églises protestantes issues de la Réforme évangélique du 16siècle (réformées, luthériennes, anglicane). Bientôt, au sein même de ces dernières, des séparations ont donné naissance à de nouveaux groupes d’Églises. Ceux-ci ont été créés soit à cause de graves divergences théologiques, soit pour des questions de forme d’organisation ecclésiastique, soit encore, hélas!, pour des questions de personnes. Nous ne reviendrons pas sur les causes historiques et géographiques de ces divisions. Signalons cependant en passant qu’à côté des causes historiques et géographiques, des facteurs politiques expliquent la multiplicité des Églises se réclamant toutes de la Réforme du 16siècle. En outre, l’Église catholique, malgré sa réputation d’institution monolithique, connaît, elle aussi, des divisions, une vingtaine au moins, qui ne dépendent pas du siège pontifical de Rome.

2. La naissance d’une conscience œcuménique🔗

Le problème de l’unité chrétienne s’est posé durant le siècle dernier avec une grande acuité. Depuis bientôt deux siècles, l’Église chrétienne a été confrontée à des défis redoutables que son unité brisée ne semblait pas, à première vue, capable d’affronter. Si certaines confessions cultivent des relations fraternelles entre elles, il n’en va pas de même pour d’autres. Des questions historiques, de vieilles rancunes, des questions de prestige et une étroitesse d’esprit peu évangélique rendent la communion entre chrétiens appartenant à des confessions différentes, même d’origine protestante, difficile et parfois presque impossible. Il faut reconnaître aussi que, parmi ceux qui se posent la question de l’unité chrétienne, tous n’ont pas forcément des motivations purement évangéliques.

La question de l’unité de l’Église ne devrait cependant pas faire oublier que la force de celle-ci ne réside pas dans son unité apparente ou organisationnelle, et que la diversité des Églises peut aussi devenir une source d’enrichissement.

La conscience œcuménique moderne est née de certaines préoccupations que le chrétien réformé n’acceptera pas sans les examiner d’abord à la lumière des saintes Écritures. Par exemple, l’esprit d’une théologie libérale encourage la collaboration entre chrétiens, tout en négligeant, ou en ignorant, les profondes divergences théologiques et doctrinales qui existent entre eux. Un théologien libéral du début du 20siècle, Adolf von Harnack, a pu ainsi proposer un noyau commun à tous les chrétiens, si ce n’est à des religions non chrétiennes : le dogme de la paternité de Dieu, de la fraternité des hommes et de l’exemple moral de Jésus-Christ. Selon lui, ces affirmations seraient suffisantes pour constituer le fondement d’une véritable unité.

De son côté, le piétisme, même d’inspiration évangélique, préconisa dès le début sinon un dogme, du moins une expérience chrétienne commune comme fondement d’unité. À son tour, le piétisme minimisa l’importance de la théologie et de la confession commune de la foi en faveur de l’unité en Jésus-Christ. Les mouvements religieux appelés « réveils » estompèrent, aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe, les convictions théologiques et les séparations ecclésiastiques, afin d’organiser ensemble des campagnes d’évangélisation entre presbytériens et baptistes, ces derniers pourtant, à certains égards, aux antipodes de la théologie de la grâce. Ou encore entre arminiens et calvinistes, qui ont de la souveraineté de la grâce et du libre arbitre de l’homme pécheur des conceptions diamétralement opposées. Pourtant, le piétisme engendra un certain nombre de mouvements, surtout de jeunesse, dans lesquels chacun trouve ce qu’il cherche, tout comme dans « une auberge espagnole ». Des groupes comme les Groupes bibliques universitaires, Campus pour Christ, les Navigateurs ou Opération Mobilisation cherchent à mobiliser toutes les bonnes volontés chrétiennes sans trop se soucier de clarté doctrinale ni de fidélité à certains principes fondamentaux.

Enfin, sur le champ missionnaire, on a estimé avec hâte et légèreté que « la théologie séparait les chrétiens, mais que la mission devait les unir ». On disait qu’on n’était pas envoyé pour fonder des Églises de type presbytérien ou congrégationaliste, mais pour évangéliser et pour former le corps du Christ.

