Cet article sur Luc 17.1-10 a pour sujet la parabole du serviteur inutile illustrant notre obligation de mener une vie consacrée au service de Dieu, par reconnaissance pour la vie de service et d'abnégation de notre Sauveur.

Source: L'Évangile en paraboles. 4 pages.

Luc 17 - Au service de Dieu - Parabole du serviteur inutile

« Jésus dit à ses disciples : Il est impossible qu’il n’arrive pas des occasions de chute, mais malheur à celui par qui elles arrivent! Il serait plus avantageux pour lui qu’on lui mette au cou une pierre de moulin et qu’on le lance dans la mer, que s’il était une occasion de chute pour l’un de ces petits. Prenez garde à vous-mêmes. Si ton frère a péché, reprends-le, et, s’il se repent, pardonne-lui. Et s’il pèche contre toi sept fois dans un jour, et que sept fois il revienne à toi, en disant : Je me repens, tu lui pardonneras. Les apôtres dirent au Seigneur : Augmente-nous la foi. Et le Seigneur dit : Si vous aviez de la foi comme un grain de moutarde, vous diriez à ce mûrier : Déracine-toi, et plante-toi dans la mer; et il vous obéirait. Qui de vous, s’il a un serviteur qui laboure ou fait paître les troupeaux, lui dira, quand il revient des champs : Viens tout de suite te mettre à table? Ne lui dira-t-il pas au contraire : Prépare-moi le repas, mets-toi en tenue pour me servir, jusqu’à ce que j’aie mangé et bu; après cela, toi, tu mangeras et boiras. Aura-t-il de la reconnaisse envers ce serviteur parce qu’il a fait ce qui lui était ordonné? Vous de même, quand vous avez fait tout ce qui vous a été ordonné dites : Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire. »

Luc 17.1-10

« L’esclave antique appartient absolument à son maître. Il est à son entière disposition, de jour et de nuit. Le maître ne lui doit ni égards ni reconnaissance. Un tel état de choses allait de soi à l’époque. Jésus ne porte aucun jugement sur ce fait. Il le constate et l’utilise pour établir une comparaison. »

Les paraboles de Jésus, ces brefs récits qui illustrent son enseignement divin, sont d’un remarquable et irréfutable réalisme. Considérez seulement l’extrême pauvreté, les conditions sociales parfois très dures dans lesquelles vivent la majorité de ses contemporains, dont nombre de ses auditeurs.

L’Évangile nous parle de mendiants couchés à la porte-cochère des nantis; des aveugles quêtant au coin des rues, des infirmes jetés à même le sol, sans le moindre espoir d’être assistés; des débiteurs insolvables encourant une très longue peine d’emprisonnement… Les misères décrites dans les illustrations dont se sert Jésus ont de quoi déchirer nos cœurs. Qu’il était pénible d’être pauvre! Il l’était infiniment plus encore que d’être un esclave.

Le personnage central de cette histoire, que nous traduisons par serviteur, n’est en réalité qu’un esclave. Lorsque le serviteur ordinaire terminait sa journée de labeur, il pouvait s’attendre à un repos bien mérité. Il avait gagné le pain de la journée. Mais un esclave n’avait pas des horaires de travail ni de temps personnel. Il ne s’appartenait pas. Personne pour l’inviter à arrêter son labeur, encore moins pour le servir; pas la moindre attention prêtée à sa peine ni à ses douleurs physiques lorsqu’il en avait… Contraint à s’oublier, il devait servir et encore servir, au besoin succomber à la tâche. C’était là la routine de l’esclave dans ces temps reculés, où le droit de la personne humaine et les revendications de l’ouvrier auraient semblé d’intolérables manifestations d’insubordination et auraient été réprimés avec une rigueur implacable. L’esclave, cela allait de soi, ne pouvait s’attendre à aucune manifestation de reconnaissance lorsqu’il avait servi.

