Cet article sur Marc 4.26-29 a pour sujet la parabole de la semence qui croît en secret, illustrant le royaume de Dieu déjà présent qui se développe avec puissance, mais en secret, en attendant la grande moisson finale.

Source: L'Évangile en paraboles. 4 pages.

Marc 4 - La puissance du Royaume - Parabole de la semence qui croît en secret

« Il dit encore : Il en est du Royaume de Dieu comme d’un homme qui jette de la semence en terre; qu’il dorme ou qu’il veille, nuit et jour, la semence germe et croît sans qu’il sache comment. La terre produit d’elle-même premièrement l’herbe, puis l’épi, enfin le blé bien formé dans l’épi; et dès que le fruit est mûr, on y met la faucille, car la moisson est là. »

Marc 4.26-29

Les contemporains de Jésus qui entendirent cette parabole se représentaient le Royaume de Dieu comme un événement abrupt devant se produire dans un futur plus ou moins proche. Selon des idées et des convictions largement répandues à cette époque, le Royaume viendrait de façon quasi cataclysmique; c’était seulement à la fin de l’histoire que Dieu, avec des forces surnaturelles, viendrait investir le monde d’ici-bas, restaurer la monarchie davidique et asseoir sur le trône le Messie promis. Ce serait un royaume politique et militaire visible, résultant d’un événement apocalyptique. Jésus, quant à lui, déclare sans équivoque que le Royaume est déjà présent ici et maintenant. Quoiqu’invisible, il est bien réel, déjà inauguré, mais à maints égards il reste secret; il est investi d’une puissance réelle, mais que rien n’indiquait de l’extérieur.

Tel est le sens de cette brève parabole rapportée par l’évangéliste Marc. Ce Royaume est semblable à un grain qui tombe en terre et qui croît secrètement, mais sûrement. Il a envahi le monde, il y a pris racine. Comme signe et preuve de cette irruption du Royaume, Jésus considère son propre ministère. Ses discours comme ses gestes, ses miracles étonnants comme ses œuvres de compassion, l’exorcisme des possédés ainsi que la grâce offerte au pécheur repentant, tout indique et témoigne, avec clarté et sans équivoque, de la présence du règne de Dieu parmi les hommes. On n’a pas à fixer le regard vers un avenir plus ou moins incertain. Les guérisons opérées et le pardon accordé, la consolation dans le malheur et la béatitude conférée, voilà des signes sûrs et certains de la réalisation effective de ce qui, pour l’heure, est objet d’attente fiévreuse et passionnée; attente qui fait languir les uns, qui est cause d’impatience pour les autres, et, parfois, fait sombrer d’autres encore dans la panique ou dans de folles aventures politico-militaires…

Le Christ, pourtant, a entrepris le délogement et la destruction du pouvoir du Malin, l’usurpateur. Nombre de ses paraboles nous invitent à regarder vers la venue, l’accomplissement de son règne, et nous invitent à notre tour à croire fermement que notre propre existence est infailliblement placée sous le signe du Royaume des cieux. Certes, nous sommes encore et toujours aux prises avec des forces maléfiques, des pouvoirs néfastes qui s’agitent et nous troublent, avec des réalités méchantes cherchant à nous briser. En dépit d’elles et en dépit de Satan, l’adversaire principal de Dieu et des hommes, une autre force, une force invincible, est également à l’œuvre; elle affronte le mal et le chasse, défie la mort et l’anéantit. Nous en sommes les bénéficiaires. Nous n’avons pas à nous livrer à des conjectures ni à des calculs futurologiques, à prédire la bataille d’Armaguédon, à laisser libre cours à notre imagination fertile pour croire en la réalité du Royaume… Nous sommes les citoyens de la Cité terrestre, mais cheminons, comme des sujets affranchis et protégés, vers la Cité de Dieu.

