Cet article a pour sujet la lecture de la Bible dans l'Église, pourquoi et comment lire la Bible, la traduction de la Bible, et les différents styles littéraires.

Source: Introduction au Nouveau Testament. 6 pages.

La lecture de la Bible dans l'Église

  1. Pourquoi et comment lire la Bible?
  2. Traduire est-ce trahir?
  3. Les différents styles littéraires

1. Pourquoi et comment lire la Bible?🔗

Pourquoi lire la Bible? Sa lecture amène-t-elle à la conversion? La conversion incite-t-elle sa lecture et sa méditation?

Selon un missiologue allemand, nombre de nouveaux convertis déclarent qu’ils sont attirés par l’Église parce qu’ils y ont discerné « une autre manière de vivre, une autre dimension de l’existence en laquelle une puissance autre se trouve à l’œuvre se manifestant seulement par des signes et des expressions étonnamment neuves ».

Cette constatation pose la question : la Bible est-elle principalement le livre destiné à l’enseignement et au culte de l’Église? Ainsi que la question corollaire : l’étude intelligente de la Bible au sein de la communauté chrétienne qui l’aide à rayonner sa foi n’est-elle pas l’équivalente d’une action missionnaire plus effective que la simple distribution des exemplaires de celle-ci?

La leçon tirée de l’histoire prouve que la Bible contribue à effacer tout étalage et exhibition de vie religieuse, toute préoccupation qui nierait la disponibilité intérieure; d’autre part, elle ne favorise pas une introspection stérile, mais en revanche elle nous dispose envers autrui, son service, par la communication pratique de l’Évangile.

La question essentielle restera sans cesse le comment de sa lecture. Car chacun lit la Bible pour entendre la parole qui lui est adressée. Si cette lecture est faite dans un esprit de prière et de foi, toute parole biblique sera effectivement entendue comme parole de Dieu.

Quelques questions importantes surgissent alors auxquelles il est légitime de répondre, sans user de formules d’infaillibilité quelquefois obscurantistes à cet égard.

Ainsi, ai-je le droit de m’approprier une parole adressée à un autre et en d’autres temps? Ai-je le droit d’appliquer à autrui la parole qui m’est adressée à moi-même? Que faire des passages qui ne sont pas des paroles? Comment décider que telle parole est parole de Dieu pour moi, mais que telle autre ne me concerne pas?

La lecture de la Bible dans l’Église a permis à certains de chercher une signification symbolique. L’exégèse typologique (le miracle de Jonas est le type du miracle de la résurrection) et allégorique (les deux femmes d’Abraham sont l’allégorie de l’ancienne et de la nouvelle alliance, Ga 4.21-30) ont été largement pratiquées. Mais on se demandera avec raison si le symbolisme n’entraîne pas parfois des emportements fantaisistes débridés, en faisant dire à la Bible ce qu’on a soi-même envie qu’elle dise?

De l’autre côté, l’étude dite scientifique de la Bible suffit-elle pour répondre à toutes les questions qu’un esprit moderne peut se poser en face d’un livre, la Bible qui est histoire, celle d’un peuple nommé Israël, et celle des débuts de l’Église ainsi que d’une religion, celle inspirée par la Bible? Qui a rédigé ce livre? Comment a-t-il été rédigé? Dans quelles circonstances et à quelles époques?

Remarquons, pour lui accorder ce crédit, que la science biblique moderne nous permet de comprendre les témoignages rendus à l’authenticité autant qu’à l’autorité de la Bible dans le sens linguistique, tel que nous l’avons démontré dans la partie plus haut, comme aussi l’intention des auteurs. Mais pas toujours davantage.

Il est utile de se rappeler que science n’est pas synonyme de vérité absolue; ce que nous affirmons sur la base des résultats des sciences bibliques nous parvient tout au plus comme vraisemblable. Il nous reste enfin à chercher ce que ces textes bibliques signifient pour nous-mêmes, dans notre situation propre.

