L'enseignement sur le Saint-Esprit et l'expérience chrétienne - Souci pastoral pour l'Afrique
L'enseignement sur le Saint-Esprit et l'expérience chrétienne - Souci pastoral pour l'Afrique
Le présent Essai sur le Saint-Esprit et l’expérience chrétienne (en 48 articles, dont voici la préface) reprend l’essentiel de notre première « ébauche », composée sous le même titre et parue en 1978 aux éditions Perspectives Réformées. Il la complète en y ajoutant notamment une grande partie de ce que d’ordinaire la théologie appelle « l’ordo salutis », l’ordre du salut.
Comme dans notre première étude, c’est pour répondre à un besoin pastoral urgent, voire dramatique, que dix ans après nous l’offrons sous cette nouvelle forme à des chrétiens membres de diverses confessions et plus spécialement à ceux d’obédience réformée.
Nous l’intitulerons essai; en effet, il s’agira d’un essai au sens d’approche, d’esquisse, presque de notes marginales, plus que d’un travail scientifique, mais dépourvu de toute préoccupation pastorale; travail qui pourrait satisfaire un académisme détaché des réalités vécues et stérile, qui laisserait le fidèle disciple de Jésus-Christ dans une grosse ignorance quant à la nature bibliquement définissable de son « expérience ». Trop souvent, de tels traités parviennent plus à favoriser une anorexie doctrinale, hélas endémique dans nos Églises issues de la Réforme, qu’ils n’incitent à ajouter la connaissance à la vertu, et à témoigner d’une foi connaissante et à renforcer une connaissance croyante.
D’ailleurs, qu’aurait-on encore besoin d’un autre traité sur la pneumatologie lorsque le marché en regorge? Qu’on veuille seulement se rappeler des nombreuses parutions depuis moins de vingt ans, parmi lesquelles des recherches remarquables. Outre la bibliographie en fin de notre étude, mentionnons quelques-uns des titres de la vaste moisson théologique, bien que ne les ayant pas tous consultés pour les besoins du présent travail. Ce sont notamment des ouvrages en langue anglaise, rien de bien important en français n’ayant été signalé à notre attention. Ainsi d’Yves Congar, Je crois au Saint-Esprit et Parole et Esprit; de F.X. Durrwell, Holy Spirit of God; de L. Gelpila, Mother Divine; de M. Green, I believe in the Holy Spirit; de A. Heron, Holy Spirit; de P. Hocken, One Lord, One Spirit, One Body; d’Eduard Schweizer, Le Saint-Esprit; de T.S. Smail, The Giving of Gifts; de Lukas Vischer, Spirit of God, Spirit of Christ; de J. Williams, The Holy Spirit, Lord and Giver of Life. Nous n’encombrerons pas cette page en mentionnant les multiples articles savants ayant paru dans des revues théologiques ou des publications plus populaires.
On ne pourra certes plus ironiser comme jadis, il y a à peine un quart de siècle, en disant que le Saint-Esprit est « la personne ignorée de la Trinité », ou bien le « parent pauvre » de la théologie chrétienne. Actuellement, il est davantage à craindre que, dans l’inflation du discours souvent irresponsable, notamment là où on a tenté de monopoliser le Saint-Esprit, ce ne soit Dieu le Père qui soit perdu de vue avec ses droits, ou le Fils qui ne pâtisse sérieusement de la prééminence de l’Esprit Saint, lequel, pourtant, a pour mission de pointer le doigt vers lui « afin qu’il croisse… »
Déjà, la mère de Dieu, dont la dulie (service) n’avait pourtant jamais connu d’éclipse, fait actuellement, grâce aux efforts conjugués de Karol Wojtyla, évêque au Vatican, et de charismatiques d’obédience romaine, une sorte de retour en force remarqué, qui est de nature à combler les attentes passionnées du mariolâtre le plus zélé.
On a le sentiment que, sous prétexte de parler et de dire du neuf sur le Saint-Esprit, on a beaucoup bavardé sur lui. Nous n’avons donc aucune raison de nous réjouir et de rester optimistes. Nous aurions pu nous réjouir si seulement on l’avait reconnu comme le véritable Générateur de la foi, au lieu de cette surenchère langagière sur le spirituel. Pourtant, il est évident que « Saint-Esprit » et « spirituel » ne coïncident pas forcément! En outre, on peut toujours se plaindre que des traités sérieux ne prennent pas toujours soin d’établir et de démontrer avec clarté le lien intime et organique entre l’Esprit Saint et l’expérience chrétienne. Quant aux milieux qui pratiquent cette pléthore du topique, on serait tenté de comparer « l’expérience chrétienne », ou bien ce qu’on a coutume d’appeler les bénédictions successives de l’Esprit, à ce tonneau des Danaïdes impossible à remplir de la mythologie grecque.