Tout ceci nous paraît bien mystérieux. En effet, à certains moments nous nous demandons comment concilier ces deux réalités, c’est-à-dire ce que nous voyons, touchons et ressentons comme expérience vécue, malheureuse et parfois traumatisante, et cette autre réalité dont nous entretient l’Évangile du Christ. Reconnaissons que l’ensemble de l’Évangile reste à nos yeux un immense mystère, une énigme angoissante, si ce mystère caché au cœur de l’Évangile n’était pas une Bonne Nouvelle. Par conséquent, nous l’interpréterons à condition de ne pas détacher ce qui est mystérieux, secret et énigmatique, de tout ce qui dans la Bible est également simple, clair et suffisant pour nous ressaisir.

Le plus grand mystère de la foi chrétienne, je veux parler de l’incarnation du Fils de Dieu, aurait été déconcertant si des rayons lumineux ne l’éclairaient et s’ils n’illuminaient aussi notre foi. Qu’un homme appelé Jésus de Nazareth soit non simplement un autre porte-parole du ciel, un représentant de Dieu parmi d’autres, un prophète et même le plus grand d’entre les prophètes, mais Dieu en personne, c’est, en effet, une affirmation qui ne peut que nous dérouter et nous donner même le vertige.

Que Dieu ait déposé au ciel sa glorieuse majesté, qu’il ait renoncé à toutes ses prérogatives pour revêtir des traits humains, vivre comme un homme en chair et en os, comme vous et moi, comment saisir cela si ce mystère ne nous était pas révélé par l’Esprit et dans la Parole? L’explication nous en est donnée dans les pages de l’Évangile, et c’est là que nous chercherons le fondement pour confesser qu’en Jésus de Nazareth nous avons le Christ de la foi, notre Sauveur, le Fils de Dieu incarné, ressuscité et monté au ciel.

J’admets que plus nous chercherons à scruter ce mystère, plus nous serons dépassés par son étonnante grandeur; nous le scruterons cependant avec l’enchantement de la foi, dans la gratitude fascinée, comme dans le Magnificat que chanta Marie, la jeune vierge juive, à l’annonce de la grâce qui venait de lui être faite.

C’est également un mystère que de croire que les forces libérées par Jésus-Christ sont les prémices d’un renouveau cosmique total. Pourtant, notre expérience le confirme, comme l’atteste d’ailleurs la Bible, dans le malheur comme dans la joie, dans la souffrance comme dans le bonheur, nous nous savons puissamment entourés par elles; elles nous soutiennent quand nous sommes sur le point de défaillir; elles nous empêchent de suffoquer lorsque les pollutions morales et spirituelles qui nous entourent cherchent à nous asphyxier; elles purifient notre joie et la rendent inaltérable. Telle est la réalité présente du Royaume que Jésus illustre par la parabole d’une semence qui croît secrètement. Cependant, nous n’aurions saisi que la moitié seulement de l’enseignement de Jésus relatif au Royaume si nous en restions à ce point.

Jésus affirme que le Royaume suit la même loi de développement que le grain. Il n’est pas réservé exclusivement à un futur lointain. De toutes ses forces, il tend vers sa maturation. Il avance vers la moisson finale. N’oublions pas que le Christ a souvent souligné dans son enseignement la venue soudaine du Royaume. Effectivement, il y aura une manifestation fulgurante qui dépasse toute explication. Jésus déclare que son apparition sera « semblable à l’éclair ». Il reviendra à l’improviste, tel un Maître rentrant de voyage et qui trouve ses administrateurs soit vigilants et actifs à la tâche, soit paresseux et endormis.

Cet aspect-là pourrait se comparer à ces mouvements souterrains que font bouger imperceptiblement une roche, un terrain, les déplaçant petit à petit sans que l’on puisse s’en apercevoir, puis soudain, en quelques secondes, se produit une secousse tellurique bouleversant tout le paysage. Le Royaume aboutira à une crise semblable et produira une dévastation inattendue.

