Le mariage chrétien
Le mariage chrétien
« Dieu est l’inventeur du mariage », écrit le Dr Paul Tournier de Genève, dans un de ses livres. En effet, le mariage est un événement qui, dans son fond, exprime l’intention première du Créateur, et par conséquent le sens de notre existence. De ce fait, le mariage est lié non seulement aux fondements de notre vie, mais il concrétise et il résume admirablement toutes les valeurs chrétiennes : l’abnégation, la disponibilité au service, la fidélité et la constance, le pardon, la maîtrise de soi et la noblesse envers autrui. Ainsi, le fondement du mariage n’est pas d’abord l’amour mutuel et instinctif de l’homme pour la femme ou vice versa. Sans aucun doute, un tel amour doit faire partie intégrante et indispensable du mariage. Néanmoins, fondé sur le seul amour, le mariage se bâtirait sur le terrain mouvant des sentiments fluctuants. Dans le mariage chrétien, les époux comprennent l’état du mariage comme la réponse à la volonté expresse de Dieu à leur égard et l’acceptent en tant que le plan de Dieu conçu pour eux longtemps à l’avance. Aussi désintéressé et profond soit-il, l’amour, pour le chrétien, ce n’est pas le choix préférentiel de l’un pour l’autre qui fonde le mariage. Mais la décision et l’acte humain sont plutôt précédés par la décision et la volonté de Dieu. Dans son amour, Dieu unit l’homme à la femme et par sa volonté providentielle, il leur permet de vivre ensemble. L’ultime décision est toujours celle de Dieu, même si nous l’ignorons!
Dans le récit de l’institution du mariage que nous lisons dans les premières pages de l’Écriture, aussitôt après avoir créé l’homme, Dieu constate : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul », et il décide : « Je lui donnerai une aide semblable à lui » (Gn 2.18). Par le mariage, Dieu comble notre solitude. Il pourvoit à notre besoin de communion et à notre désir de partager notre vie avec le ou la partenaire de l’autre sexe. Dieu sait mieux que quiconque que notre vie perdrait un élément indispensable de bonheur et d’harmonie si nous restions seuls. Au fond de nous-mêmes, nous aspirons tous à partager notre vie avec l’autre. Nous savons combien il existe dans notre for intérieur une solitude qui nous trouble qui peut nous tourmenter et qui nous effraie, et qu’il faut la combler. « Rien ne peut plaire à un homme sans un ami avec qui il peut s’y complaire », écrivait saint Augustin. À combien plus forte raison ceci est vrai pour l’union et l’amitié conjugales.
Le mariage satisfait aux plus profonds des désirs humains. Il inspire et garantit la sécurité et la confiance. La communion la plus intime, la plus forte et la plus sainte peut s’établir sous le toit du foyer fondé par le mariage. L’amour conjugal est la négation de la solitude. En créant le couple, Dieu atteste que la vie est coexistence.
La sexualité est la forme et le moyen que le Créateur a choisis pour signifier cette coexistence. L’homme ou la femme seul n’est pas complet. L’un et l’autre doivent découvrir le vis-à-vis que Dieu lui destine et en qui il doit se reconnaître. C’est pourquoi, dès le premier instant de cette rencontre, c’est un chant d’amour qui jaillit de la bouche de l’homme : « Voici celle qui est os de mes os, chair de ma chair » (Gn 2.23).
L’expression biblique « une seule chair » veut rendre compte de l’union totale de l’homme et de la femme dans l’amour, par la médiation des corps. Elle souligne la solidité et la rigueur du lien conjugal ainsi créé. Cette rencontre sexuelle forme le couple en permettant au conjoint de prendre connaissance de leur différentiation physique. Chacun a besoin de l’autre pour s’affirmer et pour se réaliser.
Une telle rencontre est le but principal du mariage. Vient ensuite la procréation, conséquence de l’union et le fruit de l’amour. Bien que, sur le plan humain ou psychologique, on puisse comprendre la tristesse, parfois la grande détresse des couples sans enfants, on peut les consoler cependant en leur rappelant que leur vie conjugale connaît déjà la plénitude dans l’amour et dans la fidélité réciproques. Il est aussi faux de penser que la sexualité apparaît après la chute, ou encore qu’elle en est la cause!
Celle-ci ne devient un problème qu’à partir de la chute. Elle n’est pas le piège de la chute, mais elle révélera à l’homme qui tente son autonomie, en voulant devenir comme Dieu, qu’il n’est pas autonome, et encore moins Dieu.
