Luc 14 - Calculer le prix
Luc 14 - Calculer le prix
« Car, lequel de vous, s’il veut bâtir une tour, ne s’assied d’abord pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi la terminer, de peur qu’après avoir posé les fondements, il ne puisse l’achever, et que tous ceux qui le verront ne se mettent à le railler, en disant : Cet homme a commencé à bâtir, et il n’a pu achever! Ou quel roi, s’il va faire la guerre à un autre roi, ne s’assied d’abord pour examiner s’il peut, avec dix mille hommes, marcher à la rencontre de celui qui vient l’attaquer avec vingt mille? S’il ne le peut, tandis que cet autre roi est encore loin, il lui envoie une ambassade pour demander la paix. Ainsi donc, quiconque d’entre vous ne renonce pas à tout ce qu’il possède ne peut être mon disciple. »
Luc 14.28-33
« Qu’a voulu dire Jésus? Qu’exige-t-il de nous aujourd’hui? Comment nous aide-t-il à être de nos jours des chrétiens fidèles? Ce qui importe ce n’est pas ce que veut tel ou tel homme d’Église ou théologien, ce que nous désirons savoir c’est ce que veut Jésus. Que de résonnances impures, que de lois humaines et dures, que de faux espoirs et de fausses consolations viennent encore troubler la pure parole de Jésus et rendre plus difficile une véritable décision! Est-ce qu’une fois de plus nous allons maintenant poser des exigences impossibles, vexatoires, excentriques dont l’observance pourra bien constituer le luxe pieux de quelques-uns, mais que l’homme ordinaire, le travailleur avec ses soucis de famille ou de santé se devra de rejeter comme une façon des plus impies de tenter Dieu? Lorsque Jésus nous parle de calculer le prix de notre obéissance, il annonce la libération à l’égard de tous les préceptes humains, à l’égard de tout ce qui opprime, de tout ce qui pèse, de tout ce qui cause du souci et tourmente la conscience. L’appel d’obéissance sans réserve est possible, la totale libération de l’homme qui permet la communion à Jésus. Celui qui obéit sans partage au commandement de Jésus, celui qui accepte de payer le prix trouve la force d’avancer sans fatigue sur la bonne voie. Cette exhortation de Jésus n’a rien de commun avec un traitement de choc pour l’âme. Jésus ne cherche jamais à détruire la vie, mais à maintenir, à la fortifier, à la guérir. »
Ces paroles sont extraites de l’introduction du livre Le prix de la grâce de Dietrich Bonhoeffer. L’auteur, jeune théologien allemand, a compris, par le don total de sa vie, ce que signifiait que l’obéissance sans faille à Jésus-Christ. Arrêté et emprisonné par les nazis durant la dernière guerre, il a été pendu, huit jours avant la libération de son camp et l’armistice de mai 1945.
Mais revenons au récit de l’Évangile. L’importance de la foule qui accompagne Jésus dans son voyage témoigne de l’accueil empressé que le peuple faisait à son message. Peuple enthousiaste, il entoure Jésus jusqu’à s’écraser l’un l’autre. Jésus a été applaudi, plébiscité par la foule, mais il n’a pas reconnu dans cette attitude l’accueil véritable et le réel engagement qu’il cherchait. Jésus se tourne vers cette foule qui le suit en lui adressant un enseignement. Il le met en garde contre un empressement superficiel. Il montre à quelles difficiles exigences il faut se soumettre pour être son disciple; comme s’il voulait repousser au lieu d’inviter.
D’abord, il faut franchir la porte étroite de ses dures conditions. La vie qu’il apporte ne saurait être utilisée et intégrée à la vie présente pour la perfectionner. Elle demande au contraire un abandon, un rejet du moi, dans tous les domaines de son rayonnement. Cette exigence n’est pas un arbitraire. Elle a sa raison d’être dans la communion sans borne du disciple avec le Seigneur. L’amour du Seigneur doit passer avant toute chose. En cas de conflit entre la fidélité au Seigneur et la fidélité aux affections humaines, c’est celle-là qui doit passer en premier lieu. Il en résultera une rupture semblable en apparence à celle que produirait la haine. Le croyant en cas de crise est mis en demeure de choisir entre le Seigneur et sa famille, il doit passer aux yeux du monde pour un mauvais époux, un mauvais frère ou un mauvais citoyen. Être disciple du Christ, c’est suivre derrière lui la voie douloureuse du sacrifice qui conduit à la mort.
Être disciple est une œuvre immense; Jésus ne fait pas miroiter cette condition aux yeux de la foule, c’est pourquoi il stigmatise la foule d’entreprendre une si grande aventure, sans en calculer à l’avance le prix, sinon, il échouera en plein travail ne récoltant que perte et moquerie. Il n’entend pas décourager ceux qui désirent le suivre; mais il ne veut prendre personne par surprise. Ceux qui veulent s’engager ne doivent pas céder à un entraînement irréfléchi, mais doivent s’asseoir pour calculer et examiner.
S’agit-il de calculer le coût avant de commencer? Peser à l’avance? Les perspectives de réussite et le moyen à utiliser comme le fait l’institution humaine avant de s’engager? N’est-ce pas le chemin de l’incrédulité que Jésus conseillerait ainsi? Il ne veut pas par son refus amener l’homme à renoncer. Le « si » conditionnel a déjà sa réponse dans l’appel de Jésus. Il s’agit pour lui d’éclairer l’unique possibilité de le suivre.