J’aurais de la peine à présenter cet enseignement du Christ avec son double aspect, de manière logique et parfaitement harmonieuse. À ce sujet, je préfère parler de paradoxe plus que de prévision exacte. Je sais qu’actuellement nous percevons infailliblement les signes de la présence du Royaume. Je n’en doute pas. Mais je sais aussi, à cause de l’enseignement du Christ et du témoignage de la Bible, qu’il possède une dimension future. C’est ainsi parce que le Christ lui-même ne nous offre pas, à la manière d’un penseur classique, un enseignement systématique. Il est la Parole faite chair, Parole de sagesse et de vie ainsi que Parole de salut. Même ceux de ses enseignements qui pourraient pour l’instant nous sembler obscurs, nous pouvons les accueillir avec la même espérance et la même gratitude que ceux qui nous réconfortent et nous guident. Nous n’avons ni à hésiter ni à nous détourner d’eux parce qu’ils ne seraient pas clairs comme une leçon d’algèbre…

Regardons autour de nous : nous verrons combien d’actions son Esprit engage pour faire reculer le mal; comme un mouvement de résistance luttant dans le maquis, les soldats du Christ, armés de toute la panoplie de l’Esprit, s’opposent à tout ce qui est hideux, injuste et dégradant; tout ce qui fait de notre terre une planète infernale et y rend la vie inhumaine… C’est la preuve que le Royaume est à l’œuvre. Aussi nous n’avons pas à vivre dans la panique. Ailleurs, la bataille s’engagera plus ouvertement, à travers un acte de bonté, une parole consolatrice, une attitude bienveillante… Et puis, et surtout, une Église qui, en dépit de la tribulation, reste un témoin fidèle de la Parole évangélique et une servante du Royaume, proclamant avec fidélité le message du salut, administrant correctement les sacrements et exerçant une vigilance spirituelle sur ses membres; ce sont là autant de signes du Royaume.

J’irai même au-delà de l’enceinte de l’Église chrétienne. Un gouvernement soucieux de paix et de justice, réprimant le crime et protégeant ses citoyens, voilà encore un autre signe que le Royaume opère parmi nous. Il avance et se développe, tend vers le point culminant… Nous autres chrétiens, nous sommes de ceux qui, selon l’expression de la lettre aux Hébreux, avons goûté aux pouvoirs à venir (Hé 6.5). Déjà, nous avons entamé l’avenir, il est parmi nous et avance à pas de géant, même si, par moments, il nous semble que c’est une loi d’une intolérable lenteur qui régit ce règne divin… Mais Jésus-Christ assure sa présence parmi nous : « Voici je me tiens à la porte et je frappe, si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre la porte, j’entrerai chez lui et souperai avec lui » (Ap 3.20). Si l’avenir est lointain, quel bonheur pourtant de savoir que le Christ demeure proche de nous pour conforter notre foi, éclairer notre espérance, ranimer notre charité!

Un dernier mot. Une fois que la semence est dans la terre, le semeur ne peut plus rien faire pour en hâter la germination. Il n’existe pas de croissance in vitro en ce qui concerne le Royaume. La semence croît spontanément. L’Église chrétienne qui, plus que jamais, semble inquiète de la tournure que prennent les événements n’a pas à s’impatienter ni à se décourager; encore moins à forcer la main de Dieu. Elle peut vivre sereine tout en accomplissant sa mission de semeur : celle de semer l’Évangile et rien d’autre, avec hardiesse, mais sans fanatisme intempestif. Comme le Christ, qui se mêla à la foule et vécut des heures d’intense activité, mais trouva quand même du temps pour prier, voire pour se reposer au fond d’une barque au cœur même de la tempête… Car il a tout mis entre les mains du Père. Il savait que rien ne pourrait empêcher la germination du grain.

Il nous faut une grande dose de patience, amis chrétiens, en ces jours peu rassurants, alors qu’exténués et haletants nous espérons quand même contre toute espérance… Le Royaume de Dieu commence par des petits commencements, mais la moisson finale sera abondante, étonnante… Ayant reçu la semence, ayant mis notre confiance en Jésus-Christ, le divin Semeur, laissons à son Esprit et à sa Parole le soin d’agir selon ses desseins. Demandons la grâce de pouvoir rester calmes et heureux en accomplissant la mission quotidienne qui nous a été confiée, témoignant par la foi de la puissance de Dieu, vigilants dans l’espérance, reflétant l’amour, jusqu’à ce que le Roi apparaisse pour célébrer la fin triomphale de sa cause.