Lire avec un certain regard les grands thèmes bibliques, faire appel à la linguistique pour établir le rapport entre ce qui est dit et ce qui veut être dit, telle est la tentative entreprise par certains modernes. Elle s’appelle exégèse structuraliste.

Quant à la démythologisation, peut-on la comprendre simplement comme le renoncement à certaines images auxquelles les auteurs bibliques ont eu recours, mais qui ne correspondraient plus à nos mentalités modernes ni n’exprimeraient en termes actuels les grandes réalités de la foi (Dieu le Père, Jésus-Christ, le Fils, le Saint-Esprit, la résurrection de la chair, des corps, des morts)? Ou est-ce, en réalité, toute autre chose?

S’il fallait suivre la démythologisation, nous serions amenés à remplacer ce qu’on qualifie d’anciens mythes d’un monde périmé par des nouveaux d’un monde aussi transitoire que le précédent. La génération suivante s’épuisera à son tour à démythologiser ce que, avec grand peine, nous avons établi comme la vérité du moment!

2. Traduire est-ce trahir?🔗

La très grande majorité des lecteurs de la Bible la lisent dans une certaine traduction. Jusqu’à ces dernières années (et encore actuellement), contrairement à ce que font les traducteurs professionnels dans d’autres disciplines, la plupart des traducteurs bibliques estiment que la fidélité au texte original implique au premier chef une fidélité à la forme de cet original. On s’efforce à conserver la nature grammaticale des mots, la dimension des propositions, les tournures stylistiques, etc. Le résultat est que la majorité de nos traductions en usage restent à peu près inaccessibles à ceux qui n’ont pas fait le long apprentissage du langage particulier de ces traductions.

Pour lire la Bible, faut-il donc avoir le courage d’apprendre d’abord son langage comme lorsqu’on apprend une langue étrangère? Une autre approche, et ici nous ne faisons que la signaler, sans l’approuver, consiste en de nouvelles traductions en langage courant faites selon le principe de l’équivalence dynamique : la conformité au contexte ayant la priorité sur la concordance verbale, l’audition sur la lecture silencieuse, et les besoins des destinataires sur les formes littéraires.

La question qui se pose est la suivante : de quel livre ce texte est-il tiré? Qui en était l’auteur et quelle était son intention générale en écrivant cet ouvrage? À quelle époque et dans quel cadre historique l’auteur a-t-il écrit ce passage? Quelle est la situation de communication précise décrite dans la péricope en question? S’agit-il d’un dialogue, d’un discours, d’un poème, d’une réponse à une question? Quels sont les protagonistes de l’événement décrit; quelles sont leurs relations les uns avec les autres? Quel était leur rôle dans la société? Quels sont les symboles et concepts utilisés par l’auteur du texte? Comment étaient-ils compris immédiatement par les lecteurs ou les auditeurs du discours rapporté? Comment exprimer ces symboles et concepts de sorte qu’ils soient intelligibles de manière universelle? Quelle est la situation existentielle de notre groupe? À qui cherchons-nous à communiquer? Quelle est la situation de ce public? En fonction de ces définitions, quels seraient les équivalents actuels des symboles et concepts dont il est question dans la péricope? Quels termes faudrait-il choisir pour les décrire au groupe spécifique auquel on s’adresse? Dans l’éventail des médias à notre disposition, lequel pourrait-il être utilisé comme l’équivalent du média décrit dans le texte (discours, prédication, parabole…)? Etc.

3. Les différents styles littéraires🔗

Il nous reste, pour conclure la présente section, à ouvrir un paragraphe consacré aux différents styles littéraires que nous rencontrons dans la Bible. Un paragraphe plus long consacré aux paraboles du Christ sera inclus dans le chapitre suivant traitant des discours de Jésus. Nous refuserons toute discussion relative à ce que la critique biblique moderne appelle le mythe biblique ou la saga biblique. Nous refusons de croire que la Bible en contient.