Jésus décrit là une situation qui semble lui être bien familière. Ne nous imaginons pas qu’il l’approuve, qu’il accepte la pauvreté extrême de certains de ses contemporains ou encore la triste situation de l’esclave. Il se sert simplement de cette condition de vie, révoltante pour nous autres qui avons été nourris de son enseignement, afin de décrire, comme toujours, une relation qui se situe à un autre niveau : celle entre le Dieu suprême et celui ou celle qui lui consacre sa vie. Il ne porte pas de jugement sur le système social établi. Il se propose seulement d’illustrer à l’aide de ces récits la profonde et indéfectible dépendance de l’homme par rapport à Dieu.

« Car comme l’esclave, le fidèle a pour seule raison de vivre celle de servir son maître en toutes choses. Ne pas déférer au moindre des ordres du maître, affirmer une quelconque autonomie, prétendre que l’obéissance pourrait être soumise à sa propre appréciation, c’est, pour le serviteur, nier purement et simplement sa qualité de serviteur, d’esclave. Il est fait pour servir. Quand il a accompli ce service, il ne peut se prévaloir d’aucun droit sur le maître. Il doit se traiter de serviteur inutile. »

Il n’existe point de « congé payé » pour le service chrétien. Et quelque las que l’on soit, quelque pénible la tâche ou la mission à poursuivre, il lui est demandé de rendre encore un service supplémentaire si cela s’avère nécessaire.

Notons bien, voulez-vous, le contexte dans lequel a été racontée cette parabole. Je le résumerai brièvement. Le discours de Jésus débute par l’inévitabilité des scandales qui surviennent, sans doute attribuables à la négligence; ensuite l’obligation de pardonner à celui qui a causé un préjudice; enfin, cette demande formulée par les disciples de leur augmenter la foi. Il est évident que tout ceci explique la nécessité d’une parabole qui, comme toutes les paraboles, a recours à un langage hyperbolique pour mieux faire passer le message central, pour frapper l’esprit, pour aller jusqu’au fond de l’obligation de disciple.

Ainsi, le message qui nous concerne signale que les obligations du chrétien ne peuvent pas être fixées dans une liste ou remplir un cahier de charges comme celui d’un fonctionnaire, d’un administrateur ou d’un gardien d’immeuble. Il n’est pas possible de se dire : enfin, j’ai fait ce que je devais, j’en suis satisfait, et même fier… Tandis qu’il s’apprête à prendre un peu de répit, le voilà qu’il est invité à marcher le second mille, et lorsqu’on lui réclame son manteau, de donner encore la chemise…

Il y aura des moments de lassitude, non seulement physique, mais encore morale, lorsqu’il semble qu’après tant de services dévoués, d’une loyauté aussi exemplaire, Dieu ne semble pas apprécier notre consécration à sa juste valeur…

Faisons remarquer que le Christ n’est pas un enseignant qui nous dit de faire, et qui s’abstient de faire ce qu’il commande. Celui qui nous parle ici de l’esclave et en signale « l’inutilité » est apparu parmi les hommes précisément sous la forme d’un esclave de la dernière condition. Non seulement il rend des services — et sa carrière prodigieuse de générosité, d’altruisme, ses dons et ses gestes sont là pour le prouver —, mais il a accepté encore d’offrir sa personne en sacrifice sur la croix, l’unique holocauste suffisant et définitif, qui nous arrache à notre néant et nous démet de notre suffisance. Son ministère public ne fut qu’un modèle de service, service suprême, rendu à Dieu et, par là, aux humains. Vie d’amour et d’abnégation, mission au service des perdus, des pauvres, des délaissés… Lui-même méprisé, rejeté et ignoré, jusqu’au moment suprême, où Dieu en personne l’abandonne, arrachant à ses lèvres mourantes le déchirant : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » (Mt 27.46). Lorsque Jésus nous appelle à un service de cette nature, il sait que lui-même devra aller jusqu’au bout.