Nous n’envisageons pas de traiter au cours de cette étude le conflit séculaire, ayant en partie au moins contribué au Grand Schisme de 1054, entre l’Église orientale grecque et l’Église occidentale latine, au sujet du célèbre « Filioque » (le Saint-Esprit procède-t-il du seul Père, affirmation grecque, ou bien aussi du Fils, « Filio que », comme le veut l’Église latine et à sa suite les Églises de la Réforme?) Il y a peu, un travail remarquable effectué par des évêques catholiques de Grèce a révélé des aspects autres que théologiques, mais également historiques et linguistiques, qui expliqueraient les divers facteurs ayant engendré le conflit. Des éléments susceptibles d’aplanir le grave différend sont réunis. À présent, on attend des théologiens qu’ils les exploitent pour mettre fin à un conflit dont l’enjeu est grand et qui ne relève assurément pas d’une banale dispute byzantine. Le sujet qui nous occupe ici pourrait, lui aussi, bénéficier des lumières d’une interprétation renouvelée du « Filioque ».
Notre propos est modeste, si toutefois on devait parler de modestie lorsqu’il s’agit d’une préoccupation pastorale de cette envergure. Il conviendrait plutôt de parler d’une véritable contrainte, ressentie lourdement au cours de plus de trente-cinq ans de ministère pastoral, dont une grande partie consacrée à la proclamation de l’Évangile sur les ondes, aussi bien en Europe et en Amérique du Nord qu’en Afrique. Même l’expression « souci pastoral » nous semble inadéquate pour exprimer notre profonde inquiétude face aux multiples abus spirituels modernes. Nous n’avons pas la prétention d’avoir tout dit, même si nous sommes convaincu d’avoir indiqué la bonne direction. Après tout, en théologie comme en pastorale, rien ne se dit et fait « ef hapax », c’est-à-dire ayant un caractère d’accompli une fois pour toutes et qui ne saurait jamais se répéter! Seul le Livre saint peut se prévaloir à juste titre d’un tel caractère et se réclamer de l’autorité suprême que ce caractère lui confère. Toute théologie sera révisable, réajustable. Mais si on devine la fermeté de notre dessein, la raison en est que nous ne sommes pas parti de rien, mais que nous nous référons sans cesse, outre à la révélation, à tout ce qui nous a été légué tel un précieux héritage à conserver et à transmettre, à savoir la pensée calvinienne et les grands textes symboliques des Églises réformées.
L’urgence contraignante qui nous a poussé à retravailler ce thème sera mieux comprise si nous rappelons notre propre « expérience » pastorale. Les faits, l’expérience concrète, peuvent devenir de sérieux alliés de la réflexion théologique, même s’ils ne fonderont pas comme tels la doctrine chrétienne.
Voici notre expérience pastorale africaine. L’Afrique actuelle, comme le reste de la planète, demeure à nos yeux, en dépit des intoxiqués de la modernité véhiculant trop souvent un vide conceptuel (comme « Tiers-Monde » ou « Nord-Sud »), l’Afrique, disons-nous, reste un champ de mission qu’il faut d’urgence ensemencer chaque jour, sans prendre trop au sérieux les données farfelues d’une certaine missiologie ni de s’enivrer d’une théologie de statistiques. Ensemencer le champ jusqu’à la fin, car si le Christ nous promet sa présence jusqu’à la fin, il nous assure également qu’il est avec nous tous les jours, chaque jour, ce qui implique que la proclamation de l’Évangile devra se faire quotidiennement, de même que le pain matériel sera demandé chaque jour! À chaque jour donc son Évangile, en Afrique comme en Océanie, au Pôle Nord comme en la lointaine Tasmanie. C’est précisément ce que nous cherchons à faire depuis plus de vingt ans par notre ministère radiophonique.