En revanche, nous y trouvons des métaphores, c’est-à-dire un procédé littéraire par lequel on transfère la signification propre d’un mot à une autre signification et qui ne lui convient qu’en vertu d’une comparaison sous-entendue. À cet endroit, nous frôlons un sol occupé par la poésie. Ainsi, le Psaume 29 compare la voix de Dieu au tonnerre. Pensons également aux expressions « les piliers de la terre » (ou du ciel) ou « les fenêtres du ciel », merveilleuses descriptions de la réalité, mais toutes poétiques. De nombreuses difficultés ressortant de la lecture de la Bible disparaîtraient si nous gardions à l’esprit la présence de métaphores.

Pensons également au langage anthropomorphique de la Bible. Dieu est Père. La création de l’homme est comparée à l’œuvre d’un potier. Dieu donne la vie en soufflant l’esprit dans les narines. Après le sacrifice de Noé, Dieu prend plaisir à l’agréable odeur (Gn 8.20-21). Ailleurs, son action ressemble à celle des hommes : il descend du ciel, il se promène dans le jardin, il visite la tour de Babel, il apparaît à Abraham sous forme humaine, à Ézéchiel revêtu d’un manteau blanc.

Le symbole, lui, est la représentation réelle ou la vision d’un objet, d’un événement ou d’un personnage qui n’a pas de signification propre, mais uniquement dans ce qu’elle illustre. Un exemple typique est celui d’Ézéchiel tenant deux bâtons dans sa main pour faire croire qu’il n’y en a qu’un seul. Avec ce symbole, le prophète illustre Juda et Israël qui ne sont qu’un seul peuple (Éz 37.15-28). Daniel et l’Apocalypse de Jean, ainsi que de très nombreux livres prophétiques, sont pleins de symboles. On ne peut, sans faire insulte à l’intelligence créée par Dieu, prendre littéralement la présence de bêtes, de cornes, de trompettes ou encore de figures célestes comme des mots à interpréter littéralement. Fort heureusement, la Bible elle-même vient à notre aide quand il s’agit de comprendre correctement des êtres ou des objets symboliques.

Le type, lui, est la représentation d’une vérité permanente et plus grande, par un événement, un objet ou un personnage qui possèdent leur existence propre et ont un sens en eux-mêmes. Ainsi, la loi rituelle de l’Ancienne Alliance était le type du ministère de Jésus. L’épître aux Hébreux en donne un commentaire éloquent autorisé. Pour le chrétien, cette loi n’a pas de valeur effective, mais avant l’incarnation du Fils de Dieu, elle avait sa signification propre tout en étant la représentation typologique de ce qui allait advenir. Les fidèles de l’Ancien Testament pouvaient obtenir le pardon des péchés, grâce à la médiation toute provisoire de la loi. Un équivalent moderne du type est le billet de banque qui représente la valeur de l’or ou de l’argent réels. En soi, le papier imprimé émis par une banque nationale ne possède aucune valeur, mais sa prolifération ou sa fabrication non autorisée entraînent la dévaluation par l’inflation. De la même manière, on a dévalorisé le Christ en usant et abusant de la typologie. Jésus en personne nous aide à voir quels sont les vrais types de sa personne (Jonas, ou David, ou le prophète Osée, etc.).

Terminons cette classification des styles littéraires propres à la Bible par la mention de l’allégorie. L’allégorie est la description d’une vérité par un récit que l’on admet comme « histoire », bien que les événements n’aient pas eu lieu en réalité sous la forme qui les rapporte (la littérature d’inspiration chrétienne telle que Le Voyage du Pèlerin et profane comme Alice aux Pays des Merveilles sont des exemples parfaits de style allégorique).

Certains chrétiens font un usage abusif de l’allégorie. Il faut y prendre garde. Lorsque la Bible a recours à ce langage (Jg 9.7-15; 2 R 14.9), elle le rend clair. Mais il faut faire attention à ne pas considérer le récit de la Genèse comme étant une allégorie. Le contexte géographique rend clair que le récit biblique des origines de la race humaine a un arrière-plan historique tout véridique.