Malheureusement, aussi bien sur le terrain missionnaire que sur celui des deux précédentes expériences, on n’aura pas beaucoup de peine à constater combien la confusion quant à la foi et le mélange d’erreur et de vérité sont générales là où la théologie est considérée comme un simple passe-temps de penseurs oisifs, là où l’action ou l’expérience, l’une et l’autre pourtant bien fragiles, sont prises comme l’unique ciment de l’unité!

Cette conscience poussa des hommes d’Église à chercher l’unité visible du corps du Christ, privilégiant exagérément le commandement de l’amour au détriment de la pureté et de la vérité bibliques.

Le 20siècle vit donc la naissance de beaucoup d’efforts pour surmonter les divisions, et ce d’abord dans des Églises appartenant à la même confession de foi (ainsi entre luthériens, ou encore entre presbytériens, aux États-Unis notamment). L’une de ces tentatives parmi les plus regrettables fut la création de l’Église unie du Canada (1925), ou encore l’unité de l’Église réformée en France (1938).

On a aussi vu la création de l’Église de l’Inde du Sud (1947), constituée d’anciennes Églises presbytériennes, congrégationalistes, méthodistes et anglicanes. Mais le phénomène le plus important durant le 20siècle fut l’organisation du mouvement œcuménique et la constitution du Conseil œcuménique des Églises. Parlons à présent de ses précurseurs.

3. John Mott (1865-1955)🔗

J.R. Mott est parmi les premiers pionniers œcuméniques des temps modernes. Américain, il avait une remarquable conscience de l’universalité de l’Église et avait un intérêt cosmopolite intense. Il avait beaucoup voyagé. Lors de ses voyages, il montra de l’intérêt à l’égard des missions ainsi qu’à l’égard des mouvements de jeunes chrétiens. Les divisions ecclésiastiques posaient souvent des obstacles au témoignage rendu à l’Évangile. Il ne cessa dès lors d’encourager les jeunes à s’unir afin de mieux témoigner de leur foi. Chrétien évangélique, spécialiste en histoire et en sciences politiques, ce fut sous l’influence du prédicateur américain Dwight Moody qu’il prit véritablement conscience de la nécessité d’une action chrétienne unie. C’est notamment lors d’une campagne d’évangélisation organisée par ce dernier qu’on lançait le slogan : « Évangéliser le monde entier durant notre génération ». Sa conviction s’en trouva encore plus affermie.

Avec une centaine d’autres jeunes volontaires, il se voua au travail missionnaire et fut élu président du mouvement d’étudiants pour les missions. Durant toute sa carrière, Mott encouragea aussi bien la mission chrétienne que les mouvements de jeunes. La Fédération mondiale des étudiants chrétiens fut en grande partie le fruit de son action. Lors des conférences missionnaires tenues à Édimbourg (1910), à Jérusalem (1928), à Tambaran (1938), Mott fut élu président et nommé président d’honneur lors de la première Assemblée œcuménique d’Amsterdam en 1948. Doué d’un optimisme que lui inspirait sa foi en Christ, d’une énergie à toute épreuve et d’un pouvoir de persuasion exceptionnel, Mott parvenait à surmonter beaucoup de facteurs de division et il était capable d’entraîner derrière lui tous ceux qui cherchaient une véritable union fraternelle entre les Églises. Mais la méthode employée ne signifiait aussi, hélas!, qu’un minimum de théologie ou d’exigence dans la fidélité doctrinale et confessionnelle.

4. Nathan Soderblom (1866-1931)🔗

L’autre grand pionnier du mouvement œcuménique moderne est l’archevêque luthérien suédois Nathan Soderblom. On pourrait l’appeler à juste titre le patriarche œcuménique! Dans son enfance, Soderblom avait été élevé dans un milieu chrétien évangélique. Mais durant ses études de théologie, il fut gagné aux hypothèses de la haute critique biblique et adopta une conception horizontaliste du Royaume de Dieu. Spécialiste des religions comparées, partisan d’une révélation « évolutionniste » de Dieu, dont le christianisme ne serait que la forme la plus élevée, Soderblom fut un théologien libéral allant jusqu’à nier la divinité du Christ. Il réussit pourtant, comme Mott, à exercer une très grande influence sur de nombreuses personnalités chrétiennes, leur inspirant le noble idéal de l’unité et reprenant à son compte le slogan d’après lequel « la doctrine divise, mais le service unit ».