Sans nous livrer à une futurologie chère aux modernes bureaucrates de la missiologie, à cause de notre espérance eschatologique, nous savons que notre mission devra durer, c’est-à-dire jusqu’à l’apparition glorieuse du Maître de la moisson et de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, que nous attendons comme l’ont fait durant vingt siècles d’autres générations de fidèles avant nous. Et, détail non négligeable, nous ne nous contenterons pas de simplement écouter l’Africain ou l’Européen, à l’instar de ceux qui affirment réinventer la mission. Nous proclamons, transmettons, communiquons, invitons, « les forçons à entrer » par la persuasion, les exhortons à se convertir et à se réconcilier avec Dieu. Ceci est, bien entendu, plus qu’un détail majeur; il en va de l’essence même de l’Évangile, de la survie de toute mission digne de ce nom. Tout le reste ne peut venir que du Malin!
C’est donc sur le sol africain que, depuis plus de quinze ans, avec cette conviction et une joie immense, nous exerçons notre ministère, considérant la mission comme un privilège, le don qui nous a été fait par le ciel! Nos émissions radiophoniques l’atteignent plusieurs fois par jour; nos cassettes audio et vidéo y circulent, nos publications sont gracieusement offertes à des milliers d’exemplaires (plus de trente titres publiés), nos cours par correspondance forment entre autres des anciens, voire des évangélistes, pour leur permettre d’assurer le ministère de la Parole, de confesser une foi droite et de témoigner clairement et de manière ferme de cet Évangile, puissance de Dieu pour le salut de tout Africain qui croit; nous y avons effectué de fréquentes visites, avons reçu des milliers de lettres d’auditeurs et d’auditrices et avons eu l’insigne joie de voir fonder dans certains pays francophones des Églises réformées confessantes, comme le fruit direct de la proclamation de l’Évangile par les ondes. Un tel ministère nous autorise donc à nous considérer informés de la situation chrétienne et ecclésiastique en Afrique aussi bien et autant que n’importe quel autre missionnaire ou coopérant social y consacrant sa vie, certainement avec zèle et compétence, mais dont le champ de vision sera nécessairement plus restreint, local, par rapport au nôtre qui embrasse plus de vingt pays francophones de ce continent. Et ceci, en dépit même de l’immense malentendu qui entoure un ministère évangélique exercé au moyen des ondes électromagnétiques.
Quelle est notre constatation? Nous la dirons simplement en deux points. Positivement, un besoin profond est ressenti par les chrétiens d’Afrique pour une formation biblique et doctrinale. Il est à la fois réjouissant de constater et étonnant aussi (nonobstant les vagues d’adaptation, contextualisation, acculturation et autre indigénisation de l’Évangile qui secoue notamment les branches desséchées des missiologies occidentales) que des Africains crient leur besoin de recevoir l’Évangile selon l’Évangile, même apporté par l’homme blanc, qu’ils refusent d’entendre quoi que ce soit au sujet par exemple d’un Jésus noir (n’en déplaise au révérend Jessie Jackson). Ils combattront la confusion et la cohabitation de la foi avec des doctrines pernicieuses, l’amalgame et le concubinage avec les religions spirituelles et tout partage de lit entre l’Évangile et les coutumes ancestrales païennes! De telles synthèses peuvent tenir à cœur à Sa Sainteté le pape Jean Paul II, mais elles seront refusées avec la dernière énergie par le lecteur africain de l’Évangile qui confesse Jésus-Christ comme unique Sauveur! Et gare à nous si jamais nous ne sommes pas suffisamment clairs à ce sujet. L’auditeur africain averti nous rappellerait vite à l’ordre. De telles lettres révèlent la température de la foi chrétienne; elles sont l’indice d’une bonne santé, la santé du chrétien dont la foi est ancrée en la Bible et rien qu’en celle-ci. Nous louons le Seigneur notre Dieu de faire sortir la vérité de la bouche de nos frères africains au moment où de doctes théologiens occidentaux s’adonnent savamment à la manipulation de l’Évangile et se livrent à diffuser un sous-produit chrétien de leur cru, un vrai faux évangile contextualisé.