Au sujet des aphorismes employés par Jésus, E. Hoskyns et F.N. Davey avancent ce qui suit dans L’Énigme du Nouveau Testament. Nous leur empruntons quelques lignes.

« La tentative faite par les savants pour découvrir dans l’enseignement de Jésus une nouvelle doctrine morale a pour ainsi dire complètement échoué. Les spécialistes juifs qui se sont attachés à comparer l’éthique de Jésus avec celle des rabbins sont arrivés à la conclusion qu’il n’est pas un seul aphorisme attribué à Jésus auquel on ne puisse trouver un parallèle, souvent littéral, dans la littérature rabbinique. De leur côté, les spécialistes chrétiens de la science rabbinique semblent de plus en plus d’accord avec cette conclusion. Par exemple, il est évident qu’une parole telle que “le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat” aurait pu être acceptée sans autre par le rabbin le plus scrupuleux. De même, l’affirmation si fréquente selon laquelle la justice que Dieu exige est celle qui vient du cœur n’avait rien en soi de très nouveau. Et Jésus lui-même déclare expressément dans l’Évangile de Matthieu : “Les scribes et les pharisiens sont assis dans la chaire de Moïse. Faites donc et observez tout ce qu’ils vous disent.” La fameuse règle d’or elle-même (Mt 7.12) a son parallèle dans l’enseignement rabbinique. Ce parallélisme n’existe pas seulement quant au fond, mais aussi quant à la forme des aphorismes. Ainsi, lorsque Jésus prononce les béatitudes, “heureux, vous qui êtes pauvres…”, il utilise une forme déjà familière à ses auditeurs. D’autre part, les rabbins usaient couramment de paraboles pour éclairer leur discours et Jésus ne fait que reprendre leur habitude. Des formules introductives telles que “à quoi comparerons-nous…?”, de même que l’emploi de la phrase rythmée dans Luc 6.27-28 et 6.44 étaient caractéristiques de l’enseignement rabbinique…
La doctrine morale de Jésus n’est rien d’autre qu’une reprise et une explication de la loi révélée à Israël. La justice qu’il exige n’est nullement nouvelle, non pas qu’elle ait été déjà formulée de manière semblable par les rabbins, mais parce qu’elle représente la volonté totale du Dieu de l’Ancien Testament. Jésus a pu résumer cette volonté en reprenant simplement deux passages de la loi et en les citant littéralement (Mc 12.29-31; comparer Dt 6.4-5; Lv 19.18). »

Offrons une liste de certains passages des Évangiles où apparaissent des aphorismes prononcés par Jésus : Matthieu 5.13-14 et 20; 8.22; 13.16; Luc 9.60; 10.23. Les deux auteurs cités plus haut poursuivent :

« Ainsi donc, on ne saurait replacer simplement Jésus dans le cadre du judaïsme de l’époque. Par delà ce judaïsme, il remonte jusqu’à la loi et aux prophètes et il déclare expressément que le temps présent marque leur accomplissement. “Je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir.” “Personne ne coud une pièce de drap neuf à un vieil habit.”
La conclusion à laquelle aboutit l’examen des aphorismes c’est que ces aphorismes sont des paroles du Messie, de ce Messie qui inaugure l’avènement du Royaume de Dieu, suprême accomplissement de la loi révélée au peuple hébreu. Ce Royaume commence dans l’humiliation, au milieu de la persécution et de l’incompréhension générale, et cette humiliation n’est pas seulement un prélude nécessaire à l’établissement définitif du Royaume; elle est la porte étroite qui y introduit les croyants. Ainsi donc, on ne saurait détacher les aphorismes de Jésus de leur arrière-plan messianique et, en particulier, des événements qui se sont produits en Palestine vers l’an 30 de notre ère, ces aphorismes ne sont pas de simples exhortations morales; ils proclament la présence du Royaume de Dieu et ils sont enracinés dans un fait historique original : la venue du Messie.1 »

Note

1L’énigme du Nouveau Testament, p. 145-157.