Ce fut grâce à ses initiatives que fut organisée la première conférence de Foi et constitution à Stockholm (1925), où furent abordés tous les problèmes relatifs à une action chrétienne commune, sans toutefois tenir compte des aspects doctrinaux fondamentaux de ces problèmes. En compagnie d’autres théologiens de tendance libérale, Soderblom parvint à minimiser dangereusement l’importance des divergences théologiques et à relativiser l’autorité capitale de la Bible en matière d’unité chrétienne. Ainsi, en dehors de celle-ci, on chercha une base commune en vue d’une action politique, sociale et économique d’inspiration chrétienne.

5. Les premières ébauches d’unité chrétienne🔗

Certains mouvements chrétiens, nés au cours du 19siècle, préparèrent, soit directement soit indirectement, l’avènement du mouvement œcuménique moderne et la formation du Conseil œcuménique des Églises.

Parmi les tout premiers, mentionnons l’Alliance évangélique, établie dans la première moitié du 19siècle. Celle-ci réunissait davantage des chrétiens membres de diverses confessions à titre individuel que des Églises.

Un autre mouvement, l’Union chrétienne de jeunes gens et de jeunes filles, fut fondé par George William (mort en 1905).

Nous avons déjà mentionné la Fédération mondiale des étudiants chrétiens ainsi que les conférences missionnaires et théologiques. Il s’agit notamment de la Conférence internationale, de Foi et constitution, etc. Nous avons également expliqué que le souci d’unité se manifestait de manière assez prononcée dans les champs de mission où travaillaient souvent côte à côte divers organismes missionnaires issus de confessions protestantes. Or, le 19siècle fut celui par excellence des missions évangéliques.

Mais, parallèlement, un autre facteur, celui de l’influence croissante de la théologie libérale, notamment en Amérique du Nord, contribua considérablement à la création d’une conscience œcuménique. Les libéraux avaient, en définitive, une idée bien précise, celle de la relativité de la doctrine chrétienne biblique, et ils cherchaient surtout une idée commune qui fût valable pour les hommes de toutes les cultures et de toutes les sensibilités religieuses. Selon cette idée, l’unité culturelle et sociale se trouvait derrière toute manifestation religieuse. On peut dire que, dans les grandes lignes, l’entreprise missionnaire chrétienne fut souvent asservie, du côté protestant, à la théologie libérale. Celle-ci rejetait avec force l’appel à la conversion des païens et elle montrait en revanche une grande sympathie pour la coopération entre les religions dites universelles, notamment dans les domaines culturels et sociaux. Il ne s’agissait donc pas de sauver l’homme pécheur du jugement. Car toute religion païenne recelait, d’après la théologie moderniste, un ou plusieurs éléments valables.

Heureusement, dans les années 1930, une vigoureuse et salutaire réaction se fit sentir contre le néfaste libéralisme théologique, destructeur de toute véritable entreprise missionnaire. Nous citerons ici le nom du Néerlandais Hendrik Kraemer (Foi chrétienne et religions non chrétiennes). Quelles que soient les réserves que l’on puisse avoir à l’égard de sa conception missionnaire, on ne peut que lui être reconnaissant d’avoir rappelé les grandes lignes bibliques de la mission ainsi que de son rejet de tout syncrétisme. Ainsi, lors de la conférence tenue à Tambaran, l’accent fut placé sur l’amour du Dieu révélé et sur l’importance décisive de la personne et de l’œuvre du Christ, sur sa passion, sa mort et sa résurrection.

6. L’assemblée d’Amsterdam (22 août 1948)🔗

Les pionniers, ainsi que les divers mouvements chrétiens que nous venons de mentionner, préparèrent la création du Conseil œcuménique des Églises. Celui-ci vit le jour au mois d’août 1948 à Amsterdam.

À cette première assemblée, quelque 147 Églises, y compris l’Église orthodoxe grecque, avaient envoyé des délégués. Tous les sept ans, d’autres assemblées générales suivirent celle-ci. À celle de New Delhi en 1961, le conseil acceptait comme base doctrinale la seigneurie de Jésus-Christ comme Dieu et Sauveur, selon les Écritures. Cette formulation des principes de base aurait pu réjouir plus d’un chrétien réformé. Hélas!, la reconnaissance de l’autorité des Écritures et la confession d’une foi trinitaire n’empêchèrent pas des Églises foncièrement libérales, comme l’Église réformée de France, d’en faire partie.