Négativement, nous sommes consterné en constatant les effets d’un autre discours chrétien trahi et des propos tenus sur un Esprit tout à fait humilié, là même où on s’imagine honorer ce dernier avec zèle. Une confusion intolérable règne au sujet de l’Esprit, due précisément à l’absence d’un enseignement biblique solide et systématique. Nous ne généralisons pas; car pas tous les missionnaires du passé ou du présent ne devraient être inculpés de toutes les carences de cette nature. Mais force nous est de constater que là où l’Évangile a été réduit à la portion congrue d’un moralisme légaliste, là l’Évangile n’a pu rassembler qu’un peuple d’Église aussi famélique que les malheureuses populations du Sahel. Partout où légalisme et moralisme, ces deux mamelles d’un christianisme atrophié, s’exhibent, là survient immanquablement le cataclysme, et en Afrique pas moins qu’ailleurs le cataclysme s’est abattu de manière catastrophique. Se rendra-t-on assez rapidement compte que l’Afrique chrétienne a urgemment besoin qu’on lui enseigne « tout le conseil de Dieu », avant même qu’on lui fournisse des tracteurs, ou qu’on y expédie des vêtements collectés par les services diaconaux de l’Église mère?
Entre le Saint-Esprit du Dieu trois fois saint et les esprits des ancêtres, la différence ne semble pas être bien grande pour beaucoup d’Africains christianisés. La convivialité congénitale à la mentalité africaine, non éclairée ni éduquée sur ce thème, semble parfaitement s’accommoder d’une telle confusion.
Dès lors, comment tarder à tracer les limites infranchissables entre l’un, l’Esprit de Dieu, et les multiples esprits tribaux, surgis du fond de l’africanité? Il faut tirer avec vigueur la sonnette d’alarme, le tocsin faudrait-il dire, si l’on ne veut pas que le continent africain se précipite tête baissée, l’indigénisation de l’Évangile y prêtant main-forte, dans un paganisme qui sera aussi grossier que celui d’il y a cent cinquante ans, lorsque des missionnaires fidèles, dévoués, compétents, fermes et si souvent héroïques y ont apporté la lumière libératrice au prix de quels sacrifices! Souvent même au prix de l’offrande de leur personne et celle de leurs familles. On ne parle guère de nos jours de l’époque héroïque de la mission; cela donnerait-il mauvaise conscience à ceux qui croient être les exceptionnels détenteurs du secret de la charité chrétienne sur le sol africain?
Nous aurions aimé nous arrêter plus longuement sur un néologisme qui nous paraît être un barbarisme linguistique, c’est-à-dire la « contextualisation de la mission », voire de l’Évangile dans le Tiers et le Quart-Monde. Ce terme a été forgé, si nous ne nous trompons pas, lors du Congrès mondial de l’évangélisation tenu à Lausanne en 1973, alors que l’élégant terme français « acculturation » aurait fait l’affaire, au moins sur le plan linguistique. Quoi qu’il en soit d’un tel avatar linguistique, le malentendu résultant de la spiritualité africaine ne sera levé qu’au prix d’une sérieuse réflexion, loin des brumes du légalisme et du moralisme. L’Afrique, pas moins que le reste de « l’oikouménè », la terre habitée au sens biblique, a besoin d’une « didaskalia », d’un enseignement, avant même de toute « diakonia », de tout service d’entraide!
Dès lors, peu nous chaut les statistiques triomphalistes du fameux « Church Growth », cette autre obsession de certains missiologistes californiens! Décidément, la Californie, sol fertile de nouveautés, y compris théologiques, nous surprendra davantage par ses violentes et anarchiques secousses que par ses fréquents séismes telluriques. D’après les pronostics de ces Messieurs, la fin de notre siècle verrait le nombre de chrétiens africains atteindre le chiffre de quatre cents millions, comparés aux trois millions seulement du début du siècle! Quelle voyance médiumnique a-t-il fallu pour prédire qu’à minuit moins deux minutes, le 31 décembre 1999 (ou en l’an de grâce 2000?), la somme totale du christianisme africain arithmétisé (arithmédusé, faudrait-il écrire) pourra être comptabilisée avec la même calculette que les maigres chèvres du Sahel! Quelle audace surtout pour confondre aussi grossièrement « nombres » avec « plérôme », la plénitude selon l’Écriture! Celle-ci relève de la seule opération compétente et efficace de l’Esprit, celui-là de la sécheresse spirituelle des bureaucrates statisticiens.
En outre, même si l’on s’accordait autour de telles certitudes numériques, n’est-on pas en droit de s’enquérir sur un autre aspect, que nous ne faisons que mentionner très naïvement : quel type de chrétiens seront donc ces quatre cents millions promus à enjamber ce prochain siècle? Allons-nous les considérer tous indistinctement comme chrétiens : animistes, syncrétistes, kimbanguistes, admirateurs du Jésus noir, adeptes des sectes spiritualistes ou matérialistes de tout bord et de tout gabarit?