Le mariage chrétien doit connaître un autre facteur, celui qui le consolide et le garantit contre toute aventure. Je veux dire la fidélité. Celle-ci est la charpente qui préservera l’intimité et assurera l’indissolubilité du mariage. La rencontre de l’homme et de la femme constitue un secret. Désormais, seuls cet homme et cette femme unique ont une connaissance si intime de leur propre être et de celui de leur conjoint. Ce secret est le fondement de la monogamie. Il est impossible de rompre un tel couple, à moins que ce ne soit le fait de la disparition par la mort de l’un des conjoints. Car il n’est pas possible de divorcer avec son propre corps.
Voyez avec quelle joie et quelle chaleur le livre des Cantiques, ce livre admirable de l’Ancien Testament, pourtant tellement méconnu ou sous-estimé, chante cette fidélité : « Les reines sont soixante et les concubines quatre-vingt, les jeunes filles sont innombrables, unique est ma colombe, ma parfaite » (Ct 6.8-9).
L’union amoureuse est une parabole de l’amour de Dieu et de sa fidélité. Dieu n’a qu’un seul peuple qu’il aime et auquel il reste fidèle.
Si le divorce est impossible, il ne l’est que sur ce seul plan. En effet, le divorce volontaire et arbitraire est contraire à l’intention de Dieu. Dieu ne tolère pas que deux personnes déchirent le contrôle de leur appartenance prétextant ne pas pouvoir réussir à vivre ensemble ni s’aimer. L’apôtre Paul compare une telle communion de l’époux pour son épouse à celle de Jésus-Christ pour son Église :
« Maris, aimez chacun votre femme, comme le Christ a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier après l’avoir purifiée par l’eau et la parole, pour faire paraître devant lui cette Église glorieuse, sans tache, ni ride, ni rien de semblable, mais sainte et sans défaut. De même, les maris doivent aimer leur femme comme leur propre corps. Celui qui aime sa femme s’aime lui-même. Jamais personne, en effet, n’a haï sa propre chair; mais il la nourrit et en prend soin, comme le Christ le fait pour l’Église, parce que nous sommes membres de son corps. C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux deviendront une seule chair. Ce mystère est grand; je dis cela par rapport à Christ et à l’Église. Du reste, que chacun de vous aime sa femme comme lui-même, et que la femme respecte son mari » (Ép 5.25-33).
« Comme Christ »; il faut souligner cette expression. Il y a un élément d’imitation dans la foi chrétienne; l’on est imitateur de Dieu ou de Christ, après avoir été uni à lui. Cette imitation s’exerce non pas dans le lointain ou l’imaginaire, mais dans le concret et dans le très proche; car l’homme et la femme sont les plus proches des prochains qu’il faut aimer; aimer jusqu’au renoncement et le sacrifice. Le mari ne peut s’emparer de sa femme pour la dominer; la femme ne peut pas se permettre de soumettre son mari par la ruse. Il y a pour l’un et l’autre un seul commandement que Jésus-Christ nous a donné : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés » (Jn 15.12).
À ces conditions-là, c’est-à-dire l’institution divine du mariage, l’indissolubilité acceptée, dans l’amour fidèle et constant vécu quotidiennement, l’espérance et la joie peuvent remplir et orner les cœurs de ceux qui, avec confiance, vont vers la vie conjugale. Ils peuvent connaître un seul amour. Celui qui ne cherche pas son propre intérêt, qui ne dit pas : « cela me fait plaisir », mais « cela lui fera plaisir ». L’amour qui supportera le mot qui humilie, qui ne gardera pas rancune, car il sait pardonner d’avance.
Devenus une seule chair, on peut aussi devenir une seule âme. Quand on aurait des goûts semblables, des désirs et intérêts communs, l’on serait encore loin l’un de l’autre. Si l’on ne communie pas dans la même foi, l’amour le plus fort ne suffit pas pour assurer contre les obstacles imprévus de la vie. Pour connaître le vrai bonheur; il faut se mettre à genoux et en relation avec Dieu, vivre sous son regard. À ceux qui s’aiment et fondent un foyer, Dieu donne le vrai bonheur. Il les garde de toute faiblesse humaine. De toutes tentations du Malin. Il les sanctifie par sa puissance. Il les rend capables de tenir leurs promesses d’époux : Oui, seulement sous le regard de Dieu : « L’amour est plus fort que la mort; beaucoup d’eaux ne sauront l’éteindre » (Ct 8.6-7).