Mais pas d’illusion; il n’y a pas de rabais possible. Il faut le suivre avec toute notre force. Or il existe une idée largement répandue, même chez les chrétiens, qu’en suivant Jésus, tous les problèmes épineux de la vie disparaissent comme par enchantement. Quant aux non-chrétiens, nous les entendons dire avec une certaine nostalgie peut-être toute feinte : au moins vous autres chrétiens, vous êtes heureux! Les choses doivent être tellement plus faciles lorsqu’on possède la foi! Pourtant, tous ceux qui se sont engagés au service du Maître savent que leur fidélité ne leur apporte pas toutes les réponses souhaitées ni toute la satisfaction.
Certes, il y existe des joies et des consolations que seul le Seigneur peut nous accorder. Mais elles sont subsidiaires. Non seulement la foi ne possède pas toutes les réponses, mais encore, elle complique passablement notre existence. La vie chrétienne est une nouvelle naissance qui présuppose la mort afin de vivre de nouveau. Il est dangereux de rendre l’Évangile du Christ attrayant aux yeux des hommes. Il est tentant de réduire la foi au rôle d’un produit de grande consommation. Parfois Dieu, Jésus-Christ et la foi tiennent la vedette dans des débats de discussions sérieux. Mais les hommes qui en discutent tiennent-ils suffisamment compte de la nature de la foi et de la portée des exigences du Christ? Il est certainement plus facile de ne pas confesser le Christ que d’être son disciple.
C’est probablement l’explication de tant d’échecs de la part de ceux qui, un jour ou à une heure, dans tel endroit déterminé, dont ils se souviennent, avaient pris la décision de suivre le Christ. Décision des foules qui pourtant l’ont abandonnée à un moment critique, après un court moment d’un sentiment d’exaltation.
Je crois que l’un des prix à payer aujourd’hui consiste à engager pour Christ toute notre pensée. Nous devons le confesser comme le Seigneur et le Sauveur unique. Cette expression n’est pas un cliché pieux ni une phrase creuse. Elle est au contraire la clé même de notre foi. Elle signifie que celle-ci n’est pas une affaire banale. Pour les premiers chrétiens, cette confession résumait suffisamment toute leur foi. L’Église chrétienne, par la suite, l’a élaborée pour mieux formuler sa foi.
Le Symbole des apôtres en est issu. Le credo exprime tout ce que nous pouvons croire, tout ce qu’il faut connaître sur Dieu et sur nous-mêmes. Il annonce sans équivoque que Jésus est le Fils de Dieu. Par lui, nous avons la révélation à laquelle les hommes peuvent s’attendre de Dieu. En sa personne historique née à Bethléem, crucifié sous Pilate, ressuscité le troisième jour, Dieu a accompli et achevé son plan de salut, préparé dès avant la fondation du monde. En lui, l’Éternel et le Transcendant vient habiter parmi nous. L’incarnation de Dieu est liée à un lieu géographique précis et à une date connue dans l’histoire. Mais telle confession de foi n’est-elle pas un scandale aux yeux des non-croyants? L’Évangile semble être une absurdité. Il affirme que Jésus n’est pas un homme ordinaire seulement, mais qu’il est en même temps le Fils de Dieu. La raison des exigences de Jésus se trouve explicitée dans la nature humaine et divine de Jésus.
Le sommaire de la loi nous invite à aimer Dieu de toute notre pensée et avec tout notre cœur. Or, ce commandement s’applique désormais à Jésus-Christ, car seul lui est le Seigneur unique. Nous n’avons donc pas le droit d’isoler de l’Évangile certains textes, par exemple le Sermon sur la Montagne, pour refaire un Évangile à notre goût et selon nos idées. Au contraire, il nous faut le prendre dans sa totalité. Or, l’Évangile nous annonce tout d’abord que Jésus est le Fils de Dieu et qu’il a préexisté avant la fondation de l’univers.
Un tel message au sujet du prix à calculer ne veut surtout pas être un rabat-joie ni un extincteur de flamme. L’expérience montre que les exigences du Maître ont provoqué les réponses les plus positives et les plus durables. Ceux qui sont disposés à tout donner, et donner surtout leur personne, pour suivre Jésus savent qu’en lui ils ont trouvé Christ l’inspirateur et le guide parfait.
C’est ce que chante le poète chrétien, qui dit :
« J’irai là où tu veux!
J’irai là où tu veux, mais Seigneur, seulement,
Que je garde ma main dans ta main chaque instant.
Feu, sang ou la mort peuvent sur mon chemin
M’entourer, m’assaillir, en toi je ne crains rien.
Te suivre et te servir sont mes seuls grands désirs,
Si ta volonté est qu’en souffrant le martyre
Vers toi seul, par ta croix, même une âme j’attire
Si indigne, ah! pour moi, quel bonheur, quel plaisir!
J’irai jusqu’à la mort, mais Seigneur, seulement,
Que je garde ma main dans ta main, chaque instant,
Affermissant ainsi mon pas si hésitant. »
— Nerses Sarian