C’est à cet endroit que nous devons rappeler notre « inquiétude » pour la mission africaine. Saurons-nous former des chrétiens africains autrement qu’en les trempant dans les marécages d’un œcuménisme sauvage, les entraînant sur les pistes occupées par une théologie de la violence, plaçant entre leurs mains les manuels du néo-catéchisme sociopolitique et même des armes à feu?
En Afrique, autant qu’ailleurs, il faut un solide enseignement biblique et réformé. D’autant plus solide que nos frères africains nous réclament avec une intelligence réceptive étonnante les vérités de l’Évangile. D’un Évangile qui informe, forme et réforme, et qui amène à sa maturité les membres du corps du Christ, que l’Esprit et la Parole édifient chaque jour pour la seule gloire de Dieu.
Nous devrions balayer également devant nos propres portes. Car nous saurons aider nos frères africains à condition de voir clair nous-mêmes, d’être sérieux. Les mêmes carences constatées en Afrique sont notre lot, et encore moins justifiables ici que sur le champ missionnaire, après des siècles de lecture de l’Évangile.
Les « charismatiques réformés »1 n’avanceront pas davantage le réveil et la réforme de l’Église que ne l’édifieront en Afrique les pentecôtistes exaltés. Un collègue nous rappelait : lorsque Satan veut entraver la réforme et le renouveau de l’Église par la Parole, il ne manque pas de s’adresser à ceux qui se réclament de l’Esprit. C’est ainsi qu’il parvient à réaliser ses projets. L’histoire de l’Église est là pour témoigner de cette stratégie diabolique.
Notre constatation ici ne sera pas différente de celle faite sur le sol africain. Une immense indigence doctrinale l’explique. Qu’il soit clair que nous ne songeons pas à entrer ici dans une quelconque querelle de personnes. Notre querelle est d’ordre doctrinal et ecclésiastique. Et à cet égard, nous ne nous faisons pas de scrupule de faire de la saine et de la sainte polémique. Lorsque l’ère des grandes controverses théologiques s’éclipse, cela annonce que le soleil va se coucher sur l’horizon ecclésiastique pour une très longue nuit glaciale. La controverse et la polémique engagées à propos de toute déviation doctrinale ont été, depuis l’ère apostolique, en passant par le seizième siècle, et le seront de nos jours, l’une des armes les plus nécessaires et les plus efficaces dans le combat que l’Église mène pour conserver le dépôt de la foi transmise une fois pour toutes. Leur absence est signe d’anémie chrétienne et preuve d’indifférence envers la vérité révélée.
Cette indifférence à l’égard de l’enseignement « didaskalia » explique par exemple que telle autre confession réformée en France, depuis voilà plus de cinquante ans, s’acharne toujours sans réussir à résoudre le dilemme suivant : faut-il oui ou non baptiser les petits enfants? Ignorent-ils qu’il y a plus de quarante ans Pierre-Charles Marcel a écrit à ce sujet Le baptême, sacrement de l’Alliance de grâce et qu’il y a dit l’essentiel, clairement et avec toute la compétence théologique que nous lui connaissons?
Le Saint-Esprit, quant à lui, cherche à faire de l’Église la colonne et l’appui de la vérité, de ses membres des pierres vivantes, non de collectionner des toupies qui tournent sans cesse autour d’elles-mêmes dans une frénétique et inconsciente autosatellisation spirituelle.
C’est ce « autour d’elles-mêmes » qui précisément fait l’objet de notre enquête ici. En Afrique ou en Occident, chez des pentecôtistes comme chez des libéraux, le problème majeur reste celui de la subjectivisation du salut, devenue un absolu. Nous la traitons dans les pages consacrées à l’examen du pentecôtisme.
