Luc 2 - Les bergers et les anges
Luc 2 - Les bergers et les anges
« Il y avait, dans cette même contrée des bergers qui passaient dans les champs les veilles de la nuit pour garder leurs troupeaux. Un ange du Seigneur leur apparut, et la gloire du Seigneur resplendit autour d’eux. Ils furent saisis d’une grande crainte. Mais l’ange leur dit : Soyez sans crainte, car je vous annonce la bonne nouvelle d’une grande joie qui sera pour tout le peuple : aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Et ceci sera pour vous un signe : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une crèche. Et soudain il se joignit à l’ange une multitude de l’armée céleste, qui louait Dieu et disait : Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, et paix sur la terre parmi les hommes qu’il agrée! Lorsque les anges se furent éloignés d’eux vers le ciel, les bergers se dirent les uns aux autres : Allons donc jusqu’à Bethléem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître. Ils y allèrent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né dans la crèche. Après l’avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant. Tous ceux qui les entendirent furent dans l’étonnement de ce que leur disaient les bergers. Marie conservait toutes ces choses, et les repassait dans son cœur. Et les bergers s’en retournèrent en glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, conformément à ce qui leur avait été dit. »
Luc 2.8-20
Tout près de Bethléem, on trouve des pâturages où les habitants du village font paître leurs troupeaux durant la journée. Ces troupeaux étaient ramenés à l’étable durant la nuit; les bergers dont parle l’évangéliste vivent sous la tente, les troupeaux sont dehors. Les bergers sont des gens qui vivent dans la solitude, ignorant tout du monde lointain et de ses plaisirs; le moindre événement qui survient dans leur voisinage les émeut. Ce sont surtout des gens représentatifs des pauvres et des ignorants.
On les excluait du monde à venir parce qu’ils n’avaient pas la possibilité de bien accomplir la loi. Eux qui n’ont aucune propre justice sont pourtant, mieux que les pharisiens, disposés à comprendre que l’humble obéissance est la seule attitude dans laquelle Dieu puisse agir. Mais ce sera leur situation modeste, cette bassesse dont parlait Marie dans le Magnificat, qui sera élevée par Dieu.
Ils veillaient sur leurs troupeaux dans la longue nuit du solstice, quand ils furent touchés par la lumière céleste. Cette lumière, qui s’obscurcira au moment de la mort du Christ, éclate maintenant à profusion à la naissance du divin enfant. Environné de la gloire lumineuse et ardente du Seigneur, un ange leur apparaît et sa parole ébranle les bergers. La panique s’empare d’eux, sans doute s’avouent-ils indignes de la lumière divine… Mais leur terreur sera vite dissipée par la révélation de la miséricorde du Seigneur, par l’annonce de la naissance du Sauveur. La Bonne Nouvelle chassera aussi bien les ténèbres physiques qu’elle dissipera l’obscurité des esprits. La joie qui leur est annoncée s’étendra jusqu’au moindre du peuple.
La Bonne Nouvelle, c’est la venue du Sauveur. C’est le titre que des rois et jusqu’à Jules César s’étaient approprié pour se faire saluer dans un monde assoiffé de salut. Au sauveur humain s’oppose maintenant celui qui, sans pompe et sans puissance, est en vérité le Sauveur. À Auguste qui se fait nommer Kyrios, Seigneur, s’oppose le véritable Kyrios, lequel commence, chose bien étrange, par être un subordonné perdu dans la foule. Son lieu de naissance est déterminé par l’acte d’obéissance de son père adoptif à l’édit impérial (qui avait d’ailleurs déclenché un flot de colère assez violent). L’ange annonce que l’enfant qui vient de naître est le Christ, le Messie promis à Israël. Dieu donc met un terme au temps de l’attente de son peuple.
Il est donné un signe pour assurer la foi des bergers. Cette vision des anges n’est pas un rêve, une illusion nocturne, que va dissiper la réalité de la lumière du jour. Un enfant langé repose effectivement dans une crèche. Ainsi, la miséricorde de Dieu ne flotte pas entre ciel et terre, mais se localise dans cette étable concrète, symbole des réalités terrestres et signe de l’abaissement du Fils.
Puis, après l’ange, voici « toute la gendarmerie céleste », comme l’écrit Calvin, qui se met à louer Dieu en présence des bergers. Le ciel lui-même se réjouit de l’événement, car le bonheur de la terre ne laisse pas indifférents les habitants des cieux. Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime.