Les chrétiens modernes — ou bien est-ce que cela a toujours été ainsi? — sont souvent déçus, désillusionnés, voire amers et découragés. Ils s’interrogent : À quoi me sert-il de m’attacher encore à ce Dieu exigeant, qui en échange de mes services ne m’offre aucune compensation, pas le plus petit signe de reconnaissance? Ignorent-ils que, vis-à-vis de Dieu, ils restent toujours des débiteurs insolvables? Par moments, notre Dieu, celui que nous servons, nous paraît lointain et indifférent. Pourtant, il est celui qui nous a déjà tout donné; non seulement sa création et sa providence, non seulement ces menus détails de la vie qui nous procurent de la joie, mais encore son Fils unique. Comment ne nous donnerait-il pas alors tout en lui?

« C’est de la réflexion sur soi-même que naît ce souci paralysant. L’homme s’inquiète de savoir s’il peut ou non accomplir la volonté de Dieu, et c’est déjà là le début de l’incrédulité qui conduit à la désobéissance. Car Jésus place constamment ses disciples devant des ordres humainement impossibles. Seule la foi peut adopter une attitude diamétralement opposée, ne cherchant plus rien en elle-même et ne répondant qu’à celui qui donne ce qu’il exige. C’est donc dans la mesure où elle reconnaît en chaque commandement de son Maître la promesse du secours de sa fidélité et de sa puissance qu’elle peut, insouciante de la réussite, se mettre à l’œuvre comme instrument par lequel le Seigneur veut agir. Ainsi, le disciple perd, avec le souci de ses capacités, tout droit sur lui-même, le droit de faire état de ses forces, comme celui de les ménager. » (Helmut Gollwitzer).

Il ne s’attendra ni à une récompense ni à une promotion. Il est inutile, non pas sans valeur, mais contraint de faire ce qu’il est censé faire. Sa situation d’esclave et son incapacité pour l’œuvre de Jésus lui enlèvent toute prétention. Le salaire n’est que celui d’une grâce imméritée. Comme le dit un ancien exégète protestant, Bengel : « Malheureux est celui que le Seigneur nomme un serviteur inutile, bienheureux celui qui se nomme lui-même ainsi. »

Le Christ condamne toute confiance placée dans les actions de l’homme. Ainsi que l’a dit Ambroise, évêque à Milan au quatrième siècle de notre ère : « La grâce doit être reconnue, la nature oubliée. » Inutile signifie insuffisant. Délivrés par la grâce de l’abjecte servitude de l’esclavage dégradant du mal, du péché et de Satan, nous pouvons réellement devenir les esclaves reconnaissants de notre Dieu Libérateur. Réconciliés avec lui, nous savons que nous n’avons plus aucune raison de prétendre : « J’ai pour moi ma conscience; je n’ai fait de mal à personne, Dieu ne me jugera pas, il est obligé de reconnaître mes mérites! J’ai gagné mon ciel! », etc., etc. Être esclave du Christ suppose la mort à nous-mêmes et notre régénération par son Esprit.

Et puisque nous avons mesuré la grandeur, la hauteur, la largeur et la profondeur de l’amour de Dieu qui surpasse toute intelligence d’ici-bas, contre un monde de suffisants, de prétentieux et d’arrogants, nous demeurerons humblement, mais fermement, les esclaves de notre divin Sauveur.

Et le dernier mot de l’Évangile nous assure que Dieu accorde, par pure grâce, une récompense à ceux qui l’ont servi. Cette récompense, nous entendons Jésus la promettre dans ce même Évangile : « Heureux ces serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera veillant. En vérité, je vous le dis, il se ceindra, les fera mettre à table et s’approchera pour les servir » (Lc 12.37). C’est le prodigieux renversement de l’ordre du monde. L’ordre nouveau, annoncé par la présence parmi les hommes du Fils de Dieu, sous la forme d’un esclave, s’épanouira dans la glorification des esclaves.