Notre étude était déjà achevée lorsque nous prenions connaissance d’une biographie de Charles Grandison Finney, due à la plume de Keith J. Hardman2. Bien que l’auteur n’y entreprend pas une évaluation critique et polémique de la « théologie » du célèbre revivaliste américain, il ressort de son ouvrage l’essentiel de cette subjectivisation outrancière de la foi chrétienne en Amérique et, par ricochet, sur le vieux continent, et les dégâts incalculables qui, tels des éléments non biodégradables, vont pendant longtemps encore troubler les Églises et créer d’inutiles tourments dans la conscience du peuple chrétien. À cet endroit, nous songeons surtout aux protestants, là où un certain protestantisme américain a étendu son ombre et continue à exercer son hégémonie, celle de la religion du « Revival » (réveil). La biographie en question apporte à notre conviction une confirmation tout à fait à propos. L’anthropocentrisme de Finney témoigne et trahit la subordination de la vérité aux sentiments subjectifs de la personne qui croit. Finney est assurément l’un des principaux maîtres-penseurs du mouvement que nous étudions et l’un des représentants les plus respectés.
Il faudrait peut-être remonter même plus haut, au moins vers certains des représentants de la philosophie grecque, les sophistes présocratiques.
Dans sa remarquable synthèse de l’histoire de la pensée occidentale qu’il vient de nous livrer, Jean Brun écrit : « La mesure n’est plus ce à quoi l’homme doit se mesurer, elle devient ce que l’homme mesure, telle est la formule de Protagoras; l’homme est la mesure de toute chose.3 » Cela s’applique parfaitement au pentecôtisme et à ses diverses branches, qui sont une entreprise de subjectivisation élevée à un point de non-retour.
En terminant, qu’on nous permette une anecdote qui pourrait égayer quelque peu les sombres lignes qui précèdent. La légende dit qu’après un synode annuel d’une dénomination, le secrétaire général s’étant rendu au ciel pour y rendre compte des travaux achevés, Dieu le Père et Dieu le Fils l’auraient dirigé vers Dieu le Saint-Esprit, seul responsable des affaires ecclésiastiques! Celui-ci se serait alors écrié, en se frappant le front : « Mais oui, j’y étais invité, hélas je l’ai complètement oublié »!
Le Saint-Esprit serait-il amnésique? Certainement pas! Une telle absence de mémoire ne cacherait-elle pas plutôt ses véritables dispositions à l’égard des synodes ennuyeux, là où le protestantisme tâte avec quelle dilection son pouls, s’obnubile devant son nombril, s’interroge aussi : « le protestantisme doit-il mourir? » (peut-être d’auto-euthanasie!), afin que, selon ses bonnes habitudes, laissant les morts enterrer les leurs, l’Esprit aille souffler ailleurs et donner vie à ce qui n’existe pas. Peut-être si les Églises le tenaient effectivement pour ce qu’il est, à savoir le Docteur véritable de l’Église, alors il répondrait à leur épiclèse, exaucerait leur prière de « Veni Spiritus Creator », répandrait enfin, ainsi que le disent les pentecôtistes — et sur ce point notre espérance est identique à la leur — ses pluies abondantes et bienfaisantes.
Cette préface, assez longue, a voulu, entre autres choses, avertir le lecteur combien l’étude que nous avons l’honneur de lui présenter est loin d’être complète. Nous y avons donné quelques indications sûres, indiqué la source de toute expérience chrétienne authentique. Puissent d’autres poursuivre l’enquête effectuée et, si nécessaire, la prolonger.
Comme dans des études précédentes, nous avons de nouveau contracté une dette de reconnaissance envers Carmen, mon épouse, avec qui depuis plus de trente-cinq ans nous partageons la même expérience chrétienne; envers Éric, notre fils, qui, enfant de l’Alliance de grâce, a appris, comme un don personnel qui lui a été fait, ce qu’est une expérience chrétienne véritable et le prix qu’il en coûte. Tous les deux nous ont apporté une aide inestimable, par leurs remarques, suggestions et corrections. Sans eux, ce travail n’aurait pu voir le jour.
Notre assistant, le pasteur Paulin Bédard, avec la compétence théologique et technique qui est la sienne, ainsi que son amour sincère pour la droite doctrine réformée, a également apporté sa précieuse collaboration pour la présentation définitive du manuscrit; les index à la fin de l’ouvrage sont le fruit de son patient labeur. Qu’il trouve ici également l’expression de ma très chaude reconnaissance et celle de l’estime fraternelle que je lui porte.
Notes
1. À ce propos, en raison de quoi peut-on se dire et l’un et l’autre? Ne serait-ce pas, comme dans tout « cas schismatique », une simple affaire de schizophrénie doctrinale?
2. Keith J. Hardman, Charles Grandison Finney, Syracuse University Press, Syracuse, N.Y., 1987.
3. Jean Brun, L’Europe philosophe, p. 34.