L’armée céleste glorifie l’œuvre que Dieu est en train d’accomplir par l’envoi du Sauveur. « Celui qui comprend ce cantique de louange a tout compris », dit Luther. L’objet de la louange c’est que la gloire et l’honneur de Dieu au plus haut des cieux soient révélés ici et maintenant. Les anges qui désiraient contempler le mystère du salut le voient en cet instant (1 Pi 1.12). Sur la terre, cet événement signifie la fin de toute inimitié fondamentale entre Dieu et les hommes, racine de toute autre inimitié. Paix sur la terre, cela ne veut pas dire que la paix viendra, ou qu’elle est souhaitée ou que des efforts soient faits pour elle, mais qu’elle est là. Cette naissance est son seul refuge. C’est en ce nouveau-né et en lui seul que la paix est totalement présente, et cela non pas pour elle-même, mais pour nous, c’est-à-dire pour les hommes qui sont devenus maintenant l’objet de la bienveillance divine. Il ne s’agit pas ici « des hommes de bonne volonté » dont parlent certains chrétiens. En effet, la délivrance consiste précisément en ceci : Avant toute bonne volonté humaine, l’humanité révoltée devient, par la présence du Christ, objet de la bienveillance divine. Tel est le mystère qui est annoncé aux puissances célestes (Ép 3.9).
Les bergers iront à la hâte à la recherche du signe qui leur a été promis. Ils n’auront pas grand-peine à trouver l’étable avec Marie, Joseph et le petit enfant. Dans l’étable, à Marie et à Joseph, puis au retour, aux gens du village, ils raconteront ce que l’ange leur avait annoncé. Et, pleins d’enthousiasme, ils gagneront leurs pâturages ayant reçu la confirmation qu’ils étaient venus chercher. Ils seront les premiers prédicateurs du mystère révélé aux enfants et aux simples.
« À peine eurent-ils découvert, dans la pénombre de l’étable, une femme jeune et belle contemplant son fils en silence, à peine eurent-ils vu l’enfant dont les yeux venaient de s’ouvrir, cette chair délicate, cette bouche qui n’avait pas encore mangé, leur cœur s’attendrit. Une naissance, la naissance d’un homme nouveau, une âme depuis peu d’instants incarnée qui vient souffrir avec les autres âmes, est un mystère si douloureux qu’il éveille la pitié des simples. Et pour ces hommes avertis par le ciel, l’enfant qu’ils voyaient n’était pas un nouveau-né pareil aux autres, mais celui que leur peuple attendait dans la douleur, depuis mille ans.
Les bergers offrirent le peu qu’ils avaient, ce peu qui est tant quand l’amour le donne… Les pasteurs antiques étaient pauvres et ne méprisaient point les pauvres; simples comme les enfants, ils aimaient à les contempler. Ils étaient nés d’un peuple engendré par le pasteur d’Ur, sauvé par le pasteur de Madian. Ses premiers rois, Saül et David, furent pasteurs de troupeaux avant d’être pasteurs de peuples. Mais les bergers de Bethléem n’en tiraient nul orgueil. Un pauvre était né parmi eux : ils le regardaient avec amour et lui offraient avec amour leurs pauvres richesses. Ils savaient que cet enfant né pauvre et simple, dans la pauvreté et la simplicité du peuple, devait être le Rédempteur des humbles pour lesquels l’ange avait dit “paix sur la terre”.
Le roi inconnu, le vagabond Ulysse, ne fut accueilli nulle part avec autant de fête que dans la porcherie d’Eumée. Mais Ulysse revenait vers sa maison d’Ithaque pour satisfaire sa vengeance et mettre à mort ses ennemis. Jésus naissait au contraire pour condamner la vengeance et pour prescrire le pardon. Et c’est pourquoi l’adoration des bergers de Bethléem a fait oublier la piété hospitalière du porcher d’Ithaque » (Giovanni Papini, Histoire du Christ).
Voici un résumé des remarques de Calvin dans son beau commentaire :
« La naissance du Christ est révélée à bien peu de témoins, et en pleine nuit. Elle est annoncée à des bergers et non à des hommes notables. Il faut que nous reconnaissions que la folie de Dieu surmonte la sagesse des hommes (1 Co 1.25). Les bergers seront ici nos maîtres pour nous conduire au Seigneur. L’ange annonce une grande joie, et cette joie est qu’un Sauveur nous est né. Car toute joie humaine n’est que fumée à côté du bonheur d’être réconcilié avec Dieu. Les anges chantent cette joie d’une même voix et d’un même cœur. Ne pas chanter avec eux, c’est troubler la magnifique harmonie du ciel et de la terre. Les bergers virent Marie… Pauvre spectacle qui aurait bien pu les détourner de la personne du Christ. Pouvait-on espérer le rétablissement du royaume et le salut d’un nouveau-né si pauvre et si chétif? Et pourtant, cela n’a pas empêché les bergers de louer Dieu et d’admirer. La profondeur de leur foi leur fait surmonter tout ce qui paraissait bas et méprisable en Christ » (Jean Calvin).
« Si la prédication et la foi n’interviennent qu’en second lieu, elles sont pourtant déjà contenues dans le récit. L’histoire n’est pas racontée pour elle-même, mais pour nous. Ainsi, la prédication est liée à l’événement. Ici comme à Pâques, où l’événement intervient dans une nuit de mystère, le message est annoncé par des anges et non par des hommes. Il n’y a en effet ici aucune explication humaine d’un fait, mais la révélation divine de son véritable sens. Ce n’est pas l’homme qui déclare, mais Dieu qui révèle, “ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas point monté au cœur de l’homme” (1 Co 2.9) » (H. Gollwitzer).