Le siège du Conseil œcuménique se trouve à Genève. Un comité central d’une centaine de membres se réunit une fois par an et le comité exécutif deux fois par an. Il est présidé par six coprésidents. Son premier secrétaire général fut le Dr Visser’t Hooft, d’origine néerlandaise. Près de Genève se trouve également, au château de Bossey, un Institut œcuménique.

Outre les sérieuses réserves que les Églises réformées confessantes auront à formuler à son égard, notamment en ce qui concerne l’insuffisance de sa base doctrinale, il faut évoquer les prises de position politiques très radicales du Conseil œcuménique des Églises dans diverses régions du monde contre des régimes qu’il dénonce comme « policiers » et son curieux silence lorsqu’il s’agit des persécutions que subissent les chrétiens dans tant de pays d’obédience marxiste. Cette attitude de politisation radicale, dénuée de justification biblique, a amené beaucoup d’Églises à s’en séparer.

7. D’autres mouvements œcuméniques🔗

Parmi d’autres mouvements œcuméniques, mentionnons les alliances entre Églises d’une même confession établies dans des pays différents, par exemple l’Alliance réformée mondiale, la Fédération luthérienne mondiale et la Conférence de Lambeth pour les Églises anglicanes.

En 1948 voyait également le jour le Conseil international des Églises chrétiennes, créé par le pasteur Carl McIntire. Malheureusement, ce conseil fondamentaliste, plus réactionnaire vis-à-vis du Conseil œcuménique qu’œuvre positive, n’a pas réussi à susciter un grand enthousiasme ni à mobiliser des Églises qui ne se trouvaient pas dans les groupes du Conseil œcuménique.

En 1946, sous l’initiative de l’Église chrétienne réformée, ainsi que celles des Pays-Bas et d’Afrique du Sud, était créé le Synode œcuménique réformé, réunissant à l’époque des Églises confessantes. Malheureusement, certaines Églises, dont la Gereformeerde néerlandaise, ont, depuis, abandonné leur position confessante pour glisser dans le libéralisme théologique et pour ne plus reconnaître les principes d’éthique biblique. On ne peut pas dire qu’actuellement, en 1988, le Synode œcuménique réformé offre la garantie d’un organisme ne réunissant que de véritables Églises confessantes. Lors de l’assemblée de juin 1988 au Zimbabwe, le synode changea son nom pour devenir le Conseil œcuménique réformé1.

8. Conclusion🔗

Parvenus à la fin de cet article, nous avons à rappeler que le mouvement œcuménique se contente de citer une parole du Christ hors de son contexte : « Qu’ils soient un afin que le monde croie » (Jn 17.21).

La condition de l’unité est tout d’abord celle de la fidélité et de la pureté doctrinale. Le chrétien, ainsi que l’Église tout entière, devra distinguer entre le vrai et le faux œcuménisme. L’unité sera possible dans la confession de la foi des apôtres et dans la proclamation fidèle de tout le conseil de Dieu. Elle rejettera avec vigueur toute relativisation doctrinale. Elle cherchera à écouter exclusivement ce que l’Esprit et la Parole disent aux Églises. Elle ne cherchera pas un triomphalisme statistique, mais l’unité autour de la seule vérité révélée.

Une unité extérieure, de façade, conduit immanquablement à la déchéance spirituelle. Le dialogue fraternel ne consiste pas à changer la vérité qui édifie et qui a été transmise une fois pour toutes aux saints. La recherche à tout prix d’une unité extérieure ne parviendra qu’à créer une hyperÉglise tout en ignorant la réalité du corps invisible du Christ. L’unité véritable existera entre Églises qui, d’un commun accord, tiennent à donner, en toutes circonstances, les signes de leur authenticité évangélique, à savoir : la proclamation fidèle de la Parole, l’administration correcte des sacrements, l’exercice spirituel de la discipline ecclésiastique.

Note

1. NDLR : Il existe aussi un regroupement plus fidèlement confessant d’Églises réformées et presbytériennes qui s’appelle la Conférence international des Églises réformées (International Conference of Reformed Churches). Les Églises membres proviennent de plusieurs pays et s’efforcent d’exprimer et de promouvoir leur unité dans la foi et de coopérer dans la mission.